L’esperluette
prend tout son sens : Witch Coven
n’est pas un split entre Rorcal et Earthflesh mais bien un disque
collaboratif, enregistré à deux. On ne présente plus les premiers, tenants
helvétiques (Genève) d’un metal fortement teinté de black et adeptes du chaos
hardcore ; quant au second il s’agit d’un one man band derrière lequel on
retrouve un ex-membre de Rorcal,
justement, à savoir Bruno Silvestre Favez, anciennement bassiste et aujourd’hui
bidouilleur electo-bruitiste/harsh noiseux. On n’est jamais aussi bien qu’entre
vieux amis.
J’ai souvent trouvé RORCAL trop emprunté, trop démonstratif et trop
intentionnel. Le groupe aime les albums-concept, les enregistrements qui embrassent
des formes narratives (en 2019, Eric Steiner Carlson, auteur du livre ayant inspiré
l’album Muladona, avait même été
invité à en lire quelques passages pour le disque). Moi qui aime plus que tout
inventer mes propres histoires lorsque j’écoute de la musique ou qui, plus
simplement, préfère me laisser aller et emmener n’importe où mais sûrement pas
au milieu de récits mêlant créatures sanguinolentes surgies des abîmes, magiciens
vengeurs et anges du mal exterminateurs, écouter un disque des Suisses me
laisse un sentiment de frustration : je peux être d’accord lorsque la musique
est au service d’une idée, d’un sentiment, d’un état d’esprit mais lorsqu’elle
n’est que le vecteur d’une histoire ficelée, pliée et emboitée cela me laisse
froid… Mais la bonne nouvelle est qu’en dépit de son titre Witch Coven semble débarrassé de tout concept ou alors il est
tellement bien caché – car non explicité dans les maigres notes accompagnant le
disque – que l’on ne s’en aperçoit pas. On peut prendre cet enregistrement tel
quel, bien que le côté folklorique de l’artwork donne quelques indices. Evoquer
les sorcières est un sujet définitivement bien à la mode.
Le disque se divise en deux parties, en fait deux titres d’un quart d’heure
chacun. Le premier s’intitule Altars Of
Nothingness et lorgne impitoyablement du côté d’un The Body version
liturgique et emphatique (avec chœurs et tout et tout). N’aimant pas du tout
guère les disques les plus récents de ce duo de Portland – je me suis arrêté en
2014 et à l’album I Shall Die Here –
le fait que Rorcal semble s’en
inspirer de façon aussi évidente devient assez perturbant. Heureusement cette
première impression s’efface rapidement et la combinaison entre metal noirci mais
joué lentement et les trames harsh concoctées par EARTHFLESH
fait son œuvre et si l’emphase persiste, elle se teinte d’une inexorable
montée en puissance et d’une obscurité toujours plus envahissante. La tension
est presque à son comble mais les chœurs font leur réapparition à la fin de Altars Of Nothingness et, à nouveau,
c’est un peu la déconvenue, comme un élan brisé – tout ça pour ça ?
Non : on écoute la deuxième face du disque et la seconde partie de Witch Coven. Et là c’est la grosse
mandale. Inévitablement. Happiness Sucks
- So Do You (un titre idéal à faire imprimer sur des beaux t-shirts misanthropes)
est le point ascensionnel du disque. Tu me diras sans doute qu’Altars Of Nothingness n’était qu’une sorte
de passage nécessaire et obligé pour mettre encore plus en relief cette suite
cauchemardesque et brutale mais je te répondrai que non. Happiness Sucks - So Do You se suffit à lui-même, démarrant sur les
chapeaux de roues et renouant impeccablement avec le côté black metal de la
musique de Rorcal puis ménageant en
son milieu un long passage anxiogène et ténébreux aboutissant à l’ultime
saccage. Il ne faudrait pas croire non plus que l’empreinte d’Earthflesh y est moins importante. Les
grésillements et autres perturbations sonores de Bruno Silvestre Favez sont
nettement perceptibles, vont en s’intensifiant et entourent d’une aura particulièrement
malsaine toutes les dernières minutes du disque. L’écoute au casque, une
pratique qui d’habitude n’a guère mes faveurs, est cette fois plus que
conseillée pour réussir à saisir toute la justesse de l’association entre les
deux parties en présence.
Jusqu’ici Világvége était le disque des Suisses qui me posait
le moins de problèmes. Il est désormais détrôné, dépassé de la tête et
des épaules par Witch Coven qui, malgré les quelques réticences
exprimées, démontre que Rorcal n’est pas un groupe du genre content de
lui, à s’endormir glorieusement sur un matelas de ronces ou ficelé au milieu d’un bucher en
flammes. Ce qui m’incitera encore et toujours à écouter sa musique dans le
futur.
[Witch Coven est publié en vinyle par Hummus records]