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vendredi 14 juin 2019

YC-CY / Béton Brut


Nous sommes le vendredi 14 juin 2019 et je n’ai toujours pas vu YC-CY en concert. Je m’en mords les doigts mais pour l’instant mon égo démesuré et boursoufflé n’en prend pas trop ombrage dans la mesure où je sais que je pourrai un jour rattraper cette profonde erreur puisque aux dernières nouvelles ce groupe suisse existe encore. La preuve : YC-CY vient même de publier un nouvel album intitulé Béton Brut, conjointement chez X-Mist records et order05 records. Je ne me suis donc toujours pas remis de son prédécesseur Todestanz que j’ai déjà un nouveau disque de chevet en provenance de Schaffhausen (chef-lieu du canton qui porte le même nom). Et comme un peu de géographie n’a jamais fait de mal (bien qu’en définitive cela serve rarement à quelque chose) je tiens à préciser que c’est du côté du lac de Constance et que ce coin là à l’air vraiment très (très) beau… en fait je me demande encore une fois ce qui peut bien pousser des jeunes gens à imaginer, composer et jouer une musique aussi folle et aussi viscérale. Ce n’est sûrement pas à cause de la verdoyante et vallonnée campagne suisse. Et ce n’est pas là le moindre mystère de la beauté violente et oppressante de la musique de YC-CY.
Il y a ce titre également, et cette pochette : le premier (Béton Brut) est l’incarnation d’une urbanité aride et sans pitié ; la seconde est étrangement poétique… j’ai mis du temps avant de me rendre compte que ce corps de garçon parcouru d’étoiles translucides et de quelques tatouages mystérieux sur les bras était en fait plongé dans une baignoire remplie d’eau… laquelle dessine comme des stries et des volutes sur sa peau. Le visage et les yeux du garçon sont fermés mais pas douloureux, sans doute dort-il ou veut-il penser à autre chose. Il s’agit de l’une des pochettes de disque les plus remarquables que j’ai pu voir depuis longtemps, parce qu’elle possède un réel intérêt esthétique et qu’elle reste d’une grande force picturale* sans dévoiler réellement ce que peut être le contenu du disque et, surtout, elle donne vraiment envie de l’écouter. Lorsqu’on me demande pourquoi acheter encore des vinyles je réponds toujours que c’est par fétichisme de l’objet. Mais ici il y a une autre raison : Béton Brut peut et même doit être écouté en contemplant sa pochette, en se perdant dedans et en ne faisant rien d’autre que de se noyer aussi dans la musique de YC-CY, qui s’y prête plus que jamais. 



Premier titre de l’album, Past, Present, Future est une sorte de mise en garde. Le groupe semble nous dire quelque chose comme : attention c’est maintenant et effectivement le déluge sonore qui marque le début de Béton Brut laisse augurer d’un enregistrement encore plus bruyant à défaut d’être plus tordu. Pourtant il n’en est rien. Past, Present, Future est une tempête émotionnelle envoyée en éclaireur ou plutôt sonne comme un garde fou à l’envers, cette première composition tout simplement infernale nous propulse très loin dans la noirceur et surtout le fracas mais une fois que l’on se retrouve catapulté au centre d’un tel chaos tempétueux entre noise rock, dark indus et hardcore on (re)découvre qu’au milieu de tout ouragan et de tout cyclone il y a une zone au calme provisoire et à la confusion persistante. YC-CY nous prend à son piège et les choses sérieuses peuvent commencer.
Finalement Béton Brut ne va pas jouer la surenchère superflue. Mais plutôt rajouter toujours plus de trouble. Ce qui jusqu’ici était plutôt sous-entendu dans la musique de YC-CY et que faute de mieux on aurait pu qualifier de death-rock (à cause de ce son de guitare ressemblant à des plaintes métalliques déchirantes émises par un cœur artificiel ouvert en deux et saignant des larmes de sécheresse) prend l’ascendant. Les intros de The State Of The Human Body et de Surface & Structures – No Colors renvoient inévitablement du côté d’un Los Angeles insalubre et vampirique contaminé par la chaleur paralysante du désert Mojave, YC-CY alliant perdition des sensations physiques et détresse accablante. Si une pointe de hardcore screamo refait surface, si des accélérations massives se font entendre (au début de Decreasing Development Line par exemple) ou si le chaos reprend ses droits (A Place To Learn And Unlearn) c’est toujours à propos, pour nous rappeler que YC-CY est et demeure un groupe intraitable et inclassable.
Formellement moins offensif, Béton Brut épaissit le rendu et affine les effets d’une musique inconfortable, obsédante, collante et moite à la fois. Il parait que le froid intense donne la sensation de brulures insupportables ; avec le troisième album de YC-CY c’est exactement l’effet inverse qui se produit, la chaleur intense dégagée par le groupe nous glaçant les sangs. Un peu de lumière apparait sur A Lifetime To Live, A Second To Die mais il s’agit une lumière blafarde dont les morsures profondes nous injectent un poison caverneux et assourdissant de torpeur… le final offert par les trois minutes de l’instrumental Béton Brut (bloqué par un lock groove) deviennent alors le seul moment de répit du disque mais sèment irrémédiablement le doute : ce poison quel est-il ? et ce garçon dans sa baignoire dort-il vraiment ? est-il en train de rêver ? ou bien veut-il disparaitre ?

* malheureusement je n’ai pas réussi à savoir qui est l’auteur de la photo et de la réalisation de cette pochette