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jeudi 1 septembre 2022

Chafouin : Toufoulcan

 




Il se passe un truc plutôt curieux entre moi et CHAFOUIN. La musique du groupe ressemble à pas grand-chose que je connaisse et apprécie vraiment, du moins ne ressemble pas à quelque chose que j’écouterais spontanément, comme ça, parce que cela ferait partie de moi. Mais c’est pourtant ce qu’il se passe à chaque fois. Tu connais forcément le syndrome de l’humeur musicale qui te fait choisir un disque ou une musique selon le moment, la météo, tes envies, tes non-envies, la gravité de ta gueule de bois, l’état de décomposition plus ou moins avancée de ton tube digestif, le bordel insupportable de tes voisins qui font tourner le barbecue et le cubi de rosé sans discontinuer depuis une semaine – si tu as envie de faire chier le monde un peu, beaucoup, passionnément, si au contraire tu as envie de rien de trop précis, si tu préfères penser à pas grand chose et surtout pas à demain (sans faute), si tu es seul·e ou pas, si tu as la flemme de passer l’aspirateur, si ton chat est venu se coller à toi en ronronnant tendrement ou si tu as un peu peur d’envoyer un message à cette personne importante et qu’elle le prenne mal…
Avec Chafouin rien de tout ça. Je ne saurais décrire ce qu’est exactement le bon moment pour écouter Toufoulcan, un album qui m’embrouille plus que jamais, utilisant et mélangeant des ingrédients qui auraient plutôt tendance à me hérisser le (mauvais) poil : post rock cérébral à la Tortoise circa TNT, jazz rock chansonné, guirlandes clignotantes de synthétiseurs kitschounes, surabondance de mélodies ciselées comme des napperons en crochet, textes (parfois) naïfs en français, chant choral… la liste pourrait être longue parce que je suis un type intolérant avec des principes pseudo-esthétiques très arrêtés, ayatollah du bon goût, adepte de la mauvaise foi si nécessaire – ndlr : la mauvaise foi est-elle toujours une nécessité ? – et de plus en plus snob avec l’âge. Mais non et encore non. Rien ne peut empêcher Toufoulcan d’être un ravissement et une parenthèse d’apaisement et de sérénité, surgissant à chaque fois sans crier gare d’une pile de disques à écouter et allant se coller immédiatement sur la platine. Un peu à la manière des derniers méfaits de Chocolat Billy dont Chafouin pourrait être un lointain cousin par alliance et au troisième degré.
Et en parlant de degré, c’est sûrement ce qui me plait dans cette musique : son côté en apparence compliqué, alambiqué voire progressif (arrrghh !), lyrique et – allons-y gaiement – ampoulé qui pourtant s’efface immédiatement devant l’absence absolue de prétention dont fait preuve le groupe. C’est ce que je ressens toujours. La bienveillance, la générosité et – surtout – la modestie sincère de quatre musiciens qui, alors qu’ils auraient pu faire semblant de mettre les petits plats dans les grands, enfiler des chemises à jabots et enchainer les effets de manches, faire chauffer les pédales d’effet, s’étaler comme des bâtards insensibles et postuler pour le premier prix d’arrogance, nous balancent douze compositions qui mélangent sans aucune honte et avec grande finesse rock, jazz, electro et chanson : Toufoulcan est un disque dénué de tout cynisme, sans arrière-pensées (sauf politiques). Donc tant pis pour le second degré et la mauvaise foi car ici il n’y en a pas. Tout comme il n’y a aucune violence musicale mais beaucoup de poésie, une poésie simple et directe, colorée et dessinée avec soin mais dont les détails n’ont rien d’étouffant – un tableau du douanier Rousseau, de cet art dit « naïf » ai-je même envie de dire mais pour cela il faudrait que je retire ce que j’ai écrit un peu plus haut sur la naïveté. OK, je retire. Et j’écoute.

[Toufoulcan est publié en vinyle et en cassette par Araki, Burning Sound records, Coolax, Do It Youssef !, Epicericords, Ged, Hidden Bay, Jarane, L’Etourneur et Super Apes]