Il se passe un
truc plutôt curieux entre moi et CHAFOUIN. La musique du groupe
ressemble à pas grand-chose que je connaisse et apprécie vraiment, du moins ne ressemble pas
à quelque chose que j’écouterais spontanément, comme ça, parce que cela ferait partie
de moi. Mais c’est pourtant ce qu’il se passe à chaque fois. Tu connais
forcément le syndrome de l’humeur musicale qui te fait choisir un disque ou une
musique selon le moment, la météo, tes envies, tes non-envies, la gravité de ta
gueule de bois, l’état de décomposition plus ou moins avancée de ton tube
digestif, le bordel insupportable de tes voisins qui font tourner le barbecue et
le cubi de rosé sans discontinuer depuis une semaine – si tu as envie de faire
chier le monde un peu, beaucoup, passionnément, si au contraire tu as envie de
rien de trop précis, si tu préfères penser à pas grand chose et surtout pas à
demain (sans faute), si tu es seul·e ou pas, si tu as la flemme de passer
l’aspirateur, si ton chat est venu se coller à toi en ronronnant tendrement ou
si tu as un peu peur d’envoyer un message à cette personne importante et
qu’elle le prenne mal…
Avec Chafouin rien de tout ça. Je ne
saurais décrire ce qu’est exactement le bon moment pour écouter Toufoulcan, un album qui m’embrouille
plus que jamais, utilisant et mélangeant des ingrédients qui auraient plutôt
tendance à me hérisser le (mauvais) poil : post rock cérébral à la
Tortoise circa TNT, jazz rock chansonné,
guirlandes clignotantes de synthétiseurs kitschounes, surabondance de mélodies ciselées
comme des napperons en crochet, textes (parfois) naïfs en français, chant
choral… la liste pourrait être longue parce que je suis un type intolérant avec
des principes pseudo-esthétiques très arrêtés, ayatollah du bon goût, adepte de
la mauvaise foi si nécessaire – ndlr : la mauvaise foi est-elle toujours une
nécessité ? – et de plus en plus snob avec l’âge. Mais non et encore non.
Rien ne peut empêcher Toufoulcan d’être
un ravissement et une parenthèse d’apaisement et de sérénité, surgissant à
chaque fois sans crier gare d’une pile de disques à écouter et allant se coller
immédiatement sur la platine. Un peu à la manière des derniers méfaits de
Chocolat Billy dont Chafouin
pourrait être un lointain cousin par alliance et au troisième degré.
Et en parlant de degré, c’est sûrement ce qui me plait dans cette
musique : son côté en apparence compliqué, alambiqué voire progressif
(arrrghh !), lyrique et – allons-y gaiement – ampoulé qui pourtant s’efface
immédiatement devant l’absence absolue de prétention dont fait preuve le groupe.
C’est ce que je ressens toujours. La bienveillance, la générosité et – surtout
– la modestie sincère de quatre musiciens qui, alors qu’ils auraient pu faire
semblant de mettre les petits plats dans les grands, enfiler des chemises à
jabots et enchainer les effets de manches, faire chauffer les pédales d’effet, s’étaler
comme des bâtards insensibles et postuler pour le premier prix d’arrogance,
nous balancent douze compositions qui mélangent sans aucune honte et avec grande
finesse rock, jazz, electro et chanson : Toufoulcan est un disque dénué de tout cynisme, sans
arrière-pensées (sauf politiques). Donc tant pis pour le second degré et la
mauvaise foi car ici il n’y en a pas. Tout comme il n’y a aucune violence musicale
mais beaucoup de poésie, une poésie simple et directe, colorée et dessinée avec
soin mais dont les détails n’ont rien d’étouffant – un tableau du douanier
Rousseau, de cet art dit « naïf » ai-je même envie de dire mais pour
cela il faudrait que je retire ce que j’ai écrit un peu plus haut sur la naïveté.
OK, je retire. Et j’écoute.
[Toufoulcan est publié en vinyle et en cassette par Araki, Burning Sound records, Coolax, Do It Youssef !, Epicericords, Ged, Hidden Bay, Jarane, L’Etourneur et Super Apes]