« Ici on ne
parlera pas de culture ni d’art mais de sens, de mondes que l’on
invente, du monde qu’on détourne, de batailles quotidiennes face à la fadeur
mortelle des rues vides »*. Le Feu
Au Lac est le cinquième (?) album
de CHOCOLAT BILLY et, plus
que tous les autres, il nous
rappelle que la fantaisie et l’inventivité du groupe n’obéissent à aucune règle
connue. De même, la seule certitude que l’on pourrait avoir au sujet de cette
musique ce serait plutôt… qu’il n’y a aucune certitude, mise à part la
nécessité, vitale, du mouvement. Tu es bien avancé maintenant, hein ? Bon,
allez, je recommence : les quatre Chocolat
Billy jouent une musique débordante de fantaisie (donc) et de lumières
vives, une musique radieuse, drôle, rythmée, dansante, très colorée, odorante, souvent
kitsch (exotico-tropicalisante pour employer des mots trop grands), inattendue,
désinvolte, joyeusement bordélique, naturellement étrange et irrésistible. Une
musique qui pense aussi, mais à sa façon, avec pour principal mot d’ordre la
générosité.
Avec ses synthétiseurs fruités qui la plupart du temps mènent la danse des
mélodies, ses guitares agiles et alertes, ses lignes de basse rondes et chaloupées,
ses rythmes pétillants et ses chants variés – tout le monde a son mot à dire – le
groupe a su, depuis plus de vingt années maintenant, se forger une identité artistique
(ahem) unique et forte. Déployer une telle liberté de ton, être irrévérencieux,
se moquer éperdument des pauvres conventions du bon goût obligatoire et,
finalement, inspirer autant de respect et d’amour sont des choses aussi satisfaisantes
et rares qu’un voile de fraîcheur et de légèreté en plein milieu d’un été
caniculaire préapocalyptique. Mais les Chocolat
Billy n’en jouent pas : la démagogie n’est pas du tout leur truc, ils n’utilisent
pas de climatiseur et ne font pas de politique même si leur propos peut l’être
et alors que le nom de leur nouvel album ne nous dit pas autre chose –
l’absurdité tragi-comique d’une expression commune pourtant à prendre au pied
de la lettre, plus que jamais.
Plutôt que s’ériger en exemple et plutôt que passer son temps à dire, il faut
faire. Et ne rien s’interdire, mélanger ses inspirations – aspirations ?
respirations ? oui, également. La musique virevolte aussi bien que les
mots (les textes sont tout aussi importants que le reste bien qu’ils
n’envahissent pas le disque) mais est-ce que cela suffira ? Chocolat Billy n’en démord pas de son
enthousiasme et on est donc obligé de répondre que oui. A la seule condition
pourtant de ne pas s’arrêter là. Les chansons contenues dans Le Feu Au Lac ne pédalent pas dans le
vide, elles nous racontent des histoires, s’accrochent à des détails
d’apparence anodine et à des petites choses de la vie ordinaire, manipulent adroitement
les nostalgies (ces pièges sans fond) sans se faire avoir et développent une
poétique qui hisse le quotidien au niveau de l’universel. Pas étonnant qu’au
moins par deux fois – Au Cinéma puis Cinecittà, peut-être Devant Derrière Californie – le disque évoque
directement ce sentiment aussi diffus qu’essentiel que l’on peut ressentir au
sortir d’une salle de cinéma de quartier ou d’un vieux film, cette étincelle
qui nous éclaire, cette compréhension – même si elle peut être fugitive,
temporaire, incomplète – qui l’espace d’un instant fait sens profondément. Que Chocolat Billy retrouve au travers de
sa musique un peu de cette magie et de cette force là et que le groupe sache quoi
en faire, ce n’est pas rien.
[Le Feu Au Lac est publié en vinyle
et en cédé par Kythibong]
* extrait de Scutigères Flamboyantes vs Rats De Bureau,
un texte trouvé (?) au Növö Lokal, un endroit à Bordeaux où les Potagers Natures, étroitement
liés à Chocolat Billy, organisent plein
de concerts