Nous y voilà donc : La
Colonie De Vacances publie son premier véritable album. Il était grand temps,
après au moins dix années d’une existence tumultueuse et bien remplie. Et je ne
ferai pas partie des détracteurs baveux du projet bien que son côté « quadraphonic
show » ou, si on préfère, grand spectacle pour les foules, a tendance à me
passer un peu au dessus de la tête. Je me contenterai de ne parler ici que de
musique, des musiciennes et des musiciens qui l’ont imaginée et composée et de ce
disque, réussi, intitulé Echt.
Comme on le sait déjà La Colonie De
Vacances est au départ la réunion/association de quatre groupes :
Electric Electric, Marvin, Papier Tigre et Pneu. L’idée était de partir en
tournée et de jouer ensemble pour rigoler encore plus – plus on est de fous,
etc. – pourtant les tout premiers concerts n’étaient pas
forcément en quadriphonie. Lors de leur venue à Lyon au Rail
Théâtre/Grrrnd Zero en septembre 2010 les groupes étaient montés à tour de rôle
sur scène, tirant au sort leur ordre de passage (sauf Pneu qui jouant au sol
terminait forcément la soirée) et ce sont les Marvin qui avaient commencé… Mais La Colonie De Vacances était
revenue dès le mois d’octobre de l’année 2011 à l’Epicerie Moderne pour
enfin proposer son concert en quatre dimensions – un groupe à chaque coin de la
salle – et je ne compte plus le nombre de fois où elle est repassée par ici depuis lors.
Le projet a rapidement muri, La Colonie
De Vacances a investi des endroits de plus en plus grands ce qui lui a
permis de systématiser et d’améliorer sa configuration quadriphonique, d’en
mettre plein la vue et les oreilles à son public – chacun des groupes répondant
aux autres avec ses propres compositions dans un vaste jeu de ping-pong au
carré – puis d’élaborer un répertoire propre, d’innover de plus en plus.
Aujourd’hui, il convient de préciser que deux des groupes initiaux ont cessé
leurs activités tandis que les deux autres
semblent en hibernation (?). Les musiciennes et musiciens de La Colonie De Vacances se consacrent désormais plutôt à moult
projets personnels annexes, citons par exemple JB de Pneu avec Tachycardie,
Arthur et Pierre-Antoine de Papier Tigre qui jouent dans Spelterini (le
deuxième album arrive bientôt !), Eric de ces mêmes Papier Tigre qui a
tout récemment monté ClapTrap, etc, etc. Toutes
ces précisions sont utiles parce que La
Colonie De Vacances n’est plus uniquement cette association de quatre groupes qui tournent et échangent
ensemble mais une formation à part entière, d’autant plus que deux membres
supplémentaires ont rejoint les rangs : Nicolas (parmi ses activités les
plus récentes citons, pas vraiment au hasard, Mandibula mais aussi Pyjamarama)
et Rachel qui joue et chante également dans Pyjamarama, joue dans ClapTrap et
qui l’année dernière a publié Dothe, un
superbe album solo à base de piano préparé, bricolé et poétique. Encore une
fois, cela fait beaucoup d’informations mais elles sont nécessaires car elles
permettent de comprendre que Echt* est la concrétisation réussie de la combinaison de
talents multiples, de toutes sortes d’envies musicales et de toutes sortes d’influences,
un vrai travail et une réflexion au long court. Ce qui explique évidemment son
côté exigeant.
En effet Echt ne caressera personne
dans le sens du poil et ne flattera pas les oreilles assagies des trentenaires
et quarantenaires qui constituent le plus gros du public de La Colonie De Vacances. On peut même
aller jusqu’à parler d’intransigeance, l’album mélangeant sans pitié noise-rock,
contemporain, bidouille electro, bruitisme, expérimentations, prog et même… pop
(surtout lorsque le chant apparait). Le panel est large, le grand écart de
rigueur, le risque de se casser la gueule et le risque de collage artificiel étaient
importants mais le pari est largement remporté. On a bien sûr le droit d’être parfois
moins convaincu ou de préférer les passages les plus tendus et les plus
bruyants – le plutôt calme Fernweh placé
en fin d’album laisse une impression d’inachevé alors que les deux titres qui
le précèdent sont d’un niveau électrique bien supérieur (le furieux Alex Weir ainsi que Les Chiens, à la fois plus noise et plus déconstruit). Mais il faut
aussi convenir que si tout Echt avait
été composé sur le seul modèle de la tension et de la déflagration, l’album
aurait beaucoup perdu en viabilité et en intérêt, devenant trop monolithique et
inébranlable.
Car il est nécessaire de s’y balader, de prendre la musique comme elle
vient : on découvre toujours quelque chose d’intrigant, des éléments qui
jusqu’ici nous avaient échappé, on change nos repères sans s’en rendre compte,
on respire un grand coup – allez, Fernweh
en lui-même n’est pas si décevant, c’est juste qu’il tombe au mauvais moment et
au mauvais endroit – et on déplace les curseurs de nos propres attentes et de
nos goûts personnels pour de plus en plus adhérer à Echt, immense
patchwork qui réussit malgré tout à rester cohérent (comme la pochette du
disque dont on dirait une estampe japonaise dans laquelle on a découpé des
morceaux pour ensuite les recoller ailleurs). Echt est un album souvent difficile qui s’écoute, se découvre et
s’apprécie en tant que tel. L’exigence et l’ouverture en même temps.