Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

lundi 7 novembre 2022

Spelterini : Paréidolie

 

Je n’avais pas vraiment caché mon enthousiasme au sujet de Pergelisol / Chorémanie, le premier album de SPELTERINI publié au tout début de l’automne 2019. Trois années et une crise sanitaire plus tard, le groupe – composé, rappelons-le encore une fois et bien qu’ils doivent en avoir marre, de deux ex Chausse-Trappe et de deux Papier Tigre – est de retour avec un deuxième disque au titre tout aussi étrange : Paréidolie.
La « paréidolie » c’est ce phénomène qui consiste à deviner une forme imaginaire au travers de la perception du réel. L’exemple le plus courant est celui des nuages dans le ciel qui peuvent évoquer tout autre chose, comme le visage de l’être aimé·e (mouhaha), un animal, un objet, etc. Mais le phénomène de paréidolie fonctionne aussi avec les sons : est-ce un petit chat qui miaule ou un enfant qui pleure ? Est-ce que ce sont les claquements de doigts des dirigeants méprisants et des décideurs sans scrupules qui résonnent si gravement à nos oreilles ou seraient-ce les prémices de plus en plus tangibles de l’inéluctable effondrement du monde ? (là, j’admets que l’on peut avoir un sérieux doute).
Le plus drôle c’est que le traitement de texte lambda millésimé 2007 dont je me sers pour taper mes chroniques de disques ne connait pas le mot paréidolie et le souligne systématiquement d’un trait rouge ridicule en forme de vaguelettes. J’y vois comme un gage absolu du caractère poétique d’un mot magique décrivant un phénomène qui échappe à toute logique et qui surtout s’échappe de la réalité et de notre quotidien pour les transformer, certes momentanément et subrepticement. Jusqu’à ce que notre cerveau et notre assurance du cognitif reprennent le dessus. Monde de merde. Reste que pour Spelterini, avoir choisi un tel titre d’album c’est aussi faire du pied à une personne comme moi qui lorsqu’elle écoute de la musique ne fait souvent rien d’autre, sauf peut être imaginer et même voir ce qui autrement n’existerait pas.









A la différence de Pergelisol / Chorémanie qui était composé de deux longs titres, Paréidolie ne comporte qu’une seule pièce d’un peu plus d’une demi-heure mais que l’on pourrait diviser en trois parties. Le principe d’une musique strictement instrumentale et évolutive est tenu pour acquis, l’écoute doit se faire d’une seule traite, en se laissant porter. Cependant Spelterini a nettement affiné son propos, joue moins sur les cassures et les accidents et utilise des sources sonores plus douces, plus synthétiques, parfois proches du drone, comme sur toute la partie introductive, rappelant les ondes sinusoïdales chères à LaMonte Young. Même la batterie – très présente sur la longue partie intermédiaire – se fait plus légère bien que toujours très solide et en vient à sonner plus comme des battements d’ailes, des pulsations motorik qui se mélangent et se confondent, résonnant avec les textures synthétiques, flux de mouvements vibratoires en continu derrière lesquelles monte doucement une guitare à la légèreté fermement scintillante.
La musique se propage plus que jamais sous le forme d’ondes, de glissements, évite soigneusement toute attaque frontale mais laisse suffisamment de place aux remous et aux reflets pour que l’auditeur se sente invité à l’abandon, à l’étourdissement discret de nouvelles visions et de nouvelles sensations. Paréidolie c’est carrément l’anti post-rock et ses montées ascensionnelles qui débouchent inexorablement sur un final explosif au pathos exagéré et théâtralisé. Au contraire, le groupe joue de la tension tout comme il joue de la répétitivité, en mode subtilement tournoyant, hypnotique et, surtout, enveloppant.
En écoutant Paréidolie on est alors confronté à la bizarrerie de toute fascination : on sait et on sent que cette musique nous laisse le choix mais en même temps on ne peut pas s’empêcher d’y aller, parce qu’il n’y a peut-être rien de plus fort qu’une musique (et un art…) qui stimule notre imagination. Les bourdonnements tramés puis l’intervention percussive – qui tire son inspiration des Gamelans Balinais ? – de la dernière partie ne sont pas à proprement parlé une finalité, un terminus, et ici Paréidolie rejoint l’effet déjà produit par Pergelisol / Chorémanie : on ne doute pas qu’à chaque écoute cette musique donnera naissance à de nouvelles formes, de nouvelles couleurs, changera peut-être de volume et d’odeur. Plus qu’une vraie réussite à redécouvrir sans cesse, un trésor inestimable.

[Paréidolie est publié en vinyle et en digital par Kythibong]