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jeudi 15 juillet 2021

Moor Mother : Circuit City

 

Un nouvel album de MOOR MOTHER ? Non, pas tout à fait. Déjà ce Circuit City a officiellement été publié en septembre 2020 (dans sa version dématérialisée) et surtout il s’agit de la « bande-son » d’un spectacle / performance associant théâtre, poésie, musique et multimédia. Un disque un peu à part, donc, mais s’intégrant parfaitement dans la démarche unique, expérimentale et militante d’une musicienne, créatrice et artiste hors du commun. Et dont on parle de plus en plus : désormais le travail de Moor Mother parcourt le monde et ses performances ou interventions prennent place dans des festivals spécialisés dans le multimédia mais aussi dans des fondations, galeries ou même musées d’Art Contemporain. J’ai alors toujours ce mouvement instinctif de recul face à la réalisation d’idées, pensées et concepts qui me convaincraient autrement et davantage s’ils n’étaient pas financés par un quelconque ministère de la Culture bienveillant (comme en France, pays spécialiste en institutionnalisation des artistes) ou une fondation montée par un riche capitaliste au grand cœur (le mécénat, contrepartie souriante du désastre économique libéral) qui voudrait malgré tout prouver au monde qui le regarde de travers que, premièrement, il peut avoir du cœur, s’intéresser aussi aux autres et pas qu’à son argent et, deuxièmement, qu’il peut avoir quelques goûts pourquoi pas affichables en matière de création artistique. Mais pour l’instant Moor Mother est encore très loin de faire partie d’un quelconque Art Officiel et disons que son travail s’inscrit plus que jamais dans une logique de torpillage d’un système dominant – blanc et patriarcal pour faire vite.







Mais revenons-en à notre sujet principal : Circuit City. Et je ne parlerai ici que de musique. A peine remis de la claque expérimentale Analog Fluids Of Sonic Black Holes enregistré sous son seul nom et du stellaire Who Sent You ? enregistré au sein du collectif de free jazz Irreversible Entanglements, Camae Ayewa aka Moor Mother revient avec cet album qui, musicalement du moins, tient un peu plus du second que du premier. Les quatre musiciens d’Irreversible Entanglements sont tous présents et leurs improvisations occupent beaucoup de place, surtout les interventions du trompettiste Aquiles Navarro. Elles sont accompagnées ou plutôt doublées par des sons électroniques et une production en direct assurés par Steve Montenegro / Mental Jewelry et Ada Adhiyatma / Madam Data. C’est comme si Moor Mother avait expressément voulu travailler avec tous ses collaborateurs principaux en même temps mais la superposition des deux types de sources sonores – instrumentale d’un côté, bidouille de l’autre – n’est pas toujours très heureuse, frise la saturation des sens et honnêtement on respire un peu plus lors des passages où l’une et l’autre se fait entendre seule ou lorsque le troublant Elon Battle se lance au chant, presque en solitaire (le début de Time Of No Time, très beau).
Tout ça est très intéressant mais – avouons-le – souvent un peu épuisant. On peut se délecter des textes slammés de Moor Mother mais on regrette surtout qu’il n’y ait pas plus de dichotomie et de dialogue en alternance entre les deux principales composantes musicales de Circuit City, ce qui aurait permis de mieux apprécier la qualité du travail de tous les musiciens en présence. Par exemple Circuit Break présente à partir de sa troisième minute un effacement certain de la composante instrumentale / free jazz et tout devient tout de suite beaucoup plus lisible… même lorsque le saxophone de Keir Neuringer remonte en puissance, avec un son visiblement retraité directement, ce qui lui donne une saveur plutôt étrange. C’est là une autre critique que l’on pourrait adresser mais cette fois uniquement au côté création sonore / bidouille de Circuit City : la nature trop souvent académique et convenue des sons et textures employés, typiques des créations multimédias s’associant avec l’informatique musicale ou l’acousmatique, et pas toujours pour le meilleur, donc (tu sais bien, ces petits sons qui font comme des bidibulles électromagnétiques qui papillonnent légèrement).
Alors donc : même si Circuit City n’est pas la meilleure introduction possible au travail de Moor Mother – pour cela on peut se référer aux deux enregistrements formidables mentionnés au début de cette chronique – il n’en demeure pas moins un disque à écouter… en attendant le prochain, déjà annoncé sur le label Anti pour le 17 septembre 2021, et intitulé Black Encyclopedia Of The Air.

[Circuit City est publié en vinyle orange – la pochette est gatefold et comprend quelques photos prises lors des représentations – et en CD par Don Giovanni records]