Cette fin d’année 2018 est
passionnante : il y a énormément de (très) bons disques qui paraissent et celui de
KEN Mode n'est vraiment pas en reste. J’ai toujours apprécié le trio de Winnipeg / Canada… chouettes
disques quoi qu’un peu trop répétitifs parfois et chouettes concerts bien qu’un
peu trop en mode tough guy et regarde-moi-comme-j’en-ai-dans-la-culotte pour le
petit cœur sensible et pacifique que je suis. Je rappelle que le
« Ken » de KEN Mode n’est
pas une référence à la plastique très avantageusement hardcore des frères Jesse
et Shane Matthewson – respectivement guitariste/chanteur et batteur du groupe –
mais est un acronyme piqué au révérend Henry Rollins signifiant « Kill
Everyone Now ». Et contrairement à leurs compatriotes de No Means No qui
en avaient tiré une chanson culte débordant de cet humour au troisième degré et
inimitable qui faisait tout leur charme, les frelus Matthewson appliquent
depuis déjà sept albums et à la lettre la devise colérique et survivaliste de
Rollins : seule la violence permet de résister à la violence (OK : je
caricature un peu mais à peine).
Je pense surtout que le risque de
complaisance est beaucoup trop grand avec les musiques brutales et agressives. Dans le meilleur des cas je
m’enferme entre quatre murs et ne fais rien d’autre que de me taper la tête
contre ; dans le pire je me transforme en crétin mimétique pour
qui la violence musicale est un catalyseur éphémère – oui cela fait du bien de
gueuler avec les louveteaux mais après ? Après, j’ai acheté un disque (ou
je l’ai volé sur internet, cela dépend des fins de mois), j’ai transpiré à un
concert, j’y ai croisé Jean-Dominique, un mec plutôt cool que précisément je ne vois qu’aux
concerts et avec qui je n’arrive à parler que de musique ; tous les deux
on s’est dit que ouais la salope de sa mère la pute de sa race le concert de ce
soir était une vraie boucherie, que c’était mortel bien et que ça redonnait du
courage à vivre – c'est un peu comme du grain à moudre mais pas
tout à fait pareil non plus.
Voilà le genre de contradictions que
génère KEN Mode chez moi. Je
continue d’écouter le groupe et de m’intéresser à chacun de ses nouveaux
enregistrements mais à chaque fois, au delà de la musique qui me procure cette
montée d’adrénaline et cette envie de griller tous les feux rouges et tous les
panneaux stop lorsque je suis à vélo, je me dis à quoi bon ?
Et bien concernant KEN Mode il y a des exceptions vivifiantes comme avec l’album Success paru en 2015 et enregistré par
Steve Albini. On peut dire ce que l’on veut des méthodes et du son Albini,
qu’il nivelle tous les groupes qui font appel à ses services, etc. (on peut
dire exactement la même chose d’un Kurt Ballou), il n’empêche que souvent il
arrive également à faire apparaitre ce qui auparavant n’était jamais ressorti
chez un groupe (contrairement à Ballou…). Et c’est précisément le cas de Success qui à ce jour reste l’album le
plus noise-rock de KEN Mode.
C’est pourtant une bonne chose que le trio n’ait pas voulu renouveler
l’expérience Albini pour son nouvel album : cela aurait servit à rien de
refaire le même disque et le groupe ne possède pas assez de talent ni
d’originalité – ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit : bien sur que KEN Mode en a, mais il n’en a pas assez – pour résister deux fois de suite
au grand Steve. Par contre… il est évident que le passage entre les mains de
l’ingénieur du son/producteur à lunettes de Chicago a permis au groupe d’y voir
plus clair et de s’ouvrir pour la suite.
Et la suite c’est ce nouvel album millésimé 2018 et qui s’appelle Loved. Il a été enregistré avec Andrew Schneider qui a fait de l’excellent boulot (il a un curriculum vitae totalement ahurissant de Unsane à Keelhaul en passant par Converge, Thalia Zedek Band et même Pneu !) et le disque est d’une noirceur quasiment insoutenable. Il s’agit peut-être même bien du disque de KEN Mode le plus abouti de ce côté-là, Loved ne laissant pas grand-chose au hasard, déferlante de saturation, de matraquage et de hurlements. Mais également une déferlante de ténèbres et de blessures ouvertes.
Et la suite c’est ce nouvel album millésimé 2018 et qui s’appelle Loved. Il a été enregistré avec Andrew Schneider qui a fait de l’excellent boulot (il a un curriculum vitae totalement ahurissant de Unsane à Keelhaul en passant par Converge, Thalia Zedek Band et même Pneu !) et le disque est d’une noirceur quasiment insoutenable. Il s’agit peut-être même bien du disque de KEN Mode le plus abouti de ce côté-là, Loved ne laissant pas grand-chose au hasard, déferlante de saturation, de matraquage et de hurlements. Mais également une déferlante de ténèbres et de blessures ouvertes.
L’oppression (musicale) est quasiment
totale et pourtant Loved est le
disque le plus digeste et le plus assimilable du groupe, celui qui s’élève largement
au dessus de tous les autres. On y retrouve bien un KEN Mode fidèle à lui-même, à sa violence, sa colère, son
animalité, sa solidité et sa force – mais qu’est ce que je déteste écrire ce
mot – mais on découvre surtout un KEN
Mode plus significatif et un peu plus profond que d’habitude. Et on ressort
du disque avec une impression autre que celle d’avoir été complètement malmené
et rincé par une bande de psychopathes assoiffés de sang. Malaise il y a mais
ce malaise n’est pas un acte purement gratuit et exhibitionniste.
Il aura donc fallu quinze années et six
autres albums pour permettre à KEN Mode
d’arriver à ce stade, celui d’un disque toujours plus perturbé mais humainement
plus accessible, celui d’une musique plus éclairée dans son propos et pas
uniquement incandescente. Et s’il ne fallait garder qu’un album de toute la
discographie bien fournie du trio ce serait donc Loved, sans aucune hésitation.
[Loved est publié en
vinyle et en CD par New Damage records et Season Of Mist
– cela dépend un peu de quel côté de l’océan Atlantique tu habites]