Un nouvel album de MOOR
MOTHER ? Non, pas tout à fait. Déjà ce Circuit City a officiellement été publié en septembre 2020 (dans sa
version dématérialisée) et surtout il s’agit de la « bande-son » d’un
spectacle / performance associant théâtre, poésie, musique et multimédia. Un
disque un peu à part, donc, mais s’intégrant parfaitement dans la démarche
unique, expérimentale et militante d’une musicienne, créatrice et artiste hors
du commun. Et dont on parle de plus en plus : désormais le travail de Moor Mother parcourt le monde et
ses performances ou interventions prennent place dans des festivals spécialisés
dans le multimédia mais aussi dans des fondations, galeries ou même musées
d’Art Contemporain. J’ai alors toujours ce mouvement instinctif de recul face à
la réalisation d’idées, pensées et concepts qui me convaincraient autrement
et davantage s’ils n’étaient pas financés par un quelconque ministère de la
Culture bienveillant (comme en France, pays spécialiste en
institutionnalisation des artistes) ou une fondation montée par un riche
capitaliste au grand cœur (le mécénat, contrepartie souriante du désastre économique
libéral) qui voudrait malgré tout prouver au monde qui le regarde de travers que,
premièrement, il peut avoir du cœur, s’intéresser aussi aux autres et pas qu’à son
argent et, deuxièmement, qu’il peut avoir quelques goûts pourquoi pas affichables
en matière de création artistique. Mais pour l’instant Moor Mother est encore très loin de faire partie d’un quelconque
Art Officiel et disons que son travail s’inscrit plus que jamais dans une logique de
torpillage d’un système dominant – blanc et patriarcal pour faire vite.
Mais revenons-en à notre sujet principal : Circuit City. Et je ne parlerai ici que de musique. A peine remis
de la claque
expérimentale Analog Fluids Of Sonic
Black Holes enregistré sous son seul nom et du stellaire Who Sent You ? enregistré
au sein du collectif de free jazz Irreversible Entanglements, Camae Ayewa aka Moor Mother revient avec cet album qui,
musicalement du moins, tient un peu plus du second que du premier. Les quatre
musiciens d’Irreversible Entanglements sont tous présents et leurs
improvisations occupent beaucoup de place, surtout les interventions du
trompettiste Aquiles Navarro. Elles sont accompagnées ou plutôt doublées par
des sons électroniques et une production en direct assurés par Steve Montenegro
/ Mental Jewelry et Ada Adhiyatma / Madam Data. C’est comme si Moor Mother avait expressément voulu
travailler avec tous ses collaborateurs principaux en même temps mais la
superposition des deux types de sources sonores – instrumentale d’un côté, bidouille
de l’autre – n’est pas toujours très heureuse, frise la saturation des sens et
honnêtement on respire un peu plus lors des passages où l’une et l’autre se fait
entendre seule ou lorsque le troublant Elon Battle se lance au chant, presque en
solitaire (le début de Time Of No Time,
très beau).
Tout ça est très intéressant mais – avouons-le – souvent un peu épuisant. On
peut se délecter des textes slammés de Moor Mother mais on regrette surtout
qu’il n’y ait pas plus de dichotomie et de dialogue en alternance entre les
deux principales composantes musicales de Circuit
City, ce qui aurait permis de mieux apprécier la qualité du travail de tous
les musiciens en présence. Par exemple Circuit
Break présente à partir de sa troisième minute un effacement certain de la
composante instrumentale / free jazz et tout devient tout de suite beaucoup
plus lisible… même lorsque le saxophone de Keir Neuringer remonte en puissance,
avec un son visiblement retraité directement, ce qui lui donne une saveur
plutôt étrange. C’est là une autre critique que l’on pourrait adresser mais
cette fois uniquement au côté création sonore / bidouille de Circuit City : la nature trop souvent
académique et convenue des sons et textures employés, typiques des créations
multimédias s’associant avec l’informatique musicale ou l’acousmatique, et pas
toujours pour le meilleur, donc (tu sais bien, ces petits sons qui font comme
des bidibulles électromagnétiques qui papillonnent légèrement).
Alors donc : même si Circuit City
n’est pas la meilleure introduction possible au travail de Moor Mother – pour cela on peut se référer aux deux enregistrements
formidables mentionnés au début de cette chronique – il n’en demeure pas moins
un disque à écouter… en attendant le prochain, déjà annoncé sur le label Anti pour le
17 septembre 2021, et intitulé Black
Encyclopedia Of The Air.
[Circuit City
est publié en vinyle orange – la pochette est gatefold et comprend quelques
photos prises lors des représentations – et en CD par Don Giovanni records]