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mercredi 7 septembre 2022

Julia Jacklin : Pre Pleasure

 

Cet été j’ai pour la première fois lu un livre d’Aharon Appelfeld. Mon Père Et Ma Mère est un récit de souvenirs d’enfance, autobiographique et très introspectif traitant des relations intenses de l’auteur avec ses parents, des conséquences qu’elles ont entrainées sur son écriture et son travail d’auteur. Il s’agit d’un livre très troublant lorsqu’au contraire on a eu des relations trop compliquées ou très difficiles avec ses propres parents et que l’on s’efforce, maintenant, d’en avoir de bien meilleures avec les enfants que l’on a eus soi-même. Mon Père Et Ma Mère est un très beau livre, sensible et – sans aucune prétention – universaliste mais singulier, personnel. Tellement beau que je ne suis pas sûr de vouloir ni de pouvoir lire d’autres textes d’Aharon Appelfeld de sitôt, j’aurais trop peur d’être déçu. Ou de ne pas comprendre, de ne pas du tout ressentir les mêmes choses.
Au détour d’une page de Mon Père Et Ma Mère j’ai découvert une phrase prononcée par la mère de l’auteur et qui par truchement me semblait résumer en grande partie l’intériorité de celui-ci mais également mon état d’esprit actuel, celui de cet été 2022. J’ai fait confiance à ma mémoire, me disant que j’allais me rappeler de ces mots, qu’au moins j’allais me rappeler du bon numéro de page (c’est vers la fin) mais évidemment rien de tout cela ne s’est produit, j’ai rouvert le livre pour y rallumer exactement la lueur subrepticement entrevue et je n’ai pas retrouvé cette fameuse phrase, que j’ai finalement peut-être rêvée, interprétée, confondue. Ce qui n’est pas si grave que cela parce que l’impact émotionnel qu’elle a laissé en moi et lui toujours présent.


 


 

Je ne connaissais pas JULIA JACKLIN avant de tomber par hasard sur son nom dans des commentaires sur un réseau social quelconque (troll inside). Je décelais comme une singularité, quelque chose d’unique et je ne m’y suis pas trompé. Mieux : la musique et les textes de Julia Jacklin se sont eux aussi révélés être un modèle bouleversant d’introspection et de sensibilité, bien que parfois exprimées sans ambages, crument. Les chansons de l’Australienne parlent essentiellement de relations humaines, amoureuses ou pas. Et que ne donnerais-je pas pour avoir découvert plus tôt, dès sa parution en 2019, le deuxième album de Julia Jacklin : Crushing est un disque que je n’écoute que depuis quelques mois mais qui aujourd’hui continue de me remuer, il m’a encore bercé tout cet été. Une sorte de révélation pour moi. Assez extraordinairement et alors qu’elle ne se préoccupait pas du contenu même des textes, se fiant uniquement à la voix de la chanteuse, Crushing a aussi eu un effet apaisant sur l’une de mes filles, en difficulté de vie. Plus que le plaisir immense d’une musique intimement partagée, j’ai alors ressenti encore plus fort ce qu’exprime Aharon Appelfeld lorsqu’il évoque l’héritage affectif et culturel que lui ont laissé ses parents. Sauf que cette fois c’est moi qui donnais.
Pre Pleasure* est le troisième album de Julia Jacklin. Crushing racontait la fin d’une histoire et ses complications, sur Pre Pleasure la musicienne continue de se questionner – « I quite like the person that I am / Am I gonna lose myself again ? » –, d’explorer les relations humaines, leur complexité, comment ne pas se perdre, comment se retrouver soi-même. Musicalement c’est un album plus épais, un peu plus lyrique et plus sophistiqué (les somptueux arrangements de cordes sur Ignore Tenderness et surtout End Of A Friendship). Les compositions semblent moins intimistes, du moins sur la première face du disque. Mais bien qu’il puisse laisser une telle impression aux premières écoutes, Pre Pleasure n’est pas un album moins touchant et moins émouvant. Il ne faudrait surtout pas ignorer les textes dont Julia Jacklin détourne la rudesse voire la crudité d’une voix aussi pénétrante que légère et avec un angélisme désarçonnant. Des mots d’une acuité et d’une profondeur à partager, encore – malgré leur caractère très intime et personnel – et qui finissent par résonner en nous, vibrant comme la phrase perdue d’un livre-révélateur. Il y a des étés comme ça, malgré tout un peu plus beaux que les autres.

* paru chez Transgressive records