Récemment il
m’est arrivé une expérience typique des internets 2.0 mais au résultat vraiment
très étrange et en fait tout nouveau pour moi : j’ai été contacté via un réseau
social par des anciens camarades de lycée, des personnes que je n’avais pas
vues depuis tellement longtemps que, lorsque nous nous sommes décidés à nous
retrouver à la terrasse d’un bar de la Guillotière infesté de hipsters lyonnais
et de néo-babloches fans de chanson française post-alterno, nous n’avons même
pas réussis à nous mettre d’accord sur la ou les dernières fois où nous nous
étions réellement vus.
L’écart temporel entre les estimations de nos mémoires respectives s’est mesuré
en années. Les souvenirs d’avant étaient parfois tellement flous et les
changements de vie souvent tellement inattendus que des pans entiers de nos
existences – en tous les cas de la mienne – se sont automatiquement déplacés pour
réapparaitre ailleurs, sous le poids de la rencontre, sans que nous en nous
rendions réellement compte. Il n’y avait rien à faire de plus et rien à dire, à
part se donner des nouvelles fraîches et reprendre les anciennes conversations
là où on les avait laissées, c’est-à-dire nulle part. Mais c’était beaucoup
plus agréable qu’une réunion de famille à l’occasion de l’enterrement d’un
aïeul commun et d’ailleurs je crois que nous nous reverrons bientôt (dans une
vie il y a des personnes qui resteront toujours plus importantes que les autres).
NONAGON est un groupe que l’on n’oublie
pas, même si on ne pense pas tous les jours à lui. En tous les cas, lorsqu’il
revient dans nos vies, ce n’est jamais pour rien et cela compte vraiment. Peut-être
parce que Nonagon est un groupe qui sait
aussi carrément prendre son temps : They Birds est le premier
véritable album de ce trio de Chicago en plus de quinze années d’existence et
après trois ou quatre EP / mini-albums dont le dernier date tout de même de
2013. Entre les deux le groupe aura publié (en 2018) un split 7’ avec un seul
titre, l’excellent Tuck The Long Tail Under, dont une version
réenregistrée mais pas fondamentalement différente se retrouve propulsée en
ouverture de They Birds.
Je suis à peu près certain que John Hastie (guitare et chant), Robert Wm. Gomez
(basse et illustrations) et Tony Aimone (batterie) ne s’éloignent pourtant
jamais trop longtemps les uns des autres. Même si leurs vies personnelles
peuvent diverger. Car They Birds
sonne exactement comme un disque de potes, un disque composé, interprété et
enregistré par trois type qui s’entendent à merveille depuis des années et qui
aiment toujours autant faire de la musique ensemble – on sait de source sûre
que manger des pizzas et boire du café est une autre de leurs activités
favorites. Nonagon est un groupe de
musique comme on aimerait toutes et tous en connaitre, c’est-à-dire un groupe
que l’on aurait régulièrement croisé, que l’on aurait vu grandir, vieillir aussi, que l’on
aurait soutenu et que l’on serait retourné voir et écouter en concert dès que possible,
à chaque fois qu’il aurait rejoué dans la cave humide de notre bar préféré.
Musicalement aussi They Birds marque un aboutissement certain.
Que le groupe vienne de Chicago et qu’il enregistre ses disques au Electrical
Audio (Bob Weston au mastering) n’a qu’une importance relative, disons que cela
n’explique pas tout. OK le son de basse tournicotée est bien tendu et la caisse
claire claque sèchement mais musicalement Nonagon
n’a rien d’un groupe typiquement noise-rock, on trouve dans sa musique nombre
d’influences punks tordues et émophiles, version Dischord and C° – et pas
seulement à cause du chant toujours très écorché mais de plus en plus mélodique
de John Hastie. Par exemple Slow Boil n’aurait pu être qu’un brûlot
trigonométrique et acéré mais chez Nonagon
il y a toujours ce supplément d’âme et de cœur qui change tout et dont la
manifestation déterminante culmine sur Bells, presque une balade dans la
nuit tranquille. They Birds est un disque aussi étonnant qu’il nous est
familier et proche. Un peu comme le bestiaire de créatures volantes et
improbables de la pochette : on n’en avait encore jamais vues de telles et
pourtant on les adopterait toutes sans hésiter.
[They Birds
est publié en vinyle par Controlled Burn records]