Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

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mercredi 7 septembre 2022

Julia Jacklin : Pre Pleasure

 

Cet été j’ai pour la première fois lu un livre d’Aharon Appelfeld. Mon Père Et Ma Mère est un récit de souvenirs d’enfance, autobiographique et très introspectif traitant des relations intenses de l’auteur avec ses parents, des conséquences qu’elles ont entrainées sur son écriture et son travail d’auteur. Il s’agit d’un livre très troublant lorsqu’au contraire on a eu des relations trop compliquées ou très difficiles avec ses propres parents et que l’on s’efforce, maintenant, d’en avoir de bien meilleures avec les enfants que l’on a eus soi-même. Mon Père Et Ma Mère est un très beau livre, sensible et – sans aucune prétention – universaliste mais singulier, personnel. Tellement beau que je ne suis pas sûr de vouloir ni de pouvoir lire d’autres textes d’Aharon Appelfeld de sitôt, j’aurais trop peur d’être déçu. Ou de ne pas comprendre, de ne pas du tout ressentir les mêmes choses.
Au détour d’une page de Mon Père Et Ma Mère j’ai découvert une phrase prononcée par la mère de l’auteur et qui par truchement me semblait résumer en grande partie l’intériorité de celui-ci mais également mon état d’esprit actuel, celui de cet été 2022. J’ai fait confiance à ma mémoire, me disant que j’allais me rappeler de ces mots, qu’au moins j’allais me rappeler du bon numéro de page (c’est vers la fin) mais évidemment rien de tout cela ne s’est produit, j’ai rouvert le livre pour y rallumer exactement la lueur subrepticement entrevue et je n’ai pas retrouvé cette fameuse phrase, que j’ai finalement peut-être rêvée, interprétée, confondue. Ce qui n’est pas si grave que cela parce que l’impact émotionnel qu’elle a laissé en moi et lui toujours présent.


 


 

Je ne connaissais pas JULIA JACKLIN avant de tomber par hasard sur son nom dans des commentaires sur un réseau social quelconque (troll inside). Je décelais comme une singularité, quelque chose d’unique et je ne m’y suis pas trompé. Mieux : la musique et les textes de Julia Jacklin se sont eux aussi révélés être un modèle bouleversant d’introspection et de sensibilité, bien que parfois exprimées sans ambages, crument. Les chansons de l’Australienne parlent essentiellement de relations humaines, amoureuses ou pas. Et que ne donnerais-je pas pour avoir découvert plus tôt, dès sa parution en 2019, le deuxième album de Julia Jacklin : Crushing est un disque que je n’écoute que depuis quelques mois mais qui aujourd’hui continue de me remuer, il m’a encore bercé tout cet été. Une sorte de révélation pour moi. Assez extraordinairement et alors qu’elle ne se préoccupait pas du contenu même des textes, se fiant uniquement à la voix de la chanteuse, Crushing a aussi eu un effet apaisant sur l’une de mes filles, en difficulté de vie. Plus que le plaisir immense d’une musique intimement partagée, j’ai alors ressenti encore plus fort ce qu’exprime Aharon Appelfeld lorsqu’il évoque l’héritage affectif et culturel que lui ont laissé ses parents. Sauf que cette fois c’est moi qui donnais.
Pre Pleasure* est le troisième album de Julia Jacklin. Crushing racontait la fin d’une histoire et ses complications, sur Pre Pleasure la musicienne continue de se questionner – « I quite like the person that I am / Am I gonna lose myself again ? » –, d’explorer les relations humaines, leur complexité, comment ne pas se perdre, comment se retrouver soi-même. Musicalement c’est un album plus épais, un peu plus lyrique et plus sophistiqué (les somptueux arrangements de cordes sur Ignore Tenderness et surtout End Of A Friendship). Les compositions semblent moins intimistes, du moins sur la première face du disque. Mais bien qu’il puisse laisser une telle impression aux premières écoutes, Pre Pleasure n’est pas un album moins touchant et moins émouvant. Il ne faudrait surtout pas ignorer les textes dont Julia Jacklin détourne la rudesse voire la crudité d’une voix aussi pénétrante que légère et avec un angélisme désarçonnant. Des mots d’une acuité et d’une profondeur à partager, encore – malgré leur caractère très intime et personnel – et qui finissent par résonner en nous, vibrant comme la phrase perdue d’un livre-révélateur. Il y a des étés comme ça, malgré tout un peu plus beaux que les autres.

* paru chez Transgressive records

 

mardi 14 décembre 2021

A L' Arrache - Lyon 1980–2020






A L’ARRACHE
, gros pavé consacré aux musiques et aux pratiques underground à Lyon entre 1980 et 2020 vient de paraitre. Je ne remercierai jamais assez Sébastien et les Editions Barbapop de m’avoir fait confiance en me demandant une série de photos agrémentées de commentaires. Toutefois je dois bien admettre que mes photos – souvent sombres et surtout chargées en bruit numérique – ne conviennent pas au mode d’impression utilisé pour l’édition du livre. Les graphistes avaient demandé une impression offset à l'imprimeur qui n’a pas obtempéré, suite à un malentendu... Aussi la fierté d’avoir participé à ce chouette projet se mêle d’un petit peu de déception. Rien de grave non plus.

Voici donc les photos en question, il y en a douze et elles reflètent un éventail assez large de groupes, de styles musicaux et de lieux souterrains. N’hésitez surtout pas à vous procurer ce livre de 336 pages débordant de contributions toutes plus intéressantes les unes que les autres.







Volcano The Bear
le 6 décembre 2010. C’est l’un de mes meilleurs souvenirs de concert à Grrrnd Zero : Volcano The Bear est (était ?) un groupe à nul autre pareil, débordant d’inventivité, de poésie, de fantaisie absurde, un groupe très anglais, finalement… Ce soir là Ahleuchatistas, Will Guthrie, Kandinsky et Faux Amis ont également joué, une programmation magnifique que l’on doit notamment à Ludo / Ubik. Et puis j’aime particulièrement cette photo parce que l’on y voit la grande fresque peinte par Bertoyas et Guillaume Soulatges.






Encore un concert mémorable à Grrrnd Zero, grâce à Thomas de Maquillage Et Crustacés et en soutien au site d’informations alternatives Rebellyon. Le 5 mars 2011, Kiruna, les Lunatics Toys et No Shangsa se sont relayés sur scène tandis que Pif Le Chiant jouait les trouble-fêtes, coincé entre le bar et l’info-kiosk de Rebellyon. L’exemple typique d’une soirée avec beaucoup de personnes présentes et impliquées, des bons groupes, un organisateur hyperactif et altruiste et une cause importante à soutenir.






Le festival Africantape a eu lieu sur trois jours fin avril 2011 et ce fut un évènement. Tous les groupes du label y ont joué – en vrac : Ned, Marvin, Papaye, Oxes, The Cesarians, The Conformists, Extra Life, etc. Un vrai succès public et artistique, grâce au dévouement de quelques acharnés avec entre autres Thomas de Maquillage Et Crustacés (encore lui !), Cristina, Victoria, toute l’équipe du Clacson à Oullins et les bénévoles de Grrrnd Zero. Sur la photo : Big’N, piliers du noise-rock US des 90’s alors récemment réformés, mettant le feu au Clacson le 30 avril 2011.






Je voulais mettre une photo d’Headwar qui a joué de nombreuses fois à Lyon et dont les venues ont ponctué l’histoire de Grrrnd Zero. Mais finalement ce sera une photo de La Race – deux membres en commun quand même – prise le 7 juin 2011. Je suis incapable de me souvenir de qui avait également joué ce jour là mais je me rappelle parfaitement de l’énorme malaise électrique généré par La Race, devant un public complètement hypnotisé.






Au premier étage de Grrrnd Zero Gerland il y avait une salle surnommée « Salon Moquette » qui accueillait des concerts dans un espace plus petit et une ambiance plus confinée (sic). Cette photo date du 26 janvier 2013 et montre l’un des derniers concerts auxquels j’ai assisté dans cet endroit magique, avec Besoin Dead. A cette époque il s’agissait encore d’un duo constitué de Pascal (Et Mon Cul C’est Du Tofu ?, c’est lui) et de Geoff, futur Jessica93 (et qui a ensuite quitté le groupe). Nico d’Headwar avait également joué avec Usé, son tout nouveau projet solo. Un concert en plein cœur de l’hiver avec énormément de gens qui se tenaient bien chaud.






Stéphane a organisé (souvent avec l’assistance de ce cher Nabil) énormément de concerts sous le nom de S’Etant Chaussée et il avait à cœur de défendre la musique et les groupes de filles et de lutter contre le sexisme dans la scène DIY à une époque – il a commencé dans les années 90 et la venue à Lyon de God Is My Copilot n’est pas le moindre de ses titres de gloire – où tout le monde s’en foutait encore pas mal. Cette photo a été prise au Sonic le 28 mars 2013 et on y voit le génial groupe écossais Divorce, trois filles et un garçon qui jouaient un noise-rock particulièrement crépitant et complètement allumé.







Cette photo a été prise le 4 avril 2013 dans le dernier espace occupé par Grrrnd Zero à Gerland, les anciennes usines Brossette. Une belle soirée organisée par Pain Frites qui fêtait la sortie de la compilation cassette Tu Veux Mon Kebab ? et dotée d’une programmation résolument éclectique : Tuscano, Bonne Humeur Provisoire, The Dreams, Noir Boy George et, enfin, le metal noir et crépusculaire de Karcavul, princes du death / doom / sludge / whatever.







Le Collège Radar était un squat situé quai Pierre Size et qui n’aura pas duré très longtemps mais aura accueilli quelques soirées et concerts marquants. Comme ici le 26 juin 2014 avec Daïkiri – Fasp, Mr Marcaille, Le Singe Blanc et Don Vito étaient également de la fête.






Cette photo débordant de joie et de bonheur partagé a été prise le 11 avril 2015 lors du tout dernier concert à Lyon de Veuve SS – le groupe s’est séparé quelques temps après. De l’avis général Veuve SS est l’un des meilleurs groupes de hardcore qui ait jamais existé du côté de l’hémisphère nord. Je partage absolument cet avis.






Lorsqu’on parle des squats à Lyon ces dernières années, difficile de ne pas évoquer l’Oblik qui pendant huit mois a accueilli une intense activité et a abrité des dizaines d’habitants et de familles. Des soirées s’éternisant toute la nuit, des concerts inoubliables… le choix était difficile (Fukushima Mon Amour, concerts des D7C, etc.) et finalement j’ai opté pour une photo des stéphanois de Zone Infinie et un concert organisé le 1er avril 2016 par 1 2 3 4 ! avec également Litige, Lost Boys et Traitre, le tout devant un public de jeunes et vieux / vieilles punks déchainé.e.s.






Le Bimbo était une chouette petite salle située au cœur de la Guillotière rue Salomon Reinach et proposant une alternative intelligente et inventive à la gentrification et à la normalisation culturelle du centre-ville lyonnais depuis la fin des années 1990 / début 2000. Malheureusement Le Bimbo a du cesser ses activités, nouvelle éviction du DIY et de l’underground d’un quartier historiquement populaire, d’immigration et de brassage culturel. Sur la photo : Grand Veymont le 6 décembre 2018 lors d’un concert commun avec Odessey & Oracle.







Un concert avec Balladur et Tole Froide (sur la photo) co-organisé par Ligature records et AB records le 24 mars 2019. C’était un dimanche soir et j’ai toujours aimé les concerts du dimanche, spécialement celui-ci qui changeait vraiment, accueilli au Farmer qui d’habitude fait plutôt jouer des groupes de hardcore et de metal. Un grand et beau souvenir.

[…]

 

lundi 12 juillet 2021

Raymonde Howard & Halfbob : The Year Loop Broke

 

The Year Loop Broke – dont le titre fait allusion aux boucles échantillonnées souvent utilisées par les one wo·man band et est surtout une référence assez évidente à tu sais quoi – est une bande dessinée signée Halfbob et Raymonde Howard : le premier raconte en dessins les mésaventures de la seconde lors d’une mini-tournée de trois dates en Angleterre au cours de l’été 2015. On connait plutôt bien RAYMONDE HOWARD, musicienne, auteure et compositrice de Saint Etienne qui depuis 2006 (?) nous enchante avec ses pop songs noisy, pleines de tranchant, de malice et d’impertinence. On ne connait pas du tout HALFBOB, illustrateur et auteur de BD, stéphanois lui aussi. Mais on devine que ces deux là doivent vraiment bien s’entendre pour que Laetitita aka Raymonde Howard lui ait confié la tâche de raconter un bout de sa vie.





Nous sommes donc en 2015 et Raymonde Howard, prof dans le civil, booke à grand peine une poignée de concerts en Angleterre. Elle sera accompagnée de deux amis : Anto (chauffeur / roadie / etc.) et Thomas qui partagera la scène avec elle avec son propre projet solo, Thomas W. – Laetitia et Thomas joue d’ailleurs ensemble dans un autre groupe, Saffron Eyes, mais là n’est pas le propos. Halfbob nous raconte très bien la réalité d’une tournée lorsqu’on n’est pas un
·e musicien·ne professionnel·le, les galères imprévisibles mais semble-t-il inévitables liées à la pratique DIY comme les petits riens qui changent tout (les rencontres, les discussions tardives d’après-concert, les endroits que l’on découvre, la nourriture du coin… – oui même en Angleterre).
Mais il nous raconte surtout la galère de Laetitia pour qui
cela se passe mal dès le départ du voyage : violentes douleurs au dos, beaucoup de fièvre, très grosse fatigue. Elle doit même raccourcir l’un de ses sets et rapidement elle ne décolle plus de sa trousse à pharmacie et se gave de paracétamol pour supporter des douleurs toujours plus intenses et inquiétantes. Avant d’être obligée de se faire hospitaliser. Je ne vais pas tout résumer de The Year Loop Broke qui nous décrit un système hospitalier britannique complètement archaïque et désargenté, nous parle de personnes âgées laissées à l’abandon dans des dortoirs collectifs en attendant la mort, évoque la barrière du langage (pourtant Laetitia chante en anglais avec Raymonde Howard) et, surtout, aborde subtilement l’angoisse de se savoir malade sans comprendre exactement de quoi on souffre. Et donc parle de la panique qui s’empare de nous… parce que l’on a toujours cette tendance très humaine à imaginer le pire.
Le pire n’arrivera pas, Laetitia pourra rentrer en France après quelques péripéties supplémentaires et quelles rencontres inattendues mais pour moi le principal sujet de The Year Loop Broke est vraiment axé autour de cette double problématique : ne pas assez prendre en compte la douleur physique ni la souffrance psychologique d’une personne malade et qui ne comprend pas ce qui lui arrive.







N’étant pas expert ni féru de bandes dessinées je me garderai bien de dire quoi que ce soit du dessin d’Halfbob. Celui-ci est très simple, tout en noir et blanc contrastés, avec quelques parties hachurées mais jamais de gris. La simplicité du trait colle bien avec la musique de Raymonde Howard car, comme elle, il va à l’essentiel, désigne basiquement les personnes, les évènements et les choses sans détours tout en pointant ce qui est important, souvent non sans beaucoup d’humour. Surtout Halfbob arrive à nous parler de ce qui est triste ou dramatique avec beaucoup de retenue et beaucoup d’humanité.
The Year Loop Broke est accompagné d’une compilation CD sous-titrée A Collection Of Songs 2006 - 2021 et regroupant non chronologiquement des titres de tous les enregistrements de Raymonde Howard depuis ses débuts, première démo comprise. La musicienne y a même inclus deux inédits de 2008 ainsi que quatre nouveaux titres spécialement enregistrés pour l’occasion et tous d’excellente facture (j’ai vraiment un petit faible pour The Inevitable Her). Revisiter sa discographie est aussi plaisant que rigolo : en fait les disques de Raymonde Howard sont toujours très courts mais avec The Year Loop Broke c’est tout le contraire, on en prend pour une heure de musique et vingt-sept titres d’affilée, expérience très intéressante et instructive s’il en est. Et qui confirme tout le bien que l’on pense d’elle.

[The Year Loop Broke dans sa version bande dessinée de 80 pages + CD est disponible au prix de 19 €uros – je rappelle que dans ce pays le prix des bouquins est toujours réglementé – tout ça grâce au partenariat entre Jarjille Editions et le label We Are Unique! records, fidèle à Raymonde Howard depuis ses débuts… mais le CD est également disponible sans la BD, ce serait pourtant bien dommage de s’en priver !]



lundi 8 mars 2021

MelmAC.Hello / Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri





Ceci est un livre. Pour de vrai. Il a pour titre Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri. Accessoirement il possède même un isbn : 979-10-96324-06-4. Et un prix marqué, merci Jack : 18 €uros. Pourtant ce n’est pas ce qui en fait un livre. En fait il suffit de l’ouvrir et de lire les mots, les textes d’A.C. Hello (ce n’est pas parce qu’ils sont imprimés en très gros qu’il faut en avoir peur). Des mots qui se jettent sur toi et t’assaillent, presque sans répit. De la sauvagerie, de la rudesse, de la violence pourquoi pas, mais plutôt la violence que l’on ressent et dont on se sert également pour faire sortir ces mots là – de la révolte, donc. Comme une respiration qui soudain ne demande qu’à s’élargir – tu sais bien, des fois tu as envie (et besoin) d’inspirer et d’expirer un bon coup, de tester ta résistance interne et externe à la pression de l’air et de ton environnement, presque de savoir que tu es en vie et capable de vivre. Oui, évidemment.
Je me suis un peu renseigné. A.C. Hello a déjà au moins trois parutions / livres à son actif. Et elle vient brutalement de rejoindre le petit club des poétesses et des poètes sonores dont j’ai un jour, enfin, entendu parler – et honnêtement il n’y en a pas beaucoup, un peu les mêmes que tout le monde, en fait : Charles Pennequin, Bernard Heidsick, Anne James Chaton… – alors que cela fait dix années qu’elle écrit et donne vie à ses textes. Tordre et déplier sa poésie de combat, ses mots d’urgence mais qui pourtant savent rester.

Ceci est un disque (un CD, un compact disc : un bout de plastique de douze centimètres de diamètre avec un trou au milieu). De la musique, si tu préfères (moi je préfère). Le groupe s’appelle MELMAC et la dernière fois que je m’y étais intéressé de près c’était au sujet d’un autre enregistrement, datant de 2011 : Le Désert Avance. A l’époque et sur ce disque on ne trouvait que deux musiciens. Aux guitares, aux effets et aux manipulations sonores. Luc et Nicolas Reverter. Et sur Le Désert Avance la musique de Melmac ressemblait, ressemble toujours et même de plus en plus (je l’ai réécouté exprès), à de longues et lentes coulées de lave qui crépitent et roulent dans la nuit – désolé mais moi par contre je suis vraiment nul en poésie.
Surprise. Désormais, en tous les cas sur Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri, ils sont quatre dans le groupe. Aux deux frères Reverter se sont ajoutés le batteur Jean-Yves Davillers et le saxophoniste Quentin Rollet – fondateur jadis du label Rectangle aux côtés de Noël Akchoté, saxophoniste pour Prohibition, il a également joué avec et pour Red, Romain Perrot/Vomir, etc. En 2020 on l’avait croisé sur l’album Iron Pourpre d’A Shape, où il participe à une bonne moitié des titres. La musique de Melmac a donc changé, elle aussi. On retrouve toujours à certains endroits les mêmes textures sonores fusionnées à base de guitares, comme sur Moutons ou Cette Seconde. Mais je n’ai pas d’autre choix que d’écrire que maintenant Melmac est aussi et surtout un groupe de… rock. Particulièrement rythmé, Je Laisse Surgir n’est pas autre chose qu’un bulldozer intrépide ronflant au milieu de l’arène.

Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri est un livre et un disque. Melmac et A.C. Hello s’épaulent, fusionnent et explosent. La musique n’a rien d’un faire-valoir, un cadre décoratif et clignotant seulement quand on lui dit de clignoter. Bien qu’elle soit moins éruptive que les mots, mis à part sur quelques parties réellement instrumentales où elle ne vit que par elle-même (le long et magnifique final de Cette Seconde).
La musique n’éclipse pas les textes. Les textes n’empêchent pas d’écouter les musiques. Les uns ne vont pas sans les autres. Tout comme la brutalité et la sensibilité cohabitent étrangement, mutuelles et sans que l’on puisse les séparer, comme deux frères ou deux sœurs de cœur, dans un amour bancal et réciproque, un truc sensitif et affectif qui a un jour existé et, on y pense sans y penser, existera toujours. Comme une trace de vie pas davantage explicable, une trace de ses soulèvements communs et de ses confrontations, de ses oppositions. Un truc épidermique et instinctif. Envahissant et persistant. Libérateur. Lutter et respirer. Encore. Toujours.

 

[Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri de MelmAC.Hello est publié par Bisou records, à la fois une maison d’édition et un label sous la direction d’Isabelle Magnon et de Quentin Rollet]

 

 

jeudi 26 novembre 2020

[livre] Patrick Foulhoux / Les Thugs - Radical History

 


 

Je me rappelle très bien de la première fois où j’ai entendu parler des THUGS. C’était à la télévision, ce qui aujourd’hui quand j’y repense me parait complètement invraisemblable mais à l’époque les seuls moyens de découvrir des nouvelles musiques étaient : 1 - les discussions entre potes dans la cour du lycée avec échanges de cassettes à la clef, 2 - les émissions de radio puisque la bande FM avait été « libérée » seulement quelques années auparavant, 3 - la consultation frénétique des bacs des disquaires si bien entendu on avait la chance d’en avoir un dans la ville où on habitait, 4 - la lecture de rares fanzines (merci Rock Hardi) ou de certains journaux et… 5 - la tv qui servait ainsi à quelque chose.
Je me rappelle donc très bien de ce jour, j’habitais encore chez mes parents et c’était surement un mercredi après-midi parce qu’ils n’étaient pas là, donc je pouvais me vautrer devant le petit écran et regarder les merdes qui y passaient en attendant l’heure de mon rendez-vous avec des potes pour aller fumer des joints dans le parc à côté. L’émission s’appelait Décibels, sur FR3. Je me rappelle du présentateur à la diction toujours un peu maladroite et pas très à l’aise devant la caméra mais que j’aimais bien (je ne me rappelle pas de son nom, désolé), il passait souvent des trucs que je ne connaissais pas et qui me donnaient envie d’en savoir plus. Je ne sais pas si c’est le même jour où il y a eu une séquence consacrée à Fixed Up, groupe originaire du Havre, mais peut-être bien que oui, parce que Décibels défendait des labels tels que Closer records.


On était en 1987. Je ne connaissais pas encore LES THUGS. Je n’avais pas encore écouté la compilation Les Héros Du Peuple Sont Immortels publiée un peu plus d’une année auparavant et je me souviens du petit commentaire en introduction (ou après ?) de cette séquence tv consacrée aux angevins, un truc du genre : « attention ça dépote ». Et là je découvre quatre types qui ne sourient pas, qui ne font pas de grimaces et qui ne se prennent pas pour des clowns ou des brasseurs de bière et qui envoient à fond les ballons une composition ultra-rapide, ultra-courte et ultra-dense. Pas vraiment punk, pas hardcore non plus et extrêmement mélodique malgré le mur du son généré. Le présentateur tv a montré la pochette du « nouveau » disque des Thugs à l’écran : il s’agissait d’Electric Troubles
J’ai gentiment économisé sur mon argent de poche (merci papa) pour
acheter Electric Troubles et je l’ai dévoré. Sept titres sur un 12’ tournant en 45 tours et strictement rien à jeter, sept titres furieux et inclassables mais qui me correspondaient parfaitement : mélodiques sans être mièvres, violents sans être haineux, bruyants sans être inaudibles. Et puis ces rythmiques ferroviaires, ces passages tumultueux d’où émergeaient malgré tout les lignes mélodiques, ce chant en anglais – très important pour moi – volontairement sous-mixé, ces solos de guitare basés sur trois au quatre notes seulement… J’ai passé tous les titres d’Electric Troubles un nombre incalculable de fois dans l’émission de radio que je venais de commencer d’animer, puis dans celle d’après, et encore dans celle d’après… et aujourd’hui je me retrouve à reparler de ce disque, de cette année 1987, la dernière chez mes parents.

Radical History
, le livre de Patrick Foulhoux consacré au Thugs n’est pas aussi sentimentaliste que tout ce que tu viens de lire. Mais j’aurais pu faire bien pire, j’aurais pu te parler de la première fois que j’ai vu Les Thugs en concert, un an après cette fameuse émission tv, j’aurais pu te parler de cette fois également, alors que le groupe tournait avec les anglais de Mega City 4, je pourrais égrener tant de souvenirs, y compris celui d’un concert dans une salle très grande – du moins à mon niveau – et au cours duquel les Deity Guns avaient joué pour la dernière fois… j’étais attristé de la disparition du groupe lyonnais alors je suis parti pendant le concert des Thugs qui pourtant avaient l’air d’être comme d’habitude, à fond, sans aucune hésitation, sans compromis. Mais je ne supportais pas les Papapapa joyeux du public, en écho à l’un des titres du dernier album d’alors et auquel je n’arrivais décidemment pas à accrocher totalement – oui : j’ai arrêté d’écouter les nouveaux disques des Thugs après cela mais par contre j’écoute encore régulièrement Electric Troubles, Dirty White Race et le magnifique Still Hungry / Still Angry. Je pourrais enfin parler du concert au Rail Théâtre lors de la tournée de « non-reformation » en 2008, j’y allais à reculons, mauvaise période de ma vie, et j’en suis ressorti avec le sourire aux lèvres.


Tout le monde a quelque chose à raconter sur Les Thugs. Des souvenirs souvent très forts mais pas vraiment d’anecdotes – et encore moins des anecdotes croustillantes, Les Thugs étaient plutôt du genre spartiates – et toujours le même constat sur la musique et l’éthique du groupe. Car l’histoire des Thugs est également celle de la professionnalisation du milieu indé et des paradoxes qui en ont découlé. Comment passer des concerts dans les bars, les lieux alternatifs et les squats aux concerts dans des vraies salles s’organisant de plus en plus en réseau institutionnalisé et subventionné (la Fedurok et tout ça, avant la naissance des Smac) ? Comment aller d’une maison de disques comme Gougnaf Mouvement à Labels (une sous-division de Virgin…) en passant par Closer, Vinyl Solution, Sub Pop, Alternative Tentacles et Roadrunner ? Comment ne pas perdre la foi et rester sincère ? Comment le faire sans la ramener non plus, simplement en étant ce que l’on a toujours été, sans se préoccuper d’exemplarité ni se présenter en donneur de leçon, parce que c’est dans sa nature, que cela correspond à une double éthique, à la fois musicale et idéologique ? C’était / c’est tout ça Les Thugs, et bien plus encore. Et parmi tous les nombreux témoignages et commentaires que l’on peut lire dans Radical History c’est à mon avis celui de Marsu (Bondage records, Crash Disques, etc.) qui résume le mieux le paradoxe et la réussite des Thugs : « D’un point de vue commercial, Les Thugs est un groupe mineur de la scène française ; d’un point de vue artistique et éthique, c’est un groupe majeur. Un authentique vrai groupe. C’est un souvenir à chérir ». Merci les gens.


[Radical History de Patrick Foulhoux est publié par Le Boulon avec en prime une chouette préface signée Virginie Despentes – tous les disques des Thugs sont toujours disponibles via Nineteen Something]

 

mercredi 17 juin 2020

[chronique express] Despentes - Zëro / Requiem Des Innocents



Au départ ce disque me semblait être une bien mauvaise idée : enregistré en un après-midi de 2018, il donne à entendre Virginie Despentes lisant des extraits du Requiem Des Innocents de Louis Calaferte tandis que Zëro assure l’accompagnement musical sans en rajouter de trop (on peut reconnaitre un ou deux passages tirés des albums studio les plus récents du groupe). Le disque retranscrit ainsi une lecture/performance à laquelle j’avais pu assister à la même époque et que j’avais aimée mais dont je ne pensais pas qu’un enregistrement soit possible sans être ennuyeux.
L’intérêt est que Despentes n’est pas une actrice et qu’elle ne joue pas, elle est Despentes, simplement. Elle n’a pas une belle voix mais sa voix est très reconnaissable, parfois elle hésite un peu ou chevrotte presque et c’est ça qui est bien : elle lit le texte de Calaferte, nous forçant à écouter ces mots là, ces histoires violentes, ce récit autobiographique d’une enfance démunie pour nous laisser seul.e avec. Subsiste la force d’une écriture et d’une poésie libératrice, entre dégueulasserie, hallucination et beauté.
Sur la cinquième partie / quatrième face Despentes se décide à prendre plus de place, à se mettre un peu plus en avant, elle met davantage le ton, elle nuance et investit, et c’est comme si elle voulait en arriver précisément là, nous dire finalement qu’il nous faut lire Calaferte, nous aussi. Et nous dire tout ce qu’il lui a apporté, à elle.

[Le Requiem Des Innocents par Despentes et Zëro est publié par le label Ici D’ailleurs ; Le Requiem Des Innocents de Louis Calaferte est publié en format de poche]

vendredi 28 juin 2019

Going Underground



[ceci est une page de publicité]






Le projet GOING UNDERGROUND a été initié par un gros illuminé du Zèbre et consiste en une exposition de photographies de groupes basés à Lyon et alentours (Saint Étienne bien sûr) accompagnée d’un livre intitulé Je Suis Souterrain – à moins que ce ne soit l’inverse : l’exposition accompagnant le livre (aucune importance, non ?). Tous ces témoignages couvrent une période allant grosso modo de 1982 à 2019.  

Si donc tu en as vraiment marre de regarder des photos de concerts sur l’écran 5 pouces de ton téléphone mondialisé cette exposition est faite pour toi avec ses quarante clichés de groupes issus des scènes underground, alternative et indépendante de Haine Brigade à Horsebites, en passant par Parkinson Square, Deity Guns/Bästard/Zëro, Condense, Ned, Sheik Anorak, Brice Et sa Pute, Binaire, The Buttshakers, Chevignon, Red ou Venin Carmin, etc.

Le livre Je Suis Souterrain reprend les photos de l’exposition – avec entre autres photographes Romain Etienne, Fred Boivin, Isabelle Chenard ou Raphael Labouré / Rä² – plus quelques autres bonus et madeleines DIY (encore des photos, des affiches et flyers, etc). Le tout illustre des textes complètement subjectifs, drôles voire déraisonnables écrits par quelques plumes acérées parmi lesquelles on peut citer Atlantide Merlat, Céline Passerieu, Gilles Garrigos, François Tong, Marco Jéru, Sly, Sylvain La France Pue, Laurent Zine, Virginie Despentes, Nicolas Bonnier, Marc Uhry, et beaucoup dautres…

Dans cette exposition et ce bouquin il y a forcément quelques groupes que tu aimes (ou que tu adores*), d’autres que tu détestes vraiment et certains dont tu n’as jamais entendu parler alors, si tu traines dans le coin, le vernissage / sortie du livre / pince-fesses a lieu aujourd’hui vendredi 28 juin à partir de 19h00 à la Maison des Associations au 28 rue Denfert-Rochereau Lyon 4ème, c’est gratuit et en plus il y aura un concert avec l’Ensemble de guitares Gilles Laval**.


* en photo : The Good Damn à l’Epicerie Moderne le 26 octobre 2011
** photo de lintéressé non contractuelle

lundi 14 mai 2018

Viv Albertine / De Fringues De Musique Et De Mecs



Des (auto)biographies de musiciennes et de musiciens j’en ai lues plein et j’en lirai sûrement beaucoup d’autres encore. Elles me plaisent pour des raisons très différentes : pour lire quelque chose venant d’une personne ou d’un groupe que j’écoutais quand j’étais gamin (White Line Fever de Lemmy Kilmister) et ainsi définitivement tourner la page (sic) ; pour au contraire entretenir le culte même si l’idolâtrie c’est mal (I Need More d’Iggy Pop) ; pour découvrir la face cachée, sombre et désespérée d’un groupe (l’incroyable Death To The Ramones de Dee Dee Ramone) ; pour avoir un point de vue différent d’une version officielle (Girl In A Band dans lequel Kim Gordon met les points sur les i face à Thurston Moore qui a tout fait pour tenir le bon rôle dans leur séparation et celle de Sonic Youth) ; pour connaitre ce qu’un musicien a fait après ses heures de gloire, l’appel de l’âge, l’enlisement, la renaissance, la vie, etc. (Americana de Ray Davies) ; pour me documenter sur une période musicale que je n’ai pas connue et ne connaitrai jamais autrement (Beneath The Underdog de Charles Mingus)… Et qu’importe si ces livres ont parfois été écrits avec l’aide d’un journaliste et/ou d’un ami, qu’importe aussi si la qualité littéraire en est déficiente ou même des fois complètement absente, qu’importe si ces livres sont souvent édités par des petites maisons qui n’ont pas les moyens de toujours se payer un bon traducteur et un bon correcteur : ce qui m’intéresse c’est l’histoire qu’il y a derrière la musique, à moi (à nous) après d’en tirer matière, d’en faire quelque chose – ou pas – tout comme c’est à moi de faire quelque chose des disques que j’écoute et des concerts auxquels j’assiste. 




Et puis il y a les autobiographies ou les biographies – et autres livres d’exégètes – que je lis uniquement pour en savoir plus sur des musiques, des musiciens, des personnes que je ne connais que mal et dont je n’apprécie pas forcément la musique. C’est le cas de lautobiographie De Fringues De Musique Et De mecs de Viv Albertine*. Je l’avoue tout de suite : je n’ai jamais été un fan absolu et inconditionnel des Slits**, groupe dans lequel Viv Albertine jouait de la guitare, composait des chansons, groupe qu’elle a tenu à bout de bras jusqu’à sa séparation en 1982. Jusqu’ici je me contentais (et je me contente toujours) de placer les Slits sur quelques points névralgiques et concordants de ma petite carte musicale personnelle. Je sais que même si certaines musiques ou disques nous accompagneront tout au long de nos existences, il y a également toutes ces musiques que l’on aime à certains moments de nos vies et d’autres non – l’inverse étant tout aussi vrai. C’est une question de temps et de moment. Et il peut arriver que l’un et l’autre ne concordent jamais. Je n’allais donc pas culpabiliser pour si peu, même si du coup, après avoir refermé De Fringues De Musique Et De mecs j’ai réécouté les Slits (l’intégralité des Peel Sessions, les albums Cut et Return Of The Giant Slits) puis découvert les enregistrements en solo et récents de Viv Albertine (le Flesh EP et l’album The Vermillion Border).

L’intérêt musical et historique de De Fringues De Musique Et De mecs est évident : Viv Albertine n’a eu de cesse adolescente de chercher et de découvrir des musiques qu’elle ne connaissait pas jusqu’ici – elle ne ment jamais sur ses goûts et assume parfaitement ceux de sa jeunesse hippie ; puis elle a assisté et surtout participé aux débuts du punk anglais, a eu des amitiés ou des amours tumultueuses avec des personnalités qui figureront pour toujours au panthéon de la musique ; surtout elle a senti et compris qu’elle devait faire de la musique par elle-même et pour elle-même – elle a alors monté les Flowers Of Romance (avec Sid Vicious) puis les Slits, groupe entièrement composé de femmes. Qu’importe si elle ne savait pas vraiment jouer de la guitare, qu’importe si elle manquait de pratique et de confiance en elle, l’important était de retranscrire avec ses propres moyens la musique et les envies qu’elle sentait en elle, ce qui est la définition stricto sensu du Do It Yourself.
Mais le véritable sujet du livre n’est pas là. De ses années d’adolescence à sa vie de « femme rangée et mariée »*** en passant par son parcours musical, Viv Albertine raconte ce que c’est que d’être femme : une personne constamment humiliée, abusée, menacée, exploitée et rabaissée dans une société occidentale dominée par les hommes et le patriarcat judéo-chrétien – et je rajoute même : capitaliste****. Elle ne parle pourtant jamais de combat. Elle raconte ses choix de vie, assume totalement ses erreurs éventuelles, parle de ses réussites et des épreuves qu’elle a endurées, évite toute complaisance et se livre abondamment et avec une telle liberté (sur le sexe, la drogue) que la question de l’impudeur ou de l’indiscrétion ne se pose même pas. Viv Alvertine reconnait s’être parfois perdue de vue mais est restée fidèle à ce qu’elle voulait et son propos est tour à tour léger, grave, drôle, sombre, enjoué, dépressif, humoristique, sérieux, romantique, scabreux, choquant, exemplaire.
La vie de Viv Albertine pourrait être un véritable roman mais elle s’en fout parce que le plus important c’est justement de vivre, alors qu’elle a failli mourir tellement de fois. Elle aime la vie et, surtout, elle aime l’Amour et l’Amitié, choses en lesquelles elle n’a jamais cessé de croire, en dépit de tout*****. Son ambivalence la pousse constamment à se détester elle-même, à minimiser la force et l’importance de ce qu’elle entreprend tout en ne renonçant jamais, cherchant toujours. Elle a parfaitement conscience qu’elle aime plaire – elle donne des descriptifs vertigineux de ses tenues vestimentaires – mais comprend que les regards que les autres lui portent, en particulier et surtout les regards masculins, sont des regards invalidants et coercitifs, dominateurs. La seule et unique façon de s’imposer et de vivre c’est d’être soi-même et uniquement soi-même, Viv Albertine peut aujourd’hui continuer à affirmer qu’elle vit comme elle l’entend.

[De Fringues De Musique Et De mecs est publié par Buchet Castel avec une (bonne) traduction en français d’Anatole Muchnik – Viv Albertine vient tout juste de publier chez l’éditeur anglais Faber & Faber un nouveau livre de mémoires intitulé To Throw Away Unopened]

* de son vrai nom Viviane Katrina Louise Albertine, née en 1954 à Sidney, Australie, d’une mère anglaise et d’un père français
** pour les non-anglicistes : slit = fente
** quand une femme épouse un homme on dit d’elle qu’elle se case et qu’elle se range – commodité logistique d’ameublement des mots et de leurs sens
**** à ce titre la lecture de Caliban et la Sorcière de Silvia Federici aux Éditions Entremonde est édifiante
***** page 401 elle écrit : « Maman, est ce que tout le monde a une boule de douleur et d’angoisse dans la poitrine tous les jours, du lever au coucher, comme moi ? » L’air soucieux elle m’a répondu « non ».