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lundi 31 mai 2021

J'Entre Par Tes Yeux : self titled


J’ai d’abord été plus que tenté par la facilité et surtout tenté de résumer le premier album de J’ENTRE PAR TES YEUX par un catalogue select de références de haut vol. Quelques unes des œuvres poétiques à base de voix chuchotées d’Etant Donnés pour le premier titre éponyme ; certaines productions de Raster-Noton (et pourquoi pas Anbb soit l’association d’Alva Noto et de Blixa Bargeld d’Einsturzende Neubauten) pour Anyone Realize ; ce même Bargeld ou Diamanda Galas pour le traitement des voix et les techniques de chant sur Le Corps De Ton Corps. Coil pour le magnifique De Las Lilas. Etc… Attention : je ne cite pas tous ces noms au hasard. Pour moi, s’il s’avère que ces musicien.ne.s et ces artistes ont effectivement inspiré la musique de J’Entre Par Tes Yeux – mais ça je n’en sais finalement rien du tout –, ces noms constituent surtout des musiques et des esthétiques de première importance, des choses que j’ai toujours beaucoup écoutées. Et je crois que j’aimerais vraiment découvrir davantage de groupes et d’enregistrements influencés par de telles musiques. En 2021. Car cela me manque. Autrement dit : l’album de J’Entre Par Tes Yeux arrive vraiment au bon moment.








Mais je ne veux pas non plus être trop simplificateur. Et je ne le peux pas. Dans les faits J’Entre Par Tes Yeux est un duo composé d’Alice Dourlen (aka Chicaloyoh – on a parlé d’elle et de son disque L’Inventaire Des Disparitions il n’y a pas si longtemps que cela) et Julien Louvet (The Austrasian Goat et tant d’autres choses, de lui aussi on a souvent parlé). J’aurais eu du mal à imaginer que l’association de ces deux là ne donne rien de bon. Ou alors débouche sur un truc fadasse, grisâtre, inodore et sans danger. Mais je ne m’attendais pas non plus à un disque aussi réussi et, finalement aussi… personnel. Oui : personnel, malgré l’étalage de références citées ci-dessus.
A y regarder de plus près J’Entre Par Tes yeux est traversé par deux courants / axes principaux. Deux composantes qui s’opposent et se nourrissent l’une de l’autre. La première, musicale, est majoritairement électronique et la plupart du temps très expérimentale, carrément technoïde dans le cas de Tendresse Soviétique (à quand un maxi de remix ?) ou dark indus-ambient dans celui de Chante Blessure Ferme Toi Bouche ; la seconde n’est pas musicale mais thématique et ce thème c’est celui du corps, ou plutôt des corps : le poème d’Octavio Paz qui sert de trame au premier titre du disque, Le Corps De Ton Corps ou Chante Blessure Ferme Toi Bouche (bien qu’il s’agisse d’un instrumental, d’une beauté inquiétante). Sur Tendresse Soviétique (dont on nous dit qu’il est inspiré de Klaus Legal) ) Alice y chante plus que jamais les corps, la confrontation, l’incantation charnelle mais également l’ironie, non sans facétie.

En résumé on a d’un côté une musique très froide, très dure, parfois très mécanique, inflexible, territoriale, totalitaire mais aussi bruyante, bizarre et dérangeante. De l’autre il y a donc la chair, la friction des corps, les blessures, l’effusion, la jouissance trouble, quelque chose de fondamentalement organique et de physique. De perturbant. La musique dans tout ce qu’elle peut avoir de déshumanisé fait face aux voix – celle d’Alice comme celle de Julien –, seuls repaires vivants d’un disque qui nous malmène constamment. Position inconfortable mais privilégiée de celui ou celle qui écoute et qui en redemande. Attraction et fascination. Dépendance. Peur et douleur. Plaisir. En guise de conclusion glacée Chante Blessure Ferme Toi Bouche nous laisse aussi inassouvis que provisoirement tranquilles. Epuisés et en manque. Comme si la dislocation de nos propres chairs nous avait enfin permis de mieux regarder en nous-mêmes. 


[J’Entre Par Tes Yeux est publié en vinyle par Specific recordings]

 

 

mercredi 10 mars 2021

Chicaloyoh / L'Inventaire Des Disparitions


 

Aimer un disque est une chose. Trouver les mots justes – ou les mots dont on pense qu’ils sonneront juste – pour décrire son ressenti et peut-être réussir à expliquer pourquoi en est une autre. Si tant est qu’une telle tentative soit réellement envisageable ou même acceptable. Avec L’inventaire Des Disparitions c’est presque mission impossible. Enregistré au cours de l’année 2019, disponible sur les internets dès le mois de novembre de cette même année pour finalement bénéficier d’une parution en vinyle tardive et surtout bien trop confidentielle à mon goût en novembre 2020 (mais ce sont les règles injustes de la pandémie et de la crise sanitaire actuelles), L’inventaire Des Disparitions est un album envoûtant.
Une fois de plus serais-je tenté de dire mais ce serait inapproprié. Car avec CHICALOYOH on ne sait jamais à quoi s’attendre vraiment. Alice Dourlen ne fait jamais deux fois le même disque. Elle surprend toujours et sans doute est-ce là l’un des buts qu’elle recherche avec sa musique, ses enregistrements, ses textes, ses peintures, bref avec son Art : nous surprendre et se surprendre elle-même, constamment. Merde à l’ennui mais pas à n’importe quel prix et surtout pas n’importe comment. Et surtout pas en renonçant à quoi que ce soit d’elle. S’il y a de la provocation et du défi dans les disques de Chicaloyoh et en particulier dans L'Inventaire Des Disparitions c’est principalement du au caractère effronté et à l’audace d’une artiste qui n’en fait donc qu’à sa tête.






L’inventaire Des Disparitions n’est sûrement pas un disque facile. Je trouve la musique de Chicaloyoh toujours aussi belle, toujours aussi poétique et de plus en plus mystérieuse – mystérieuse puisque, encore une fois, elle ne se laisse pas faire – mais sur ce nouvel album je la trouve également plus dure et plus sombre. À fleur de peau malgré la lumière. Toujours en évolution et en plein élan, oscillant entre ce bleu enflammé et ce rouge pénétrant. As-tu remarqué toute l’importance de ces deux couleurs dominantes sur la pochette du disque ? Alors que celle de Jaune Colère n’était qu’unité éclatante et solaire (lorsque je relis la chronique qui lui est consacrée, je ne peux que constater que, présentement, je réutilise toujours les mêmes arguments et toujours les mêmes mots au sujet des disques de Chicaloyoh… ainsi cette nouvelle tentative pourra te sembler bien répétitive et incomplète !).
L’inventaire Des Disparitions est également le disque le plus varié d’Alice. Les compositions sont souvent très courtes, condensant même parfois en deçà des deux minutes toute une architecture très personnelle. La musique de Chicaloyoh donne plus que jamais cette impression perpétuelle de mouvement(s) et de recherche, pourtant ce que l’on écoute ressemble bel et bien à un accomplissement. Ne serait-ce pas là la description la plus proche que l’on puisse trouver d’une musique aussi expérimentale – car celle de Chicaloyoh l’est assurément –, une musique entre poésie chantée, instrumentations lunaires, bruissements industriels, grincements colorés et collages sonores ? L’inventaire Des Disparitions cultive un sens inné de l’exploration mais aussi celui de l’affirmation. Si on peut être ici bousculé ou même décontenancé on est également complètement sous le charme d’une telle magie.

Ce ne sont là que des mots écrits malgré tout, des mots qui sonnent banalement et anodinement : L’inventaire Des Disparitions vole largement au dessus. Et ce n’est jamais pour rien.



[L’inventaire Des Disparitions est publié en vinyle par Màgia Roja – nb : le disque comporte deux titres en plus par rapport au b*ndc*mp] 

 

 

lundi 14 janvier 2019

Chicaloyoh / Jaune Colère


J’ai vu plusieurs fois CHICALOYOH en concert et chacun de ces concerts là était comme un renouvellement, une nouvelle entrée. Et pourtant c’était toujours elle, Alice, insaisissable et fragmentaire, vive et entière, différente et indisciplinée, toute en non-appartenance et toujours à chercher, errer, déambuler, trouver. Et recommencer. Il en va de même pour ses disques. Pour tenter de bavarder un peu à leur sujet – en particulier au sujet du tout dernier d’entre eux, Jaune Colère – et surtout pour tenter de bavarder sur le fait de les écouter je ne veux pas, trop simplement, parler d’expérience ou d’expérimentation mais plutôt de tentatives parce que je crois sincèrement que je (ou quiconque écoutant un disque de Chicaloyoh) ne peux que tenter de prendre comme ils viennent ces chemins esquissés, débroussaillés ou au contraire en voie d’effacement et des fois même complètement inconnus.
Il en est ainsi des chemins qui mènent où personne ne sait, sauf une fois que l’on est arrivé, si tant est que l’on puisse arriver. Ce n’est pas comme d’aller à la gare pour prendre le train, d’acheter un aller simple pour le prochain omnibus et de s’arrêter à la station de son choix, celle juste à côté de la boulangerie qui vend des viennoiseries si délicieuses – non, ce serait bien trop facile ; et tellement ennuyeux bien que contentant, uniquement sur l’instant. Mais suivre le mouvement sera t-il suffisant ? Avec Jaune Colère le(s) mouvement(s) c’est elle – le plus possiblement et seulement elle. Limportant c’est le principe même de ces mouvements, leur nécessité et après on verra bien... je ne peux qu’être sûr que de tels chemins – et de tels mouvements, donc – n’entreront jamais dans l’enfermement du fantasme de l’imagination et de la pensée ; ils sont l’imagination et la pensée. J’ai failli ajouter « au sens le plus artistique du terme »… mais alors j’aurais du en remettre une couche, ajouter encore quelque chose, quelque chose comme un truc sur l’art et l’« artistique » (ce qui n’a pas la même signification) mais l’art je ne sais pas ce que c’est et je ne veux pas le savoir. Je préfère en regarder, en lire et en écouter. Comme un sortilège, un rituel magique, une multiplicité de nuances, d’impressions et de sentiments. 




Il y a du concret et du manifeste dans Jaune Colère. Rien de démonstratif ni de divinatoire mais des petits cailloux et des grosses pierres qui tournent en chemins multiples autour de ces deux mots : « jaune » et « colère ». La lumière, parfois aveuglante et chaude, parfois (plus rarement) douce mais jamais tiède, pour un sentiment trop associé à la noirceur et à la violence – à tort. C’est peut-être cela Chicaloyoh, la légèreté dans les choses graves et la difficulté des choses faciles. La noblesse de l’inachevé et le luxe du non définitif (jamais !) choisis en toute âme, en toute conscience et de tout cœur ; l’insoumission sans raisonnement théorique, le questionnement sans astreinte ; les devinettes, souvent, à soi-même. Avec des blagues et des vagues. Et de la poésie. Oui, encore de l’« art » et encore quelque chose dont je n’ai aucune idée, sauf au moment précis où j’y suis confronté, comme un écueil de curiosité, impensable et imprévisible – une miette de pain sur l’épais tapis du salon (le mien est rouge, par contre), une goutte de transpiration glissant à l’intérieur de la manche d’une chemise trop serrée, un pied nu libéré de sa chaussure, une feuille de papier, une idée qui apparait, puis une autre, un rêve dont on se souvient et qui s’encre du réel, une invention que l’on oublie mais qui reste, une vie encore toute à faire. Mais jamais une apparence et encore moins un théâtre.
Sur Jaune Colère Alice / Chicaloyoh s’amuse en musique, je veux dire (aussi) qu’elle s’amuse avec la musique, touchant à un indus électronique et lumineux (La Maison Jaune), étalonnant la pop de ses volontés new-wave (Mimosa Pudica), castofiorant sous grincements (Berceuse), tournant la narration sonore (La Nausée Du Trop Plein), masquant sa voix et son chant d’effets déformants (Quand la messe, Quand ?) ou les libérant dans des contre-espaces parasités d’ailleurs et en mouvement (contrôle rétroviseur central, contrôle rétroviseur latéral, clignotant tic-tac, tourner le volant, changement de vitesse, accélération, allez, en route, Adieu Les Hommes). Jaune Colère est ramassé mais en expansion, morcelé, terrestre et aérien, point temporel et spatial, furtif et affirmé, pudique et osé, ocres du plus pâle au plus foncé. Un intérieur en voie d’apparition dans un extérieur flou (le monde). Une énonciation sans théorème. Une abscisse désordonnée prenant la tangente. Et j’aime ce disque – désolé mais je n’ai vraiment pas d’autres mots.

[Jaune Colère est publié en vinyle (noir) par 213 records, le label de Cristelle Cavaleri et Julien Louvet – ce dernier a joué de la guitare et a programmé la boite-à-rythmes sur certains titres]