Dans la vie j’ai vraiment du temps à
perdre et je ne donne pas ma langue au chat : de toutes les saloperies
musicales nées aux États-Unis ces – disons – trente-cinq dernières années,
quelle est celle que je déteste le plus ? Le hair metal ? Le punk
mélo et/ou à roulettes ? La fusion ? Le stoner ? Je n’ai que
l’embarras du choix. Mais je ne peux pas m’empêcher de constater que beaucoup
des groupes importants (ha ha) qui ont participé à toutes ces horripustulences
honnies par mon petit cœur pur et tendre se ramifient autour de ce sud-ouest
américain ensoleillé et californien. Il est hors de question que je mette des
lunettes de soleil et applique de la crème solaire sur mon beau corps
athlétique et musculeux pour oser écouter de telles pignoleries : être snob
ou ne pas être. Je suis donc snob avec, je le concède, un penchant certain pour
l’arty et le conceptuel. Et le sensible.
Alors lorsque je tombe sur un groupe qui
a priori devrait me faire ni chaud ni
froid je ne devrais qu’en déduire que les contradictions sont le moteur de la
mauvaise foi comme de la sagesse. Mais il n’y a pas de hasard non plus. Henry Blacker
est un groupe tout ce qu’il y a de plus anglais. Ce qui est déjà un bon point
pour une formation qui – très étonnamment – joue une musique que l’on pourrait
qualifier de stoner. Comme une anomalie génétique ne pouvant qu’éveiller ma
curiosité. Tout comme ma curiosité avait elle été éveillée par le fait qu’Henry
Blacker est composé de membres passés ou présents de Hey Colossus, l’un de mes
groupes anglais préférés, à commencer par le guitariste (et ici chanteur) Tim
Farthing et le bassiste Joe Thompson. Ils sont accompagnés sur l’album The Making Of Junior Bonner par le
batteur Roo Farthing qui a au passage joué de la guitare et du piano sur The Guillotine, dernier album en date de
Hey Colossus. On reste en famille.
Tout va donc pour le mieux. Je me
retrouve avec ce troisième album de Henry Blacker et je suis sous le charme de
cette musique pas trop graisseuse, en tous les cas dont le peu de gras me met
en appétit. Des structures plutôt simples et des mélodies mémorisables (donc
des compositions qui accrochent d’emblée), une production claire et lisible
(indice essentiel : la présence de vraies grosses lignes de basse), un
chant relativement désincarné et monotone voire lavasse ce qu’il faut, un air
de déjà entendu qui s’estompe très rapidement face à l’étrangeté du truc, comme
une ganse de mélancolie circonstanciant un album aux ruades maîtrisées. Tant de
subtilité ne pouvait décidément pas être le fait d’un groupe actuel de
rednecks budwiserisés et barbus. Et l’hommage – si tant est que cela en soit un
– n’en est que plus fort et que plus intrigant. Je ne me lasserai jamais de ces
incessants allers-et-retours musicaux entre Albion et ses anciennes colonies,
ces liens qui ont fait que la première s’est – à tous les niveaux – nourrie des
secondes. La pop et le rock anglais ne seraient rien sans les États-Unis (et
inversement) et ce depuis des décennies maintenant, l’un et l’autre représentant
mutuellement une sorte d’eldorado fantasmé et sublimé (je change de sujet le
temps d’une courte parenthèse : Ray Davies parle très bien de ces
relations dans son livre Americana).
Et si on veut aller un peu plus loin il suffit de regarder l’artwork du disque, signé Roo Farthing, puis de considérer le titre de cet album. Sur la droite, habillé en cow-boy, il s’agit de Steve Mc Queen. Junior Bonner est le titre d’un film dans lequel l’acteur a joué, un film tourné par Sam Peckinpah et sorti en 1972. Tout le monde connait Sam Peckinpah ou tout du moins tout le monde connait quelques uns de ses films : La Horde Sauvage ou Pat Garrett et Billy The Kid par exemple. Mais Junior Bonner est une œuvre davantage crépusculaire et mélancolique, témoin d’un monde disparaissant au profit d’une modernité factice basée sur l’argent et l’enrichissement sans conditions. Steve Mc Queen y incarne JR, un cow-boy itinérant qui gagne sa vie en faisant des rodéos ; sa « bête noire » est un taureau particulièrement indocile ironiquement nommé Sunshine tandis que le frère de JR est un entrepreneur immobilier peu scrupuleux. La fin du film est prévisible – l’« honneur » et le respect des « valeurs » en font logiquement partie. Tout comme The Making Of Junior Bonner est un disque d’un classicisme rock absolu brillant d’un éclat presque diaphane derrière les salves collantes d’une musique équilibrée entre envie d’en découdre et résignation mélancolique.
Et si on veut aller un peu plus loin il suffit de regarder l’artwork du disque, signé Roo Farthing, puis de considérer le titre de cet album. Sur la droite, habillé en cow-boy, il s’agit de Steve Mc Queen. Junior Bonner est le titre d’un film dans lequel l’acteur a joué, un film tourné par Sam Peckinpah et sorti en 1972. Tout le monde connait Sam Peckinpah ou tout du moins tout le monde connait quelques uns de ses films : La Horde Sauvage ou Pat Garrett et Billy The Kid par exemple. Mais Junior Bonner est une œuvre davantage crépusculaire et mélancolique, témoin d’un monde disparaissant au profit d’une modernité factice basée sur l’argent et l’enrichissement sans conditions. Steve Mc Queen y incarne JR, un cow-boy itinérant qui gagne sa vie en faisant des rodéos ; sa « bête noire » est un taureau particulièrement indocile ironiquement nommé Sunshine tandis que le frère de JR est un entrepreneur immobilier peu scrupuleux. La fin du film est prévisible – l’« honneur » et le respect des « valeurs » en font logiquement partie. Tout comme The Making Of Junior Bonner est un disque d’un classicisme rock absolu brillant d’un éclat presque diaphane derrière les salves collantes d’une musique équilibrée entre envie d’en découdre et résignation mélancolique.