Evidemment ça a l’air tellement facile et
jouissif de tailler en pièces un album comme Guilty Species et de dire tout le mal du monde de Jessica93.
Mais c’est que le petit Geoff l’a bien cherché aussi, avec ses provocations
naturelles : il est (encore) jeune, il est beau, il a des yeux
magnifiques, il a toujours tous ses cheveux (même si désormais il devrait aller
un peu plus souvent chez le coiffeur, maintenant qu’il en a les moyens) et en
plus il est musicien – oula, quelle insulte. Ça commence à faire beaucoup pour
les rageux et les jaloux. Lesquels ont toutefois souvent raison au sujet de sa
tenue vestimentaire : dis-moi Geoff, quand arrêteras-tu donc de porter ces
casquettes et ces anoraks ou ces vestes de survêts pour teenagers
attardés ? Maintenant que tu tutoies le succès, il serait peut-être temps
de grandir un petit peu, non, tu ne trouves pas ?

Et bien grandir c’est précisément ce qui est
arrivé à Jessica93 pour l’album Guilty
Species. La musique du groupe, sans évoluer intrinsèquement – elle se
situe toujours dans une veine gothic rock à tendance noisy mais dansante – a
pris énormément d’ampleur. La boite-à-rythmes est toujours plus en avant, à
fortes connotations eighties et à tel point que Doktor Avalanche à côté c’est
vraiment de la gnognotte ; fondamentalement elle construit un exosquelette
invincible à l’usage d’une instrumentation basique mais imparable, y compris
sur les titres lents et plus brumeux : deux guitares qui charcutent en
mode velours piégé et une basse qui fait vroum-vrrroooummm tout le temps. Guilty Species a été composé pour un vrai
groupe de trois musiciens, cela s’entend tout de suite et surtout cela a donné
des ailes à Geoff qui continue de diriger le tout d’une main de maitre, posant
ses textes acides avec toujours cette diction particulière (trainante mais pas
tout à fait) et cette voix un peu nasale. Il est donc bel et bien terminé le
temps où Jessica93 était un projet solo et bricolé (même efficacement) à grands
coups de boucles, fini également le temps des tournées des caves humides et
autres lieux malfamés en compagnie des affreux Judas Donneger. Place désormais au
spectacle et à la luxuriance.
Je dois cependant avouer que j’ai eu un
peu de mal au début avec Guilty Species.
Je me rappelle encore très bien d’une conversation animée avec une amie très
chère, encore une amoureuse de Geoff : je lui faisais part de toutes mes
réticences, trouvant le disque un peu trop en mode superproduction, m’évoquant
même par son côté kitschement caparacé ce que ce pays de suiveurs musicaux
avait pu engendrer de pire dans les années 80, années si passionnantes mais
trop souvent tellement caricaturales et sans fondements (Opéra De Nuit, par
exemple). Or Il s’est avéré que Guilty
Species est un album qui se bonifie avec le temps – à l’inverse de son
prédécesseur Rise qui contrairement à
son titre a fini par s’effondrer, parce que trop inégal et aux intentions trop
évidentes, et que je n’écoute plus du tout. Il y a autre chose derrière toute l’efficacité
rythmique et mélodique de Guilty Species,
autre chose derrière toute cette rigueur bien ajustée et lisse comme l’asphalte
brûlant d’une autoroute domaniale surfacturée au contribuable non-consentant.
Jessica93 n’a pas froid aux yeux et sa musique n’est pas un bloc de glace
maniéré, totalitaire et dépourvu d’âme. Des fois, tout comme il faut savoir
lire entre les lignes, il faut savoir écouter entre les notes.