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lundi 5 septembre 2022

Bad Breeding : Human Capital

 




Ne nous y trompons pas : les illustrations façon collage de photocopies (bière, feuilles, ciseaux, etc.) et le lettrage utilisé pour la pochette de Human Capital renvoient directement aux débuts de l’anarcho-punk et du crust made in Europe mais Bad Breeding est bien un groupe de maintenant – 2022, tu t’en rappelleras ? c’est l’une des pires années que l’on ait connues jusqu’ici, au moins jusqu’à la prochaine.
BAD BREEDING est un groupe anglais qui manie son punk hardcore un peu noisy sur les bords comme une arme. Une arme contre quoi ? Le titre de l’album qui est également celui d’un essai signé Jake Farrell* inclus avec le disque et qui dénonce la manipulation des êtres humains, l’utilisation de leurs expériences individuelles et le détournement de leurs activités tout en les isolant sciemment les un·es des autres ne laisse planer aucun doute (extrait : « Nous sommes abandonnés sur nos îlots d’obsession de soi par des forces culturelles qui mettent l’accent sur nos différences, nous séparent et nous poussent à nous méfier l’un de l’autre »). Cela va beaucoup plus loin que la simple – mais nécessaire – critique de la marchandisation et de la rentabilisation des vies humaines mais nous parle de déshumanisation comme ultime processus destructeur. Qui sommes-nous en tant qu’individu·e ? Encore plus compliqué : qui sommes-nous en tant que groupes et communautés d’individu·es ? Sommes-nous libres ou sommes-nous systématiquement poussé·es à ne jouer que des rôles assignés ? Sommes-nous autre chose que des données statistiques, quantifiables ou des codes-barres ? Des pseudo-normes ? Et des clichés dans le regard de l’autre ?
L’idée de communauté est abusivement dévoyée sous l’appellation de « communautarisme » par les pouvoirs en place ou par leurs opposants. Sa propagation effraie nombre de politiques (dirigeants ou aspirants dirigeants) qui au contraire défendent les idées de nation et d’identité nationale – ou religieuse – et les pousse à utiliser la violence d’Etat ou celle de leurs milices pour maintenir l’ « ordre », c’est-à-dire défendre l’idée globalisante qu’ils se font de leur idéal-nation, en imposant de fait leur propre « communauté ». Le problème c’est donc le pouvoir et son exercice.
On est alors très loin de l’idée universaliste de communauté. Jouer sur les oppositions et non pas sur les idées de complémentarité et d’échange est une entourloupe qui n’est finalement possible que grâce à un travail de sape au niveau individuel. En privilégiant l’individualisme et en le nourrissant – non sans perversité puisqu’il s’agit in fine d’engloutir les individualités dans une norme malléable et acceptable – le système ne fait que mettre l’individu dans des cases : une communauté ne devrait être rien de plus que ça, une boite de rangement plus ou moins grande, chaque boite étant imperméable à celle d’à côté, ce qui permet aux pouvoirs économiques, politiques, culturels et religieux de s’adonner à fond dans l’exploitation confortable et l’asservissement de toutes les existences. Appuyer sur les différences individuelles tout en catégorisant les personnes c’est diviser pour mieux régner.
On remarquera – bien qu’il y ait parfois eu des ratés et qu’il y en aura certainement encore – que le Do It Yourself, en plus d’être en lutte contre la marchandisation et l’uniformisation, en lutte contre le tout économique et contre la logique de l’accumulation de profits, est l’outil social le plus performant, le plus fiable et le plus éthique en matière d’intégration humaine et ce n’est pas un hasard si désormais le DIY est systématique lié au Do It Together. En tous les cas il devrait toujours l’être.

Sinon – parce qu’il faut quand même en parler un peu – Human Capital – est un excellent disque de hardcore punk, bien produit mais pas de trop (rien à voir avec la guimauve d’un Turnstile), chargé d’une sombre colère, musicalement suffisamment varié pour qu’on ne s’ennuie pas. Douze compositions et une grosse demi-heure de rage musicale et politique qui me fait dire qu’en concert Bad Breeding doit tout défoncer. Malheureusement je n’ai encore jamais vu le groupe en live et ce ne sera pas pour cette fois non plus bien qu’il tourne actuellement sur le vieux continent. Si jamais tu as la chance de bientôt voir les Anglais, salue les donc de ma part – au  moins en pensée –, ça me fera vraiment plaisir.

[Human Capital est publié en vinyle et en CD par One Little Independant records et Iron Lung records ]

* malheureusement je n’ai trouvé aucune information pertinente à son sujet – si quelqu’un·e en a, je suis preneur