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mardi 23 mars 2021

USA / Mexico - Del Rio




 

 

Après Laredo en 2017 puis Matamoros en 2019, USA / MEXICO continue le tour des villes frontalières entre son Texas natal et le Mexique. Le voyage n’est pas des plus logiques ni des plus reposants, le groupe semblant se moquer de faire des allers-et-retours le long d’une ligne de démarcation faite de plusieurs centaines de kilomètres, de murs en béton et de fils barbelés entre le répit – à défaut de salut – économique d’un pays surdéveloppé et vampirique et la misère d’une Amérique Latine toujours aussi chaotique et trop difficile à survivre. Cette fois-ci nous nous retrouvons donc du côté de Del Rio, petite ville située à peu près à mi-parcours de la frontière, un endroit d’apparence paisible et une vraie carte postale pour touristes.
Je m’arrêterai là pour ce qui est des aspects les plus agréables et les plus acceptables de cette chronique. Qu’est ce que j’avais écrit déjà à propos de Matamoros ? Que USA / Mexico allait toujours plus loin dans l’essorage à sensations au point d’engendrer la musique la plus vomitive qui soit de toutes ces dernières années ? Et bien j’avais tort. Bien que sur le moment je ne pouvais pas le savoir, tout simplement parce qu’alors c’était vrai. Toujours sous le haut commandement d’un Craig Clouse plus génialement psycho que jamais et toujours avec Nate Cross de When Dinosaurs Ruled The Earth à la basse et de King Coffey des légendaires Butthole Surfers à la batterie, le trio s’est  pour cette fois enrichi d’un invité (désormais permanent ?) pour l’enregistrement de son troisième album. Un certain Colby Brinkman tient le micro sur Del Rio et il suffit d’écouter les premières démos de son propre groupe Taverner pour comprendre à quel genre de bonhomme on a affaire. Sauf que là aussi on sera en dessous de la vérité.

Qu’est ce qu’il y a de pire lorsqu’on fait un cauchemar ? La sensation emprisonnante et empoisonnante d’absurdité totale ou celle, angoissante, de la violence subie et de l’horreur qu'il nous en reste au moment du réveil ? Del Rio est un vrai cauchemar. Et on a surtout l’impression que tout réveil est, précisément, impossible. En ouverture du disque, les quatre minutes de Chorizo ne sont donc qu’un leurre. On y entend une musique plus déformée que jamais, vortex bruitiste mais encore à peu près reconnaissable bien que l’on puisse avoir du mal à croire que les bandes (ou les cartes mémoires d’une machine) utilisées n’ont pas été trafiquées ni plongées dans un bain d’acide pour en altérer irrémédiablement l’empreinte électrique. Le principal mérite, si je puis dire, de Chorizo est donc de nous donner un aperçu de la nature sonore complètement déviante de Del Rio. Voilà, maintenant tu es prévenu, semblent nous dire les quatre USA / Mexico. Et on aurait sûrement à ce moment là préféré déchiffrer sur le visage de cette hydre musicale un rictus certes effroyable mais néanmoins identifiable.
Soft Taco et Del Rio (respectivement d’une durée de 13 et de 16 minutes) sont les deux gros morceaux de l’album. Deux longs moments éternisés et où plus rien n’existe. Que reconnaitre, quoi comprendre et quoi ressentir face à un tel magma sonore putrescent ? Oh, bien sûr, pour satisfaire les cartographes et les infectiologues on pourrait sortir des formules descriptives telles que « ultra doom bruitiste en phase de décomposition terminale » ou « acharnement psycho-cinétique au dessus d’un gouffre abyssal », des mots qui ne pourront pas signifier plus de choses que la satisfaction de celui ou de celle qui les aura trouvés et prononcés. Mais USA / Mexico s’en fout complètement de notre satisfaction. Cela me fait penser à ce passage d’un bouquin où le narrateur à la fois complètement horrifié, dégouté, hypnotisé et attiré par le « monstre » auquel il est confronté n’a pas d’autre solution que celle de recourir à l’indicible, acceptant en même temps son impuissance à raconter ce qu’il est en train de vivre et surtout le vide terrifiant de tout ce qui n'admet pas de mots, par delà l’idée d’exister et l’idée de mort… Et effectivement, plus nihiliste et plus jusqu’au-boutiste que Del Rio, tu meurs.



[Del Rio est publié en vinyle couleur vomi de tapas avariées par Riot Season – gloire éternelle à son boss Andy Smith, l’homme grâce à qui nous pouvons écouter ce disque tant qu’il en est encore temps]

 

 

mercredi 9 octobre 2019

Cherubs / Immaculada High


CHERUBS est un groupe légendaire. Un groupe légendaire du noise rock américain des années 90. Et ce encore plus que tout autre. Plus que les Jesus Lizard qui ont duré beaucoup plus longtemps, ont fini sur un major, se sont séparés puis se sont reformés quinze ans plus tard pour jouer devant des audiences dix fois plus importantes et ont récolté un petit peu de ce qu’il leur était du. Plus que Shellac malgré tous les efforts de Steve Albini pour entretenir l’illusion. Plus qu’Unsane qui ne s’est jamais réellement arrêté. Plus que Big’N déterré plus mort que vivant et sorti de l’oubli par le label Africantape il y a presque dix ans, l’un des rares exemples de reformation réussie qui me vienne à l’esprit.
Avec seulement deux albums et une grosse poignée de singles (très partiellement réunis post mortem sur la compilation Short Of Popular) Cherubs a presque à lui tout seul défini le genre noise-rock tendance psychotique et barré, celui qui tache, qui saigne, qui envoie, teigneux, lourd, grésillant et bruyant. Et qui donne envie de chialer. Dépassant toute la concurrence y compris le très massif Total Destruction des confrères dUnsane, l’album Heroin Man de Cherubs est le disque en matière de noise rock qu’il faut écouter impérativement. Aujourd’hui il sonne toujours aussi bien sale, drivé par une basse pantagruélique, alignant riffs carnassiers et compositions imparables sur fond de défonce névrotique. Un petit tour sur les sites de reventes de disques d’occasion permet de se rendre compte qu’Heroin Man est toujours un disque extrêmement recherché et se revendant à des prix scandaleux, y compris dans sa version CD. Icing, Heroin Man et Short Of Popular ont à l’origine été publiés par Trance Syndicate (le label de King Coffey, batteur des Butthole Surfers) et il serait grand temps qu’ils soient enfin tous réédités afin de botter le cul de tous les spéculateurs du disque. 






Et puis les Cherubs se sont reformés. En 2015 ils ont publié un nouvel album chez Brutal Panda, le premier depuis 21 ans. 2 Ynfynyty aurait pu être du pur Cherubs. Mais ce n’est pas un grand disque, juste à peu près la même chose qu’avant mais en beaucoup moins bien, sans le truc qui fait toute la différence et avec des gros coups de mou. Alors oui les Cherubs se sont reformés et ils ont même effectué une tournée européenne, sans doute pour eux un rêve qui devenait enfin réalité. J’ai assisté à la date lyonnaise, mi-nostalgique et toujours amoureux et mi-atterré devant le spectacle de mes héros complètement usés physiquement par la vie et les excès et souvent incapables de donner réellement corps à leur musique. Je suis reparti de la salle avec le sens du devoir accompli, comme lorsque tu vas voir une dernière fois ton oncle préféré atteint d’un cancer en phase terminale et scotché dans un lit d’hôpital par la morphine et les antalgiques. Pathétique et déchirant.
Mais tout le monde a droit à la rédemption. Et Kevin Whitley (guitare et chant), Owen McMahon (basse) et Brent Prager (batterie) y ont doit également. En plus ils y croient dur comme fer, puisque après 2 Ynfynyty Cherubs a publié un double 7’ du nom de Fist In The Air. Et maintenant, en 2019, le groupe s’est accoquiné avec le très opportuniste label de metal Relapse pour nous proposer une deuxième album post résurrection :
Immaculada High. Comme d’habitude avec Relapse il existe plein de versions différentes de ce disque, avec des couleurs de vinyle parfois de très mauvais goût et qui donnent avant tout l’impression d’avoir affaire à un produit plutôt qu’à un disque de musique. Moi je l’ai acheté – fidélité oblige – mais je l’ai acheté dans sa version la plus simple possible, en vinyle noir. Le noir c’est beaucoup plus beau que toutes les couleurs du monde et la musique reste la même.
La musique… Immaculada High est bien meilleur que 2 Ynfynyty. Même si à mon sens le disque souffre de trop de production. Un son trop gros et pas assez anguleux, trop propre et trop lisse, qui au lieu de mettre en valeur les qualités de la musique de Cherubs (les lignes de basse, la guitare qui cisaille, le dégueulis du chant sous helium) appuie là où ça coince : le chant – pour y revenir – apparait comme en décalage et parfois j’en rirais même tellement Kevin Whitley a l’air complètement à la ramasse. A titre de comparaison il suffit d’écouter l’album
Matamoros de USA/Mexico sur lequel il fait une apparition remarquée pour se rendre compte du genre de traitement dont la voix dans Cherubs a réellement besoin. Mais je ne vais pas refaire le monde. J’écouterai surement un peu plus Immaculada High que je n’ai écouté son prédécesseur mais je l’écouterai beaucoup moins que Icing, Heroin Man et Short Of Popular. Mais il y a quelque chose que je dois rajouter. C’est peu dire que Kevin Whitley, Owen McMahon et Brent Prager reviennent de vraiment très loin. Ces types sont des naufragés mais ils ont survécus. Et rien que pour ça je suis content pour eux. Bisous les gars.

vendredi 5 avril 2019

USA/Mexico – Matamoros


Je me rappelle qu’à propos de Todd – l’un des précédents projets de Graig Clouse – et du tout dernier album que ce groupe ait jamais publié*, un esprit supérieur m’avait lancé d’un air profondément méprisant et hautain : « mais comment peux-tu aimer ça ? on dirait le bruit d’une machine à laver en train d’essorer ! ». Je n’avais pas cru bon de relever l’insulte, confirmant juste mon adoration masochiste pour ce disque sans préciser que c’était pour cette raison précise que j’aimais tant la musique de Todd, pour cet énorme bordel centrifugé et nauséeux, cette envie de vomir qui me prenait sans pouvoir y arriver, le crâne qui explose à cause de mon cerveau congestionné faute de suffisamment d’oxygène, le cou serré par le cordon gluant de mes propres tripailles éclatées. Ce n’était pas la peine d’aller rechercher plus loin (dans le rayon d’une boucherie floridienne par exemple) de la viande avariée et cette sale odeur de mort comme une incitation à me rouler dans la charogne et à me chier dessus. Mais Todd a cessé d’exister et Graig Clouse s’est pleinement consacré à Shit And Shine**, son projet electro/pipo-bimbo aussi déformé que versatile, démarré aux alentours de 2004 et toujours actif à ce jour.
Et voilà qu’en 2017 la grande nouvelle est tombée : Graig Clouse était de retour avec un nouveau groupe axé guitares et douleurs diarrhéiques. Un groupe 100% texan, Austin pour être encore plus précis. Et bien que les indications géographiques m’emmerdent de plus en plus – surtout par les temps qui courent, le patriotisme musical est comme toutes les autres formes de revendications identitaires et territoriales, un narcissisme conflictuel à l’échelle d’égos nationaux sans rapport avec la liberté de la musique – je ne peux pas m’empêcher de le signaler puisque les trois membres permanents de USA / Mexico ont du se croiser un paquet de fois dans la vie avant de monter un groupe ensemble. Aux côtés de Graig Clouse (guitare et voix) on retrouve ainsi Nate Cross à la basse (anciennement dans When Dinosaurs Ruled The World***) et King Coffey à la batterie (oui… il s’agit bien du batteur des Butthole Surfers mais aussi de celui qui avait monté dans les années 90 l’incomparable label Trance Syndicate). Rien que sur le papier un tel line-up exsude le bordel psychotique et l’aliénation bruitiste, un gros et vrai scandale explosif et borderline.







USA / Mexico est à la base un titre de Shit And Shine (sur l’album 229-2299 Girls Against Shit) mais j’y vois également comme une sorte d’allusion sarcastique voire politique au pays de Trump – la frontière entre les USA et le Mexique fait 3200 kilomètre dont la moitié se situe entre le Texas et le Mexique. Premier album du trio, Laredo est le nom d’une ville frontalière sur le fleuve Rio Grande (que les mexicains appellent eux Rio Bravo, va comprendre) et l’un des symboles de l’abjection sécuritaire et la politique d’exclusion de l’administration américaine actuelle. Tout comme Matamoros, deuxième album de USA / Mexico, puisqu’il s’agit également du nom d’une ville entre USA et Mexique (située cette fois côté mexicain et quasiment sur la côte atlantique). Il y a plusieurs façons de mettre les pieds dans le plat comme celle consistant à ouvrir en grand sa gueule avec des textes en forme de slogans ou celle, que je préfère, qui se contente de laisser exploser sa rage au travers de la musique. USA / Mexico n’est pas vraiment un groupe frontalement politique mais il ne fait aucun doute Graig Clouse, Nate Cross et King Coffey sont là pour appuyer là où ça fait mal, ils jouent surtout une musique aussi gluante qu’explosive, aussi lourde que malsaine, aussi irrespirable qu’épuisante, aussi dérangée que bruyante où chaque son – celui de la voix, celui de la guitare, celui de la basse, etc. – est déformé, trituré, éclaté, recomposé en un magma étouffant et malade, chiasse et vomi comme arguments ultimes d’un noise-rock pyromane, obscène et nihiliste, qui n’en finit pas se réinventer, même en 2019... 

Matamoros ferait presque passer Laredo pour une série d’explosions de pétards pour la fête des morts : lorsque un groupe fait à peu près la même chose que précédemment mais en tellement mieux parce qu’il a enclenché la vitesse supérieure de la grande essoreuse malaisante, mêlant vertiges et nausées, fracassant tous nos repères essentiels (la platine tourne-t-elle à la bonne vitesse ? le vinyle est-il rayé ? mon sonotone s’est-il subitement déréglé ? qu’est ce que je fais enfermé dans mon four à micro-ondes en compagnie d’une barquette de hachis parmentier surgelé ?), sublimant un cauchemar de bruits en rêve insupportable et laissant le délire total supplanter toute forme de raison, il n’y a plus d’autres issues possibles que la capitulation, une longue chute en avant dans les abysses délicieusement tortueux d’un Enfer surchauffé par la fin imminente du monde extérieur, les os cramés aux défoliants, le sang se durcissant comme de la pierre empoisonnée. 
Sur Matamoros il y a également deux musiciens invités et pas n’importe lesquels. Kevin Whitley de Cherubs (Austin, Texas…) apparait sur le deuxième titre du disque : Shoofly est précisément une reprise de Cherubs mais j’ai beau la réécouter je ne reconnais rien de la version originale**** tant tout y est déformé, ralenti et complètement détraqué. Quant à George Dishner de Spray Paint (encore un groupe d’Austin…) il rajoute de la guitare spectro-bruitiste sur Anxious Whitey soit dix sept minutes de chaos répétitif et de bouillie de sensations, de désordre mental. Une composition qui occupe quasiment toute la seconde face de Matamoros – qu’elle partage avec Vaporwave Headache, le titre le plus rapide mais aussi le plus évident du disque – et qui cristallise tout l’art démolisseur et subversif de USA / Mexico. Rarement j’aurais écouté un groupe aussi anticonformiste et complètement ravagé que ce trio qui avec son deuxième album se moque des vivants sursitaires, sains d’esprits, donneurs de leçons et conformistes. Qui se moque des démagogues privilégiés qui tapent toujours sur les mêmes en espérant qu’il y ait le moins de mécontents possible mais sans se rendre compte qu’un jour il ne restera plus personne, sauf eux. Au moins USA / Mexico tape sur tout le monde. Les murs s’écroulent, les certitudes également.

[Matamoros est publié en vinyle blanc par Riot Season]  

* Big Ripper, déjà chez Riot Season – les deux premiers et excellents albums de Todd sont sortis chez Southern records
** pendant que j’y suis :
Shit And Shine… mais la discographie du groupe est tellement étalée et diversifiée qu’il convient de ne pas s’arrêter à l’écoute d’un seul album
*** pour celles et ceux que cela intéresse : When Dinosaurs Ruled The World
**** que l’on trouve sur l’album Icing