Voilà un disque
qu’en temps normal j’aurais allégrement boudé ou dont je me serais copieusement
moqué : les CITY OF CATERPILLAR qui se
reforment et qui publient, vingt années après leur tout premier, un deuxième
album. Grosse incrédulité mélangeant confusément nausée spatio-temporelle,
ironie du c’était mieux avant et agacement suprême. Pourquoi pas, tant qu’on y
est, une énième reformation d’Unsane avec une nouvelle section rythmique pour
reprendre les premiers enregistrements du groupe, période 1989/1991 avec
originellement Charlie Ondras à la batterie (mort en 1991) et Pete Shore à la
basse (démissionnaire en 1994) ? Ah, Chris Spencer a déjà eu cette
brillante idée. Ou alors, que dire d’une reformation d’Unwound vingt ans après
leur dernier concert et alors que le bassiste Vern Rumsey, qui a semble-t-il
toujours été opposé au projet, est mort en 2020 ? Apparemment, c’est déjà
prévu.
Les exemples de résurrection se multiplient et tant que cela ne concernait que
des groupes ou musiciens de variétés, de hard rock, de britpop ou de zouk je
m’en foutais complètement. Mais la course à la reformation est également devenue
un sport légal et apprécié chez les punks et les noiseux, dans les milieux indépendants
et même D.I.Y. Et le public qui accourt avec d’un côté les plus jeunes qui
veulent malgré tout savoir et les plus vieux qui souhaitent se rafraichir la
mémoire et peut-être rajeunir (les cons). Donc, d’ordinaire, je fuis. Bien que
je dois reconnaitre que certaines récentes reformations ont porté leurs
fruits : Distorted Pony a enchanté les foules lors de sa tournée
européenne de 2018, Cherubs a publié un excellent mini album en 2021 et, en
2022, le concert de Come auquel j’ai pu assister était presque merveilleux (et
bien meilleur que celui de 1998).
Dans le Panthéon des groupes post hardcore émophile City Of Caterpillar tient une place à part. Trois années
d’existence seulement, quelques singles (dont un split avec les géniaux Pg.99
qui auraient eu l’idée de remettre ça, eux aussi) et un unique album, en 2002,
sur Level Plane, l’un des labels les plus actifs et les plus en vue entre la
fin du précédent millénaire et le début de celui-ci en matière de screamo, emo,
musiques affiliées et encore plus si affinités. Il me fallait absolument réécouter
City Of Caterpillar, ce que je
n’avais pas fait depuis une bonne douzaine d’années. Et le fait est que ce
premier album, s’il est daté stylistiquement et formellement, a quand même plutôt
bien vieilli. Il a les défauts comme les qualités de son âge et reste le digne
représentant d’une époque révolue.
Après un 12’ publié en 2017 avec le même line-up qu’en 2002 – ça c’est déjà un
petit exploit – et comprenant deux nouveaux titres plutôt convaincants (en tous
les cas absolument pas déshonorants), City
Of Caterpillar a donc remis ça avec Mystic Sisters*. Sept compositions
sophistiquées ce qu’il faut, toujours dans la même veine entre gris-clair et
gris-foncé, entre hardcore intello mais pas trop et emo pour le dire.
L’impression d’écouter un disque qui aurait très bien pu être composé et
enregistré dans la foulée de City Of
Caterpillar est extrêmement troublante. Avec toujours des passages
atmosphériques (post rock ?) alternés avec des salves hardcore malgré tout
très contenues (et moins sujettes aux braillardises).
On se dit que le groupe n’a pas plus vieilli que sa musique, que si on aimait
avant, on aimera après, sauf si on a radicalement changé de goûts musicaux. Et
que peut-être que cette musique là était dès le départ faite pour rester
inamovible. Conservatrice et traditionnaliste malgré ses accès de
questionnement existentiel. Pas trop dérangeante et donc éternellement
adolescente, tendance petits révoltés middle class épargnés par la vie. Le cœur
en bandoulière, la larme a l’œil, des hirondelles à fleurs tatouées sur les clavicules.
Des vieux posters sur le mur d’une chambre. Un sentiment assez similaire à
celui que l’on ressent lorsque on revoit pour la première fois un film que l’on
avait adoré et qui nous avait tellement « appris » sur le monde et
l’existence, alors qu’il n’était souvent que boursoufflage littéraire et
maniérisme visuel prétentieux (exemple : Der Himmel über Berlin de Wim Wenders, 1987). Quoi d’autre ? Rien,
en fait. Je ne peux tout simplement pas médire et détester ce disque bien que,
fondamentalement, il serve à rien d’autre que remuer la machine à nostalgie et –
plus important et signifiant – permettre aux membres de City Of Caterpillar de se faire plaisir.
* publié chez Relapse records