La dernière fois
que j’ai pu voir ORCHESTRE TOUT PUISSANT MARCEL DUCHAMP en concert* il y avait
tellement de musiciennes et de musiciens sur scène que je n’avais pas assez de
doigts et d’orteils pour tou·te·s les compter. Et pour moi c’est ce qui résume le
mieux cette joyeuse bande depuis quelques années et depuis qu’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp est
passé en version XXL, élargissant son line-up bien au delà des six ou sept
musiciens de départ : on peut essayer de regarder et d’écouter d’un côté
et tout de suite il y a autre chose qui se passe à l’autre bout… ce qui n’empêche
pas la musique du groupe de dégager une harmonie à la beauté solide, tout en gardant son côté foutraque, entrainant et poétique. Dit
autrement, Orchestre Tout Puissant
Marcel Duchamp c’est toujours plein de détails, de trouvailles, de
petites et grandes joies mais avec beaucoup d’espaces entre tout ça, donc il n’y a jamais
d’effet de surabondance ni d’effet big band mais un monde en perpétuelle
création et – encore mieux – c’est à nous de remplir certains de ces espaces,
puisque nous y sommes invité·e·s par le groupe, en dansant pendant ses concerts
et / ou en déambulant à l’écoute de sa musique.
Pour en revenir au concert mentionné plus haut, il s’agissait d’une sortie de résidence effectuée à
Grrrnd Zero à Lyon, au début de l’année 2020, l’un des derniers concerts auquel
j’avais pu assister avant le couperet de la crise sanitaire. Je me rappelle que
Liz Moscarola n’avait pas chanté ce jour là parce qu’elle était tombée
subitement malade (un gros rhume !)… Par contre, lorsque je regarde le
détail de la formation qui a enregistré We’re
Ok But We’re Lost Anyway je ne compte qu’une douzaine de personnes dont
quelques nouvelles têtes – un certain Gilles Poizat par exemple – mais aussi
quelques absences, notamment celle de l’emblématique batteur Wilf Plum – chaleureusement
salué ainsi que quelques autres dans les notes de l’insert : « Aby,
George, Anne, Seth, Jo, Seni and Wilf : we love you we miss
you ! ». Et c’est vraiment cela Orchestre
Tout Puissant Marcel Duchamp, malgré les allées-et-venues des musicien·ne·s
qui le composent, un vrai collectif qui se mesure à hauteur humaine, celle des
rencontres, celle des échanges et des partages.
Pourtant We’re Ok But We’re Lost Anyway
laisse une drôle d’impression. Enfin… « drôle » n’est pas le terme le
plus approprié puisque cette impression est celle d’un voile plus sombre qui recouvre
toute la musique d’Orchestre Tout
Puissant Marcel Duchamp. Il n’y a pas que la pochette du disque (dessinée
par Brian Case, sérigraphiée et très belle lorsqu’on la découvre enfin en vrai)
qui a délaissé les couleurs vivifiantes pour se parer de noir et de rigueur. Le
début du disque est marqué par Be Patient,
une balade douce-amère d’où exhale malgré tout un appel à la lutte, pour soi et
pour les autres (Born with ideals and
dreams / You were born with wings
/ You’re not meant for crawling / So don’t). We’re Ok But We’re Lost Anyway est donc aussi et plus que jamais un
disque politique et de dénonciations comme sur Flux qui résume très bien l’absurdité d’une économie capitaliste
mondialisée et basée entre autres choses sur la circulation à outrance des
marchandises et des êtres humains qui les produisent avec comme unique logique
celle du profit maximisé.
Le propos politique d’Orchestre Tout
Puissant Marcel Duchamp porte d’autant plus que sa musique
n’a jamais été aussi ciselée et aboutie, généreuse et transgenre : chacun
des nombreux éléments qui la composent s’imbrique parfaitement dans tous les
autres (comme les harmonies vocales qui sont un réel délice) et les
arrangements sont à l’avenant. On en revient à la notion et même l'idée, également très
politique, de collectif voire de communauté et qu’il n’y ait qu’un seul
compositeur – mais plusieurs auteures pour les textes – dans le groupe n’y
change rien ou pas grand chose pour nous qui en théorie
sommes de l’autre côté et qui écoutons We’re
Ok But We’re Lost Anyway… Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp nous tend la main, une main ferme et décidée, et c’est comme si nous étions nous
aussi avec le groupe, ne serait-ce que pour les trente-six minutes de
magie réconfortante que dure le disque.
[We’re Ok But We’re Lost Anyway est publié en vinyle par Les Disques Bongo Joe]
* pour les
lyonnaises et les lyonnais Orchestre
Tout Puissant Marcel Duchamp sera en concert en compagnie de L’Eclair ce
vendredi 3 septembre au Transbordeur dans le cadre d’une soirée Bongo Joe