C’est une histoire comme je les aime
tant parce qu’elle est aussi simple qu’elle est extraordinaire, aussi commune
que singulière. Il y a encore quelques semaines le nom de LITTLE UGLY GIRLS m’était totalement inconnu. Et pour
cause : ce groupe basé à Melbourne / Australie n’avait jusqu’ici publié
aucun enregistrement digne de ce nom alors qu’il existe – certes par
intermittence – depuis presque trente ans. Emmené par la chanteuse Linda Johnson
et son frère guitariste Dannie Bean
Johnson, Litte Ugly Girls serait une
figure historique et importante de la scène punk de Melbourne des années 90 : tu me diras que tout ceci n’est que très banal, que de
tels groupes demeurés dans l’ombre ou retombés presque immédiatement dans
l’oubli il en a existé des tonnes dans toutes les villes qui ont connu la
grande ébullition du punk et de ses nombreuses conséquences (New York, Londres,
Berlin, Melbourne, etc). Sauf qu’ici il convient d’admettre que l’on a affaire
à une sacrée bande de teigneuses et de teigneux. Epaulés depuis de nombreuses
années par le batteur Brent Punshon (dont le surnom Sloth signifie
« paresse » en français) et la bassiste Mindy Mapp, Linda et Bean
n’ont jamais voulu lâcher l’affaire, Litte
Ugly Girls continuant de donner des concerts de temps à autres, comme seuls
témoignages de l’existence parcellaire du groupe.
Pourtant il existe également des
enregistrements rudimentaires, quelques cassettes à la qualité sonore plus ou
moins moisie et abimée par le temps dont certaines ont été mises en ligne à
titre d’archives par Sloth qui a spécialement créé une page internet à cet
effet : par exemple Suck,
enregistrement live de 1991, ou celle-ci,
datant de 1996. Entre les deux l’évolution du son et des compositions de Little Ugly Girls est flagrante et
décisive. La découverte des vertus bienfaisantes du vitriol a rendu le groupe
aussi virulent que rageur. Suck c’est
vraiment les débuts de Little Ugly Girls
et la musique y est encore très basique et rudimentaire, pas très originale ;
l’enregistrement de 1996 est beaucoup plus intéressant parce que l’on y
retrouve certains des titres qui figureront sur l’album publié quelques vingt
années plus tard. On y retrouve surtout cette guitare désormais mordante et
carnassière ainsi que ce chant entre colère hurlée et scansion passionnée – il y
a incontestablement du riot grrrls là dedans et une bonne partie de l’esprit du
futur disque est déjà présent.
Je ne sais pas ce qui deux décennies
après a conduit les quatre australiens à finalement accepter d’enregistrer tout
un album (Sloth, encore lui et donc pas aussi paresseux que cela, faisant
office d’ingénieur du son), complétant et achevant ce qu’ils n’avaient jamais pu
accomplir, recommençant, rajoutant… mais le résultat est là. Il ne m’a donc pas
fallu très longtemps pour être accroché lorsque j’ai pour la première fois
écouté cet album sans titre. Pas longtemps pour avoir envie de découvrir ce qui
allait suivre tout de suite après, et ainsi de suite. Pas longtemps pour sentir
qu’il se passait quelque chose. Pas longtemps pour me convaincre que ce quelque
chose a un caractère inestimable voire exceptionnel. L’Australie possède une
histoire musicale très forte et importante. Et une histoire à part. Il me
semble évident que Little Ugly Girls
y a toute sa place. Le punk noise du groupe transpire l’électricité, la passion
et la révolte comme rarement. Le plus étonnant étant que l’enregistrement
s’étale de fait entre 1995 et 2016 : le groupe aurait fini par récupérer
des bribes de studio que tout le monde pensait perdues à jamais parce que
coincées à l’intérieur d’un vieux disque dur vérolé. Mais globalement
l’enregistrement se tient, le son et l’interprétation sont homogènes – bien que
parfois on peut discerner un grain de voix et une qualité de production un peu
différents comme sur Baggage qui effectivement
semble avoir été mise en boite au milieu des années 90 (et avec un autre bassiste).
S’il me fallait employer d’autres adjectifs
pour qualifier la musique de Little Ugly
Girls – parce que j’ai déjà employé « passionnée » – ce serait
crue et brute. Cette musique est avant tout pleine de fièvre et pleine de
fureur. Mais tout en restant d’une stature assez incroyable, bien plus fine et plus
détaillée que ce que sa rogne intrinsèque fait penser au départ. Derrière cette
rythmique puissamment armée et qui ne rigole vraiment pas il y a la guitare qui
tend à s’éloigner des plans punk noise basiques pour se transformer en perceuse
électrique à percussion et ça fait très mal (les stridences high voltage de Senseless). Une guitare pas loin d’être renversante
et qui arrive toujours à tirer son épingle du jeu, sait se faire remarquer,
défonce tout et en finit avec ce qui nous restait encore de résistance. Le
chant de Linda reste évident un élément primordial dans la musique de Little Ugly Girls (d’autant plus
qu’elle n’arrête jamais de l’ouvrir, jusqu’à épuisement) mais il n’occulte
jamais tout le reste c’est-à-dire un groupe compact et soudé qui dynamite le
terrain sans répit.
Pour finir, je ne vais pas mentir… c’est
un ami bien informé qui en premier m’a parlé de Little Ugly Girls en me disant simplement « tiens ce truc
pourrait peut-être te plaire ou tout du moins t’intéresser » – honnêtement je n’ai
fait strictement aucun effort pour découvrir et exhumer ce groupe et l’inclure
en bonne place dans mes disques de l’année 2018. Moralité, aussi universelle
qu’inévitable : les conversations autour d’une bière resteront toujours
plus efficaces, profitables et précieuses qu’un lien posté sur un réseau
social.