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vendredi 22 avril 2022

[chronique express] Shit And Shine : Phase Corrected







Et si SHIT AND SHINE était tout simplement l’un des meilleurs groupes du monde ? Bon, d’accord, j’exagère peut-être un peu mais il n’empêche que question musique de branleur irritante et inconfortable, le projet multiformes de Craig Clouse – ici uniquement accompagné du batteur Adam R. Hatley – ressemble plus que jamais à un gros vomi rampant de putrescence bruyante en phase active de recomposition/ignition. Ce qui confirme une nouvelle fois que les meilleurs enregistrements de Shit And Shine qui dans la passé a épuisé la solvabilité de plus d’un label de bonne volonté ont souvent été publiés chez Riot Season, toujours fidèle au poste après toutes ces années. Cela confirme également que si la musique peut être une drogue dure, les effets dévastateurs et hallucinogènes du doom électro-magmatique, fracassé et lèche-cerveau de Phase Corrected en sont l’une des meilleures illustrations. A écouter très (très) fort et sans aucune modération et si jamais tu entends des voix d’outre-tombe hurler des incantations dans ta tête c’est que tout va bien, non ? 



lundi 11 avril 2022

Gnod / Whok : split







Attention : contrairement à ce qu’indique la pochette de ce split 12' et le titre de cette chronique, ceci n’est pas véritablement un nouvel enregistrement de Gnod. Pour cela il faudra attendre l’arrivée plus qu’imminente d’Hexen Valley, le cinquante-quatrième (?) album du collectif anglais, chez son label habituel, Rocket recordings. Non, j’aurais mieux fait de préciser GNOD R&D, c’est-à-dire l’association de Paddy Shine et de Chris Haslam et ce qu’ils définissent comme une version épurée de Gnod dont ils sont tous les deux, oui c’est vrai, des membres fondateurs. Le projet est relativement récent mais a tout de même engendré l’édition de quatre cassettes et d’un double LP depuis 2017. Si j’ai bien tout compris, les deux compères se servent de Gnod R&D pour tester des nouveaux sons, des nouvelles configurations et des nouvelles idées pour leur groupe principal. Ils souhaitent également jouer la carte de l’interactivité avec leur public et les lieux dans lesquels ils donnent des concerts. Mais pour écouter les titres qu’ils proposent ici il vaut mieux malgré tout oublier le nom de Gnod.
Pas de basse et pas de batterie mais une boite-à-rythmes et quelques trames de synthétiseur. Pas de guitares mais des sons chelous et piquants. Le chant sur Paint It Blacker conserve il est vrai la fonction d’invective propre à Gnod mais on a ni plus ni moins affaire à de la musique électronique, froide et inquiétante. Pas de quoi crier au génie mais pas de quoi non plus hurler à l’arnaque. Juste une composition répétitive et oppressante de six minutes qui se termine en queue de poisson. Let’s Get Numb est encore moins palpitant (pourtant cette fois-ci il y a un peu de guitare qui vient foutre le bordel) et on a finalement l’impression que Shine et Haslam voulaient avant tout s’amuser. J’espère que la drogue était bonne et qu’ils ont effectivement pris du bon temps.
L’autre côté du disque est occupé par deux titres de WHOK aka Whirling Hall of Knives. La référence aux Butthole Surfers n’aura échappé à personne mais elle ne sera d’aucune utilité pour appréhender correctement la musique de ce groupe (encore un duo) irlandais qui lui aussi donne dans la musique electro minimale, frappée et toxique. Cloratranq et Cloratranq (Afterglow) sont nettement plus intéressants que la contribution de Gnod R&D. Une composition et une réinterprétation gazeuse de celle-ci malsaines et perturbantes avec leurs rythmiques indansables et leurs voix toutes niquées à l’aide de cartes son défectueuses (uniquement pour la première) et dotées d’un goût assuré pour les crises d’angoisse montantes et les descentes d’escaliers mécaniques pris à l’envers – comprendre : c’est plutôt lent, rampant et caillouteux. Afterglow est même très cinématographique, dans le bon sens du terme. En fan irréfléchi je m’étais aveuglément procuré ce disque pour sa première face et finalement je n’en écoute surtout que la seconde, en attendant de creuser un peu plus le sujet, ces deux compositions de Whok m’ayant tout simplement mis en appétit (haha). Et on reparlera vraiment de Gnod ici dès que possible…

[Gnod - Whok est publié en vinyle (orange) par Riot Season à 350 exemplaires]



lundi 27 décembre 2021

Orchestra Of Constant Distress : Concerns







Je suis devant une page blanche. Ou plutôt devant un écran un peu trop lumineux et qui me fera défintivement mal aux yeux si je n’y prends pas garde. Pour le moment j’écoute Concerns, le quatrième album d’ORCHESTRA OF CONSTANT DISTRESS – le troisième chez Riot Season qui a également publié un concert du groupe suédois enregistré au Roadburn en 2019, très dispensable. Et tous les disques studio d’Orchestra Of Constant Distress se ressemblent. C’est ce que j’ai toujours cru et ce que je crois encore. Une musique répétitive jusqu’à la nausée, des rythmes lents et appuyés, des tourneries perpétuelles, pas de mélodies mais des faux riffs qui taillent bizarrement dans le vif et dont le seul souvenir suffirait à raviver les plaies brûlantes, de la bidouille bruitiste/électronique pour colmater les fissures – ou plutôt les agrandir, non ? – et surtout pas de chant.
Rien à dire, aucune histoire à raconter, pas de couleurs plus intenses que les autres, pas de formes trop familières, pas de repères auxquels se raccrocher. Pas d’odeurs non plus. Non, rien du tout. Si ce n’est un gros pavé musicalement difficilement déchiffrable et pourtant cathartique. Le vide absolu, mais un vide qui t’aspire comme si tu te retrouvais soudainement projeté dans l’inconnu sans lumière et froid d’un espace béant s’ouvrant devant toi par une faille du cockpit de chair censé te protéger. Ou alors (encore mieux) comme si tu marchais au milieu d’une forêt d’arbres plus que centenaires et intimidants, des arbres sur lesquels l’homme n’a jamais osé porter la main, des arbres tous semblables, très hauts et inattaquables, des arbres dont la canopée métallique grouille de secrets (tu le devines facilement), des arbres dont les traces de mousse sur le tronc indiquent tout sauf la bonne direction. Un labyrinthe sans couloirs, sans bifurcations, sans escaliers, sans passages secrets, un labyrinthe en trois dimensions qui se mélangent constamment, un endroit dont tu ne saurais t’extirper puisque tu ne comprends pas comment tu as pu y pénétrer. Tu ne sais même pas si tu es réellement là.
Tu es nu mais personne ne fait de réflexions. Tout le monde est aveugle, toutes et tous sont muets. Tu es nu parce que tu es désarmé. Et tu te demandes : est-ce que Orchestra Of Constant Distress pourrait aller encore plus loin dans la non-musique ? La réponse – enfin une réponse ! – se trouve quelque part au milieu des huit titres de Concerns. Déjà, huit, c’est plus que précédemment et si les compositions sont plus courtes elles sont aussi un tout petit peu plus bavardes. Pour la première fois peut-être Joachim Nordwall (guitare), Henrik Andersson (basse), Anders Bryngelsson (batterie) et Henrik Rylander (tout le reste) se laissent aller à quelques confidences. Tout en se gardant bien de trop en dire. Pour la première fois les incantations urbaines et post-industrielles – car ce labyrinthe sans âge n’est peut-être qu’un immense port maritime balayé par les vents froids et ces arbres ancestraux ne sont peut-être que d’immenses grues servant à décharger des containers anonymes – se teintent franchement d’un psychédélisme noir qui jusqu’ici ne voulait pas dire son nom.
Tu viens enfin de trouver une poignée à laquelle te raccrocher mais inutile de tirer dessus : ce n’est pas la poignée d’un système d’alarme, juste une réponse différente, une nouvelle drogue que tu ne connaissais pas encore. Tu tournes en rond avec la musique de Concerns mais pourtant elle existe tout comme tu existes, indifféremment : il n’y a pas de pages blanches, que de l’oubli. Tu n’es ni insensible ni endurci. Tu es ailleurs et tu aimes ça.


[
Concerns a été publié en vinyle à trois cents exemplaires au mois de juillet 2021 par Riot Season – le disque est toujours disponible à ce jour, Orchestra Of Constant Distress n’étant pas non plus le groupe le plus vendeur du monde]


mercredi 2 juin 2021

Mainliner : Dual Myths






Comme d’habitude je traine, je traine… je traine… Mais c’est qu’un disque de MAINLINER cela se déguste sur la longueur. Pour tout un tas de raisons évidentes. Et en premier lieu : les compositions du groupe sont d’une durée aberrante. Dual Myths est un double album et il ne comporte que quatre titres d’en moyenne vingt minutes chacun, un par face. Pourtant il n’y a pas beaucoup de musiques électriques aussi prégnantes et aussi explosivement hallucinogènes que celle de Mainliner. On parle ici d’un power trio, ce type de line-up cher aux métallurgistes comme aux punks et aux garagistes. La formation reine du rock’n’roll dans ce qu’il peut avoir de plus sauvage et de plus direct. Sauf que le groupe de Kawabata Makoto (Acid Mothers Temple, etc.) est un maitre-étalon en matière d’ouragan psyché-noise. Donc le côté « direct » de sa musique s’étale allégrement en de longs développements complètement incantatoires, entre freeture et lourdeur, psychédélisme et explosivité. Des jams interminables basées sur des compositions à la répétitivité hypnotique.

Pour parler de Dual Myths je pourrais presque reprendre mot pour mot la chronique que j’avais écrite au sujet de Revelation Space il y a quelques années. Nous étions alors en 2013 et après plus d’une décennie de silence Kawabata venait de réactiver Mainliner avec un nouveau line-up, sans Nanjo Asahito. C’est sans doute pourquoi le groupe avait alors été rebaptisé Makoto Kawabata’s Mainliner. Donc sur Dual Myths on retrouve à nouveau le bassiste / chanteur Taigen Kawabe ainsi que le batteur Shimura Koji* aux côtés du musicien-gourou japonais, plus solaire que jamais. Sa guitare irradie constamment les quatre compositions lourdement chargées de solos psychotropes et incendiaires. Enregistré sur une période beaucoup plus longue que son prédécesseur, Dual Myths bénéficie aussi d’un son moins grésillant mais beaucoup plus magmatique, défoncé à la fuzz et à la reverb, tour à tour fissionnel et fusionnel, un immense champ magnétique multipolaire et un chaos organisé proche de l’envoutement. Un flash permanent.
Avec ce nouvel album Mainliner est plus que jamais l’écrin parfait pour permettre à toute la folie musicale de Kawabata de s’exprimer pleinement, en tous les cas encore plus librement je crois qu’avec Acid Mothers Temple – dont il est pourtant le leader incontesté – car sans la concurrence d’autres instrumentistes tentés eux aussi par des échappées belles. Une réappropriation définitive puisqu’au départ Mainliner était, rappelons-le, le projet de son premier bassiste / chanteur / producteur Nanjo Asahito (également dans High Rise, Musica Transonic, Toho Sara...) qui composait quasiment tout le matériel que le trio réarrangeait ensuite à sa sauce. Rôle qu’occupe désormais le guitariste. Mais on se rend bien compte que ni Taigen Kawabe ni Shimura Koji ne restent cantonnés à des rôles de faire-valoirs ou de sidemen, fussent-ils de première catégorie. En particulier le bassiste qui écrit toujours tous les textes qu’il chante et dont la voix fait beaucoup pour l’étrangeté et le côté ensorcelant de la musique du groupe (sur Blasphemy Hunter son chant évoque quelque créature aérienne tandis que sur Dunamist Zero il se permet nombre d’extravagances hystérisantes). Avec Shimura Koji il forme surtout un tandem rythmique incroyablement solide, persévérant et endurant – et de l’endurance il n’en faut pas qu’un peu lorsqu’il s’agit de ne pas perdre le fil lors des longues déambulations soniques du guitariste en chef.

Ecouter Dual Myths ne revient pas seulement à s’en prendre plein la gueule. Même s’il y a beaucoup de ça. Il y a surtout une grande part de rêve éveillé / merveilles révélées sous influence dans la musique de Mainliner, parce qu’elle a cette capacité à nous englober (nous avaler) tout en se montrant fuyante. Une course-poursuite par paliers successifs sans que l’on sache comment sera précisément le prochain palier ni quelle hauteur et durée il aura. Un long trip sans fin si ce n’est celle du disque : sur Hibernator’s Dream et Silver Guck un fade-out vient nous rappeler qu’une face de LP ne dure pas éternellement et que si la musique enregistrée doit s’arrêter les musiciens ont eux du continuer sur leur lancée – mais pendant comment de temps encore ? – comme lors des concerts-fleuves pour lesquels le groupe est particulièrement renommé… [soupirs]

 

[Dual Myths est publié en double LP – le premier vinyle est argenté, le second est noir – et même en CD par Riot Season]

* erratum : contrairement à ce que je croyais Shimura Koji joue depuis fort longtemps dans Mainliner et n’était pas un nouveau venu dans le groupe lorsqu’il s’est reformé en 2013… il est crédité à partir de l’album Solid Stick Attack (1999), prenant la suite d’Hajime Koizumi et surtout de Tatsuya Yoshida (Ruins)

 

 

mardi 23 mars 2021

USA / Mexico - Del Rio




 

 

Après Laredo en 2017 puis Matamoros en 2019, USA / MEXICO continue le tour des villes frontalières entre son Texas natal et le Mexique. Le voyage n’est pas des plus logiques ni des plus reposants, le groupe semblant se moquer de faire des allers-et-retours le long d’une ligne de démarcation faite de plusieurs centaines de kilomètres, de murs en béton et de fils barbelés entre le répit – à défaut de salut – économique d’un pays surdéveloppé et vampirique et la misère d’une Amérique Latine toujours aussi chaotique et trop difficile à survivre. Cette fois-ci nous nous retrouvons donc du côté de Del Rio, petite ville située à peu près à mi-parcours de la frontière, un endroit d’apparence paisible et une vraie carte postale pour touristes.
Je m’arrêterai là pour ce qui est des aspects les plus agréables et les plus acceptables de cette chronique. Qu’est ce que j’avais écrit déjà à propos de Matamoros ? Que USA / Mexico allait toujours plus loin dans l’essorage à sensations au point d’engendrer la musique la plus vomitive qui soit de toutes ces dernières années ? Et bien j’avais tort. Bien que sur le moment je ne pouvais pas le savoir, tout simplement parce qu’alors c’était vrai. Toujours sous le haut commandement d’un Craig Clouse plus génialement psycho que jamais et toujours avec Nate Cross de When Dinosaurs Ruled The Earth à la basse et de King Coffey des légendaires Butthole Surfers à la batterie, le trio s’est  pour cette fois enrichi d’un invité (désormais permanent ?) pour l’enregistrement de son troisième album. Un certain Colby Brinkman tient le micro sur Del Rio et il suffit d’écouter les premières démos de son propre groupe Taverner pour comprendre à quel genre de bonhomme on a affaire. Sauf que là aussi on sera en dessous de la vérité.

Qu’est ce qu’il y a de pire lorsqu’on fait un cauchemar ? La sensation emprisonnante et empoisonnante d’absurdité totale ou celle, angoissante, de la violence subie et de l’horreur qu'il nous en reste au moment du réveil ? Del Rio est un vrai cauchemar. Et on a surtout l’impression que tout réveil est, précisément, impossible. En ouverture du disque, les quatre minutes de Chorizo ne sont donc qu’un leurre. On y entend une musique plus déformée que jamais, vortex bruitiste mais encore à peu près reconnaissable bien que l’on puisse avoir du mal à croire que les bandes (ou les cartes mémoires d’une machine) utilisées n’ont pas été trafiquées ni plongées dans un bain d’acide pour en altérer irrémédiablement l’empreinte électrique. Le principal mérite, si je puis dire, de Chorizo est donc de nous donner un aperçu de la nature sonore complètement déviante de Del Rio. Voilà, maintenant tu es prévenu, semblent nous dire les quatre USA / Mexico. Et on aurait sûrement à ce moment là préféré déchiffrer sur le visage de cette hydre musicale un rictus certes effroyable mais néanmoins identifiable.
Soft Taco et Del Rio (respectivement d’une durée de 13 et de 16 minutes) sont les deux gros morceaux de l’album. Deux longs moments éternisés et où plus rien n’existe. Que reconnaitre, quoi comprendre et quoi ressentir face à un tel magma sonore putrescent ? Oh, bien sûr, pour satisfaire les cartographes et les infectiologues on pourrait sortir des formules descriptives telles que « ultra doom bruitiste en phase de décomposition terminale » ou « acharnement psycho-cinétique au dessus d’un gouffre abyssal », des mots qui ne pourront pas signifier plus de choses que la satisfaction de celui ou de celle qui les aura trouvés et prononcés. Mais USA / Mexico s’en fout complètement de notre satisfaction. Cela me fait penser à ce passage d’un bouquin où le narrateur à la fois complètement horrifié, dégouté, hypnotisé et attiré par le « monstre » auquel il est confronté n’a pas d’autre solution que celle de recourir à l’indicible, acceptant en même temps son impuissance à raconter ce qu’il est en train de vivre et surtout le vide terrifiant de tout ce qui n'admet pas de mots, par delà l’idée d’exister et l’idée de mort… Et effectivement, plus nihiliste et plus jusqu’au-boutiste que Del Rio, tu meurs.



[Del Rio est publié en vinyle couleur vomi de tapas avariées par Riot Season – gloire éternelle à son boss Andy Smith, l’homme grâce à qui nous pouvons écouter ce disque tant qu’il en est encore temps]

 

 

mercredi 26 août 2020

[chronique express] Orchestra Of Constant Distress / Live At Roadburn 2019





Un enregistrement en concert d’Orchestra Of Constant Distress ? Bon… pourquoi pas. Mis en boite lors de l’édition 2019 du Roadburn (le festival préféré des métalleux cérébraux) ce live / carte postale me laisse parfois perplexe : d’un côté il confirme qu’en concert d’Orchestra Of Constant Distress doit être une expérience intéressante – volume sonore, excitation du moment, alcool et prise de prods aidant… d’un autre ce LP rabote une partie de la noirceur et de l’obsession expérimentales des enregistrements studio du groupe, ramenant celui-ci dans des sphères toujours aussi répétitives mais moins dérangeantes et le replaçant au niveau d’une simple formation électrique usant d’une guitare, d’une basse, d’une batterie et de bidouille additionnelle pour un résultat peu malsain et malheureusement moins sadique, presque basiquement noise et uniquement à l’usage des amateurs de riffs charcutiers et de headbanging collectif (ce que l’on appelle un concert, donc…). Allez plutôt réécouter l’excellent Cognitive Dissonance

vendredi 21 août 2020

Shit And Shine / Goat Yelling Like A Man

 

Je vais finir par croire que Craig Clouse a vraiment le feu au cul. Parce que depuis le formidable, génial et indispensable – je pèse mes mots  Doing Drugs, Selling Drugs publié le 22 novembre 2019, SHIT AND SHINE aura balancé pas moins de quatre albums supplémentaires, dont un double LP*. Et je n’ai même pas eu le temps de parler ici du terrible Scenic Farm chez Rock Is Hell (le double album, c’est lui) que débarque ce Goat Yelling Like A Man. Encore un disque improbable via Riot Season et qui vérifie ma grande théorie devant l’éternel et le maudit : un enregistrement de Shit And Shine publié par Riot Season ne peut pas être un mauvais enregistrement.

 

 

« Une chèvre qui hurle comme un homme ». Curieuse mais judicieuse inversion des clichés autour de la possession démoniaque : ce n’est plus la bête qui habite l’homme mais bien l’homme qui habite à bête. Et Craig Clouse lui de nous hurler son amour immodéré pour les musiques lentes et lourdes en les pervertissant de l’intérieur. Car c’est bien  de cela dont il s’agit avec Goat Yelling Like A Man, disque de collages/démontages et de pipo-bimbo autour du doom. Y compris le doom canal historique puisque les ronds centraux du vinyle reprennent des photos de… Black Sabbath. Mais le Black Sabbath période Ronnie James Dio, ce qui constitue une provocation avérée de plus à l’intention des puristes et des sectaires d’Ozzy Osbourne. Pour le reste, l’imagination suffira, complètement galvanisée et électrisée par un disque qui évidemment n’a rien de métallique et n’a rien de doom mais qui une fois de plus sème le bordel et la déraison (le terrifiant Welcome qui en quelque sorte donne le ton de tout l’album, immédiatement suivi du morceau titre et de ses cris de chèvre se confondant avec des hurlements humains ainsi que l’éprouvant Light Blue Envelope qui sonne somme du rock indus sous acide).
Les recettes sont ici très simples et d’apparence assez peu variées mais attention : cela ne signifie pas que les cinq compositions de Goat Yelling Like A Man se ressemblent toutes, non pas vraiment. En (très) gros il s’agit d’empilements de guitares bien lourdingues, très graves et dégueulant du riff terroriste sur fond de rythmiques tout aussi lourdes, le tout ponctué d’effets sonores, de manipulations de bandes**, de samples plus ou moins décalés et même de voix trafiquées. Et en fait tout sur Goat Yelling Like A Man est trafiqué mais – et c’est là que réside le génie de Craig Clouse et de Shit And Shine – cela s’entend sans s’entendre. Ou, pour le dire autrement, les sons et les idées assemblées par le groupe forment un tout cohérent et évident, volontairement irritant, parfois violent, souvent répétitif, hypnotique et captivant voire psychotrope, décidemment artificiel et construit mais pour un résultat qui sonne toujours juste. La bidouille presque parfaite, pour ainsi dire, comme sur la composition finale Thank Goddness qui allie manipulations et instruments réels – un tube lent, lourd et poisseux, sorte de régurgitation électronique et mix métallisé/EBM de Corrupted, cradingue et accompagné de vociférations nocturnes. Plus j’écoute ce titre et plus je le trouve… beau.


[Goat Yelling Like A Man est publié en vinyle blanc par Riot Season]

 

* le dernier de la liste vient d’être annoncé par Rocket recording, il s’intitule Malibu Liquor Store et il paraitra le 9 octobre prochain
** j’écris manipulation de bandes parce que c’est de mon âge, en réalité je sais pertinemment que toutes ces manipulations sonores ont été perpétrées au laptop

 

lundi 9 décembre 2019

Shit And Shine / Doing Drugs, Selling Drugs





Des fois il y a des disques que l’on sent mieux que les autres et c’est exactement le cas de cet énième album de SHIT AND SHINE (au passage l’un des meilleurs noms de groupe de tous les temps). Dès que j’ai eu vent de Doing Drugs, Selling Drugs, dès que j’ai découvert sa pochette, dès que j’ai appris que ce disque marquait le grand retour de Shit And Shine sur le label Riot Season, j’ai su que j’allais aimer ça. Et effectivement j’aime vraiment ça.
Shit And Shine est l’autre formation de Craig Clouse, celui de USA / Mexico, un groupe que je vénère tout particulièrement. Enfin, « autre groupe » est juste une façon de parler parce qu’en fait Shit And Shine existe depuis tellement longtemps (une quinzaine d’années) et a publié tellement d’enregistrements (une vingtaine d’albums, une grosse douzaine de EP ou 12’) qu’il s’apparente finalement plus à un projet principal qui ne veut pas dire son nom. Et ce en dépit d’une versatilité assez ahurissante qui fait qu’avec ce groupe on ne sait jamais trop à quoi s’attendre avec un nouvel enregistrement avant de l’avoir réellement écouté : Shit And Shine a abordé tellement de styles différent – mais toujours avec le même crédo, foutre le bordel et faire mal – que suivre les errances de Craig Clouse peut s’avérer très fatigant. Mais quand on aime, hein…

Par exemple en 2018 Rocket recording avait publié un Bad Vibes très synthétique et extrêmement minimal mais complètement captivant parce que désaxé et névrotique. Les vieux fans de Shit And Shine se réjouiront sûrement d’apprendre quau contraire Doing Drugs, Selling Drugs* donne à nouveau une place de choix aux guitares tout en continuant à respecter son quota réglementaire de bidouilles bien barrées. C’est un peu comme si la bande à Craig Clouse** avait décidé de faire un triple salto arrière pour retrouver les dérapages noise de ses débuts tout en continuant à fricoter avec le harsh, le power electronics, l’electro glitch et autres joyeusetés à base de manipulations sonores et de synthèse (ils ont dit « drugs », non ?). 
Le tout est passé à la moulinette et au filtre d’une batterie de samplers maléfiques montés en réseau qui déforment, concassent et fracassent à peu près tout ce qui leur tombe entre les plug-ins. Il ne fait aucun doute que c’est de la guitare que l’on entend tout au long de l’album, il ne fait aucun doute non plus qu’il y a des voix quasiment inintelligibles qui surgissent dont ne sait où pour hurler des insanités… on peut parfois avoir un peu plus de doute sur la présence ou non d’une batterie (pourtant lorsque on écoute le début de Cooking Steaks In The Pocket on n’en a aucun) mais après c’est le grand trou noir, le monde à l’envers, l’antimatière comme seule limite puis un long processus de broyage neuronal, une suite de déjections soniques et bruitiste. Parfois le côté instrumental – traduction : avec des instruments pour de vrai et non pas synonymes de matière fissible pour névroses musicales de grande ampleur – prend un peu le dessus comme sur Kentucky Cellphone en collaboration avec Tropical Trash mais globalement Doing Drugs, Selling Drugs possède la forme d’un grand n’importe quoi gyroscopique et centrifugé des plus convaincants – non, ceci n’est absolument pas un paradoxe.

Les sept compositions de Doing Drugs, Selling Drugs répondent toutes à la même logique déstructurée – en gros on croit assister en direct à un remix de compositions coincées entre noise-rock et psychédélisme déviant par un robot autocuiseur sur lequel un apprenti terroriste en pleine détresse cosmique aurait préalablment greffé une carte son***. Tout fonctionne par boucles fermentées, compressées et finalement explosées. Le côté répétitif et donc aliénant ne fait aucun doute même lorsqu’on a trop abusé des anxiolytiques et pourtant ce sont bien des morceaux de musique de l’on écoute, je veux dire par là ou plutôt je prétends affirmer que ce gros bordel est aussi perturbant que passionnant et qu’il enterre presque toutes les tentatives de rock bruitiste de ces dernières années par son côté toxique, addictif et jouissif. La défonce musicale comme plaisir ultime, la déraison comme ligne de conduite, la perdition totale pour atterrir sur le cul dans la mélasse anxiogène de Hammerlock Through Shattering Glass et ses sept minutes de boucles tordues et malades.  
Shit And Shine est un groupe de tarés et Doing Drugs, Selling Drugs est un disque salement dégénéré, peut-être encore plus que le Matamoros de USA/Mexico qui plaçait déjà la barre très haut mais il s’agit surtout d’un disque complètement indispensable : sa démence, sa crasse et – surtout – sa liberté nous lave un peu de toute la merde de ce monde hypocrite et stérile.

[Doing Drugs, Selling Drugs est publié en vinyle vert transparent par Riot Season]

* en 2019 Shit And Shine aura sorti pas moins de deux albums : Doing Drugs, Selling Drugs (donc) mais également No No No No, un LP édité par OOH-Sounds
** actuellement le groupe comporterait trois membres avec Nate Cross et Jeffrey Coffey en plus de Craig Clouse : le line-up de Shit And Shine serait donc exactement le même que celui de USA/Mexico – l’emploi du conditionnel s’impose plus que jamais
*** peut-être que je me trompe mais Doing Drugs, Selling Drugs me donne envie de réécouter certains disques de Milk Cult, le side-project expérimental des Steel Pole Bath Tub

mercredi 31 juillet 2019

Electric Moon / Terminal Cheesecake - In Search Of Highs Vol 3





Bon j’avais prévu – et envie – de chroniquer Le Sacre Du Lièvre autrement dit le deuxième album studio publié par Terminal Cheesecake depuis la reformation du groupe anglais en 2013. Et puis il y a un petit truc au sujet du Sacre Du Lièvre sur lequel je ne suis pas arrivé à vraiment me décider, ou plutôt je ne suis pas arrivé à mettre exactement le doigt dessus. Alors j’ai attendu et temporisé. Et j’ai tellement temporisé que le troisième volume de In Search Of Highs a lui aussi fini par débarquer. La belle affaire : In Search Of Highs est une série de splits publiés par Riot Season et tournant autour des musiques psychotropes. Pour celui-ci la pochette de babloche enrobant le vinyle rouge transparent fait un peu peur… Bon, OK : le côté hippies sous acide de l’artwork c’est pour Electric Moon ; si on retourne la pochette on découvre la silhouette d’un lièvre sur un fond rouge tout bizarre et ça c’est précisément la partie de l’artwork qui se réfère à… Terminal Cheesecake ! Voilà, maintenant tu as compris où je veux en venir et en plus tu sais que Terminal Cheesecake est un groupe qui a vraiment de la suite dans ses idées fixes puisque, je te le rappelle encore une fois, l’album qu’il vient de publier et que je finirai bien par chroniquer un jour ou l’autre comporte le mot « lièvre » dans son titre. Et en parlant de lièvre, ça cache forcément quelque chose, non ?

Donc : ELECTRIC MOON est un groupe allemand de « space rock ». Ouais. Des gens qui ont beaucoup trop écouté des vieux machins 70’s comme Hawkwind – ça, ça passe encore – et le Pink Floyd gilmourien – alors là, beurk ! Je veux bien être tolérant et large d’esprit et surement que je l’aurais été au sujet de Beacon Light Hereafter, soit le très long titre de plus de vingt minutes que propose Electric Moon sur la première face de ce In Search Of Highs Vol 3, s’il n’avait pas été traversé par quelques passages vraiment insupportables tels que le marécage planant et gluant entre la dixième et la treizième minutes et s’il n’avait pas été aussi inutilement long. C’est le principal problème avec les drogués durs et doux qui font de la musique militante : ils s’imaginent non seulement que tout le monde prend forcément de la drogue mais qu’en plus tout le monde prend la même drogue qu’eux et donc sont totalement dans le même trip. Perdu les gars… J’admets que si ce disque s’intitule In Search Of Highs ce n’est pas pour rien mais quand même ce n’était pas une raison suffisante pour nous pondre cette histoire de gyrophare temporel sans queue ni tête (de lièvre). Adieu Electric Moon, je ne t’aime point.

Passons donc à la seconde face du disque (puisque je le rappelle il s’agit d’un split) et surtout passons à TERMINAL CHEESECAKE. Et là c’est l’extase. Enfin, façon de parler, je ne voudrais pas trop présager des drogues que prennent les anglais mais ma remarque très pertinente ci-dessus au sujet des trips non consentis par l’auditeur pris pour un consommateur de bonheur à la demande en prend soudain un sacré coup derrière les oreilles (oreilles de lièvre, évidemment). Parce que le raw trip fonctionne parfaitement avec Fake Loop et (surtout) Song For John Part 2 qui dévoilent le côté le plus halluciné et hallucinant de Terminal Cheesecake sans que le groupe ne perde de sa superbe et de sa capacité à faire du bruit hypnotique – chose qu’après tout il sait faire beaucoup mieux que presque tout le monde ici bas. Ces types sont des génies, je le savais déjà et ils ont réussi là où beaucoup d’autres ont échoué en réactivant leur groupe avec l’aide de nouveaux membres – sacré Neil Francis… et surtout n’oublions pas que désormais c’est Dave Cochrane qui tient la basse et que ce garçon a quand même joué dans Head Of David mais également dans God/Ice. A ce jour Terminal Cheesecake n’a encore jamais sorti un mauvais disque – les plus anciens enregistrements issus des premières périodes du groupe n’ont jamais été réédités et sont durs à trouver mais heureusement internet et le peer-to-peer sont là pour nous apporter la lumière de la connaissance – et sa contribution à In Search Of Highs Vol 3 le confirme largement. Je vais peut-être bien finir par me dépêcher un peu plus et chroniquer Le Sacre Du Lièvre. Mais pas demain non plus.

[In Search Of Highs Vol 3 est publié en vinyle rouge ou bleu ou noir par Riot Season]
 

vendredi 19 juillet 2019

Krause / The Ecstasy of Infinite Sterility






Attention voilà du lourd. Celles et ceux qui ont découvert KRAUSE en 2017 avec la parution de 2 AM Thoughts s’en souviennent encore. Le genre de disque à réveiller les morts et à achever les vivants. Aucune pitié. Du gros noise-rock à papa comme dans les années 90. Option Unsane et surtout Hammerhead, pour vous situer un peu plus. Oui, bon, je sais que tout ceci est très facile et que les comparaisons avec les formations historiques du genre ont trop souvent bon dos : le noise-rock ça ne devrait plus exister depuis au moins la fin du siècle dernier, ce n’est que de la musique de vieux et parfois même de très vieux, son âge d’or n’a pas duré très longtemps (à peine une grosse poignée d’années) et après cela n’a été que redites et répétitions, etc. C’est pas faux. Mais qu’est ce que je m’en tape. Lorsque 2 AM Thoughts – j’adore ce titre – a été publié il y a deux ans, je n’en ai tout d’abord pas cru mes petites oreilles. Un vrai miracle. Et je me demandais : non mais qui sont ces mecs ? D’où viennent-ils ? Aucune réponse à fournir si ce n’est celle que donne le groupe lui-même : Krause vient de Grèce et est issu de la scène d’Athènes. Il s’en passe donc des choses extraordinaires par là bas… et le label britannique Riot Season ne s’y était pas trompé en publiant immédiatement le premier album d’un groupe alors totalement souterrain et totalement inconnu. Des fois il faut savoir prendre des risques, non ?

Deux années plus tard on remet ça. Krause sort un deuxième album encore plus lourd, encore plus épais et encore plus massif que 2 AM Thoughts. Au risque de provoquer un début d’indigestion et une occlusion intestinale chez lauditeur. Avec The Ecstasy of Infinite Sterility (encore un titre d’album qui vaut des points) le côté Hammerhead est toujours là, mais il prend moins de place qu’auparavant. Par contre les liens de consanguinité avec Unsane sont plus évidents que jamais. La production elle aussi a pris de l’ampleur, à tel point que les guitares sonnent parfois aussi grassement et aussi violemment que celles d’un Fudge Tunnel en fin de vie croisé avec un Cherubs noyé dans la baignoire. Avec The Ecstasy of Infinite Sterility Krause a donc décidément choisi la voie du durcissement maximum et de l’agression permanente. Même en étant un fan inconditionnel du genre il faut être en bonne santé pour s’enfiler à la suite les deux faces d’un disque qui ne prend aucune pause pas plus qu’il ne s’accorde la moindre coquetterie spectaculaire – on se souvient de l’épique Sleep Of Fools sur 2 AM Thoughts par exemple. Globalement les compositions ont ainsi été raccourcies et ont gagné en linéarité. On peut éventuellement regretter que Krause a perdu en sensationnel et en étrangeté ce que le groupe a gagné en efficacité incendiaire mais une telle critique est très vite effacée par la réussite d’un Romance, Adventure And A Date With Destiny (quel titre de morceau, décidemment !), très représentatif des morceaux de l’album où le côté mélodique refait surface au dessus de la masse de bruit en ébullition.

Mais la plupart du temps tous les vu-mètres sont dans le rouge, les potards constamment bloqués sur onze. Avec une basse omniprésente qui tire de plus en plus la couverture à elle et assure une très grosse partie du travail en matière d’épaississement et de grésillement (The Rough Beast Of Unpleasantness, Staw Dogs ou Resenter, évoquant définitivement Unsane). Real Men Live Off Waitresses est l’une des pièces maitresses de The Ecstasy of Infinite Sterility mais constitue également un cas à part : ce titre, beaucoup plus long que tous les autres – huit minutes – est aussi le plus lent et le plus rampant d’un disque pourtant plus axé mid-tempo que son prédécesseur. Surtout Real Men Live Off Waitresses reste la composition sur laquelle Krause arrive à faire définitivement germer tout le côté malsain et moite de son noise-rock ; tout comme Paingod est celle avec laquelle le groupe arrive parfaitement à conjuguer sa force de frappe spectaculaire avec l’accroche mélodique de riffs de guitares charcutiers. Et tant qu’à faire j’ai tout de même une légère préférence pour cette deuxième option, celle qui justement prédominait davantage sur 2 AM Thoughts. Il n’en demeure pas moins que The Ecstasy of Infinite Sterility est un incontournable du noise-rock actuel, ce bon vieux noise-rock toujours aussi intemporel et malgré tout insurpassable. Au moins tant qu’il y aura des groupes de la trempe de Krause.

[The Ecstasy of Infinite Sterility est publié en vinyle rose (très rougeoyant) ou noir par Riot Season et Fuzz Ink records]

lundi 22 avril 2019

Orchestra Of Constant Distress / Cognitive Dissonance


Au tout début j’avais prévu que cette chronique débute ainsi : « Quel monde impitoyable. Une cathédrale séculaire se met à cramer toute seule, sans l’aide d’aucun norvégien illuminé et sataniste et je devrais pleurer à genoux devant dieu. Attention, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit : bien sûr que je suis un peu triste, j’aime les vieilles pierres et des vieilles pierres qui disparaissent aussi brutalement et aussi violemment ça me rend mélancolique, me renvoyant au côté éphémère de ma propre existence d’insignifiant cloporte qui va crever comme tout le monde. Mais je ne suis pas plus triste que si la Grande Mosquée al-Masjid al-Ḥarâm était partie en fumée ou que si le Mur des Lamentations s’était effondré. Pourtant l’heure est donc à la détresse nationale. Mais ça ne marche pas. Ou plutôt je ne marche pas. Je laisse aux milliardaires, aux financiers et aux marchands du Temple le soin de pleurer à ma place et de faire des donations permettant la future reconstruction du cœur de leur religion patrimoniale. Et je laisse à celles et ceux pour qui croire et prier est important un bout de trottoir pour mendier la miséricorde divine. Je trouve assez fascinant tout ce monde qui s’enferme toujours plus dans ses certitudes à l’aide de symboles qu’il pense comprendre et contrôler alors que tout lui échappe ; d’accord je ne vaux pas mieux moi qui m’enferme dans un autre monde qui n’existe pas »… Aucun rapport avec la musique, non ? Mais il fallait que cela sorte.





Je vais donc me contenter d’être factuel et de parler simplement d’ORCHESTRA OF CONSTANT DISTRESS, groupe suédois composé de Joachim Nordwall et de Henrik Rylander, deux anciens Skull Defekts (le premier a également joué dans Kid Commando et le second a débuté comme batteur d’Union Carbide Productions, rien que ça) ainsi que de Anders Bryngelsson (Brainbombs et No Balls) et de Henrik Andersson. Du beau monde quoi et surtout un ramassis de psychopathes de la musique qui dès le premier album d’Orchestra Of Constant Distress avaient tout mis en œuvre pour décourager les plus téméraires d’entre nous, celles et ceux qui ont peur de rien, chantent du Sister Idione ou du Whitehouse sous la douche, font des mash ups pour s’amuser en combinant le premier album de The Hospitals et Kollaps d’Einsturzende Neubauten et passent l’aspirateur en écoutant du Merzbow remixé par Zbignew Karkowski. Tu vois le genre ? Non ? Bon, pour la faire courte : une « composition » d’Orchestra Of Constant Distress égale un riff dissonant répété à l’envie sur fond de bruitages parasitaires, ce qui donne un album en cinq parties toutes plus ou moins identiques, instrumentales, épuisantes et dotées de titres commençant tous par le mot Fear – mon préféré étant Fear Will Act On Unwanted Impulses (e g To Stab Friend). Un an plus tard nos quatre gugusses ont remis ça avec un deuxième album intitulé Distress Test et publié par Riot Season, le label anglais prêt à tout. Ce disque a beau bénéficier d’une qualité sonore largement supérieure à celle de son prédécesseur, il n’y aura aucun suspense : une « composition » égale un riff dissonant répété à l’envie sur fond de bruitages parasitaires, etc, etc.  Sauf que là il y a six compositions et les plus masochistes qui ont réussi à dégoter la version limitée avec cassette bonus ont en même temps récolté six titres supplémentaires qui suivent strictement le même processus répétitif de destruction et d’anéantissement.

Nous voici donc en 2019. Il fait beau, l’hiver n’a pas eu lieu, le printemps à un gout de chips au vinaigre trempées dans de l’eau bénite et Orchestra Of Constant Distress, décidemment très prolifique, récidive à nouveau avec Cognitive Dissonance, encore et toujours chez Riot Season. Cette fois le son est carrément énorme. Mais quelque chose a également bougé dans les fondations profondes de la cathédrale suédoise. Comme une ouverture, toute petite il est vrai, une ouverture évidemment en forme de meurtrière et palpable dès Discomfort avec cette guitare qui jouerait presque les amuse-gueules, une guitare dont le son et les motifs ne sont pas sans rappeler certaines fulgurances des Skull Defekts. Du coup le côté répétitif, s’il est encore bel et bien là, devient nettement plus supportable et l’auditeur (moi) est moins violement pris de cette irrépressible envie misanthropique de destruction totale et définitive de la civilisation humaine. Il faut attendre les douze fatidiques minutes de Pride pour retrouver la douleur familière de la fraiseuse électrique attaquant de l’intérieur les boites crâniennes et cette impression d’être confronté à ce qui musicalement se rapprocherait le plus d’une céphalée écrasante et brûlante comme un brasier apocalyptique. Ces types sont des génies du mal. Ou pas loin.
La deuxième face de Cognitive Dissonance confirme malgré tout qu’Orchestra Of Constant Distress a définitivement affiné son propos. Hope serait presque groovy (au moins pour les gens qui ne savent pas danser ou alors uniquement après avoir pris de la drogue), Guilt Hopelessness donne envie d’entendre un peu de chant merdique (genre des mots dégueulasses hurlés sur un mode détaché) et Guilt qui arrive en clôture du disque possède tout du hit single pour un disque qui ressemble malgré tout à un champ de ruines. Le pire étant que les zigouigouis bruitistes font plus mal que jamais tout en devenant indispensables – l’addiction au désespoir ? Voilà. Je n’ai rien de plus à dire sur Cognitive Dissonance si ce n’est que son titre prête à sourire – « Dissonance cognitive »… non mais franchement… – mais venant d’un groupe dont le nom ressemble plus à celui d’une formation de post rock romantico-théâtral option mèche dans les cheveux qu’à celui d’une bande de terroristes adeptes du (saint) supplice par le feu, je ne m’étonnerai de rien. Et je me réjouis de la capacité d’Orchestra Of Constant Distress à élargir son propos sans renoncer à quoi que ce soit de sa perversité. Peut-être devrais-je parler de distillation et de filtrage car avec ce groupe chaque détail compte, du moindre roulement de tom à chaque grésillement électronique en passant par les grincements de guitare et la mise en place est d’autant plus bluffante qu’elle est transparente – on ne la détecte pas. Une musique aussi cérébrale et aussi jusqu’au-boutiste que celle-ci est une véritable rareté. Et un vrai plaisir. Primal et ensorcelant.

vendredi 5 avril 2019

USA/Mexico – Matamoros


Je me rappelle qu’à propos de Todd – l’un des précédents projets de Graig Clouse – et du tout dernier album que ce groupe ait jamais publié*, un esprit supérieur m’avait lancé d’un air profondément méprisant et hautain : « mais comment peux-tu aimer ça ? on dirait le bruit d’une machine à laver en train d’essorer ! ». Je n’avais pas cru bon de relever l’insulte, confirmant juste mon adoration masochiste pour ce disque sans préciser que c’était pour cette raison précise que j’aimais tant la musique de Todd, pour cet énorme bordel centrifugé et nauséeux, cette envie de vomir qui me prenait sans pouvoir y arriver, le crâne qui explose à cause de mon cerveau congestionné faute de suffisamment d’oxygène, le cou serré par le cordon gluant de mes propres tripailles éclatées. Ce n’était pas la peine d’aller rechercher plus loin (dans le rayon d’une boucherie floridienne par exemple) de la viande avariée et cette sale odeur de mort comme une incitation à me rouler dans la charogne et à me chier dessus. Mais Todd a cessé d’exister et Graig Clouse s’est pleinement consacré à Shit And Shine**, son projet electro/pipo-bimbo aussi déformé que versatile, démarré aux alentours de 2004 et toujours actif à ce jour.
Et voilà qu’en 2017 la grande nouvelle est tombée : Graig Clouse était de retour avec un nouveau groupe axé guitares et douleurs diarrhéiques. Un groupe 100% texan, Austin pour être encore plus précis. Et bien que les indications géographiques m’emmerdent de plus en plus – surtout par les temps qui courent, le patriotisme musical est comme toutes les autres formes de revendications identitaires et territoriales, un narcissisme conflictuel à l’échelle d’égos nationaux sans rapport avec la liberté de la musique – je ne peux pas m’empêcher de le signaler puisque les trois membres permanents de USA / Mexico ont du se croiser un paquet de fois dans la vie avant de monter un groupe ensemble. Aux côtés de Graig Clouse (guitare et voix) on retrouve ainsi Nate Cross à la basse (anciennement dans When Dinosaurs Ruled The World***) et King Coffey à la batterie (oui… il s’agit bien du batteur des Butthole Surfers mais aussi de celui qui avait monté dans les années 90 l’incomparable label Trance Syndicate). Rien que sur le papier un tel line-up exsude le bordel psychotique et l’aliénation bruitiste, un gros et vrai scandale explosif et borderline.







USA / Mexico est à la base un titre de Shit And Shine (sur l’album 229-2299 Girls Against Shit) mais j’y vois également comme une sorte d’allusion sarcastique voire politique au pays de Trump – la frontière entre les USA et le Mexique fait 3200 kilomètre dont la moitié se situe entre le Texas et le Mexique. Premier album du trio, Laredo est le nom d’une ville frontalière sur le fleuve Rio Grande (que les mexicains appellent eux Rio Bravo, va comprendre) et l’un des symboles de l’abjection sécuritaire et la politique d’exclusion de l’administration américaine actuelle. Tout comme Matamoros, deuxième album de USA / Mexico, puisqu’il s’agit également du nom d’une ville entre USA et Mexique (située cette fois côté mexicain et quasiment sur la côte atlantique). Il y a plusieurs façons de mettre les pieds dans le plat comme celle consistant à ouvrir en grand sa gueule avec des textes en forme de slogans ou celle, que je préfère, qui se contente de laisser exploser sa rage au travers de la musique. USA / Mexico n’est pas vraiment un groupe frontalement politique mais il ne fait aucun doute Graig Clouse, Nate Cross et King Coffey sont là pour appuyer là où ça fait mal, ils jouent surtout une musique aussi gluante qu’explosive, aussi lourde que malsaine, aussi irrespirable qu’épuisante, aussi dérangée que bruyante où chaque son – celui de la voix, celui de la guitare, celui de la basse, etc. – est déformé, trituré, éclaté, recomposé en un magma étouffant et malade, chiasse et vomi comme arguments ultimes d’un noise-rock pyromane, obscène et nihiliste, qui n’en finit pas se réinventer, même en 2019... 

Matamoros ferait presque passer Laredo pour une série d’explosions de pétards pour la fête des morts : lorsque un groupe fait à peu près la même chose que précédemment mais en tellement mieux parce qu’il a enclenché la vitesse supérieure de la grande essoreuse malaisante, mêlant vertiges et nausées, fracassant tous nos repères essentiels (la platine tourne-t-elle à la bonne vitesse ? le vinyle est-il rayé ? mon sonotone s’est-il subitement déréglé ? qu’est ce que je fais enfermé dans mon four à micro-ondes en compagnie d’une barquette de hachis parmentier surgelé ?), sublimant un cauchemar de bruits en rêve insupportable et laissant le délire total supplanter toute forme de raison, il n’y a plus d’autres issues possibles que la capitulation, une longue chute en avant dans les abysses délicieusement tortueux d’un Enfer surchauffé par la fin imminente du monde extérieur, les os cramés aux défoliants, le sang se durcissant comme de la pierre empoisonnée. 
Sur Matamoros il y a également deux musiciens invités et pas n’importe lesquels. Kevin Whitley de Cherubs (Austin, Texas…) apparait sur le deuxième titre du disque : Shoofly est précisément une reprise de Cherubs mais j’ai beau la réécouter je ne reconnais rien de la version originale**** tant tout y est déformé, ralenti et complètement détraqué. Quant à George Dishner de Spray Paint (encore un groupe d’Austin…) il rajoute de la guitare spectro-bruitiste sur Anxious Whitey soit dix sept minutes de chaos répétitif et de bouillie de sensations, de désordre mental. Une composition qui occupe quasiment toute la seconde face de Matamoros – qu’elle partage avec Vaporwave Headache, le titre le plus rapide mais aussi le plus évident du disque – et qui cristallise tout l’art démolisseur et subversif de USA / Mexico. Rarement j’aurais écouté un groupe aussi anticonformiste et complètement ravagé que ce trio qui avec son deuxième album se moque des vivants sursitaires, sains d’esprits, donneurs de leçons et conformistes. Qui se moque des démagogues privilégiés qui tapent toujours sur les mêmes en espérant qu’il y ait le moins de mécontents possible mais sans se rendre compte qu’un jour il ne restera plus personne, sauf eux. Au moins USA / Mexico tape sur tout le monde. Les murs s’écroulent, les certitudes également.

[Matamoros est publié en vinyle blanc par Riot Season]  

* Big Ripper, déjà chez Riot Season – les deux premiers et excellents albums de Todd sont sortis chez Southern records
** pendant que j’y suis :
Shit And Shine… mais la discographie du groupe est tellement étalée et diversifiée qu’il convient de ne pas s’arrêter à l’écoute d’un seul album
*** pour celles et ceux que cela intéresse : When Dinosaurs Ruled The World
**** que l’on trouve sur l’album Icing

mercredi 9 mai 2018

Henry Blacker / The Making Of Junior Bonner


Dans la vie j’ai vraiment du temps à perdre et je ne donne pas ma langue au chat : de toutes les saloperies musicales nées aux États-Unis ces – disons – trente-cinq dernières années, quelle est celle que je déteste le plus ? Le hair metal ? Le punk mélo et/ou à roulettes ? La fusion ? Le stoner ? Je n’ai que l’embarras du choix. Mais je ne peux pas m’empêcher de constater que beaucoup des groupes importants (ha ha) qui ont participé à toutes ces horripustulences honnies par mon petit cœur pur et tendre se ramifient autour de ce sud-ouest américain ensoleillé et californien. Il est hors de question que je mette des lunettes de soleil et applique de la crème solaire sur mon beau corps athlétique et musculeux pour oser écouter de telles pignoleries : être snob ou ne pas être. Je suis donc snob avec, je le concède, un penchant certain pour l’arty et le conceptuel. Et le sensible.
Alors lorsque je tombe sur un groupe qui a priori devrait me faire ni chaud ni froid je ne devrais qu’en déduire que les contradictions sont le moteur de la mauvaise foi comme de la sagesse. Mais il n’y a pas de hasard non plus. Henry Blacker est un groupe tout ce qu’il y a de plus anglais. Ce qui est déjà un bon point pour une formation qui – très étonnamment – joue une musique que l’on pourrait qualifier de stoner. Comme une anomalie génétique ne pouvant qu’éveiller ma curiosité. Tout comme ma curiosité avait elle été éveillée par le fait qu’Henry Blacker est composé de membres passés ou présents de Hey Colossus, l’un de mes groupes anglais préférés, à commencer par le guitariste (et ici chanteur) Tim Farthing et le bassiste Joe Thompson. Ils sont accompagnés sur l’album The Making Of Junior Bonner par le batteur Roo Farthing qui a au passage joué de la guitare et du piano sur The Guillotine, dernier album en date de Hey Colossus. On reste en famille. 




Tout va donc pour le mieux. Je me retrouve avec ce troisième album de Henry Blacker et je suis sous le charme de cette musique pas trop graisseuse, en tous les cas dont le peu de gras me met en appétit. Des structures plutôt simples et des mélodies mémorisables (donc des compositions qui accrochent d’emblée), une production claire et lisible (indice essentiel : la présence de vraies grosses lignes de basse), un chant relativement désincarné et monotone voire lavasse ce qu’il faut, un air de déjà entendu qui s’estompe très rapidement face à l’étrangeté du truc, comme une ganse de mélancolie circonstanciant un album aux ruades maîtrisées. Tant de subtilité ne pouvait décidément pas être le fait d’un groupe actuel de rednecks budwiserisés et barbus. Et l’hommage – si tant est que cela en soit un – n’en est que plus fort et que plus intrigant. Je ne me lasserai jamais de ces incessants allers-et-retours musicaux entre Albion et ses anciennes colonies, ces liens qui ont fait que la première s’est – à tous les niveaux – nourrie des secondes. La pop et le rock anglais ne seraient rien sans les États-Unis (et inversement) et ce depuis des décennies maintenant, l’un et l’autre représentant mutuellement une sorte d’eldorado fantasmé et sublimé (je change de sujet le temps d’une courte parenthèse : Ray Davies parle très bien de ces relations dans son livre Americana).
Et si on veut aller un peu plus loin il suffit de regarder l’artwork du disque, signé Roo Farthing, puis de considérer le titre de cet album. Sur la droite, habillé en cow-boy, il s’agit de Steve Mc Queen. Junior Bonner est le titre d’un film dans lequel l’acteur a joué, un film tourné par Sam Peckinpah et sorti en 1972. Tout le monde connait Sam Peckinpah ou tout du moins tout le monde connait quelques uns de ses films : La Horde Sauvage ou Pat Garrett et Billy The Kid par exemple. Mais Junior Bonner est une œuvre davantage crépusculaire et mélancolique, témoin d’un monde disparaissant au profit d’une modernité factice basée sur l’argent et l’enrichissement sans conditions. Steve Mc Queen y incarne JR, un cow-boy itinérant qui gagne sa vie en faisant des rodéos ; sa « bête noire » est un taureau particulièrement indocile ironiquement nommé Sunshine tandis que le frère de JR est un entrepreneur immobilier peu scrupuleux. La fin du film est prévisible – l’« honneur » et le respect des « valeurs » en font logiquement partie. Tout comme The Making Of Junior Bonner est un disque d’un classicisme rock absolu brillant d’un éclat presque diaphane derrière les salves collantes d’une musique équilibrée entre envie d’en découdre et résignation mélancolique.

[The Making Of Junior Bonner est publié en vinyle par Riot Season]