Dearth ?
Comme je ne connaissais pas ce mot, j’ai bêtement cherché sa traduction dans
mon vieux dictionnaire anglais : « Dearth » signifie pénurie,
disette, manque… Rien de décevant là dedans, bien au contraire et même si je me
suis longtemps imaginé – l’imagination est mon meilleur mauvais défaut – que Dearth ne pouvait être que la
contraction de « death » et de « Earth ». Ce qui, tu en
conviendras par toi-même, revient à peu près à la même chose et surtout colle
parfaitement avec une vision sans compromis de notre petit monde de merde en
train de pourrir sur place.
Dearth est donc le titre du troisième
album de WHORESNATION, successeur d’un Mephitism qui, depuis sa parution initiale
en 2018*, n’en a toujours pas fini de faire des ravages et de tenir le haut du
pavé. Actifs dès 2009 (ce sont eux qui le disent, moi à l’époque je ne
connaissais pas), les Whoresnation
sont, depuis 2020 (2021 ?) et après de nombreuses années passées à trois, revenus
à un line-up à quatre avec l’adjonction d’un nouveau bassiste – Anto a ainsi
rejoint les autres membres qui sont,
rappelons-le, Pibe (voix, également dans les excellents Civilian Thrower),
Lopin (guitare, un garçon très éclectique puisqu’il a joué dans Jack & The
Bearded Fisherman et qu’on le retrouve également dans Contractions) et enfin
Tonio à la batterie. Un line-up assez classique pour un groupe de grindcore (ou
un groupe de deathgrind ?).
Ce qui est beaucoup moins classique, c’est la façon dont les Whoresnation abordent et développent leur musique. Pour Dearth ils auraient pu se montrer gourmands
et ambitieux comme des métallurgistes diplômés masterclass et opter pour une
production monumentale, sans bavure, coulée dans une moule de compression
plastifiée, bref composer et enregistrer un disque superbement surligné et tellement
affecté que tous les fans du dernier Wormrot auraient aveuglément crié au
chef-d’œuvre absolu. Mais il n’y a rien de tel que l’extrémisme musical
lorsqu’il tend vers la vérité, sa propre vérité, et donc une honnêteté certaine.
Cette honnêteté avec laquelle tout bon groupe qui se respecte cherche à
éclairer son propos. Non, il n’y a rien de tel que des musiciens qui ne cherchent
pas à flatter ni à plaire coûte que coûte, qui méprisent la surenchère pour la
surenchère, pour qui la violence (musicale) est un moyen et non une fin, un
groupe qui préfère l’obscurantisme débridé de l’underground parce que la
lumière n’est jamais celle que l’on croit.
De la lumière il n’y en a de toute façon pas du tout sur Dearth, Whoresnation nous livrant un album
âpre et claustrophobe au possible. Le son du disque – j’y reviens – est
nettement moins ample et ourlé que sur Mephitism,
tellement minimal parfois, sec et tendu, musclé mais dégraissé jusqu’à l’os,
surtout complètement étouffant, asphyxiant. Là réside sans doute une grande
partie du génie d’un groupe – oui, j’ai écrit génie et je pèse mes mots – qui enchaine des parties de plus en
plus folles sur fond de riffs incroyables et de blasts monstrueux mais réussit
à les propulser dans une tout autre dimension, celle de la désolation absolue
(pourtant, en matière de grind, cela fait longtemps que l’innovation n’était
plus qu’une vue de l’esprit). Les moments de respiration sont rares mais il y
en a, comme le solo de guitare sur Bluthgeld
(ce sera le seul du disque) et quelques parties lentes et groovy comme du death
metal 90’s putréfié (l’intro et le final de Sunburnt
To Death, la partie intermédiaire de Sewage
Breath). Et de mentionner le chant, monotone et caverneux comme une litanie
mortuaire mais totalement envoutant, qui est la seule chose réellement
stable et immuable à laquelle on peut se raccrocher sur un disque aussi fulgurant que
dévastateur.
Dearth est donc un véritable carnage.
Mieux – et je pèse encore mes mots – il sonne comme un classique instantané, un
enregistrement dont on sait qu’il va compter et qu’il va faire date, qu’il est
peut-être le digne héritier d’une longue lignée de disques estampillés grind/deathgrind/etc.
mais que surtout il apportera sa pierre à l’édifice, marquera durablement les
esprits, nous accompagnera, sait-on jamais, jusqu’à la fin de ce monde qui n’en
peut plus de se dévorer lui-même.
[Dearth est publié en CD par Bones brigade et en vinyle par le label
US Carbonized records
et les petits gars de Lixiviat –
lesquels se sont également fendus d’une version cassette]
* d’abord publié chez
Throatruiner, Mephitism a été réédité en 2019 par Lixiviat