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jeudi 22 mars 2018

Sister Iodine / Venom






Abîme de longévité et de chaos. Qui aurait pu parier que Sister Iodine allait encore publier un nouveau disque, quelques vingt-quatre années après ADN 115 ? Si d’entrée je fais allusion et référence au premier album du groupe, ce n’est pas simplement pour le plaisir de voyager dans l’espace-temps (quoique…) mais plutôt pour évoquer le grand écart stylistique qui sépare les débuts discographiques de Sister Iodine de Venom, paru fin février 2018. A l’époque (1994, donc) ADN 115 passait pour être un disque ravageur, bruyant et expérimental, teinté de no wave, de cassures, de bruit et de fureur, un album enregistré en trio (deux guitares, de la batterie, de la bidouille et un peu de voix) après que le groupe soit passé de quatre à trois membres, abandonnant ainsi ce qui lui restait encore d’accessibilité. Ce sont ces trois mêmes membres que l’on retrouve aujourd’hui au sein de Sister Iodine et les mêmes qui ont enregistré l’incomparable Venom, monstrueux double LP et sixième album du groupe – si on ne compte pas l’épuisant Meth - Live In Tokyo en compagnie de Masaya Nakahara de Violent Onsen Geisha et publié en 2010.

Venom appartient donc à la deuxième période de Sister Iodine. Celle qui a commencé, après un hiatus de quelques années, avec Helle (2007) et surtout Flame Desastre (2009). Et Venom en est l’un des plus beaux triomphes, un anti-album érigé à la gloire du bruit, cénotaphe de l’insondable, du désordre, du magma, du déséquilibre, du destructif, voire de l’annihilation, rien que ça. Mais l’annihilation de quoi ? Du confort et de la commodité des codes musicaux, des appellations d’origine contrôlée, y compris celles que l’on a collées sur le dos de Sister Iodine aux débuts du groupe (le terme no wave passant finalement presque pour une énième dénomination de ce bon vieux rock’n’roll à papa). Avec Venom le groupe détruit instantanément sur place toutes les musiques dites extrêmes, celles qui n’ont d’« extrême » que le nom ridicule et répondent surtout à un formatage et à un calibrage très scrupuleux et paresseusement méthodique.
Avoir de la méthode, précisément, les trois Sister Iodine semblent s’en foutre complètement, ou plutôt ils ne font preuve que d’un seul mode de fonctionnement : se débarrasser de toutes formulations préconçues tout en sculptant le bruit et ses conséquences directes et indirectes. En comparaison, même Missing Foundation (formation new-yorkaise culte des 80’s et débuts des 90’s, trop méconnue, mésestimée et pour le coup absolument pas formatée ni prévisible) pourrait éventuellement passer pour un groupe de baloche du dimanche après-midi après la messe. Facilité de la démarche et je-m’en-foutisme ? Non : Venom sait également surprendre – Phase /\ en clôture de la troisième face, The Female en ouverture de la quatrième puis Venom Horizon à la toute fin du disque, comme si sur sa deuxième moitié l’album atteignait, en même temps que ses derniers retranchements, une sorte de plénitude et de quintessence, abysses de bruits débouchant sur un irrémédiable proche de l’accomplissement.
Surtout Sister Iodine sait faire palpiter et donc vivre sa musique, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes lorsque on joue autant sur et avec la destruction, miroir volontaire ou non d’un nihilisme contemporain et accablant, et qu’en plus on a affublé son disque d’un nom tout simplement synonyme de poison et donc de mort. Je me demande d’ailleurs si ce nom Venom évoque plutôt les venins fulgurants, ceux qui brûlent vif, ou les venins qui empoisonnent lentement, ceux qui prennent le temps de la consumation. Un nom qui laisse tout l’espace nécessaire à un enregistrement qui fait les deux à la fois, option barbecue/grill et option mijotage de civet, comme s’il n’y avait finalement et définitivement toujours pas le choix, entre absence de toute échappatoire possible et luxe de l’agonie d’un temps qui n’existe déjà plus. Venom est un disque franchement et naturellement foudroyant tout comme il est persistant, jusque dans ses moindres effets. Donc, finalement, pas si nihiliste que cela. Peut-être juste désespérément pessimiste.

[Venom est un double album vinyle publié par le label Nashazphone basé au Caire et dont le catalogue est aussi varié que délirant (ÉlG, Smegma, Skullflower, Sunroof!, E.E.K.  Sun City Girls, etc.) ; si vous n’avez pas la chance de croiser Sister Iodine lors d’un concert*, Venom est disponible auprès de quelques dealers plus que recommandables – par exemple en France et alentours c’est Metamkine qui en assure la distribution]

* pour les lyonnaises, les lyonnais et autres expatrié-e-s au pays du populisme bourgeois et de la gentrification bienpensante ce sera le 4 avril 2018, un concert organisé par Grrrnd Zero Hors Les Murs – plus d’infos en écrivant à jesuisanxieux[arobase]gmail[point]com