Dans le genre
présentation cheap et dépouillée personne en 2021 n’aura fait beaucoup mieux que
YC-CY :
le quatrième album des Suisses est emballé dans une pochette cartonnée blanche
toute simple, avec un rond découpé au milieu comme pour les vieux 78 tours, les
7’ de jukebox ou les maxi de techno et seul un autocollant ainsi que les étiquettes
centrales du vinyle permettent de comprendre à qui et à quoi on a réellement affaire.
Les noms des labels sont eux artisanalement tamponnés au dos et un insert permet
de se faire une idée des paroles, non ce n’est pas forcément la joie. Et puis,
évidemment, le titre de l’album, Every Time
I Close My Eyes, ou bien les
titres de la plupart des huit chansons : la première d’entre elles
s’intitule Dreams Are Comming Back
mais il y a aussi Night Fright, Skeleton
Parade, Stalker, I Count The Days…
Maintenant il faut donc se coltiner avec un objet qui, visuellement déjà,
ressemble étrangement à un disque d’electro, de la musique minimale et froide
Berlinoise par exemple, du son pour danser dans le noir, la cervelle éclairée
et ébranlée par les substances-vie-mort-aller-et-retour, le corps prisonnier de
mouvements incontrôlables dans un espace mal défini se contractant ou se
dilatant en fonction des pulsations d’un cœur malmené. Rien qu’en regardant ce
disque sous toutes les coutures j’ai l’impression d’avoir 30, 25 ou même 20
ans, la sensation de fuir ce siècle comme dans un voyage dans le temps à
reculons mais volontaire. En l’écoutant j’ai exactement les mêmes sensations, le
même vertige.
Si on repasse en revue toute la discographie de YC-CY on se rendra facilement compte que le groupe s’est peu à peu éloigné
du bruit, de la saturation, du fracas (de ce mélange fort réussi de rock durci et
de vacarme putrescent, pour ainsi dire) et qu’il a intégré de plus en plus de
sonorités étranges dans sa musique – qui a toujours été différente, à part. L’agression
frontale et juvénile a progressivement laissé la place à des atmosphères
toujours plus azotées, corrosives et malaisantes. Le point de rupture, mais
parler de progression logique serait plus exact, se situe quelque part vers le
troisième album sorti en 2019, le formidable Béton Brut, un jalon entre le hardcore noise fracassé, sophistiqué
et anxiogène des débuts de YC-CY et le
maintenant (mais où en est-on exactement ?) de Every Time I Close My Eyes et de ses ténèbres liquides. Le chant a
suivi la même évolution, c’est fini les gueulantes déchirées, dégoulinantes de
colère et parfois à la limite du screamo acnéique, maintenant place aux
ondulations, reptations, aux incantations et à des envolées qui n’ont rien de
lyrique mais s’enfoncent dans la boue noire du sol.
Désormais – et c’est une évolution notable – il arrive également qu’un groove
froid et mécanique accompagné de toute une nébuleuse d’insectes électroniques
prenne les devants et mène la danse. Mais les guitares sont toujours là, prêtes
à mordre comme un animal qui ne veut pas se faire caresser. Et leur son réactualise
encore une fois ce bon vieux death rock maléfique cuit sous un soleil trop
froid, cette musique de disparus et de maudits, sciant nos terminaisons
nerveuses, déchiquetant nos tendons, versant sur nos plaies ouvertes des jets
d’acide hallucinogène. Enfin, il y a la basse qui abandonne ses lignes, martèle
à sa façon monstrueuse la pulsation du mouvement sortilège, domine et résonne lugubrement
dans la zone interdite, sonne le glas, trop tard pour prévenir, compter les
jours ou les heures, peut-être, mais pour quoi faire ? Et bien danser,
danser comme des volatiles humains décapités qui continuent malgré tout de
courir dans toutes les directions et en totale perte de sens. Se trémousser les
un·es contre les autres. La transe n’est jamais loin, les nuits de juillet sont
beaucoup trop courtes, les squelettes peuvent s’agiter et cliqueter sans honte alors
profitons-en : avec Every Time I
Close My Eyes l’explosion ne dure que vingt huit minutes mais ce sera suffisant,
pas le temps pour les regrets ni les remords et, l’abandon, lui, sera
durable et total.
[Every Time I Close My Eyes
est publié en vinyle par Order05records
et X-Mist]