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mercredi 11 janvier 2023

[chronique express] Keiji Haino + SUMAC : Into This Juvenile Apocalypse Our Golden Blood To Pour Let Us Never

 


Into This Juvenile Apocalypse Our Golden Blood To Pour Let Us Never constitue la troisième collaboration entre KEIJI HAINO et SUMAC et il n’y aura aucun suspens : il s’agit aussi de la meilleure. Aaron Turner raconte volontiers que lorsque les deux entités se sont rencontrées en 2017, c’était une demi-heure à peine avant que ne soit enregistré leur premier album en commun. Mais il semblerait que pour Into This Juvenile Apocalypse […] les choses se soient passées un peu différemment. Déjà, les quatre musiciens en présence ont appris depuis quelques années à se connaitre et pas seulement au niveau musical, puisque (là aussi c’est eux qui en parlent) ayant partagé des moments de convivialité et d’amitié en dehors des studios et des scènes de concert. Il a été dit également que Keiji Haino, préalablement à ce nouvel enregistrement, a inopinément provoqué une sorte de réunion, demandant aux autres ce qu’ils envisageaient de faire et donnant lui-même quelques pistes. Evidemment c’était un piège : le musicien et grand maitre japonais (« Haino-san ») a fait le contraire de ce qu’il avait avancé, relançant ainsi le processus créatif d’une association plus que jamais prolixe et éclairée. Ce processus de création improvisée cher à Keiji Haino répond à une double exigence, celle d’aller de l’avant, de jouer, jouer, jouer… et celle de provoquer des ruptures avec le dit processus, générant chocs, accidents, mystères et – résultat espéré – surgissements de grâce. Des mystères, cet album en contient plus que jamais, tout comme il regorge d’espaces de pure magie, les quatre musiciens se rejoignant dans la célébration païenne d’un blues reconstruit et bruitiste traversé d’incantations folles lancées par des fantômes lumineux et magnifiques. Un très grand disque, définitivement. 

mardi 22 décembre 2020

Sumac / May You Be Held

 


 

La détermination et la ténacité de SUMAC sont telles que j’ai toujours du mal à m’en remettre. Déjà, le trio composé d’Aaron Turner (guitare et voix), Brian Cook (basse) et Nick Yacyshyn (batterie) est incroyablement prolifique : cinq albums depuis 2014 dont quatre doubles LP, des disques auxquels il convient de rajouter deux autres doubles vinyles enregistrés en collaboration avec le maitre japonais Keiji Haino. Et puis le niveau de la musique de Sumac est invariablement stupéfiant… Sortir autant de disques sans jamais se montrer décevant, avoir toujours quelque chose à exprimer, savoir creuser et creuser encore et toujours… OUI pour moi il est indéniable que Sumac est l’une des meilleures formations actuelles du metal moderne.
Mais attends un peu un instant… J’ai bien écrit « metal » ? Oui et je le regrette déjà. Je ne peux pas nier que les trois musiciens font plus ou moins partie de toute cette scène là – au sens large, c’est-à-dire en incluant toutes ses hybridations et toutes ses dérivations hardcore moderne et / ou éventuellement noise – ne serait-ce qu’avec tous les groupes dans lesquels ces trois là jouent ou ont joué auparavant. Mais c’est bien l’unique argument que l’on pourra avancer en faveur de cette théorie trop simplificatrice : par exemple il n’y a finalement que fort peu de liens évidents et de passerelles entre Sumac et Isis, le projet le plus connu d’Aaron Turner et que j’avais fini par détester plus que tout ou presque, jusqu’à sa séparation en 2010. 

Dix années plus tard Turner est donc à la tête de l’un de ses plus impressionnants projets, une hydre musicale qui croise et entremêle accents métallurgiques et expérimentations bruitistes ou ambient, faisant une relecture de ce bon vieux blues ancestral et satanique, aussi déviant que fondateur, en le bardant d’électricité foisonnante et en lui faisant emprunter des chemins et des détours dont les circonvolutions multiples semblent infinies. Des labyrinthes mouvants de méandres qui à chaque fois changent de sens, d’inclinaison, d’orientation, de direction : lorsqu’on (ré)écoute un disque de Sumac – et plus particulièrement le fantastique May You Be Held – on découvre systématiquement un autre disque. Il y a toujours quelque chose de nouveau, une sensation, qui apparait et c’est pour cette raison que l’écoute de la musique du trio reste une expérience hors du commun mais une expérience épuisante et éprouvante. Car au-delà de son pouvoir de fascination il s’agit d’une musique à la fois carnée et cannibale, tout le vertige de la chair et du sang.

En si peu d’années mais tellement d’enregistrements Sumac a déjà construit une œuvre à part entière. Il y a toute une logique derrière, dont on ne sait si elle est préméditée ou non, un lien très fort qui relie tous les albums du trio, et finalement une réalité qui se dévoile. Une logique derrière laquelle la présence de Keiji Haino tient une place importante. Bien qu’il n’apparaisse nullement sur May You Be Held, le japonais y est bel et bien présent, dans la façon étourdissante qu’à Sumac de déverser ses torrents soniques comme autant de coulées de lave volcanique. Comme dans celle d’installer des climats moins bruyants mais tout aussi chargés en tension. Pourtant on ne saurait se résoudre à limiter la musique du trio aux prétendues leçons apprises du sensei Haino.
Il y a bien un lien mais c’est celui, consanguin, de la fraternité musicale et artistique, le musicien japonais ayant trouvé dans Sumac son reflet déformé jusqu’à la sublimation et le groupe ouvrant de nouvelles voies – notamment celle de la lourdeur et des rythmiques implacables propres au metal / hardcore – auxquelles Keiji Haino n’aurait sans doute jamais pensé autrement (et sans doute avait-il besoin de musiciens de la trempe des trois Sumac pour avoir une telle optique et, surtout, envisager de pouvoir y parvenir). Il s’agit, si on veut, d’une sorte de symbiose dont May You Be Held est la représentation à trois, et peut-être bien la meilleure de toutes. Et en parlant de sublimation : Sumac réussit sur son dernier album à transformer les corps solides en nuées gazeuses et derrière la masse et la force exprimée quelque chose de toujours plus ténébreux se fait jour, quelque chose qui nous enveloppe et nous transforme à notre tour, impalpables et immatérielles statues de pierre évaporée.

 
[May You Be Held est publié en double vinyle et en CD par Thrill Jockey et même en cassette par Sige records, le propre label d’Aaron Turner]

 

lundi 21 octobre 2019

Keij Haino + Sumac / Even For Just The Briefest Moment – Keep Charging This Expiation – Plug In To Making It Slightly Better


Revoilà l’un des tandems parmi les plus captivants en matière de sculpture de guitares et de free noise : l’association entre le géant japonais KEIJI HAINO et les molosses nord-américains de SUMAC (Aaron Turner à la guitare ; Brian Cook à la basse ; Nick Yacyshyn à la batterie). Un peu plus d’une année s’est écoulée entre le premier double album de ce supergroupe et le nouveau, Even For Just The Briefest Moment / Keep Charging This "Expiation" / Plug In To Making It Slightly Better, doté d’un titre toujours aussi cryptique comme Keiji Haino en a le secret (et je ne te parle même pas des titres des morceaux en eux-mêmes). Surtout, pas mal de choses se sont produites entre les deux parutions, principalement un nouvel album pour Sumac (Love In Shadows sorti fin 2018 chez Thrill Jockey) et une tournée européenne du trio en mars 2019 dont quelques dates en collaboration avec un autre guitarrorist : Caspar Brötzmann*.
Pourtant American Dollar Bill – Keep Facing Sideways, You're Too Hideous To Look At Face On et Even For Just The Briefest Moment** ont été enregistrés la même année et à seulement un mois d’intervalle. S’il est précisé que les sessions d’American Dollar Bill se sont déroulées en juin 2017 au Gok studios, laissant entendre qu’elles ont duré plusieurs jours, celles de Even For Just The Briefest Moment ont eu lieu le 3 juillet à Tokyo, soit une seule journée. Je n’ai pas forcément été toujours très emballé par le premier, trouvant quil souffre de trop de passages incertains. Après quelques premières écoutes de Even For Just The Briefest Moment je m’apprêtais à émettre une opinion très similaire, devant me rendre à l’évidence que l’association Keiji Haino + Sumac, séduisante sur le papier, devait surtout prendre toute sa dimension en live – les fantasmes faisant le reste, etc, comme d’habitude…




… Puis je me suis ravisé. Est-ce que les quatre musiciens se sont servis de leur première expérience commune en studio pour faire les choses différemment avec leur deuxième album ? Oui, cela me semble évident. Tout d’abord les trois SUMAC ont indéniablement pris de l’assurance sur Even For Just The Briefest Moment, se montrent bien plus aguerris dans l’exercice de l’improvisation et de l’écoute mutuelle : moins de remplissage (voire plus du tout), d’avantage de cohésion et donc de cohérence, un sens de la tension collective. Plus on joue ensemble et plus on sait jouer ensemble, voilà une vérité qui énoncée telle quelle ne serait qu’une banalité inutile de plus si elle ne s’appliquait pas dans le cas présent à trois musiciens ultra aguerris et ultra experts en matière de hardcore, metal, post hardcore, noise rock et tous les genres, sous genres et croisements qui peuvent exister entre toutes ces catégories. Des types habitués à ressasser les mêmes structures, les mêmes riffs, les mêmes gimmicks et se concentrent d’habitude sur l’énergie et le son dégagés par leur musique.
Sans être en roue libre et sans faire n’importe quoi (en particulier le jeu de Nick Yacyshyn qui est d’une telle pertinence… le batteur canadien confirme ainsi qu’il est l’un des meilleurs de sa catégorie à l’heure actuelle) on peut affirmer que Sumac se laisse souvent complètement aller : Now I’ve Gone And Done It possède ce coté lancinant et exalté d’un vieux blues cradingue ; un peu plus loin le morceau titre (coupé en deux entre les faces B et C du disque, parce que totalisant près d’une demi-heure) alterne traversées atmosphériques et déflagrations bruitistes avec un groupe qui tient la route sur de longs passages étirés et presque liquéfiés – encore cette hébétude électrisée et si particulière – tout comme il sait provoquer l’explosion sans donner l’impression de remplir une tâche obligatoire que les metalleux de tout poil s’estiment forcément en droit d’attendre de lui.
Côté basse Brian Cook s’en sort très bien. Lorsque elle est (rarement) mise en avant c’est parce qu’elle conduit réellement quelque part, aussi rythmique que tête chercheuse et elle n’est pas le parent pauvre d’une musique à la fois bruyante et instantanée qui a souvent trop tendance à délaisser cet instrument. Bien que comportant assez peu de passages chantés, Even For Just The Briefest Moment consacre cependant Keiji Haino en tant que chanteur/performer vocal, mais également joueur de flûte et de taepyungso – il s’agit d’une sorte de cornet japonais – et celui qui monte indéniablement en puissance c’est donc Aaron Turner dont la guitare prend de plus en plus de place et joue même parfois le premier rôle. Lorsque les deux guitares se déchainent ensemble il devient parfois très difficile d’affirmer avec certitude qui fait quoi. Et ça tombe bien parce que l’on s’en fout un peu, le plus important c’est de constater que dans ces purs moments de délires free et électriques de guitares Keiji Haino + Sumac devient un sacré bon groupe, barré et extrémiste, tout comme il ne déçoit plus dès qu’il s’agit de calmer le jeu. 
Encore plus difficile et plus labyrinthique que American Dollar Bill, ce nouvel album réalise l’exploit d’être beaucoup plus passionnant et vraiment exaltant. Et presque beau, de cette beauté un peu incompréhensible mais envoutante propre à la musique de Keiji Haino. Sauf que cette fois Sumac y est également pour quelque chose. Assurément.

[Even For Just The Briefest Moment / Keep Charging This "Expiation" / Plug In To Making It Slightly Better est publié en double LP, version vinyle noir ou vinyle transparent, en CD et même en cassette par Trost records, excellent label s’il en est et qui d’ordinaire se concentre plutôt sur le free jazz et les musiques improvisées de toutes sortes]

* j’aurais donné n’importe quoi pour voir Sumac en concert lors de cette tournée mais les dates initialement prévues dans les pays d’Europe du sud (il y avait une date lyonnaise de bookée) ont soudainement été annulées alors que celles dans les pays nordiques et scandinaves, certes réputées plus rémunératrices a priori, ont été maintenues – je m’interroge toujours sur le rôle des tourneurs européens qui ne sont que des intermédiaires supplémentaires et dont la seule utilité n’est que de rajouter une dimension financière inflationniste aux tournées des groupes étrangers, la valeur ajoutée versus la valeur artistique et humaine en quelque sorte
** à partir de maintenant et pour plus de facilité je raccourcis tous les titres, désolé Keiji

jeudi 25 octobre 2018

Sumac / Love In Shadow






Lorsque Isis s’est enfin séparé en 2010 – soit à peu près cinq années trop tard – les musicologues avertis ne donnaient vraiment pas cher de la peau et de la barbiche excentrique d’Aaron Turner, chanteur/guitariste/capitaine du navire Isis mais aussi boss du label Hydra Head. Le bonhomme était aussi lessivé que les deux derniers albums studio de son groupe, l’heure de la retraite semblait donc avoir sonné. Puis Turner a annoncé la formation de SUMAC en compagnie du batteur Nick Yacyshyn – oui, celui qui joue dans Baptists – avec l’intention d’en découdre à nouveau, quitte à faire ricaner les esthètes experts en métallurgie plus ou moins expérimentale. Il faut pourtant croire que l’interruption d’Isis a servi à quelque chose : redonner l’envie et l’énergie à un Aaron Turner qui avait alors prévenu qu’il voulait jouer une musique lourde et puissante comme il ne l’avait encore jamais fait auparavant… Il disait vrai l’animal. Et avoir à nouveau un groupe bien à lui devait réellement lui manquer puisque depuis 2014 Sumac a publié trois albums studio (des doubles en plus), un mini LP, une cassette live et un album en collaboration avec Keiji Haino (double également). Le dernier en date s’intitule donc Love In Shadow et poursuit l’association entre Sumac et le label Thrill Jockey – label, qui soit dit en passant, a vraiment réussi sa diversification en ouvrant depuis quelques années son catalogue aux groupes à (très) grosses guitares*.

Love In Shadow est à nouveau un double vinyle et il ne comporte que quatre compositions, forcément très longues, entre douze et vingt minutes. Un disque emballé dans une pochette hyper classe avec son fourreau extérieur et surtout son artwork conçu par le patron en personne. Visuellement Love In Shadow a tout pour plaire. Mais vous connaissez la chanson : les belles pochettes ne font pas les bons disques – et inversement. On a toutefois terriblement envie de l’aimer ce Love In Shadow, même si l’écoute des albums précédents avait sonné comme un avertissement sans frais : avec Sumac rien n’est acquis d’avance ; rien n’est facile ni évident ; tout se mérite. Mais au final l’expérience peut se révéler extraordinaire.
Sumac est un groupe fascinant parce qu’il n’a rien de prévisible. Tous les ingrédients sont néanmoins clairement identifiables : une guitare s’échappant des territoires métalliques et hardcore pour flirter avec une noise incendiaire ou – sans crier gare – pour s’enfoncer dans une sorte de blues fracassé et cristallin ; une basse terrassante (celle de Brian Cook qui trouve enfin ici toute sa place, lui qui aux débuts de Sumac n’était pas un membre à part entière du groupe) ; une batterie hallucinante de puissance et d’inventivité ; un chant de golem éructant… Mais ce ne sont que des indications, à peine des indices, ou alors des éléments parcellaires d’une musique qui n’est pas faite pour être consommée telle quelle ni cataloguée définitivement. Love In Shadow est un monstre à plusieurs têtes, un dédale, un massif montagneux, une forteresse haute ou une forêt inextricable et grouillante… il est facile de s’y perdre, d’y avoir froid, l’ombre y est omniprésente et comme sculptée, pétrie, mais Love In Shadow n’est pas synonyme d’effroi et de perdition dans le vide. Au contraire il s’agit d’un disque terrien (les pieds dans la gadoue, quitte à s’enfoncer dedans jusqu’au dessus des genoux) et minéral (toutes ces roches difformes à escalader).

De la rencontre avec Keiji Haino Sumac a gardé l’imprévisibilité et l’inconfort. Le fracas et le bruit. Mais aussi le sens de la complainte obscure et de l’évanescence ténébreuse. Avec Love In Shadow le trio trouve sa véritable dimension, multipliant sans cesse les idées, alternant les ambiances, perturbant les atmosphères, pouvant s’éterniser sur un point précis comme en une lente agonie puis rebondissant vers de nouveaux sommets acérés. C’est ce qui rend Love In Shadow tellement abrupt et tellement difficile… mais si passionnant. Sumac donne corps au paradoxe d’une musique exigeante et ardue qui pourtant devient profondément parlante et nécessaire. Alors déterminer, trop simplement, si le disque se mérite ou pas ne serait pas ici une bonne idée car cela sous-entendrait que du côté de l’auditeur il y a un effort à fournir, comme une partition à déchiffrer, un code à découvrir. Mais tout juste pourrait-on parler de secret bien gardé à trouver. Sans doute que la musique de Sumac ne laisse que le choix entre l’attraction et le rejet si bien qu’il me semble que toute tentative pour apprivoiser et s’approprier cette musique est un effort sans lendemain : dans toute sa complexité elle est aussi vraie et naturelle qu’une cosmogonie dont les seules frontières sont celles de ses infinis en plein mouvement. C’est pourquoi il n’y a rien à faire – et j’admets qu’ainsi je parle en adorateur – parce que Love In Shadow est comme une illumination, une merveille : c’est tout ou rien, et on y croit ou pas.

* une brèche dans laquelle a également fini par s’engouffrer Sacred Bones en signant Thou – mais on en reparlera sûrement

jeudi 12 juillet 2018

Keiji Haino + Sumac / American Dollar Bill - Keep Facing Sideways, You're Too Hideous To Look At Face On


Je n’ai jamais beaucoup cru en Sumac, ce « supergroupe » formé d’Aaron Turner (Isis, Old Man Gloom*, boss de Hydra Head), Brian Cook** (Botch, These Arms Are Snakes, Russian Circles) et Nick Yacyshyn (Baptists***). Je n’y ai d’autant jamais beaucoup cru qu’il aura fallu attendre What One Becomes, soit le troisième album du groupe, pour avoir enfin quelque chose d’un peu passionnant à se mettre entre les deux oreilles.
Certes il y a du gratiné de qualité supérieure dans Sumac mais c’est peut-être aussi le problème du trio : Aaron Turner en particulier fait partie de ces musiciens qui ont élevé la gonflitude et le boursouflage au rang de chef d’œuvre du mauvais goût – je veux bien sûr parler d’Isis qui a lentement mais sûrement dégringolé tout au long des années 2000, convertissant religieusement les hardcoreux fort justement lassés par le screamo pleurnichard en babloches barbus et végétariens. Le post hardcore était né, vive l’avortement. Mais fort heureusement Sumac n’est pas Isis et Turner n’est finalement pas du genre à se reposer sur ses lauriers ni à capitaliser pour son épargne-retraite. Particulièrement bien entouré par Cook à la basse et Yacyshyn à la batterie, le guitariste/chanteur a réussi à remonter dans l’estime des plus récalcitrants membres de la Stasi MuzikShaft grace à ce projet renouant enfin avec lourdeur et noirceur.
What One Becomes date déjà de deux années et Sumac annonce la parution de son quatrième album pour le 21 septembre**** mais entre les deux SUMAC aura publié American Dollar Bill – Keep Facing Sideways, You’re Too Hideous To Look At Face On en association avec KEIJI HAINO… Pourquoi pas ? Ce dernier a déjà enregistré tellement de disques et joué avec tellement de musiciens différents – de Peter Brötzmann à Boris en passant par Kan Mikami ou Pan Sonic – que si demain on annonçait une nouvelle collaboration avec Jamie Stewart (Xiu Xiu), Cyril Meysson ou Gnod je n’en serais guère étonné. 







Mais voilà donc que Aaron Turner, Brian Cook et Nick Yacyshyn ont accepté de faire le backing band pour Keiji Haino : il suffit d’écouter n’importe quelle face de American Dollar Bill***** pour se rendre compte qu’il ne s’agit absolument pas d’un album réellement collaboratif mais bien d’un disque « avec » et que c’est le japonais qui mène les débats. Il n’y a que lui qui chante (on n’entend pas une seule fois la voix d’Aaron Turner) tandis que, côté guitare et même si la première face entièrement occupée par le morceau-titre donne largement le change, le jeu de Turner sert la plupart du temps d’enluminure et de faire-valoir, ou suit de façon très mimétique les errances de celui du japonais au point de se confondre avec lui. Ce n’est donc pas pour rien si la pochette de American Dollar Bill indique KEIJI HAINO + SUMAC : à tout seigneur tout honneur. Sans compter que Haino est (logiquement) crédité pour tous les textes. Et même si cet album a été enregistré en prises directes (les fins abruptes de morceaux coupés façon montage archaïque de bandes sont là pour nous le rappeler mais c’était plutôt inutile) et est le fruit d’improvisations, cela ne change pas grand chose à l’affaire.
Déjà cité un peu plus haut, l’association entre Keijo Haino et Boris (Black : Implication Flooding – 1998, Inoxia records) demeure le seul élément stylistiquement comparable que l’on puisse trouver dans toute la discographie du musicien-performer japonais. Bien que plus équilibré et enregistré dans les chiottes Black : Implication Flooding indiquait déjà que Keiji Haino n’était qu’un vampire désintéressé et fantasque suçant le sang de ceux qu’il aime non pas pour atteindre l’éternité et le nirvanoise mais uniquement par plaisir. Rien n’a donc réellement changé entre 1998 et 2018, sauf bien sûr les groupes accompagnateurs.
Le problème de ce disque estampillé Keiji Haino + Sumac n’est donc pas qu’il soit largement sous domination japonaise mais qu’il soit improvisé. La plupart du temps on s’amuse plutôt bien à l’écoute de American Dollar Bill mais on s’y ennuie aussi fortement presque à chaque fois que le groupe fait retomber la tension, baisse la garde et tente quelque chose de plus atmosphérique voire de plus intimiste (si si). C’est toute la différence entre des improvisations totales menées par des musiciens dont c’est la vocation première et des improvisations menées par des novices (ou presque) venus d’horizons différents de l’improvisation libre et surtout répondant à des codes et des principes plus strictes et plus définis – ici le post hardcore-noise-je-ne-sais-quoi donc, plus génériquement, le « rock » – les premiers se contentent de jouer, les seconds ne savent pas (s’) oublier.
Il n’en demeure pas moins que American Dollar Bill reste un bon disque avec de vrais gros moments forts qui concentrent abimes de tumulte et tornades de vociférations, un disque intéressant dans cette énième tentative de sculpter l’électricité pour en faire un monument à l’entière gloire du bruit et de la fin du monde réel. Amie lectrice/ami lecteur, si en dépit de tout L.A. Blues des Stooges reste ton morceau préféré de tous les temps alors il y a de fortes chances pour que les passages les plus fulgurants de ce double album te conviennent. Pour le reste, je crois que seul.e.s les inconditionel.le.s de Keiji Haino y trouveront totalement leur compte. Comme d’habitude.


* parmi tant d’autres... on peut également citer Mamiffer, Lotus Eater, Twilight, Greymachine, etc
** là il y a débat : Sumac est souvent présenté comme un duo avec deux membres permanents plus un bassiste en renfort – la plupart du temps il s’agit donc de Brian Cook mais Joe Preston a également occupé ce poste dans le passé
*** le nouvel album de Baptists c’est pour bientôt et on en reparlera
**** il s’appelle Love In Shadow et sortira chez Thrill Jockey (évidemment)
***** oui, j’abrège le titre du disque exprès, parce que je suis un gros fainéant