De BLOODY
HEAD je ne connais pas grand-chose – non, en fait je sais rien du tout de
ce groupe – si ce n’est l’habituel quadrillage géographique et
stylistique : en abscisse Nottingham, ville industrielle de l’Est de
l’Angleterre ; en ordonnée des guitares, encore des guitares, une rythmique de
plomb et un chant de manutentionnaire en colère. Et rien que ça, ça sent bon.
Mais honnêtement, si The Temple Pillars
Dissolve Into The Clouds (littéralement « les piliers du temple se
dissolvent dans les nuages » !) n’avait pas été publié chez Hominid Sounds, je n’y aurais
sans doute guère prêté plus d’attention. Je peux donc encore une fois dire
merci aux têtes pensantes du label Gordon Watson (Terminal Cheesecake), Matt
Ridout (Casual Nun), Graham Dyer et Wayne Adams (Death Pedals et Big Lad),
assurément des personnes de bon goût.
Mais trêve de bavardages et de mondanités. Bloody
Head balaie rapidement devant sa porte et n’oublie pas d’aller à
l’essentiel. A l’heure où la Grande Bretagne semble fourmiller de groupes très
en vue et recyclant souvent sans grande inspiration le post punk national des
grands ancêtres sous la forme de sauts de puces éclectiques et dégingandés, les
quatre de Nottingham préfèrent balancer un punk hargneux et épais, poisseux et
cruel, des fois malsain ou en tous les cas repeint en noir recto / verso, bien
loin de l’esprit passablement festif et bon chic bon genre des groupes de
minets. Temple Pillars Dissolve Into The Clouds
n’a vraiment rien d’une promenade de santé dans les nuages de la mélancolie ni
d’une crise existentielle d’adolescent.
Pour décrire un peu plus la musique de Bloody
Head le premier qualificatif qui vient immédiatement à l’esprit est celui
de psychédélique. Mais ici le psychédélisme prend une couleur vénéneuse,
l’humeur est sombre de chez sombre et le sang d’une texture épaisse. Du sang
qui pourrait facilement couler à flot, tout envahir, masquer le propos et les
efforts du groupe pour s’en sortir mais cela n’arrivera pas. Au contraire Bloody Head étale sa violence et sa
noirceur avec un sens aigu des volumes et des perspectives éclatées. On ne
parlera pas de finesse mais cela y ressemble. Disons de l’adresse, mais jamais
propre sur elle. Les ténèbres aussi peuvent avoir de la gueule et possèdent leur
propre lumière. Rien que les huit minutes de This Could Be Paradise justifient que l’on se précipite sur Temple Pillars Dissolve Into The Clouds.
Avec cette façon totalement inexorable d’ouvrir le champ des possibles et en
même temps d’y retenir l’auditeur comme dans un piège envoûtant.
Et après, c’est le déluge. Un déluge de cendres, une pluie noire que s’abat sur
nous (Your World Is As Old As You) et
qui provoque le chaos (Glory Holes) ou
l’ensevelissement (St Elsewhere And The
Altar Of Coincidence). Les guitares charpillent et grincent – sans négliger
le pouvoir mélodique et attractif de toute violence musicale bien dirigée, comme
sur The Process Of Forever – et Bloody Head, aussi sombre que puisse
être sa musique, évite toute facilité nihiliste et toute parade haineuse :
à l’écoute de Temple Pillars Dissolve
Into The Clouds on ne peut que ressentir que tout ce que le groupe fait, il
le fait aussi pour nous.
Je ne trouve donc que deux défauts à ce disque : son artwork confus et
incompréhensible qui le dessert complètement – traduction : cette pochette
ne fait vraiment pas envie – et l’édition à tirage extrêmement limité du vinyle
alors que tout le monde devrait avoir une copie de Temple Pillars Dissolve Into The Clouds chez lui pour pouvoir
l’écouter tous les jours. Bon, apparemment, il reste encore quelques
exemplaires qui trainent ici ou là alors il n’est peut-être pas trop tard.