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mardi 7 décembre 2021

YC-CY : Every Time I Close My Eyes


 



Dans le genre présentation cheap et dépouillée personne en 2021 n’aura fait beaucoup mieux que YC-CY : le quatrième album des Suisses est emballé dans une pochette cartonnée blanche toute simple, avec un rond découpé au milieu comme pour les vieux 78 tours, les 7’ de jukebox ou les maxi de techno et seul un autocollant ainsi que les étiquettes centrales du vinyle permettent de comprendre à qui et à quoi on a réellement affaire. Les noms des labels sont eux artisanalement tamponnés au dos et un insert permet de se faire une idée des paroles, non ce n’est pas forcément la joie. Et puis, évidemment, le titre de l’album, Every Time I Close My Eyes, ou bien les titres de la plupart des huit chansons : la première d’entre elles s’intitule Dreams Are Comming Back mais il y a aussi Night Fright, Skeleton Parade, Stalker, I Count The Days
Maintenant il faut donc se coltiner avec un objet qui, visuellement déjà, ressemble étrangement à un disque d’electro, de la musique minimale et froide Berlinoise par exemple, du son pour danser dans le noir, la cervelle éclairée et ébranlée par les substances-vie-mort-aller-et-retour, le corps prisonnier de mouvements incontrôlables dans un espace mal défini se contractant ou se dilatant en fonction des pulsations d’un cœur malmené. Rien qu’en regardant ce disque sous toutes les coutures j’ai l’impression d’avoir 30, 25 ou même 20 ans, la sensation de fuir ce siècle comme dans un voyage dans le temps à reculons mais volontaire. En l’écoutant j’ai exactement les mêmes sensations, le même vertige.
Si on repasse en revue toute la discographie de YC-CY on se rendra facilement compte que le groupe s’est peu à peu éloigné du bruit, de la saturation, du fracas (de ce mélange fort réussi de rock durci et de vacarme putrescent, pour ainsi dire) et qu’il a intégré de plus en plus de sonorités étranges dans sa musique – qui a toujours été différente, à part. L’agression frontale et juvénile a progressivement laissé la place à des atmosphères toujours plus azotées, corrosives et malaisantes. Le point de rupture, mais parler de progression logique serait plus exact, se situe quelque part vers le troisième album sorti en 2019, le formidable Béton Brut, un jalon entre le hardcore noise fracassé, sophistiqué et anxiogène des débuts de YC-CY et le maintenant (mais où en est-on exactement ?) de Every Time I Close My Eyes et de ses ténèbres liquides. Le chant a suivi la même évolution, c’est fini les gueulantes déchirées, dégoulinantes de colère et parfois à la limite du screamo acnéique, maintenant place aux ondulations, reptations, aux incantations et à des envolées qui n’ont rien de lyrique mais s’enfoncent dans la boue noire du sol.
Désormais – et c’est une évolution notable – il arrive également qu’un groove froid et mécanique accompagné de toute une nébuleuse d’insectes électroniques prenne les devants et mène la danse. Mais les guitares sont toujours là, prêtes à mordre comme un animal qui ne veut pas se faire caresser. Et leur son réactualise encore une fois ce bon vieux death rock maléfique cuit sous un soleil trop froid, cette musique de disparus et de maudits, sciant nos terminaisons nerveuses, déchiquetant nos tendons, versant sur nos plaies ouvertes des jets d’acide hallucinogène. Enfin, il y a la basse qui abandonne ses lignes, martèle à sa façon monstrueuse la pulsation du mouvement sortilège, domine et résonne lugubrement dans la zone interdite, sonne le glas, trop tard pour prévenir, compter les jours ou les heures, peut-être, mais pour quoi faire ? Et bien danser, danser comme des volatiles humains décapités qui continuent malgré tout de courir dans toutes les directions et en totale perte de sens. Se trémousser les un·es contre les autres. La transe n’est jamais loin, les nuits de juillet sont beaucoup trop courtes, les squelettes peuvent s’agiter et cliqueter sans honte alors profitons-en : avec Every Time I Close My Eyes l’explosion ne dure que vingt huit minutes mais ce sera suffisant, pas le temps pour les regrets ni les remords et, l’abandon, lui, sera durable et total.

[Every Time I Close My Eyes est publié en vinyle par Order05records et X-Mist]