Je suis beaucoup
trop émotif et trop sensible *rires* comme garçon et j’ai souvent le même
problème, après coup, lorsque j’ai assisté à un concert qui m’a
particulièrement remué. Enfin… ce n’est pas vraiment un « problème », juste une
incapacité chronique à pouvoir et vouloir sortir de ma petite bulle de rêves
bien confortable et protectrice. Ce concert
de DELILUH au Sonic en juillet
2022, j’y ai longtemps pensé, il a longtemps résonné en moi et si sur le moment
il s’est également révélé frustrant – parce que bien trop court – il en a gagné
que plus d’importance à mes yeux.
Dans ces conditions Fault Lines – le nouvel album du groupe – a du
attendre un peu que l’émerveillement du lendemain se dissipe. Le temps que je
reprenne mon souffle, que mes émotions me submergent un peu moins et que mes sentiments
parfois contradictoires se fassent moins insistants. Aujourd’hui, je ne suis toujours
pas certain de pouvoir et savoir parler d’un tel disque mais je n’ai pas envie
de faire semblant.
Les deux multi-instrumentistes Kyle Knapp et Julius Pedersen sont les seuls
survivants d’un groupe qui en 2020 a choisi de prendre l’air, a quitté Toronto
et le Canada pour partir s’installer en Europe, afin de recentrer ses activités
et d’explorer de nouvelles directions. La crise et les restrictions sanitaires
sont passées par là et ont largement accéléré le processus et même provoqué quelques
changements imprévisibles : au fil des mois la moitié de Deliluh a fini
par quitter le groupe qui a ainsi perdu la plupart de ses atours post-punk (sa
section rythmique et notamment sa super batteuse, Erika Wharton-Shukster). Fault
Lines, enregistré en divers endroits – Copenhague, Berlin et Marseille – et
à des périodes différentes – entre 2020 et 2021 – aurait pu être qu’un disque
de transition puisque Erika ainsi que l’ex-bassiste Erik Jude jouent malgré
tout sur une partie de l’album, le formidablement hanté Credence (Ash In The
Winds Of Reason) et le plus scandé et pesant Syndicate II. Des
titres sur lesquels on retrouve et on ressent encore beaucoup le Deliluh
d’avant, celui des albums gémellaires Oath Of intent et Beneath The
Floor (tous les deux publiés en 2019).
Mais on retiendra surtout de Fault Lines des atmosphères sombres comme
jamais, presque impénétrables et malgré tout envoutantes, avec une instrumentation
resserrée et marquée par la prédominance des synthétiseurs et des claviers et
la relégation au second plan des guitares (le saxophone s’en tire un peu
mieux). Petit inventaire : Body And Soul résonne lugubrement au point de
faire un peu froid dans le dos ; très électronique, Amulet est une sorte
de ralentisseur de particules qui donne envie de danser dans le noir ; X-Neighbourhood
est le titre le plus lointain du disque, à la fois liquide et lysergique ;
quant à Mirror Of Hope, nappé d’une partie de violon jouée par Erika
Wharton-Shukster (encore elle) et dialoguant avec le saxophone brumeux de
Knapp, il s’agit de l’une des plus belles composition de Fault Lines,
telle une descente en apnée jusqu’à atteindre un sommeil doucement lumineux,
réparateur.
Mi-corbeau mi-prédicateur, Kyle Knapp dirige les débats dans l’ombre et nous
balance des textes à la mystique toujours plus exacerbée et pleins de
questionnements. Sa façon de chanter, un peu trainante ou même carrément parlée
et sa voix nasillarde semblent (mais semblent seulement) aller à contre-courant
des atmosphères ainsi consacrées sans toutefois les neutraliser – la plupart du
temps le chanteur flotte littéralement au milieu de ses mots et il ne faudra
pas chercher meilleure explication à l’attraction inévitable qui se dégage d’un
disque dont l’ampleur est telle que je n’ai toujours pas fini d’en faire le
tour. Parler de pensée artistique forte au sujet de Fault Lines est tout
sauf prétentieux ou déplacé et, à l’inverse de tant de groupes et de tant de
musiques, il me semble parfaitement vain de vouloir ranger Deliluh dans une
jolie place toute bien définie de mon petit espace-temps musical. Au contraire,
j’ai bien envie de prétendre qu’il s’agit d’un groupe vraiment unique.
[Fault Lines
est publié en vinyle chez Tin Angel records]