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vendredi 7 octobre 2022

Deliluh : Fault Lines

 

Je suis beaucoup trop émotif et trop sensible *rires* comme garçon et j’ai souvent le même problème, après coup, lorsque j’ai assisté à un concert qui m’a particulièrement remué. Enfin… ce n’est pas vraiment un « problème », juste une incapacité chronique à pouvoir et vouloir sortir de ma petite bulle de rêves bien confortable et protectrice. Ce concert de DELILUH au Sonic en juillet 2022, j’y ai longtemps pensé, il a longtemps résonné en moi et si sur le moment il s’est également révélé frustrant – parce que bien trop court – il en a gagné que plus d’importance à mes yeux.
Dans ces conditions Fault Lines – le nouvel album du groupe – a du attendre un peu que l’émerveillement du lendemain se dissipe. Le temps que je reprenne mon souffle, que mes émotions me submergent un peu moins et que mes sentiments parfois contradictoires se fassent moins insistants. Aujourd’hui, je ne suis toujours pas certain de pouvoir et savoir parler d’un tel disque mais je n’ai pas envie de faire semblant.








Les deux multi-instrumentistes Kyle Knapp et Julius Pedersen sont les seuls survivants d’un groupe qui en 2020 a choisi de prendre l’air, a quitté Toronto et le Canada pour partir s’installer en Europe, afin de recentrer ses activités et d’explorer de nouvelles directions. La crise et les restrictions sanitaires sont passées par là et ont largement accéléré le processus et même provoqué quelques changements imprévisibles : au fil des mois la moitié de Deliluh a fini par quitter le groupe qui a ainsi perdu la plupart de ses atours post-punk (sa section rythmique et notamment sa super batteuse, Erika Wharton-Shukster). Fault Lines, enregistré en divers endroits – Copenhague, Berlin et Marseille – et à des périodes différentes – entre 2020 et 2021 – aurait pu être qu’un disque de transition puisque Erika ainsi que l’ex-bassiste Erik Jude jouent malgré tout sur une partie de l’album, le formidablement hanté Credence (Ash In The Winds Of Reason) et le plus scandé et pesant Syndicate II. Des titres sur lesquels on retrouve et on ressent encore beaucoup le Deliluh d’avant, celui des albums gémellaires Oath Of intent et Beneath The Floor (tous les deux publiés en 2019).
Mais on retiendra surtout de Fault Lines des atmosphères sombres comme jamais, presque impénétrables et malgré tout envoutantes, avec une instrumentation resserrée et marquée par la prédominance des synthétiseurs et des claviers et la relégation au second plan des guitares (le saxophone s’en tire un peu mieux). Petit inventaire : Body And Soul résonne lugubrement au point de faire un peu froid dans le dos ; très électronique, Amulet est une sorte de ralentisseur de particules qui donne envie de danser dans le noir ; X-Neighbourhood est le titre le plus lointain du disque, à la fois liquide et lysergique ; quant à Mirror Of Hope, nappé d’une partie de violon jouée par Erika Wharton-Shukster (encore elle) et dialoguant avec le saxophone brumeux de Knapp, il s’agit de l’une des plus belles composition de Fault Lines, telle une descente en apnée jusqu’à atteindre un sommeil doucement lumineux, réparateur.
Mi-corbeau mi-prédicateur, Kyle Knapp dirige les débats dans l’ombre et nous balance des textes à la mystique toujours plus exacerbée et pleins de questionnements. Sa façon de chanter, un peu trainante ou même carrément parlée et sa voix nasillarde semblent (mais semblent seulement) aller à contre-courant des atmosphères ainsi consacrées sans toutefois les neutraliser – la plupart du temps le chanteur flotte littéralement au milieu de ses mots et il ne faudra pas chercher meilleure explication à l’attraction inévitable qui se dégage d’un disque dont l’ampleur est telle que je n’ai toujours pas fini d’en faire le tour. Parler de pensée artistique forte au sujet de Fault Lines est tout sauf prétentieux ou déplacé et, à l’inverse de tant de groupes et de tant de musiques, il me semble parfaitement vain de vouloir ranger Deliluh dans une jolie place toute bien définie de mon petit espace-temps musical. Au contraire, j’ai bien envie de prétendre qu’il s’agit d’un groupe vraiment unique.

[Fault Lines est publié en vinyle chez Tin Angel records]