Je ferme très
fort mes petits yeux pour être sûr de ne rien voir, je serre très fort mes
petits poings même si ça me fait franchement mal aux jointures des doigts, je
sors la bétonnière du garage et je coule une grosse dalle bien compacte sur
tous mes aprioris de vieux schnarkbull et de ronchon olympique. SNAPPED ANKLES représente tout
ce que je n’aime pas en matière de m’as-tu-vu. Rien que les costumes de scène dont s’affublent
les quatre membres du groupe me font hésiter entre rire évacuateur – senteur eau
de Javel – et haut-le-cœur contaminant. Je vais étaler mes références de vieux :
lorsque Johnny Ramone imposait à sa tribu de porter des t-shirts rayés, des
jeans troués, des baskets élimées et des perfectos en peau d’animal mort je
trouvais ça presque touchant de naïveté ; lorsque chez Devo on s’affublait
de couvre-chefs pyramidaux et que l’on s’habillait de salopettes jaunes cela me
faisait rire ; lorsque Nocturno Culto et Fenriz faisaient des concours de
maquillage je me disais que les forêts norvégiennes étaient un endroit délicieusement dangereux
pour la santé mentale ; lorsque les Bad Seeds de la grande époque débarquaient sur scène au
grand complet (sic) habillés de costards-cravates je trouvais que cela avait vraiment
beaucoup de classe.
Si tout n’était que question de look, d’apparence et de marketing différentiel
jamais je n’aurais vraiment écouté Forest Of Your Problems et Snapped Ankles serait
retourné directement dans la grotte humide et luxuriante qui lui sert de
tannière. Je n’aime pas trop les shamans druidiques échappés de la forêt de
Brocéliande. Même sous acide. Mais il me parait évident qu’un tel enrobage vestimentaire
pour le moins envahissant (sans parler de tout le reste) est fait pour attirer
l’attention… je préférerais pourtant toujours un vieux crust qui pue la bière
tiède, le mauvais shit et le chien mouillé à un néo-hippie-hipster. Pour son
troisième album (?) le groupe a toutefois fait évoluer son image et ses visuels vers quelque chose d’encore plus conceptuel, avec tenues de
baroudeurs sportifs, vêtements du dimanche, accessoires électroniques, beaucoup
de bleu électrique, de la coolitude décomplexée, sans oublier l’éternelle
petite touche shamanique (perruques ectoplasmiques et masques en écorce d’arbre
peinte). Honnêtement, autant de mauvais goût me fascine.
Ce qui n’empêche pas Forest Of Your Problems d’être un disque
passionnant. Je vais donc une nouvelle fois trahir mes idéaux de base et la ligne du Parti pour faire l’apologie (ou
presque) d’un disque très dans l’air du temps : je n’hésiterai pas non
plus une seule seconde à rapprocher la musique de Snapped Ankles de certains
travaux de Crack Cloud, mais en beaucoup plus électronique, avec cette manie identique
d’en mettre de partout et même d’en rajouter systématiquement une couche parce
qu’il n’y en a jamais assez. On trouve également un petit côté Gum Takes Tooth mais
la sauce à base de champignons hallucinogènes d’origine amazonienne en moins. Et
puis des fois Forest Of Your Problems me ferait presque fantasmer sur un
Coil éternellement bloqué en mode Love Secret Domain et copulant sauvagement avec les Talking
Heads, comme si John Balance n’avait pas sombré dans un alcoolisme
profond et la dépression pour se lancer en compagnie de David Byrne dans la
confection de pièces montées exotiques à base de chamallows fourrés aux Xtas et
au speed.
Bien chargé en sonorités synthétiques et électroniques – il y a très (très) peu
de guitare – et charpenté de rythmes incessants et entrainants, Forest Of
Your Problems se situe à la croisée de l’eclectro zouk, du kraut rock écolo,
de la batucada spatialisée, de l’exotisme circassien, de la robotechnique appliquée
et de la new-wave incantatoire gavée au fréon. Il ne faut pas avoir peur du
kitsch, de la verroterie, des moulures ni des poignées de porte (de la
perception) en plastique imitation doré. Il faut juste y aller franchement,
péter un bon coup dans l’eau du bain et se laisser faire : malgré tous les
remous occasionnés par cette musique moléculairement agitée et malgré les
deux locked grooves qui clôturent chaque face du disque on ne risque pas de s’y
noyer. Il y a même quelques moments qui subliment tout, comme ce Xylophobia
saturé de choucroute 70’s, entre mécanismes répétitifs et formules chimiques
éclatées. Est-ce que tu m’imagines, là, en train de danser au milieu de mon petit
salon-moquette ?
[Forest
Of Your Problems est publié en vinyle, CD, etc. par The Leaf Label]