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mercredi 19 octobre 2022

Gilla Band : Most Normal

 



Un disque tout ce qu’il y a de plus normal ? Tu parles ! Connaissant GILLA BAND – comme chacun·e le sait, anciennement Girl Band mais le groupe a préféré changer de nom parce qu’il n’est composé que de garçons – on se doute bien qu’il s’agit là d’un titre d’album profondément ironique. Les Irlandais, emmené par leur chanteur Dara Kiely, ne font rien comme les autres. Non seulement parce qu’ils ne le peuvent pas, puisque Kiely ne fait guère mystère de ses problèmes mentaux et que ceux-ci font partie intégrante du processus créatif et de son expression viscérale, mais aussi parce que le groupe ne le veut tout simplement pas : réduire Gilla Band aux seules folies de son impressionnant chanteur serait injuste et Most Normal est l’illustration de tout un travail collectif.
Produit par le groupe lui-même, enregistré et mixé par le bassiste Daniel Fox, Most Normal a été imaginé, composé et conçu en très grande partie pendant la crise sanitaire et les confinements. Les quatre garçons – pour finir de les énumérer : Alan Duggan à la guitare et Adam Faulkner à la batterie – ont eu le temps de se remettre artistiquement en question et de repenser leur musique, lui enlevant une à une toutes les couches trop évidentes et trop lisibles, malmenant ce qu’il pouvait y avoir encore de « rock » là dedans, bidouillant un bruitisme envahissant et déstabilisant tout en préservant, comme une balise spatio-temporelle déglinguée, leur côté pop songs – les deux aspects cohabitant la plupart du temps. Avec Most Normal, Gilla Band navigue constamment entre deux extrêmes avec d’un côté la turbine de l’expérimentation et de l’autre le chancellement de véritables chansons doté d’un expressionisme à fleur de peau. Tout comme la musique du groupe, le chant de Dara Kiely longe les mêmes chemins, pouvant passer des hurlements (parfois déformés par la magie du studio) à ce style quasi parlé mais nerveux hérité d’un Mark E. Smith qui aurait délaissé la picole nombriliste. L’anxiété et le malaise sont constamment présents mais on ne saurait dire si le chanteur est réellement terrifiant ou s’il est tout simplement lui-même complètement terrifié. Les deux mon capitaine ?
L’ambiguïté n’est pourtant pas par un mode opératoire ni le but recherché  par Gilla Band. On sait très bien depuis le précédent album The Talkies que Kiely et son groupe se servent de leur musique comme exutoire à la folie tout comme elle en est l’instrument. Je trouve vraiment admirable, humainement parlant, l’histoire de ces quatre garçons qui sont restés ensemble et semble-t-il soudés, malgré les profondes difficultés de son chanteur et parolier. Tant d’autres auraient pris la tangente et renoncé, la peur faisant le reste. Sans doute que cela ne durera pas éternellement – en musique, les relations entre musicien·nes sont comme toutes les relations humaines véritables, elles évoluent, se distendent ou plus simplement s’éteignent, parfois elles renaissent – mais cela fonctionne formidablement sur Most Normal, malgré le désespoir et la noirceur palpables transformés en chaos sonore, malgré les confidences malaisantes, malgré également deux ou trois (toute petites) longueurs sur la seconde partie du disque et, enfin, malgré la volonté évidente de ne pas plaire à n’importe quel prix ni n’importe comment. Most Normal c’est, pour les quatre Gilla Band, une façon comme une autre de s’assumer comme ils sont et c’est sans doute la meilleure. La normalité, cela n’existe pas. Et la vraie folie serait de prétendre le contraire.

[Most Normal est publié en vinyle, CD, etc. par Rough Trade]