Le froid, la désolation, l’enfermement,
l’abandon, l’ennui… c’est une partie de ce qu’évoque la pochette de The Rest
Is Distraction, le deuxième album de GIRLS IN SYNTHESIS. Un trio
londonien que les ethno-socio-musicologues qualifieraient aveuglément de post
punk mais qui se démarque d’une mouvance musicale actuellement très à la mode en
Grande Bretagne comme dans le reste de ce monde surpeuplé de hipsters quarantenaires. Parce
que les Girls In Synthesis aiment que cela
explose, sans démagogie.
On ne va pas râler : ce sont bien des Anglais qui ont inventé, peut-être
par mégarde, ce genre qui n’en est pas vraiment un, au lendemain de la
déflagration musicale et sociale du punk, celle du milieu des années 70 et qui,
quoi qu’on en dise, recyclait nombre de clichés de ce bon vieux rock’n’roll à
papa en l’enrobant d’une nouvelle couche de scandale. Le post-punk, miraculé du
chaos qu’il a volontiers laissé aux groupes anarcho-punk ou oï, a lui aussi été la bande-son,
en plus sophistiquée, de la fin des 70’s et du début des 80’ en Angleterre, tant
il pouvait illustrer les difficultés d’alors d’une société en plein marasme et en
voie de désagrégation, torpillée par la crise économique et le saccage
ultra-libéral d’une Margaret Thatcher – en France on n’aura droit qu’au tardif
« tournant de la rigueur » de 1983, avec toutes les compromissions et
bassesses que cela a impliqué, mais pas à des groupes de l’importance d’un
Crisis, d’un The Fall, d’un Gang Of 4 ou d’un Wire. A chacun ses héros du
peuple.
Mais qu’est-ce qu’elle nous dit réellement, cette photo granuleuse qui occupe
tout le recto de la pochette de The Rest Is Distraction ? Un bunker abandonné
ou un vieux bâtiment industriel désossé posé au bord d’une étendue d’eau, au
milieu d’arbres décharnés et pétrifiés de froid ? Voilà, la musique de Girls In Synthesis
sera ainsi : minimale, austère, martiale, glaciale et implacable. Autant
de qualificatifs auxquels on rajoutera celui de dansable puisqu’il s’agit
également de cela, sortir de son corps – et de son apathie ? – par la
musique, des gens qui chantent voire hurlent, avec le double
espoir de se faire entendre et que cela serve aussi à quelque chose et à
quelqu’un. Les musiques reviennent vers nous telles des modes (et ce, plus ou
moins judicieusement) alors ce très cher post punk n’a donc pas échappé à la règle.
Mais on est quand même plus que frappé que celui de Girls In Synthesis
colle si bien et sans équivoque à l’époque actuelle, la nôtre, en Angleterre ou
ailleurs, et à ce monde en train de s’effondrer pour de bon sans que rien ni
personne puisse affirmer sans mentir ou invoquer les puissances divines qu’il
donnera naissance à un autrement, un ailleurs.
Les trois Girls In
Synthesis sont champion·nes toute catégorie en matière de combustion
instantanée : leur musique réchauffe (réconforte) tout en plongeant dans
les abysses de la détresse, qu’elle soit collective ou individuelle, en
évoquant des sujets aussi graves que révoltants. Le groupe est composé de
Nicole à la batterie, Jim à la guitare et au chant ainsi que de John à la
basse, au chant, au synthétiseur et aux interventions bruitistes. Girls In
Synthesis sait donc parfaitement conjuguer rythmes implacables et tribaux,
mélodies, étourdissements et bruit, fracas. Derrière la simplicité ou plutôt
l’immédiateté des compositions, un pouvoir incendiaire de premier ordre mâtiné
d’attractivité, de frénésie et de passion. Tubesque et irrésistible, la musique
des Londoniens l’est forcément mais elle sent très fort le vitriol et la radicalité.
Tout porte à croire également que Girls In Synthesis penche pour les
pratiques et l’esprit Do It Yourself : comme bon nombre de ses
enregistrements, The
Rest Is Distraction est publié en vinyle, CD, patati et patata
par le propre label du groupe, Own It Music. Ce n’est sans doute pas pour rien
et agir autrement n’aurait aucun sens. Et puis la clairvoyance en musique, cela
existe, en tous les cas moi je veux carrément y croire.