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mercredi 2 novembre 2022

Sloy : Plug / Live Electric

 

Il y aurait tellement de façons d’aborder cette double chronique de disque que je ne sais pas par où commencer. Donc je ne vais pas vraiment choisir et simplement suivre l’ordre chronologique de mes souvenirs lointains. Mais pour lire ce qui va suivre il convient de savoir et de garder à l’esprit que je n’ai jamais été non plus un très grand fan de SLOY.







La première fois que j’ai entendu parler de Sloy c’était en 1994 et à Radio Canut où j’animais une émission et nous venions de recevoir Fuse, un mini CD de quatre titres édité par Rosebud records. J’ai passé plusieurs fois You Cry dans mon émission au milieu de tout un tas d’autres choses – depuis quelques années la scène commençait sérieusement à bouillonner, des groupes (trop rarement des musiciennes) tous plus intéressants les uns que les autres surgissaient de tous les recoins de ce pays.
Quelques mois plus tard Shellac est venu donner son premier concert à Lyon (c’était au CCO de Villeurbanne), les Américains n’avaient publié qu’une paire de singles et l’album At Action Park – musicalement ils n’auront peut-être jamais fait aussi bien. Sur scène, Steve Albini, Bob Weston et Todd Trainer portaient tous un t-shirt reprenant le visuel de Fuse. Il était déjà de notoriété publique que Sloy allait enregistrer son premier album avec Albini mais là c’était carrément de l’adoubement, surtout lorsque Weston, au lieu de nous raconter une de ses fameuses blagues volontairement débiles – ce qu’il a quand même fait à d’autres moments – s’est mis à parler de Sloy entre deux morceaux de Shellac. A partir de là les comparaisons sont allées bon train alors que je ne vois que très peu de rapports entre les deux groupes, pas plus que je n’en vois entre Sloy et Jesus Lizard, autre comparaison très hasardeuse mais courante, mis à part le nom des premiers écrit en quatre lettres (four letter word c’est-à-dire « gros mot » en français) comme les titres des albums de Jesus Lizard, toujours en quatre lettres eux aussi.
Plug a donc été enregistré en février 1995 au studio Black Box de Iain Burgess avec Albini aux manettes et Peter Deimel comme technicien. Une fine équipe et un son très typique : rachitique et sec mais en même temps très efficace, qui claque et convenant parfaitement aux compositions de Sloy, raclées jusqu’à l’os, drivées par des lignes de basse aussi grosses qu’élastiques et dominées par un chant hoquetant et une guitare aride. Dans le genre noisy et pop à la fois c’était parfait. Plug a été publié au Printemps 1995 chez Roadrunner et j’ai toujours ma copie comprenant un LP et un 7’. Un bon petit disque, avec quelques compositions qui se détachent réellement du lot – une nouvelle version de You Cry, First Animal en guise d’étendard ou Old Faces. Mon préféré reste Exactly qui est le titre le plus lent du disque et celui qui dégage le plus de tension et même un certain malaise, de la noirceur… La réédition de Plug tout juste publiée par Nineteen Something présente l’intégralité de l’album d’origine, plus pour l’édition CD le EP Fuse et enfin Chocolat Sperm qui figurait en face B du 7’ Pop – une nouvelle version de Chocolat Sperm, vraiment une composition excellente, sera incluse sur Planet Of Tubes, le deuxième album de Sloy publié en 1996.







Et puis j’ai enfin vu Sloy en concert, toujours à l’époque de Plug et là aussi au CCO. D’abord très impressionné par l’allant du groupe, cette énergie qu’il tentait à tout prix de faire passer. La bassiste tenait tout le reste du groupe. On ne voyait presque jamais son visage, toujours caché par des cheveux très longs qui semblaient toucher terre parce qu’elle jouait penchée très en avant, tenant son instrument vraiment bas, sauf lorsqu’elle relevait brusquement la tête et le torse, projetant sa chevelure à la verticale en se réappropriant malicieusement le headbanging des métalleux. Elle formait une super rythmique avec le batteur, même si celui-ci avait tendance à trop lever les bras alors que ce n’était pas forcément nécessaire à l’efficacité de son jeu.
Le guitariste/chanteur est celui qui en rajoutait le plus. Et beaucoup trop à mon goût (à un moment du concert il se retrouvait immanquablement à quatre pattes pour mettre la tête dans la grosse caisse) mais cela fonctionnait auprès du public qui voulait du spectacle électrique. Ce jour là j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour de la question, même si je suis retourné voir Sloy en concert d’autres fois, ressentant à nouveau la même chose – ce qui, finalement, fait un véritable point commun entre le trio et Shellac qui depuis des années nous ressort les mêmes gimmicks ou presque et fait partie des groupes qu’il ne faut pas voir trop souvent sur scène, au risque de s’en lasser sérieusement. Il y a des groupes, Sloy comme Shellac et tant d’autres, qui se contentent d’être des petits malins.
L’écoute d’Electric Live 95 - 99 publié en même temps que la réédition de Plug par Nineteen Something confirme que, malgré tout, Sloy est plus une formation de concert que de studio. Et ceci vaut pour les trois albums. Sur Electric Live 95 - 99 quatre titres sont issus de Plug, trois de Planet Of Tubes et trois de Electrelite (1998). Ce dernier est à part : alors que les deux premiers sont assez semblables, Electrelite a été enregistré par le groupe et dans son propre studio, qu’il avait lui-même construit. On y découvre une musique bien plus arrangée et dévoilant plus significativement ses influences (on peut citer Talking Heads et Devo dont Sloy avait pourtant déjà repris Jocko Homo que l’on retrouve sur le CD single Idolize, extrait de l’album Planet Of Tubes). On pourra reprocher à Electric Live 95 - 99 son manque de cohérence sonore – dix titres, six sources d’enregistrement différentes, ce qui en fait une sorte de best of en concert de Sloy – mais on ne pourra pas lui reprocher de résumer la musique du groupe de façon presque exhaustive, en tout cas panoramique. Et je ne dis pas cela parce qu’une très bonne version d’Exactly figure sur la face A du disque.
Reste que le cas de Sloy permet de poser cette question : on parle beaucoup désormais de la scène noise française des années 90, comme s’il pouvait s’agir d’un tout. Mais est-ce vraiment le cas ? La seule cohérence que je trouve aux groupes de cette époque – de Davy Jones Locker à Drive Blind en passant par Deity Guns/Bästard ou Prohibition, Hems et bien sûr Heliogabale c’est d’avoir marqué l’avènement de groupes enfin affranchis de la période précédente, mais sans doute nécessaire, marquée elle par l’alterno et la franchouillardise – à l’exception notoire de Garbage Collector et des Thugs, actifs dès le milieu des années 80 et visionnaires entre tous. Sloy n’est pas seul dans ce cas là mais le groupe fait partie de tous ceux auxquels on a enfin pu penser et que l’on a pu aimer sans se dire qu’ils avaient une cocarde tricolore tatouée sur la fesse gauche. Un très net progrès.