Cet été j’ai
pour la première fois lu un livre d’Aharon Appelfeld. Mon Père Et Ma Mère est un récit de souvenirs d’enfance, autobiographique
et très introspectif traitant des relations intenses de l’auteur avec ses
parents, des conséquences qu’elles ont entrainées sur son écriture et son
travail d’auteur. Il s’agit d’un livre très troublant lorsqu’au contraire on a
eu des relations trop compliquées ou très difficiles avec ses propres parents
et que l’on s’efforce, maintenant, d’en avoir de bien meilleures avec les enfants
que l’on a eus soi-même. Mon Père Et Ma
Mère est un très beau livre, sensible et – sans aucune prétention –
universaliste mais singulier, personnel. Tellement beau que je ne suis pas sûr
de vouloir ni de pouvoir lire d’autres textes d’Aharon Appelfeld de sitôt,
j’aurais trop peur d’être déçu. Ou de ne pas comprendre, de ne pas du tout ressentir
les mêmes choses.
Au détour d’une page de Mon Père Et Ma
Mère j’ai découvert une phrase prononcée par la mère de l’auteur et qui par
truchement me semblait résumer en grande partie l’intériorité de celui-ci mais
également mon état d’esprit actuel, celui de cet été 2022. J’ai fait confiance
à ma mémoire, me disant que j’allais me rappeler de ces mots, qu’au moins
j’allais me rappeler du bon numéro de page (c’est vers la fin) mais évidemment
rien de tout cela ne s’est produit, j’ai rouvert le livre pour y rallumer
exactement la lueur subrepticement entrevue et je n’ai pas retrouvé cette
fameuse phrase, que j’ai finalement peut-être rêvée, interprétée, confondue. Ce
qui n’est pas si grave que cela parce que l’impact émotionnel qu’elle a laissé
en moi et lui toujours présent.
Je ne connaissais pas JULIA JACKLIN avant de tomber par
hasard sur son nom dans des commentaires sur un réseau social quelconque (troll
inside). Je décelais comme une singularité, quelque chose d’unique et je ne m’y
suis pas trompé. Mieux : la musique et les textes de Julia Jacklin se sont eux aussi révélés être un modèle bouleversant
d’introspection et de sensibilité, bien que parfois exprimées sans ambages, crument.
Les chansons de l’Australienne parlent essentiellement de relations humaines,
amoureuses ou pas. Et que ne donnerais-je pas pour avoir découvert plus tôt, dès
sa parution en 2019, le deuxième album de Julia
Jacklin : Crushing est un
disque que je n’écoute que depuis quelques mois mais qui aujourd’hui
continue de me remuer, il m’a encore bercé tout cet été. Une sorte de
révélation pour moi. Assez extraordinairement et alors qu’elle ne se
préoccupait pas du contenu même des textes, se fiant uniquement à la voix de la
chanteuse, Crushing a aussi eu un
effet apaisant sur l’une de mes filles, en difficulté de vie. Plus que le
plaisir immense d’une musique intimement partagée, j’ai alors ressenti encore
plus fort ce qu’exprime Aharon Appelfeld lorsqu’il évoque l’héritage affectif
et culturel que lui ont laissé ses parents. Sauf que cette fois c’est moi qui donnais.
Pre Pleasure* est le troisième album de Julia
Jacklin. Crushing racontait la
fin d’une histoire et ses complications, sur Pre Pleasure la musicienne continue de se questionner – « I quite like the person that I am / Am I gonna lose myself again ? »
–, d’explorer les relations humaines, leur complexité, comment ne pas se
perdre, comment se retrouver soi-même. Musicalement c’est un album plus épais,
un peu plus lyrique et plus sophistiqué (les somptueux arrangements de cordes
sur Ignore Tenderness et surtout End Of A Friendship). Les compositions semblent
moins intimistes, du moins sur la première face du disque. Mais bien qu’il
puisse laisser une telle impression aux premières écoutes, Pre Pleasure n’est pas un album moins touchant et moins émouvant. Il
ne faudrait surtout pas ignorer les textes dont Julia Jacklin détourne la rudesse voire la crudité d’une voix aussi
pénétrante que légère et avec un angélisme désarçonnant. Des mots d’une acuité
et d’une profondeur à partager, encore – malgré leur caractère très intime et
personnel – et qui finissent par résonner en nous, vibrant comme la phrase perdue
d’un livre-révélateur. Il y a des étés comme ça, malgré tout un peu plus beaux
que les autres.
* paru chez Transgressive records