Et si SHIT AND SHINE était tout simplement l’un
des meilleurs groupes du monde ? Bon, d’accord, j’exagère peut-être un peu
mais il n’empêche que question musique de branleur irritante et inconfortable,
le projet multiformes de Craig Clouse – ici uniquement
accompagné du batteur Adam R. Hatley – ressemble plus que jamais à un gros vomi
rampant de putrescence bruyante en phase active de recomposition/ignition. Ce
qui confirme une nouvelle fois que les meilleurs enregistrements de Shit And Shine qui dans la passé a épuisé
la solvabilité de plus d’un label de bonne volonté ont souvent été publiés chez
Riot Season, toujours fidèle au poste après toutes ces années. Cela confirme
également que si la musique peut être une drogue dure, les effets dévastateurs et
hallucinogènes du doom électro-magmatique, fracassé et lèche-cerveau de Phase Corrected
en sont l’une des meilleures illustrations. A écouter très (très) fort et sans aucune
modération et si jamais tu entends des voix d’outre-tombe hurler des
incantations dans ta tête c’est que tout va bien, non ?
Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net
vendredi 22 avril 2022
[chronique express] Shit And Shine : Phase Corrected
lundi 11 avril 2022
Gnod / Whok : split
Attention :
contrairement à ce qu’indique la pochette de ce split 12' et le titre de cette
chronique, ceci n’est pas véritablement un nouvel enregistrement de Gnod. Pour
cela il faudra attendre l’arrivée plus qu’imminente d’Hexen Valley,
le cinquante-quatrième (?) album du collectif anglais, chez son label habituel,
Rocket recordings. Non, j’aurais mieux fait de préciser GNOD R&D, c’est-à-dire l’association de Paddy Shine et de Chris
Haslam et ce qu’ils définissent comme une version épurée de Gnod dont ils sont tous
les deux, oui c’est vrai, des membres fondateurs. Le projet est relativement
récent mais a tout de même engendré l’édition de quatre cassettes et d’un
double LP depuis 2017. Si j’ai bien tout compris, les deux compères se servent
de Gnod R&D pour tester des
nouveaux sons, des nouvelles configurations et des nouvelles idées pour leur
groupe principal. Ils souhaitent également jouer la carte de l’interactivité
avec leur public et les lieux dans lesquels ils donnent des concerts. Mais pour
écouter les titres qu’ils proposent ici il vaut mieux malgré tout oublier le
nom de Gnod.
Pas de basse et pas de batterie mais une boite-à-rythmes et quelques trames de
synthétiseur. Pas de guitares mais des sons chelous et piquants. Le chant sur Paint It Blacker conserve il est vrai la
fonction d’invective propre à Gnod mais on a ni plus ni moins affaire à de la
musique électronique, froide et inquiétante. Pas de quoi crier au génie mais
pas de quoi non plus hurler à l’arnaque. Juste une composition répétitive et
oppressante de six minutes qui se termine en queue de poisson. Let’s Get Numb est encore moins palpitant
(pourtant cette fois-ci il y a un peu de guitare qui vient foutre le bordel) et
on a finalement l’impression que Shine et Haslam voulaient avant tout s’amuser.
J’espère que la drogue était bonne et qu’ils ont effectivement pris du bon
temps.
L’autre côté du disque est occupé par deux titres de WHOK aka Whirling Hall
of Knives. La référence aux
Butthole Surfers n’aura échappé à personne mais elle ne sera d’aucune utilité
pour appréhender correctement la musique de ce groupe (encore un duo) irlandais
qui lui aussi donne dans la musique electro minimale, frappée et toxique. Cloratranq et Cloratranq (Afterglow)
sont nettement plus intéressants que la contribution de Gnod R&D. Une composition
et une réinterprétation gazeuse de celle-ci malsaines et perturbantes avec
leurs rythmiques indansables et leurs voix toutes niquées à l’aide de cartes
son défectueuses (uniquement pour la première) et dotées d’un goût assuré pour
les crises d’angoisse montantes et les descentes d’escaliers mécaniques pris à
l’envers – comprendre : c’est plutôt lent, rampant et caillouteux. Afterglow est même très cinématographique, dans le bon sens du
terme. En fan irréfléchi je m’étais aveuglément procuré ce disque pour sa
première face et finalement je n’en écoute surtout que la seconde, en attendant
de creuser un peu plus le sujet, ces deux compositions de Whok m’ayant tout simplement mis en appétit (haha). Et on reparlera
vraiment de Gnod ici dès que possible…
[Gnod - Whok est publié en vinyle (orange) par Riot Season à 350 exemplaires]
lundi 27 décembre 2021
Orchestra Of Constant Distress : Concerns
Je suis devant une
page blanche. Ou plutôt devant un écran un peu trop lumineux et qui me fera défintivement mal
aux yeux si je n’y prends pas garde. Pour le moment j’écoute Concerns, le quatrième album d’ORCHESTRA OF CONSTANT DISTRESS – le
troisième chez Riot Season qui a également publié un concert du groupe suédois enregistré
au Roadburn en 2019, très dispensable. Et tous les disques studio d’Orchestra Of Constant Distress se
ressemblent. C’est ce que j’ai toujours cru et ce que je crois encore. Une
musique répétitive jusqu’à la nausée, des rythmes lents et appuyés, des
tourneries perpétuelles, pas de mélodies mais des faux riffs qui taillent bizarrement
dans le vif et dont le seul souvenir suffirait à raviver les plaies brûlantes,
de la bidouille bruitiste/électronique pour colmater les fissures – ou plutôt
les agrandir, non ? – et surtout pas de chant.
Rien à dire, aucune histoire à raconter, pas de couleurs plus intenses que les
autres, pas de formes trop familières, pas de repères auxquels se raccrocher. Pas
d’odeurs non plus. Non, rien du tout. Si ce n’est un gros pavé musicalement difficilement
déchiffrable et pourtant cathartique. Le vide absolu, mais un vide qui
t’aspire comme si tu te retrouvais soudainement projeté dans l’inconnu sans
lumière et froid d’un espace béant s’ouvrant devant toi par une faille du
cockpit de chair censé te protéger. Ou alors (encore mieux) comme si tu
marchais au milieu d’une forêt d’arbres plus que centenaires et intimidants,
des arbres sur lesquels l’homme n’a jamais osé porter la main, des arbres tous
semblables, très hauts et inattaquables, des arbres dont la canopée métallique grouille
de secrets (tu le devines facilement), des arbres dont les traces de mousse sur
le tronc indiquent tout sauf la bonne direction. Un labyrinthe sans
couloirs, sans bifurcations, sans escaliers, sans passages secrets, un
labyrinthe en trois dimensions qui se mélangent constamment, un endroit dont tu
ne saurais t’extirper puisque tu ne comprends pas comment tu as pu y
pénétrer. Tu ne sais même pas si tu es réellement là.
Tu es nu mais personne ne fait de réflexions. Tout le monde est aveugle, toutes et tous sont muets. Tu es nu parce que tu
es désarmé. Et tu te demandes : est-ce que Orchestra Of Constant Distress pourrait aller encore plus loin dans la non-musique ? La réponse – enfin une réponse ! – se trouve quelque
part au milieu des huit titres de Concerns. Déjà, huit, c’est plus que précédemment et si les compositions sont plus courtes elles
sont aussi un tout petit peu plus bavardes. Pour la première fois peut-être Joachim
Nordwall (guitare), Henrik Andersson (basse), Anders Bryngelsson (batterie) et Henrik
Rylander (tout le reste) se laissent aller à quelques confidences. Tout en se
gardant bien de trop en dire. Pour la première fois les incantations urbaines
et post-industrielles – car ce labyrinthe sans âge n’est peut-être qu’un
immense port maritime balayé par les vents froids et ces arbres ancestraux ne
sont peut-être que d’immenses grues servant à décharger des containers anonymes
– se teintent franchement d’un psychédélisme noir qui jusqu’ici ne voulait pas
dire son nom.
Tu viens enfin de trouver une poignée à laquelle te raccrocher
mais inutile de tirer dessus : ce n’est pas la poignée d’un système
d’alarme, juste une réponse différente, une nouvelle drogue que tu ne
connaissais pas encore. Tu tournes en rond avec la musique de Concerns mais pourtant elle existe tout
comme tu existes, indifféremment : il n’y a pas de pages blanches, que de l’oubli. Tu n’es ni insensible ni endurci. Tu es ailleurs et tu aimes ça.
[Concerns
a été publié en vinyle à trois cents exemplaires au mois de juillet 2021 par Riot Season
– le disque est toujours disponible à ce jour, Orchestra Of Constant Distress n’étant pas non plus le groupe le
plus vendeur du monde]
mercredi 2 juin 2021
Mainliner : Dual Myths
Comme d’habitude je
traine, je traine… je traine… Mais c’est qu’un disque de MAINLINER cela
se déguste sur la longueur. Pour tout un tas de raisons évidentes. Et en
premier lieu : les compositions du groupe sont d’une durée aberrante. Dual
Myths est un double album et il ne comporte que quatre titres d’en moyenne
vingt minutes chacun, un par face. Pourtant il n’y a pas beaucoup de musiques
électriques aussi prégnantes et aussi explosivement hallucinogènes que celle de
Mainliner. On parle ici d’un power trio, ce type de line-up cher aux
métallurgistes comme aux punks et aux garagistes. La formation reine du
rock’n’roll dans ce qu’il peut avoir de plus sauvage et de plus direct. Sauf
que le groupe de Kawabata Makoto (Acid Mothers Temple, etc.) est un
maitre-étalon en matière d’ouragan psyché-noise. Donc le côté « direct »
de sa musique s’étale allégrement en de longs développements complètement incantatoires,
entre freeture et lourdeur, psychédélisme et explosivité. Des jams interminables
basées sur des compositions à la répétitivité hypnotique.
Pour parler de Dual Myths je pourrais presque reprendre mot pour mot la chronique
que j’avais écrite au sujet de Revelation Space il y a quelques
années. Nous étions alors en 2013 et après plus d’une décennie de silence Kawabata
venait de réactiver Mainliner avec un nouveau line-up, sans
Nanjo Asahito. C’est sans doute pourquoi le groupe avait alors été rebaptisé Makoto
Kawabata’s Mainliner. Donc sur Dual Myths on retrouve à nouveau le
bassiste / chanteur Taigen Kawabe ainsi que le batteur Shimura Koji* aux côtés du
musicien-gourou japonais, plus solaire que jamais. Sa guitare irradie
constamment les quatre compositions lourdement chargées de solos psychotropes
et incendiaires. Enregistré sur une période beaucoup plus longue que son
prédécesseur, Dual Myths bénéficie aussi d’un son moins grésillant mais
beaucoup plus magmatique, défoncé à la fuzz et à la reverb, tour à tour
fissionnel et fusionnel, un immense champ magnétique multipolaire et un chaos organisé
proche de l’envoutement. Un flash permanent.
Avec ce nouvel album Mainliner
est plus que jamais l’écrin parfait pour permettre à toute la folie musicale de
Kawabata de s’exprimer pleinement, en tous les cas encore plus librement je
crois qu’avec Acid Mothers Temple – dont il est pourtant le leader incontesté –
car sans la concurrence d’autres instrumentistes tentés eux aussi par des
échappées belles. Une réappropriation définitive puisqu’au départ Mainliner
était, rappelons-le, le projet de son premier bassiste / chanteur / producteur Nanjo Asahito (également dans High Rise, Musica Transonic, Toho Sara...) qui composait quasiment
tout le matériel que le trio réarrangeait ensuite à sa sauce. Rôle qu’occupe
désormais le guitariste. Mais on se rend bien compte que ni Taigen Kawabe ni
Shimura Koji ne restent cantonnés à des rôles de faire-valoirs ou de sidemen,
fussent-ils de première catégorie. En particulier le bassiste qui écrit
toujours tous les textes qu’il chante et dont la voix fait beaucoup pour
l’étrangeté et le côté ensorcelant de la musique du groupe (sur Blasphemy Hunter son chant évoque
quelque créature aérienne tandis que sur Dunamist
Zero il se permet nombre d’extravagances hystérisantes). Avec Shimura Koji
il forme surtout un tandem rythmique incroyablement solide, persévérant et
endurant – et de l’endurance il n’en faut pas qu’un peu lorsqu’il s’agit de ne
pas perdre le fil lors des longues déambulations soniques du guitariste en
chef.
Ecouter Dual Myths ne revient pas seulement à s’en prendre plein la
gueule. Même s’il y a beaucoup de ça. Il y a surtout une grande part de rêve éveillé
/ merveilles révélées sous influence dans la musique de Mainliner, parce
qu’elle a cette capacité à nous englober (nous avaler) tout en se montrant
fuyante. Une course-poursuite par paliers successifs sans que l’on sache comment
sera précisément le prochain palier ni quelle hauteur et durée il aura. Un
long trip sans fin si ce n’est celle du disque : sur Hibernator’s Dream et Silver
Guck un fade-out vient nous rappeler qu’une face de LP ne dure pas
éternellement et que si la musique enregistrée doit s’arrêter les musiciens ont
eux du continuer sur leur lancée – mais pendant comment de temps encore ?
– comme lors des concerts-fleuves pour lesquels le groupe est particulièrement renommé…
[soupirs]
[Dual Myths
est publié en double LP – le premier vinyle est argenté, le second est noir – et
même en CD par Riot Season]
* erratum : contrairement
à ce que je croyais Shimura Koji joue depuis fort longtemps dans Mainliner et
n’était pas un nouveau venu dans le groupe lorsqu’il s’est reformé en 2013… il
est crédité à partir de l’album Solid Stick Attack (1999), prenant la
suite d’Hajime Koizumi et surtout de Tatsuya Yoshida (Ruins)
mardi 23 mars 2021
USA / Mexico - Del Rio
Après Laredo en 2017 puis Matamoros en 2019, USA / MEXICO continue le tour des villes frontalières entre son
Texas natal et le Mexique. Le voyage n’est pas des plus logiques ni des plus
reposants, le groupe semblant se moquer de faire des allers-et-retours le long d’une
ligne de démarcation faite de plusieurs centaines de kilomètres, de murs en
béton et de fils barbelés entre le répit – à défaut de salut – économique d’un
pays surdéveloppé et vampirique et la misère d’une Amérique Latine toujours
aussi chaotique et trop difficile à survivre. Cette fois-ci nous nous
retrouvons donc du côté de Del Rio, petite ville située à peu près à mi-parcours
de la frontière, un endroit d’apparence paisible et une vraie carte postale
pour touristes.
Je m’arrêterai là pour ce qui est des aspects les plus agréables et les plus acceptables
de cette chronique. Qu’est ce que j’avais écrit déjà à
propos de Matamoros ? Que USA / Mexico allait toujours plus loin
dans l’essorage à sensations au point d’engendrer la musique la plus vomitive
qui soit de toutes ces dernières années ? Et bien j’avais tort. Bien que
sur le moment je ne pouvais pas le savoir, tout simplement parce qu’alors
c’était vrai. Toujours sous le haut commandement d’un Craig Clouse plus génialement
psycho que jamais et toujours avec Nate Cross de When Dinosaurs Ruled The Earth
à la basse et de King Coffey des légendaires Butthole Surfers à la
batterie, le trio s’est pour cette fois
enrichi d’un invité (désormais permanent ?) pour l’enregistrement de son
troisième album. Un certain Colby Brinkman tient le micro sur Del Rio et il suffit d’écouter les premières démos de son propre
groupe Taverner pour comprendre à quel genre de bonhomme on a affaire. Sauf que
là aussi on sera en dessous de la vérité.
Qu’est ce qu’il y a de pire lorsqu’on fait un cauchemar ? La sensation
emprisonnante et empoisonnante d’absurdité totale ou celle, angoissante, de la
violence subie et de l’horreur qu'il nous en reste au moment du réveil ? Del Rio est un vrai cauchemar. Et on
a surtout l’impression que tout réveil est, précisément, impossible. En ouverture
du disque, les quatre minutes de Chorizo
ne sont donc qu’un leurre. On y entend une musique plus déformée que jamais,
vortex bruitiste mais encore à peu près reconnaissable bien que l’on puisse
avoir du mal à croire que les bandes (ou les cartes mémoires d’une machine) utilisées
n’ont pas été trafiquées ni plongées dans un bain d’acide pour en altérer
irrémédiablement l’empreinte électrique. Le principal mérite, si je puis dire,
de Chorizo est donc de nous donner un
aperçu de la nature sonore complètement déviante de Del Rio. Voilà, maintenant tu es prévenu, semblent nous dire les
quatre USA / Mexico. Et on aurait
sûrement à ce moment là préféré déchiffrer sur le visage de cette hydre musicale
un rictus certes effroyable mais néanmoins identifiable.
Soft Taco et Del Rio (respectivement d’une durée de 13 et de 16 minutes) sont
les deux gros morceaux de l’album. Deux longs moments éternisés et où plus rien
n’existe. Que reconnaitre, quoi comprendre et quoi ressentir face à un tel
magma sonore putrescent ? Oh, bien sûr, pour satisfaire les cartographes
et les infectiologues on pourrait sortir des formules descriptives telles que
« ultra doom bruitiste en phase de décomposition terminale » ou
« acharnement psycho-cinétique au dessus d’un gouffre abyssal », des
mots qui ne pourront pas signifier plus de choses que la satisfaction de
celui ou de celle qui les aura trouvés et prononcés. Mais USA / Mexico s’en fout complètement de notre satisfaction. Cela me
fait penser à ce passage d’un bouquin où le narrateur à la fois
complètement horrifié, dégouté, hypnotisé et attiré par le « monstre »
auquel il est confronté n’a pas d’autre solution que celle de recourir à l’indicible, acceptant en même
temps son impuissance à raconter ce qu’il est en train de vivre et surtout le
vide terrifiant de tout ce qui n'admet pas de mots, par delà l’idée d’exister et l’idée
de mort… Et effectivement, plus nihiliste et plus jusqu’au-boutiste que Del Rio, tu meurs.
[Del Rio est publié en vinyle couleur
vomi de tapas avariées par Riot Season
– gloire éternelle à son boss Andy Smith, l’homme grâce à qui nous pouvons
écouter ce disque tant qu’il en est encore temps]
mercredi 26 août 2020
[chronique express] Orchestra Of Constant Distress / Live At Roadburn 2019
vendredi 21 août 2020
Shit And Shine / Goat Yelling Like A Man
Je vais finir par croire que Craig Clouse a vraiment le feu au cul. Parce que depuis le formidable, génial et indispensable – je pèse mes mots – Doing Drugs, Selling Drugs publié le 22 novembre 2019, SHIT AND SHINE aura balancé pas moins de quatre albums supplémentaires, dont un double LP*. Et je n’ai même pas eu le temps de parler ici du terrible Scenic Farm chez Rock Is Hell (le double album, c’est lui) que débarque ce Goat Yelling Like A Man. Encore un disque improbable via Riot Season et qui vérifie ma grande théorie devant l’éternel et le maudit : un enregistrement de Shit And Shine publié par Riot Season ne peut pas être un mauvais enregistrement.
« Une
chèvre qui hurle comme un homme ». Curieuse mais judicieuse inversion des
clichés autour de la possession démoniaque : ce n’est plus la bête qui
habite l’homme mais bien l’homme qui habite à bête. Et Craig Clouse lui de nous
hurler son amour immodéré pour les musiques lentes et lourdes en les
pervertissant de l’intérieur. Car c’est bien
de cela dont il s’agit avec Goat
Yelling Like A Man, disque de collages/démontages et de pipo-bimbo autour du
doom. Y compris le doom canal historique puisque les ronds centraux du vinyle
reprennent des photos de… Black Sabbath. Mais le Black Sabbath période Ronnie
James Dio, ce qui constitue une provocation avérée de plus à l’intention des
puristes et des sectaires d’Ozzy Osbourne. Pour le reste, l’imagination
suffira, complètement galvanisée et électrisée par un disque qui évidemment n’a
rien de métallique et n’a rien de doom mais qui une fois de plus sème le bordel
et la déraison (le terrifiant Welcome
qui en quelque sorte donne le ton de tout l’album, immédiatement suivi du
morceau titre et de ses cris de chèvre se confondant avec des hurlements
humains ainsi que l’éprouvant Light Blue
Envelope qui sonne somme du rock indus sous acide).
Les
recettes sont ici très simples et d’apparence assez peu variées mais
attention : cela ne signifie pas que les cinq compositions de Goat Yelling Like A Man se ressemblent
toutes, non pas vraiment. En (très) gros il s’agit d’empilements de guitares
bien lourdingues, très graves et dégueulant du riff terroriste sur fond de
rythmiques tout aussi lourdes, le tout ponctué d’effets sonores, de
manipulations de bandes**, de samples plus ou moins décalés et même de voix
trafiquées. Et en fait tout sur Goat
Yelling Like A Man est trafiqué mais – et c’est là que réside le génie
de Craig Clouse et de Shit And Shine – cela s’entend sans s’entendre.
Ou, pour le dire autrement, les sons et les idées assemblées par
le groupe forment un tout cohérent et évident, volontairement irritant, parfois
violent, souvent répétitif, hypnotique et captivant voire psychotrope, décidemment
artificiel et construit mais pour un résultat qui sonne toujours juste. La
bidouille presque parfaite, pour ainsi dire, comme sur la composition finale Thank Goddness qui allie manipulations
et instruments réels – un tube lent, lourd et poisseux, sorte de régurgitation
électronique et mix métallisé/EBM de Corrupted, cradingue et accompagné de vociférations
nocturnes. Plus j’écoute ce titre et plus je le trouve… beau.
[Goat Yelling Like A Man est publié en vinyle blanc par Riot Season]
* le
dernier de la liste vient d’être annoncé par Rocket recording, il s’intitule Malibu Liquor Store et il paraitra le 9
octobre prochain
** j’écris
manipulation de bandes parce que c’est de mon âge, en réalité je sais
pertinemment que toutes ces manipulations sonores ont été perpétrées au laptop
lundi 9 décembre 2019
Shit And Shine / Doing Drugs, Selling Drugs
Le tout est passé à la moulinette et au filtre d’une batterie de samplers maléfiques montés en réseau qui déforment, concassent et fracassent à peu près tout ce qui leur tombe entre les plug-ins. Il ne fait aucun doute que c’est de la guitare que l’on entend tout au long de l’album, il ne fait aucun doute non plus qu’il y a des voix quasiment inintelligibles qui surgissent dont ne sait où pour hurler des insanités… on peut parfois avoir un peu plus de doute sur la présence ou non d’une batterie (pourtant lorsque on écoute le début de Cooking Steaks In The Pocket on n’en a aucun) mais après c’est le grand trou noir, le monde à l’envers, l’antimatière comme seule limite puis un long processus de broyage neuronal, une suite de déjections soniques et bruitiste. Parfois le côté instrumental – traduction : avec des instruments pour de vrai et non pas synonymes de matière fissible pour névroses musicales de grande ampleur – prend un peu le dessus comme sur Kentucky Cellphone en collaboration avec Tropical Trash mais globalement Doing Drugs, Selling Drugs possède la forme d’un grand n’importe quoi gyroscopique et centrifugé des plus convaincants – non, ceci n’est absolument pas un paradoxe.
Shit And Shine est un groupe de tarés et Doing Drugs, Selling Drugs est un disque salement dégénéré, peut-être encore plus que le Matamoros de USA/Mexico qui plaçait déjà la barre très haut mais il s’agit surtout d’un disque complètement indispensable : sa démence, sa crasse et – surtout – sa liberté nous lave un peu de toute la merde de ce monde hypocrite et stérile.
mercredi 31 juillet 2019
Electric Moon / Terminal Cheesecake - In Search Of Highs Vol 3
vendredi 19 juillet 2019
Krause / The Ecstasy of Infinite Sterility
lundi 22 avril 2019
Orchestra Of Constant Distress / Cognitive Dissonance
La deuxième face de Cognitive Dissonance confirme malgré tout qu’Orchestra Of Constant Distress a définitivement affiné son propos. Hope serait presque groovy (au moins pour les gens qui ne savent pas danser ou alors uniquement après avoir pris de la drogue), Guilt Hopelessness donne envie d’entendre un peu de chant merdique (genre des mots dégueulasses hurlés sur un mode détaché) et Guilt qui arrive en clôture du disque possède tout du hit single pour un disque qui ressemble malgré tout à un champ de ruines. Le pire étant que les zigouigouis bruitistes font plus mal que jamais tout en devenant indispensables – l’addiction au désespoir ? Voilà. Je n’ai rien de plus à dire sur Cognitive Dissonance si ce n’est que son titre prête à sourire – « Dissonance cognitive »… non mais franchement… – mais venant d’un groupe dont le nom ressemble plus à celui d’une formation de post rock romantico-théâtral option mèche dans les cheveux qu’à celui d’une bande de terroristes adeptes du (saint) supplice par le feu, je ne m’étonnerai de rien. Et je me réjouis de la capacité d’Orchestra Of Constant Distress à élargir son propos sans renoncer à quoi que ce soit de sa perversité. Peut-être devrais-je parler de distillation et de filtrage car avec ce groupe chaque détail compte, du moindre roulement de tom à chaque grésillement électronique en passant par les grincements de guitare et la mise en place est d’autant plus bluffante qu’elle est transparente – on ne la détecte pas. Une musique aussi cérébrale et aussi jusqu’au-boutiste que celle-ci est une véritable rareté. Et un vrai plaisir. Primal et ensorcelant.
vendredi 5 avril 2019
USA/Mexico – Matamoros

Matamoros ferait presque passer Laredo pour une série d’explosions de pétards pour la fête des morts : lorsque un groupe fait à peu près la même chose que précédemment mais en tellement mieux parce qu’il a enclenché la vitesse supérieure de la grande essoreuse malaisante, mêlant vertiges et nausées, fracassant tous nos repères essentiels (la platine tourne-t-elle à la bonne vitesse ? le vinyle est-il rayé ? mon sonotone s’est-il subitement déréglé ? qu’est ce que je fais enfermé dans mon four à micro-ondes en compagnie d’une barquette de hachis parmentier surgelé ?), sublimant un cauchemar de bruits en rêve insupportable et laissant le délire total supplanter toute forme de raison, il n’y a plus d’autres issues possibles que la capitulation, une longue chute en avant dans les abysses délicieusement tortueux d’un Enfer surchauffé par la fin imminente du monde extérieur, les os cramés aux défoliants, le sang se durcissant comme de la pierre empoisonnée.
Sur Matamoros il y a également deux musiciens invités et pas n’importe lesquels. Kevin Whitley de Cherubs (Austin, Texas…) apparait sur le deuxième titre du disque : Shoofly est précisément une reprise de Cherubs mais j’ai beau la réécouter je ne reconnais rien de la version originale**** tant tout y est déformé, ralenti et complètement détraqué. Quant à George Dishner de Spray Paint (encore un groupe d’Austin…) il rajoute de la guitare spectro-bruitiste sur Anxious Whitey soit dix sept minutes de chaos répétitif et de bouillie de sensations, de désordre mental. Une composition qui occupe quasiment toute la seconde face de Matamoros – qu’elle partage avec Vaporwave Headache, le titre le plus rapide mais aussi le plus évident du disque – et qui cristallise tout l’art démolisseur et subversif de USA / Mexico. Rarement j’aurais écouté un groupe aussi anticonformiste et complètement ravagé que ce trio qui avec son deuxième album se moque des vivants sursitaires, sains d’esprits, donneurs de leçons et conformistes. Qui se moque des démagogues privilégiés qui tapent toujours sur les mêmes en espérant qu’il y ait le moins de mécontents possible mais sans se rendre compte qu’un jour il ne restera plus personne, sauf eux. Au moins USA / Mexico tape sur tout le monde. Les murs s’écroulent, les certitudes également.
** pendant que j’y suis : Shit And Shine… mais la discographie du groupe est tellement étalée et diversifiée qu’il convient de ne pas s’arrêter à l’écoute d’un seul album
**** que l’on trouve sur l’album Icing
mercredi 9 mai 2018
Henry Blacker / The Making Of Junior Bonner
Et si on veut aller un peu plus loin il suffit de regarder l’artwork du disque, signé Roo Farthing, puis de considérer le titre de cet album. Sur la droite, habillé en cow-boy, il s’agit de Steve Mc Queen. Junior Bonner est le titre d’un film dans lequel l’acteur a joué, un film tourné par Sam Peckinpah et sorti en 1972. Tout le monde connait Sam Peckinpah ou tout du moins tout le monde connait quelques uns de ses films : La Horde Sauvage ou Pat Garrett et Billy The Kid par exemple. Mais Junior Bonner est une œuvre davantage crépusculaire et mélancolique, témoin d’un monde disparaissant au profit d’une modernité factice basée sur l’argent et l’enrichissement sans conditions. Steve Mc Queen y incarne JR, un cow-boy itinérant qui gagne sa vie en faisant des rodéos ; sa « bête noire » est un taureau particulièrement indocile ironiquement nommé Sunshine tandis que le frère de JR est un entrepreneur immobilier peu scrupuleux. La fin du film est prévisible – l’« honneur » et le respect des « valeurs » en font logiquement partie. Tout comme The Making Of Junior Bonner est un disque d’un classicisme rock absolu brillant d’un éclat presque diaphane derrière les salves collantes d’une musique équilibrée entre envie d’en découdre et résignation mélancolique.