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mercredi 17 octobre 2018

Little Ugly Girls / self titled






C’est une histoire comme je les aime tant parce qu’elle est aussi simple qu’elle est extraordinaire, aussi commune que singulière. Il y a encore quelques semaines le nom de LITTLE UGLY GIRLS m’était totalement inconnu. Et pour cause : ce groupe basé à Melbourne / Australie n’avait jusqu’ici publié aucun enregistrement digne de ce nom alors qu’il existe – certes par intermittence – depuis presque trente ans. Emmené par la chanteuse Linda Johnson et son frère guitariste Dannie Bean Johnson, Litte Ugly Girls serait une figure historique et importante de la scène punk de Melbourne des années 90 : tu me diras que tout ceci n’est que très banal, que de tels groupes demeurés dans l’ombre ou retombés presque immédiatement dans l’oubli il en a existé des tonnes dans toutes les villes qui ont connu la grande ébullition du punk et de ses nombreuses conséquences (New York, Londres, Berlin, Melbourne, etc). Sauf qu’ici il convient d’admettre que l’on a affaire à une sacrée bande de teigneuses et de teigneux. Epaulés depuis de nombreuses années par le batteur Brent Punshon (dont le surnom Sloth signifie « paresse » en français) et la bassiste Mindy Mapp, Linda et Bean n’ont jamais voulu lâcher l’affaire, Litte Ugly Girls continuant de donner des concerts de temps à autres, comme seuls témoignages de l’existence parcellaire du groupe.

Pourtant il existe également des enregistrements rudimentaires, quelques cassettes à la qualité sonore plus ou moins moisie et abimée par le temps dont certaines ont été mises en ligne à titre d’archives par Sloth qui a spécialement créé une page internet à cet effet : par exemple Suck, enregistrement live de 1991, ou celle-ci, datant de 1996. Entre les deux l’évolution du son et des compositions de Little Ugly Girls est flagrante et décisive. La découverte des vertus bienfaisantes du vitriol a rendu le groupe aussi virulent que rageur. Suck c’est vraiment les débuts de Little Ugly Girls et la musique y est encore très basique et rudimentaire, pas très originale ; l’enregistrement de 1996 est beaucoup plus intéressant parce que l’on y retrouve certains des titres qui figureront sur l’album publié quelques vingt années plus tard. On y retrouve surtout cette guitare désormais mordante et carnassière ainsi que ce chant entre colère hurlée et scansion passionnée – il y a incontestablement du riot grrrls là dedans et une bonne partie de l’esprit du futur disque est déjà présent.
Je ne sais pas ce qui deux décennies après a conduit les quatre australiens à finalement accepter d’enregistrer tout un album (Sloth, encore lui et donc pas aussi paresseux que cela, faisant office d’ingénieur du son), complétant et achevant ce qu’ils n’avaient jamais pu accomplir, recommençant, rajoutant… mais le résultat est là. Il ne m’a donc pas fallu très longtemps pour être accroché lorsque j’ai pour la première fois écouté cet album sans titre. Pas longtemps pour avoir envie de découvrir ce qui allait suivre tout de suite après, et ainsi de suite. Pas longtemps pour sentir qu’il se passait quelque chose. Pas longtemps pour me convaincre que ce quelque chose a un caractère inestimable voire exceptionnel. L’Australie possède une histoire musicale très forte et importante. Et une histoire à part. Il me semble évident que Little Ugly Girls y a toute sa place. Le punk noise du groupe transpire l’électricité, la passion et la révolte comme rarement. Le plus étonnant étant que l’enregistrement s’étale de fait entre 1995 et 2016 : le groupe aurait fini par récupérer des bribes de studio que tout le monde pensait perdues à jamais parce que coincées à l’intérieur d’un vieux disque dur vérolé. Mais globalement l’enregistrement se tient, le son et l’interprétation sont homogènes – bien que parfois on peut discerner un grain de voix et une qualité de production un peu différents comme sur Baggage qui effectivement semble avoir été mise en boite au milieu des années 90 (et avec un autre bassiste).

S’il me fallait employer d’autres adjectifs pour qualifier la musique de Little Ugly Girls – parce que j’ai déjà employé « passionnée » – ce serait crue et brute. Cette musique est avant tout pleine de fièvre et pleine de fureur. Mais tout en restant d’une stature assez incroyable, bien plus fine et plus détaillée que ce que sa rogne intrinsèque fait penser au départ. Derrière cette rythmique puissamment armée et qui ne rigole vraiment pas il y a la guitare qui tend à s’éloigner des plans punk noise basiques pour se transformer en perceuse électrique à percussion et ça fait très mal (les stridences high voltage de Senseless). Une guitare pas loin d’être renversante et qui arrive toujours à tirer son épingle du jeu, sait se faire remarquer, défonce tout et en finit avec ce qui nous restait encore de résistance. Le chant de Linda reste évident un élément primordial dans la musique de Little Ugly Girls (d’autant plus qu’elle n’arrête jamais de l’ouvrir, jusqu’à épuisement) mais il n’occulte jamais tout le reste c’est-à-dire un groupe compact et soudé qui dynamite le terrain sans répit.
Pour finir, je ne vais pas mentir… c’est un ami bien informé qui en premier m’a parlé de Little Ugly Girls en me disant simplement « tiens ce truc pourrait peut-être te plaire ou tout du moins t’intéresser » – honnêtement je n’ai fait strictement aucun effort pour découvrir et exhumer ce groupe et l’inclure en bonne place dans mes disques de l’année 2018. Moralité, aussi universelle qu’inévitable : les conversations autour d’une bière resteront toujours plus efficaces, profitables et précieuses qu’un lien posté sur un réseau social.

[cet album sans titre de Little Ugly Girls est publié en vinyle uniquement par Chapter Music]