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lundi 4 avril 2022

Comme à la radio : Why Patterns (et le label Human Worth)






L’Angleterre, encore et toujours. Au risque de me répéter, ce petit pays d’emmerdeurs invétérés est un immense pourvoyeur de groupes de noise-rock (ou affiliés machin-truc) et on n’en dira pas autant de notre belle Macronie qui pue, quoi que les choses aient tendance à s’améliorer nettement ces derniers temps. Ces propos totalement réactionnaires, conservateurs et anti (f)Rance n’engagent bien évidemment que moi mais on ne m’enlèvera pas de la tête qu’il y a forcément un lien entre esprit anticonformiste et inventivité musicale. Messieurs les Anglais, vous pouvez continuer à tirer les premiers.

C’est donc une nouvelle fois le label Human Worth qui décroche la timbale avec WHY PATTERNS, un trio voix/basse/batterie originaire de Londres et dont le premier album Regurgitorium vient de paraitre en cassette, le format idéal des amateurs de musique trop pauvres pour acheter des disques vinyles à 30€, taxes, droits de douanes et frais de port non compris. Et attention les oreilles car cet enregistrement est, malgré quelques longueurs et/ou facilités, un pur délice de grand n’importe quoi.






Mettons tout de suite les choses au clair : ce nom de Why Patterns n’est pas du tout une référence à la musique étirée de Morton Feldmann. On serait plutôt du côté d’une idiotie virulente, parfaitement revendiquée et assumée, l’album ne s’appelle pas Regurgitorium non plus pour rien. Si on devait pousser les comparaisons un peu plus loin, on pourrait même affirmer que le joyeux vomi sonore du groupe ne répond à aucun impératif autre que celui de l’évacuation purificatrice, la musique est jubilatoire, bordélique, bruyante, drôle et constitue un parfait défouloir, idéal pour lutter contre cette morosité ambiante qui nous gagne si facilement en ce moment. Ou comment tordre le cou à la réalité pour mieux se moquer d’elle.

Sur les internets on peut lire les noms de Primus, Lightning Bolt, Swans et Mudwayne comme portes d’entrée à la musique du groupe. Peut-être s’agit-il encore d’une de ces plaisanteries (Mudwayne ? non mais sans blague…) dont ces trois garçons semblent friands, après tout ils manient parfaitement l’absurde, n’ont pas peur par exemple de faire des chansons sans paroles véritables mais idéales pour chanter sous la douche et – ne serait-ce point également une autre de ces spécificités britanniques ? – ils manient surtout la débilité avec tellement de sérieux que ce sérieux-là devient lui-même source de débilité (le comble du non-sens, finalement). Why Patterns me fait aussi parfois penser à feu Castrovalva, autre trio voix/basse/batterie dont il est une sorte de cousin éloigné et avec lequel il partage un sens exquis de la déconnade corrosive.

PS : Comme toujours avec Human Worth, une partie de l’argent récolté avec les ventes de Regurgitorium est reversé à une œuvre caritative. Et je ne peux pas m’empêcher non plus de mentionner qu’il y a quelques mois ce même label avait réédité Output Negative Space, l’immense et incontournable deuxième album des Américains d’Enablers, dans une version absolument splendide et avec un hommage très poignant à Joe Byrnes, batteur du groupe malheureusement disparu en 2012. C’est encore le début du mois, tu n’as pas tout dépensé de ton RSA ou de ton salaire de zombi survivaliste alors fais-toi plaisir et fais une bonne action en même temps… non ?

 

dimanche 4 avril 2021

Comme à la radio : Gaffa Bandana

 




Des fois je devrais vraiment me méfier un peu plus de mes aprioris à la con, ouvrir plus attentivement les yeux et mes oreilles réfractaires. Lorsque j’ai vu passer le nom de GAFFA BANDANA je me suis simplement contenté de glousser comme une dinde de Pâques (c’est la saison, alors pourquoi pas) à cause de ce nom de groupe qui ne me disait vraiment rien qui vaille. Bien évidemment j’ai une fois de plus eu tort. Et malheureusement ce n’est pas la première fois que cela m’arrive… Mais jugez plutôt par vous-mêmes :

 


 




Gaffa Bandana
c’est donc un duo composé de la chanteuse / guitariste Gill Dread et de la batteuse Jennie Howel (également responsable de l’artwork ci-dessus). On connait très bien et on apprécie énormément la première parce qu’elle est le moteur principal de la machine à riffs qui tuent Bruxa Maria, un groupe dont le deuxième album The Maddening a longtemps hanté les platines de la rédaction d’Instant Bullshit et retourne y prendre place encore de temps en temps, lorsque j’ai besoin d’une bonne dose d’électricité ravageuse. Par contre je n’aurai rien à dire au sujet de Jennie Howel – désolé – mais il est évident que Gaffa Bandana constitue désormais pour elle la meilleure des cartes de visites.

 

Publié uniquement en cassette par Human Worth, Fraught in Waves c’est surtout du lent, du lourd et du hachis à tous les étages. On reconnait aisément la faculté de Gill Dread à bien tout remplir l’espace disponible avec son chant de goule en furie et sa guitare supersonique. Pourtant avec Gaffa Bandana l’heure est au minimalisme : pas d’empilements de guitares et pas d’effets pyrotechniques mais uniquement une rage incroyable et une ténacité à toute épreuve. Et des riffs, des riffs, des riffs… Fraught in Waves ne comporte que six titres mais dure quand même une grosse demi-heure, ce qui est largement suffisant pour s’en prendre plein la tête : le metal noise (quoi d’autre ?) du duo est tellement bon et viscéral que l’on est prêt à immédiatement en redemander. C’est le seul avantage que je trouverai à une édition cassette : au moins on peut l’écouter en boucle sans avoir à lever le petit doigt et en prenant simplement bien soin de bloquer son lecteur en mode auto-reverse…

 

… Mais à ce propos je terminerai par un petit message personnel à l’intention d’Owen Gildersleeve, batteur de Modern Technology et qui préside aux destinées du label Human Worth :

Mon cher Owen, je sais bien que les temps sont compliqués, que l’argent est difficile à trouver, que braquer une banque n’est pas à la portée de tout le monde, que le 1er Ministre britannique est une catastrophe (au moins autant que le Président de la République Française) mais je ne comprends pas pourquoi Fraught in Waves n’a été publié qu’en cassette et avec un tirage très limité. Si jamais il te venait à l’esprit de faire rééditer cet enregistrement en vinyle, parce qu’il le mériterait amplement, sache que je serai preneur. Merci dans ce cas de m’adresser un petit message en retour, je ne manquerai pas d’y répondre
et de me porter acquéreur de cette petite merveille qu’est Fraught in Waves. Bisous.



lundi 29 mars 2021

72 % - Modern Technology / Drowning In A Sea Of Bastards b/w Lorn


La bonne surprise du moment. Evidemment on peut écouter et se procurer ce très (très) beau 7’ uniquement sur la foi de la participation de Modern Technology mais comme pour tout split qui se respecte la découverte est également au rendez-vous. Et la découverte dont il est ici question s’appelle 72% – cela se prononce Seventy-Two Percent – soit un trio originaire de Northampton. Putain d’anglais aurais-je envie de dire mais la vulgarité ce n’est pas du tout mon genre, hein.






72% c’est deux guitaristes – Joshua Ryan et Joe Brown – et un batteur – Joel Harries – qui pratiquent un noise-rock évolutif, essentiellement instrumental, bien foutu, parcimonieusement mâtiné de cailloux progressifs et collant comme il faut malgré l’extrême rareté du chant. Mais parfois le groupe se laisse aller à un peu de beuglante, ce qui est le cas sur Drowning In A Sea Of Bastards dont le titre facilement traduisible a déjà l’immense avantage de nous faire part immédiatement de toute la colère et de tout le dégout de 72%. Et comme cela ne devait pas suffire quelques salves postillonnées sont également au rendez-vous. C’est donc à la version frénétique, bruyante et chantée hurlée du groupe à laquelle nous avons droit et Drowning In A Sea Of Bastards justifie à lui tout seul que l’on s’intéresse à ce disque. On peut également jeter son dévolu sur How Is This Going To Make It Any Better ? mis en boite en 2019 par Wayne Adams (encore et toujours), un enregistrement de 72% plus nuancé et plus délié, permettant d’écouter des compositions architecturées mais toujours courtes – ce qui est un gage d’absence d’ennui – et dont il faudra attendre la dernière pour trouver du chant…







On retourne le disque et là on tombe nez à nez avec Lorn, un titre de six minutes de MODERN TECHNOLOGY. Dans la foulée et dans la continuité de l’album Service Provider cette composition inédite du duo est terriblement sombre et incroyablement oppressante. Un titre qui allie lourdeur visqueuse, gravité, martèlements à froid et chant funeste. Mais toujours avec cette optique engagée et humaniste propre à Chris Clarke (basse et voix) et Owen Gildersleeve (batterie). Je suis à chaque fois stupéfait de constater que malgré son line-up allégé – deux personnes et c’est tout – Modern Technology génère une musique aussi dense, aussi massive et aussi profonde. Tout y est… Lorn est pour l’instant ce que le duo a enregistré de mieux, y compris dans le sentiment de frustration que l’on ressent à la fin de son écoute : la claque est d’autant plus forte que ces six minutes passent à la vitesse de l’éclair (un comble pour une composition aussi lente) et qu’une fois achevé – non sans nous avoir infligé un final d’une lourdeur particulièrement étouffante mais doté d’un groove infernal et d’une batterie très tribale – Lorn laisse soudain la place à un grand vide. Comme une sensation de vertige persistant, mais sans pouvoir tomber. Vivement le prochain album !


[Drowning In A Sea Of Bastards b/w Lorn est publié en vinyle de couleur gris / fumée et tourne en 33 tours – comme d’habitude avec le label Human Worth les bénéfices tirés des ventes du disque seront reversés à des organisations caritatives]

 

 

 

mercredi 20 janvier 2021

Cower / Boys


Tu dois commencer à bien me connaitre maintenant : dès que j’entends le mot « goth » je sors ma lotion anti-acnéique pour la peau. Parce que rien que ce simple mot me renvoie à ma lointaine adolescence, me donne vraiment envie de m’habiller en noir, de passer mon temps à regarder par terre lorsque je marche dans la rue et de répondre par d’infâmes borborygmes inintelligibles dès qu’un être humain plus ou moins adulte ose m’adresser la parole. Tu me diras, il n’y a pas grand-chose de changé dans mon attitude actuelle. Sauf qu’officiellement je ne suis plus un adolescent depuis longtemps et que mes propres filles qui elles ont l’âge de s’habiller en noir, de grommeler en solitaire dans leur chambre, de raser les murs et de se désespérer du temps qui passe n’en font absolument rien mais par contre me prennent sincèrement pour un sociopathe gentiment inadapté et cyclothymique. « Goth » c’est donc le premier mot que j’ai entendu et lu à propos de la musique de COWER et de Boys, premier album de ce groupe britannique très intrigant. Tout ça avant même d’en avoir entendu la moindre note.
Le bouche à oreille fonctionnant à plein, surtout en ce moment, nul ne pouvait ignorer que Cower est l’association d’une poignée de musiciens déjà fort occupés par ailleurs. A ma gauche : Gareth Thomas, auparavant dans Mayors Of Miyazaki, ex-batteur de Silent Front, membre de USA Nails et désormais dans The Eurosuite*. A ma droite : Wayne Adams, bassiste de Death Pedals et également membre de ShitWife / Big Lad, Petbrick, Deafbrick, etc… et surtout grand wizzard du son avec son studio Bear Bites Horse et œuvrant au passage pour le label Hominid Sounds. Au centre : Thomas Lacey, chanteur et guitariste des excellents Yards. Que de noms prestigieux, n’est-ce pas ? Et beaucoup de formations très appréciées par ici. 

 



Les trois Cower se qualifient eux-mêmes de groupe de Gothic Noise. Une étiquette comme une autre mais qui a le double avantage de me plaire énormément, pour les raisons adolescentes largement évoquées ci-dessus et aussi pour celles, peut-être plus profondes et encore plus irraisonnées, qui me lient à ce foutu noise-rock et dont Instant Bullshit n’est jamais que l’écho complètement subjectif et très répétitif. Cependant, je t’arrête tout de suite, en fait Cower n’est ni vraiment goth et pas vraiment noise. Du gothique et des musiques sépulcrales ancrées dans le début des années 80, le trio a gardé cette propension à torcher et manipuler des atmosphères sombres et glacées. Du noise le groupe possède cette faculté énergétique à envoyer la sauce à tout faire péter quand ça lui prend. Mais il y a de la marge et entre les deux il faut bien dire que la musique de Cower propose un large éventail qui ressemble plutôt à un fourre-tout ne répondant qu’à une seule règle, celle des envies de trois musiciens aguerris.
Boys peut être des plus déconcertants, passant du coq à l’âne avec le très classieux (mais énervé) Enough puis le très romantico-dark Saxophones By The Water, avant d’enchainer avec un Midnight Sauce aux relents post-industriels ou un Fog Walker electro-rock plutôt arty. Mais même tous ces qualificatifs ne me conviennent guère. Toutes les compositions de Boys diffèrent et chacune ne se contente pas non plus d’aborder une seule direction musicale. Si donc on s’attendait avec Cower à un groupe magnifiant uniquement tension et noirceur on ne pourra être que déçu. Mais si on espérait quelque chose de plus contrasté, du plus intimiste (For The Boys) au plus virulent (Proto-Lion Tamer) ce premier album est un met pour les fins gourmets et une pièce de choix pour les esthètes. N’ayez pas peur de vous laisser surprendre ni de vous laisser faire : la surprise n’en sera que meilleure.

Pour finir, et comme pour faire écho au caractère pluridimensionnel de la musique de Cower, Boys existe en plein de versions différentes avec tout un éventail de couleurs (photo et nuancier non contractuels : moi j’ai opté pour une version en noir, évidemment, mais que l'on ne voit pas ici). L’objet est à la fois très beau et très simple, emballé dans une pochette transparente qui laisse apparaitre un vinyle marbré noir et doré. Publié par le label Human Worth, une partie des bénéfices de Boys ont été reversés à une organisation caritative gérant une banque alimentaire pour les plus démunis. 

* groupe dont cette gazette reparlera à l’occasion

 

mercredi 30 décembre 2020

Modern Technology / Service Provider





Même accablé par la stupidité consumériste et l’hypocrisie religieuse des fêtes de fin d’année le comité rédactionnel au grand complet de cette feuille de choux numérique à l’avenir incertain est resté à la recherche du grand frisson en matière de noise-rock (et cette phrase ne veut rien dire). Et une fois de plus l’étincelle salvatrice est apparue du côté du Royaume-Uni pré-Brexit, véritable Eldorado en la matière.
Repérés il y a quelques mois maintenant par les radars* d’Instant Bullshit, les anglais de MODERN TECHNOLOGY ont publié leur premier album Service Provider au mois de septembre 2020 sur leur propre label Human Worth. Et c’est une vraie bombe. Toutefois le duo se distingue de la plupart de ses pairs par une conscience sociale et politique affirmée ainsi que par un activisme militant. Si la musique de Chris Clark (basse et chant) et Owen Gildersleeve (batterie) est si sombre et si dure c’est parce qu’elle décrit un monde profondément inégalitaire, injuste et à la dérive, elle nous parle d’une société ultra-libérale où crise économique et crise sociale se conjuguent malheureusement avec naufrage écologique et désastre environnemental. Une situation qui génère un sentiment d’anxiété croissant contre lequel une prise en main devient plus que jamais nécessaire et vitale : il faut donc agir.
On pourrait sans doute envisager Service Provider uniquement d’un point de vue strictement musical mais connaitre les tenants et les aboutissants de la démarche de Modern Technology donne à mon sens encore plus de portée à la musique du groupe**. Car il y a des cas où vouloir absolument rester aveugle revient aussi à devenir sourd. A toutes celles et tous ceux qui pensent donc qu’écouter un disque colérique ou tapageur pour évacuer toute sa frustration et ses angoisses face au monde actuel serait suffisant, les anglais répondent du tac au tac avec un enregistrement d’une rare noirceur et d’une âpreté dérangeante mais chargé en questionnements et de significations. Qu’on se le dise : il n’y a absolument aucune place pour le cynisme sur Service Provider, aucune place pour un positionnement nombriliste de repli-sur-soi, à la « après moi le déluge ».
Le tableau brossé par Modern Technology est plus que sinistre, il pourrait même être parfaitement déprimant mais c’est bien tout le contraire : la musique du duo est en lutte et, confrontée à la nécessité et fidèle à l’injonction de ne pas se laisser faire, elle utilise les mêmes armes qu’en face. A l’oppression et les difficultés du monde le groupe oppose donc une musique très lourde, très dense et souvent très lente, mélangeant à parts égales le côté viscéralement bruyant d’un noise-rock rebelle avec celui d’un metal post industriel sans complaisance. Service Provider est un disque volontaire qui grésille, qui étreint, qui nous violente même parfois mais qui le fait sans doute pour nous faire réagir. Encore une fois on peut choisir de prendre cette musique simplement au premier degré – un peu comme celle d’un groupe de gore-grind caricatural parlant d’automutilation ou celle d’un groupe de death metal sans cervelle évoquant des scènes de guerre – mais ce serait complètement passer à côté de son essence même, cette volonté acharnée, concernée et engagée qui lui donne tout son caractère et cette saveur peut-être extrêmement grave mais nécessaire, parce qu’il y a encore des choses à faire et des idées qu’il faut défendre.


[Service Provider est publié en vinyle noir et blanc par Human Worth – le groupe et le label s’engagent à reverser une partie des bénéfices tirés des ventes du disque à des organisations dont les causes leur semblent justes et donc à soutenir]


* le premier mini album de Modern Technology a rapidement été chroniqué ici

** on peut se reporter aux paroles de Service Provider, imprimées sur la pochette intérieure du disque et également disponibles sur le b*ndc*mp du groupe