Il y aurait
tellement de façons d’aborder cette double chronique de disque que je ne sais pas
par où commencer. Donc je ne vais pas vraiment choisir et simplement suivre
l’ordre chronologique de mes souvenirs lointains. Mais pour lire ce qui va
suivre il convient de savoir et de garder à l’esprit que je n’ai jamais été non
plus un très grand fan de SLOY.
La première fois que j’ai entendu parler de Sloy c’était en 1994 et à Radio Canut où j’animais une émission et
nous venions de recevoir Fuse, un
mini CD de quatre titres édité par Rosebud records. J’ai passé plusieurs fois You Cry dans mon émission au milieu de
tout un tas d’autres choses – depuis quelques années la scène commençait
sérieusement à bouillonner, des groupes (trop rarement des
musiciennes) tous plus intéressants les uns que les autres surgissaient de tous
les recoins de ce pays.
Quelques mois plus tard Shellac est venu donner son premier concert à Lyon
(c’était au CCO de Villeurbanne), les Américains n’avaient publié qu’une paire
de singles et l’album At Action Park
– musicalement ils n’auront peut-être jamais fait aussi bien. Sur scène, Steve
Albini, Bob Weston et Todd Trainer portaient tous un t-shirt reprenant le
visuel de Fuse. Il était déjà de
notoriété publique que Sloy allait
enregistrer son premier album avec Albini mais là c’était carrément de
l’adoubement, surtout lorsque Weston, au lieu de nous raconter une de ses
fameuses blagues volontairement débiles – ce qu’il a quand même fait à d’autres
moments – s’est mis à parler de Sloy
entre deux morceaux de Shellac. A partir de là les comparaisons sont allées bon train alors que je ne vois que très peu de rapports entre
les deux groupes, pas plus que je n’en vois entre Sloy et Jesus Lizard, autre comparaison très hasardeuse mais
courante, mis à part le nom des premiers écrit en quatre lettres (four letter word c’est-à-dire « gros
mot » en français) comme les titres des albums de Jesus Lizard, toujours
en quatre lettres eux aussi.
Plug
a donc été enregistré en février 1995 au studio Black Box de Iain Burgess avec
Albini aux manettes et Peter Deimel comme technicien. Une fine équipe et un son
très typique : rachitique et sec mais en même temps très efficace, qui
claque et convenant parfaitement aux compositions de Sloy, raclées jusqu’à l’os, drivées par des lignes de basse aussi
grosses qu’élastiques et dominées par un chant hoquetant et une guitare aride.
Dans le genre noisy et pop à la fois c’était parfait. Plug a été publié au Printemps 1995 chez Roadrunner et j’ai
toujours ma copie comprenant un LP et un 7’. Un bon petit disque, avec quelques
compositions qui se détachent réellement du lot – une nouvelle version de You Cry, First Animal en guise d’étendard ou Old Faces. Mon préféré reste Exactly
qui est le titre le plus lent du disque et celui qui dégage le plus de tension
et même un certain malaise, de la noirceur… La réédition de Plug tout juste publiée par Nineteen
Something présente l’intégralité de l’album d’origine, plus pour l’édition CD le EP Fuse et enfin Chocolat Sperm qui figurait en face B du 7’ Pop – une nouvelle version de Chocolat
Sperm, vraiment une composition excellente, sera incluse sur Planet Of Tubes, le deuxième album de Sloy publié en 1996.
Et puis j’ai enfin vu Sloy en
concert, toujours à l’époque de Plug
et là aussi au CCO. D’abord très impressionné par l’allant du groupe, cette
énergie qu’il tentait à tout prix de faire passer. La bassiste
tenait tout le reste du groupe. On ne voyait presque jamais son visage, toujours caché
par des cheveux très longs qui semblaient toucher terre parce qu’elle jouait
penchée très en avant, tenant son instrument vraiment bas, sauf lorsqu’elle relevait
brusquement la tête et le torse, projetant sa chevelure à la verticale en se
réappropriant malicieusement le headbanging des métalleux. Elle formait une
super rythmique avec le batteur, même si celui-ci avait tendance à trop lever
les bras alors que ce n’était pas forcément nécessaire à l’efficacité de son
jeu.
Le guitariste/chanteur est celui qui en rajoutait le plus. Et beaucoup trop à
mon goût (à un moment du concert il se retrouvait immanquablement à quatre
pattes pour mettre la tête dans la grosse caisse) mais cela fonctionnait auprès
du public qui voulait du spectacle électrique. Ce jour là j’ai eu l’impression
d’avoir fait le tour de la question, même si je suis retourné voir Sloy en concert d’autres fois, ressentant à nouveau
la même chose – ce qui, finalement, fait un véritable point commun entre le
trio et Shellac qui depuis des années nous ressort les mêmes gimmicks ou presque
et fait partie des groupes qu’il ne faut pas voir trop souvent sur scène, au
risque de s’en lasser sérieusement. Il y a des groupes, Sloy comme Shellac et tant d’autres, qui se contentent d’être des
petits malins.
L’écoute d’Electric Live 95 - 99 publié en même
temps que la réédition de Plug par
Nineteen Something confirme que, malgré tout, Sloy est plus une formation de concert que de studio. Et ceci vaut pour
les trois albums. Sur Electric Live 95 -
99 quatre titres sont issus de Plug,
trois de Planet Of Tubes et trois de Electrelite (1998). Ce dernier est à
part : alors que les deux premiers sont assez semblables, Electrelite a été enregistré par le
groupe et dans son propre studio, qu’il avait lui-même construit. On y découvre
une musique bien plus arrangée et dévoilant plus significativement ses
influences (on peut citer Talking Heads et Devo dont Sloy
avait pourtant déjà repris Jocko Homo
que l’on retrouve sur le CD single Idolize,
extrait de l’album Planet Of Tubes). On pourra reprocher à Electric Live 95 -
99 son manque de cohérence sonore – dix titres, six sources
d’enregistrement différentes, ce qui en fait une sorte de best of en concert de Sloy –
mais on ne pourra pas lui reprocher de résumer la musique du groupe de façon
presque exhaustive, en tout cas panoramique. Et je ne dis pas cela parce qu’une
très bonne version d’Exactly figure sur
la face A du disque.
Reste que le cas de Sloy
permet de poser cette question : on parle beaucoup désormais de la scène noise française des années 90, comme
s’il pouvait s’agir d’un tout. Mais est-ce vraiment le cas ? La seule
cohérence que je trouve aux groupes de cette époque – de Davy Jones Locker à Drive
Blind en passant par Deity Guns/Bästard ou Prohibition, Hems et bien sûr
Heliogabale c’est d’avoir marqué l’avènement de groupes enfin affranchis de la
période précédente, mais sans doute nécessaire, marquée elle par l’alterno et la
franchouillardise – à l’exception notoire de Garbage Collector et des Thugs, actifs
dès le milieu des années 80 et visionnaires entre tous. Sloy n’est pas seul dans ce cas là mais le groupe fait partie de tous
ceux auxquels on a enfin pu penser et que l’on a pu aimer sans se dire qu’ils
avaient une cocarde tricolore tatouée sur la fesse gauche. Un très net progrès.