Je suis devant une
page blanche. Ou plutôt devant un écran un peu trop lumineux et qui me fera défintivement mal
aux yeux si je n’y prends pas garde. Pour le moment j’écoute Concerns, le quatrième album d’ORCHESTRA OF CONSTANT DISTRESS – le
troisième chez Riot Season qui a également publié un concert du groupe suédois enregistré
au Roadburn en 2019, très dispensable. Et tous les disques studio d’Orchestra Of Constant Distress se
ressemblent. C’est ce que j’ai toujours cru et ce que je crois encore. Une
musique répétitive jusqu’à la nausée, des rythmes lents et appuyés, des
tourneries perpétuelles, pas de mélodies mais des faux riffs qui taillent bizarrement
dans le vif et dont le seul souvenir suffirait à raviver les plaies brûlantes,
de la bidouille bruitiste/électronique pour colmater les fissures – ou plutôt
les agrandir, non ? – et surtout pas de chant.
Rien à dire, aucune histoire à raconter, pas de couleurs plus intenses que les
autres, pas de formes trop familières, pas de repères auxquels se raccrocher. Pas
d’odeurs non plus. Non, rien du tout. Si ce n’est un gros pavé musicalement difficilement
déchiffrable et pourtant cathartique. Le vide absolu, mais un vide qui
t’aspire comme si tu te retrouvais soudainement projeté dans l’inconnu sans
lumière et froid d’un espace béant s’ouvrant devant toi par une faille du
cockpit de chair censé te protéger. Ou alors (encore mieux) comme si tu
marchais au milieu d’une forêt d’arbres plus que centenaires et intimidants,
des arbres sur lesquels l’homme n’a jamais osé porter la main, des arbres tous
semblables, très hauts et inattaquables, des arbres dont la canopée métallique grouille
de secrets (tu le devines facilement), des arbres dont les traces de mousse sur
le tronc indiquent tout sauf la bonne direction. Un labyrinthe sans
couloirs, sans bifurcations, sans escaliers, sans passages secrets, un
labyrinthe en trois dimensions qui se mélangent constamment, un endroit dont tu
ne saurais t’extirper puisque tu ne comprends pas comment tu as pu y
pénétrer. Tu ne sais même pas si tu es réellement là.
Tu es nu mais personne ne fait de réflexions. Tout le monde est aveugle, toutes et tous sont muets. Tu es nu parce que tu
es désarmé. Et tu te demandes : est-ce que Orchestra Of Constant Distress pourrait aller encore plus loin dans la non-musique ? La réponse – enfin une réponse ! – se trouve quelque
part au milieu des huit titres de Concerns. Déjà, huit, c’est plus que précédemment et si les compositions sont plus courtes elles
sont aussi un tout petit peu plus bavardes. Pour la première fois peut-être Joachim
Nordwall (guitare), Henrik Andersson (basse), Anders Bryngelsson (batterie) et Henrik
Rylander (tout le reste) se laissent aller à quelques confidences. Tout en se
gardant bien de trop en dire. Pour la première fois les incantations urbaines
et post-industrielles – car ce labyrinthe sans âge n’est peut-être qu’un
immense port maritime balayé par les vents froids et ces arbres ancestraux ne
sont peut-être que d’immenses grues servant à décharger des containers anonymes
– se teintent franchement d’un psychédélisme noir qui jusqu’ici ne voulait pas
dire son nom.
Tu viens enfin de trouver une poignée à laquelle te raccrocher
mais inutile de tirer dessus : ce n’est pas la poignée d’un système
d’alarme, juste une réponse différente, une nouvelle drogue que tu ne
connaissais pas encore. Tu tournes en rond avec la musique de Concerns mais pourtant elle existe tout
comme tu existes, indifféremment : il n’y a pas de pages blanches, que de l’oubli. Tu n’es ni insensible ni endurci. Tu es ailleurs et tu aimes ça.
[Concerns
a été publié en vinyle à trois cents exemplaires au mois de juillet 2021 par Riot Season
– le disque est toujours disponible à ce jour, Orchestra Of Constant Distress n’étant pas non plus le groupe le
plus vendeur du monde]
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