Ne nous y
trompons pas : les illustrations façon collage de photocopies (bière,
feuilles, ciseaux, etc.) et le lettrage utilisé pour la pochette de Human Capital renvoient directement aux
débuts de l’anarcho-punk et du crust made in Europe mais Bad Breeding est bien un groupe de maintenant – 2022, tu t’en
rappelleras ? c’est l’une des pires années que l’on ait connues jusqu’ici,
au moins jusqu’à la prochaine.
BAD
BREEDING est un groupe anglais qui manie son punk hardcore un peu noisy
sur les bords comme une arme. Une arme contre quoi ? Le titre de l’album
qui est également celui d’un essai signé Jake Farrell* inclus avec le disque et
qui dénonce la manipulation des êtres humains, l’utilisation de leurs
expériences individuelles et le détournement de leurs activités tout en les isolant
sciemment les un·es des autres ne laisse planer aucun doute (extrait :
« Nous sommes abandonnés sur nos îlots d’obsession de
soi par des forces culturelles qui mettent l’accent sur nos différences, nous
séparent et nous poussent à nous méfier l’un de l’autre »). Cela va beaucoup
plus loin que la simple – mais nécessaire – critique de la marchandisation et de
la rentabilisation des vies humaines mais nous parle de déshumanisation comme
ultime processus destructeur. Qui sommes-nous en tant qu’individu·e ?
Encore plus compliqué : qui sommes-nous en tant que groupes et communautés
d’individu·es ? Sommes-nous libres ou sommes-nous systématiquement
poussé·es à ne jouer que des rôles assignés ? Sommes-nous autre chose que
des données statistiques, quantifiables ou des codes-barres ? Des pseudo-normes ? Et
des clichés dans le regard de l’autre ?
L’idée de communauté est abusivement dévoyée sous l’appellation de « communautarisme »
par les pouvoirs en place ou par leurs opposants. Sa propagation effraie nombre
de politiques (dirigeants ou aspirants dirigeants) qui au contraire défendent
les idées de nation et d’identité nationale – ou religieuse – et les pousse à
utiliser la violence d’Etat ou celle de leurs milices pour maintenir l’
« ordre », c’est-à-dire défendre l’idée globalisante qu’ils se font de
leur idéal-nation, en imposant de fait leur propre « communauté ». Le
problème c’est donc le pouvoir et son exercice.
On est alors très loin de l’idée universaliste de communauté. Jouer sur les
oppositions et non pas sur les idées de complémentarité et d’échange est une
entourloupe qui n’est finalement possible que grâce à un travail de sape au
niveau individuel. En privilégiant l’individualisme et en le nourrissant – non
sans perversité puisqu’il s’agit in fine
d’engloutir les individualités dans une norme malléable et acceptable – le
système ne fait que mettre l’individu dans des cases : une communauté ne devrait
être rien de plus que ça, une boite de rangement plus ou moins grande, chaque
boite étant imperméable à celle d’à côté, ce qui permet aux pouvoirs
économiques, politiques, culturels et religieux de s’adonner à fond dans
l’exploitation confortable et l’asservissement de toutes les existences. Appuyer
sur les différences individuelles tout en catégorisant les personnes c’est diviser
pour mieux régner.
On remarquera – bien qu’il y ait parfois eu des ratés et qu’il y en aura
certainement encore – que le Do It Yourself, en plus d’être en lutte contre la
marchandisation et l’uniformisation, en lutte contre le tout économique et
contre la logique de l’accumulation de profits, est l’outil social le plus
performant, le plus fiable et le plus éthique en matière d’intégration humaine et
ce n’est pas un hasard si désormais le DIY est systématique lié au Do It
Together. En tous les cas il devrait toujours l’être.
Sinon – parce qu’il faut quand même en parler un peu – Human Capital – est un excellent disque de hardcore punk, bien
produit mais pas de trop (rien à voir avec la guimauve d’un Turnstile), chargé
d’une sombre colère, musicalement suffisamment varié pour qu’on ne s’ennuie
pas. Douze compositions et une grosse demi-heure de rage musicale et politique
qui me fait dire qu’en concert Bad
Breeding doit tout défoncer. Malheureusement je n’ai encore jamais vu le
groupe en live et ce ne sera pas pour cette fois non plus bien qu’il tourne
actuellement sur le vieux continent. Si jamais tu as la chance de bientôt voir
les Anglais, salue les donc de ma part – au
moins en pensée –, ça me fera vraiment plaisir.
[Human Capital
est publié en vinyle et en CD par One Little Independant records et Iron Lung records ]
*
malheureusement je n’ai trouvé aucune information pertinente à son sujet – si
quelqu’un·e en a, je suis preneur