J’ai 15-16 ans, on est en plein milieu des années 80 et Jello
Biafra est un sujet récurrent de conversation et de dévotion dans la cour de
mon Lycée. Le très médiatique chanteur des
Dead Kennedys doit se défendre contre les attaques et la censure des ligues
parentales américaines qui reprochent à son groupe le caractère pornographique
de l’insert de l’album Frankenchrist
(1985). Il risque parait-il une lourde peine de prison et une amende au montant
exorbitant. Les ennuis judiciaires ont duré des mois, de quoi entretenir un peu plus la
légende et, malheureusement, mettre la musique au second plan.
Quelques décennies plus tard, au Printemps 2021 pour être précis, JELLO
BIAFRA & THE GUANTANAMO SCHOOL OF MEDECINE publient The Tea Party Revenge Porn. J’avais bien l’intention d’en parler avec quelques sanglots dans la voix
et des larmes de bonheur au coin des yeux mais je ne l’ai pas fait. Parce que
comme beaucoup de disques post Dead Kennedys de Biafra – et en particulier ceux
de GSM – ce troisième album du groupe est inégal et vraiment sans surprises. Il
recycle nombre de plans déjà entendus chez les Dead Kennedys et les brulots
bien punk et bien enlevés y côtoient des compositions plus pataudes et
lourdingues où la voix si caractéristique de Biafra et mixée en tête de gondole
finit par devenir complètement horripilante… Oui je sais : quelle que soit
la prod et quel que soit le mix, la voix du chanteur en a toujours énervé plus
d’un·e, un reproche déjà très courant à l’époque des Dead Kennedys. Je n’ai
donc pas beaucoup écouté The Tea Party
Revenge Porn, un disque qui ne peut pas soutenir la comparaison avec Last Scream Of The Missing Neighbors enregistré avec D.O.A et surtout
le génial The Sky Is Falling And I Want
My Mommy avec No Means No. Mais ça c’était il y a plus de trente ans.
No More Selfies b/w The Ghost Of Vince Lombardi est une
sorte de single AA qui résume ce qu’il y a de mieux chez Jello Biafra & The Guantanamo School Of Medecine avec deux
pépites efficaces et même à la limite de ce bon vieux hardcore old school en ce
qui concerne le deuxième titre. Alors autant faire l’apologie de cet excellent
et très joli 7’ plutôt que celle d’un LP trop produit et qui a un peu de mal à se
bonifier avec le temps. Il y a cependant un petit problème : ni No More Selfies ni The Ghost Of Vince Lombardi ne sont réellement inédits puisqu’ils
figuraient déjà sur la version CD et la version dématérialisée de The Tea Party Revenge Porn. Cela ne
m’aurait pas dérangé plus que ça s’ils n’avaient pas pu figurer sur la version
vinyle de l’album dès le départ. Je sors mon chronomètre et ma calculette :
le LP de huit titres seulement dure 38 minutes et même un millénial biberonné
au streaming et aux mp3 dégueux peut savoir et comprendre qu’un vinyle avec
deux titres supplémentaires pour une durée totale de 45 minutes aurait tout à
fait été possible techniquement.
Autrement dit Jello Biafra a appliqué la méthode du saucissonnage de ses enregistrements – il
avait déjà fait un truc du genre pour les disques avec les Melvins dans
les années 2010 – et ainsi multiplié les éditions sur support physique. Les
mauvaises langues diront que cette entourloupe accrédite les critiques contre
Biafra le chanteur-politicien-businessman-à-trop-grande-gueule-pour-être-honnête
et même les accusations de ses anciens collègues des Dead Kennedys qui, on s’en
rappelle, l’avaient poursuivi devant la justice au début des années 2000 pour
récupérer leur part de droits d’auteurs et la propriété des enregistrements du
groupe, une histoire très made in USA. Moi je préfère fermer les yeux, toujours
un peu crédule et naïf : réentendre en 2021 la voix de Jello Biafra me ramène malgré tout à
ces disques des Dead Kennedys que j’ai usés jusqu’à la corde (au point de les
avoir rachetés des années plus tard). Un amour de jeunesse, quoi…