C’est suffisamment rare pour être
signalé : lorsqu’en 2016 MONPLAISIR a commencé à diffuser sa première démo, le groupe lyonnais ne se
doutait sûrement pas que celle-ci allait susciter beaucoup d’engouement, à tel
point qu’Echo Canyon records a alors décidé de la publier en vinyle. Le label (basé
à Lyon également) n’aurait pas pu être plus inspiré en agissant de la sorte, ce
premier enregistrement sonnant magnifiquement (je veux dire qu’il laisse
échapper une vérité sincère), surtout lorsqu’on songe qu’il a été effectué à
l’aide d’une poignée de micros lors d’une répétition du groupe. Comme une sorte
de petit miracle, les miracles en musique faisant les plus beaux disques. Mais
il fallait aussi aller de l’avant et pour leur premier véritable album les
quatre garçons de Monplaisir ont
pris cette fois-ci les chemins d’un vrai studio où pendant trois jours
seulement ils ont enregistré The
Agreement, le titre du disque faisant référence aux longues discussions
entre les musiciens au sujet de la voie à suivre pour donner corps à leur
musique et pour réussir à l’enregistrer. Qu’il y ait eu des débats presque sans
fin au sein de Monplaisir je veux
bien le croire mais je ne les entends pas lorsque j’écoute le disque.
The
Agreement est d’une homogénéité merveilleuse, de celle qui
révèle moult petits détails, des finesses d’arrangement, des trouvailles de
composition pour donner un album plein de caractère. La démo de 2016 n’était
donc pas qu’un one-shot de circonstance ou un hasard
bienheureux. Et The Agreement permet
à Monplaisir de poursuivre sur la
lancée d’un rock indé et noisy : la référence au Sonic Youth de la fin des
années 90 et de la première moitié des années 2000 s’impose, de même que la
référence aux albums solo si réussis de Thurston Moore, The Best Day et Rock’n’roll
Consciousness. Tout ça pourrait sembler bien lourd à porter pour des
musiciens ayant choisi comme nom de groupe le nom d’un quartier lyonnais
tendance baptou/middle class et dont le gros défaut serait d’être de vrais fans
de musique. Mais l’intelligence musicale soit on en a, soit on n’en a pas et
dans le cas de Monplaisir je peux
affirmer que le groupe en a plus qu’à revendre, je parle de cette intelligence
qui exclut ni l’à-propos ni la sensibilité. Ce n’est pas tout de s’inspirer,
encore faut il avoir de la personnalité et savoir comment aller au delà de ce
que l’on connait déjà tout en se l’appropriant (éternel débat en ces temps où
d’aucuns affirment que tout a déjà été fait en matière de création musicale et
que c’était forcément mieux avant – Monplaisir nous démontre fort heureusement que non).
Ce qui me pousse à penser que la plupart
des pistes de The Agreement ont été
enregistrées en prise directe avec les membres du groupe jouant tous en même
temps, il y a à la fois trop de cohésion et trop de palpitation (et donc de vie)
dans ces enregistrements pour qu’il puisse en être autrement. Que The Agreement sonne mieux que son
prédécesseur n’est pas réellement une surprise mais il reste de la même nature
que celui-ci parce que ce nouvel enregistrement continue de développer une
façon de faire franche et compacte qui laisse malgré tout toute sa place à la
rêverie noisy : sans être trop dense ni trop resserré le son reste ferme,
presque débordant de fierté, tout en ménageant suffisamment d’espace entre
chaque instrument, ce qui est un argument de poids en faveur de la pratique
subtilement dentelière et sonique des deux guitares mais également en faveur de
la basse, encore plus présente. Seule la voix est parfois trop appuyée dans le
mix et a bénéficié d’un traitement de faveur : on peut lire quelque part
dans les notes du livret que le chant a en fait été doublé et si son côté plus
affirmé et moins vaporeux peut interpeler au départ, on finit vite par se
laisser faire par son insistance.
Et puis, pour parler encore une fois de
miracle, il y a cette ultime composition, Hey
John, qui clôture le disque du haut de ses dix neuf minutes. Les autres titres
du disque sont beaucoup plus courts, ramassés et quelques uns tentent même de respecter
le format des pop songs, ce qui renforce leur efficacité formelle et mélodique
– mais je ne devrais pas parler d’efficacité ou même d’efficience parce que
celle-ci est fort heureusement contrebalancée par le côté mélancolique et
aérien qui se dégage aussi de l’écriture du groupe. Mais en ce qui concerne Hey John les quatre Monplaisir ont décidé de se lâcher un peu plus question grandes traversées
et accidents atmosphériques : Hey
John est une composition presque entièrement instrumentale et c’est la seule de tout
The Agreement, un album où pourtant
les textes me semblent revêtir une importance certaine – j'écris
« presque » parce que le chant y est rare, il n’apparait que
tardivement et, pour une fois, il reste inintelligible. Mais Hey John n’en est pas moins signifiante que
les sept autres compositions du disque. Je ne saurais parler avec justesse des
circonstances exactes de l’enregistrement de ce qui pourrait bien être la pièce
maitresse de The Agreement mais Hey John fait partie de ces musiques qui
vont au delà des certitudes et des évidences en se déroulant lentement, en
s’élevant au dessus des contraintes tout en libérant les sens. Si des fois il
arrive qu’une musique nous parle plus que d’autres et que l’on ait même le
sentiment qu’elle nous parle à nous seuls, il est bien plus rare que l’on
ressente l’envie de lui répondre, d’une façon ou d’une autre. Et si j’osais je
rajouterais que voilà la « raison d’être » de tout chroniqueur de
disques. Merci.
[The Agreement est publié en vinyle par Echo Canyon et Adagio 830 ; il s’agit d’un tirage
limité à 350 exemplaires : chaque copie du disque est accompagnée d’un
livret numéroté à la main et comprenant notes, paroles des chansons et photos]