Un disque tout
ce qu’il y a de plus normal ? Tu parles ! Connaissant GILLA BAND
– comme chacun·e le sait, anciennement Girl Band mais le groupe a préféré
changer de nom parce qu’il n’est composé que de garçons – on se doute bien
qu’il s’agit là d’un titre d’album profondément ironique. Les Irlandais, emmené
par leur chanteur Dara Kiely, ne font rien comme les autres. Non seulement
parce qu’ils ne le peuvent pas, puisque Kiely ne fait guère mystère de ses
problèmes mentaux et que ceux-ci font partie intégrante du processus créatif et
de son expression viscérale, mais aussi parce que le groupe ne le veut tout
simplement pas : réduire Gilla Band
aux seules folies de son impressionnant chanteur serait injuste et Most Normal est l’illustration de tout
un travail collectif.
Produit par le groupe lui-même, enregistré et mixé par le bassiste Daniel Fox, Most Normal a été imaginé, composé et
conçu en très grande partie pendant la crise sanitaire et les confinements. Les
quatre garçons – pour finir de les énumérer : Alan Duggan à la guitare et Adam
Faulkner à la batterie – ont eu le temps de se remettre artistiquement en
question et de repenser leur musique, lui enlevant une à une toutes les couches
trop évidentes et trop lisibles, malmenant ce qu’il pouvait y avoir encore de
« rock » là dedans, bidouillant un bruitisme envahissant et déstabilisant
tout en préservant, comme une balise spatio-temporelle déglinguée, leur côté
pop songs – les deux aspects cohabitant la plupart du temps. Avec Most Normal, Gilla
Band navigue constamment entre deux extrêmes avec d’un côté la turbine
de l’expérimentation et de l’autre le chancellement de véritables chansons doté
d’un expressionisme à fleur de peau. Tout comme la musique du groupe, le chant
de Dara Kiely longe les mêmes chemins, pouvant passer des hurlements (parfois
déformés par la magie du studio) à ce style quasi parlé mais nerveux hérité
d’un Mark E. Smith qui aurait délaissé la picole nombriliste. L’anxiété et le
malaise sont constamment présents mais on ne saurait dire si le chanteur est
réellement terrifiant ou s’il est tout simplement lui-même complètement
terrifié. Les deux mon capitaine ?
L’ambiguïté n’est pourtant pas par un mode opératoire ni le but recherché par Gilla Band. On sait très bien depuis le précédent album The Talkies que Kiely et son groupe
se servent de leur musique comme exutoire à la folie tout comme elle en est
l’instrument. Je trouve vraiment admirable, humainement parlant, l’histoire de
ces quatre garçons qui sont restés ensemble et semble-t-il soudés, malgré les
profondes difficultés de son chanteur et parolier. Tant d’autres auraient pris
la tangente et renoncé, la peur faisant le reste. Sans doute que cela ne durera
pas éternellement – en musique, les relations entre musicien·nes sont comme
toutes les relations humaines véritables, elles évoluent, se distendent ou plus
simplement s’éteignent, parfois elles renaissent – mais cela fonctionne
formidablement sur Most Normal,
malgré le désespoir et la noirceur palpables transformés en chaos sonore, malgré
les confidences malaisantes, malgré également deux ou trois (toute petites) longueurs
sur la seconde partie du disque et, enfin, malgré la volonté évidente de ne pas
plaire à n’importe quel prix ni n’importe comment. Most Normal c’est, pour les quatre Gilla Band, une façon comme une autre de s’assumer comme ils sont et
c’est sans doute la meilleure. La normalité, cela
n’existe pas. Et la vraie folie serait de prétendre le contraire.
[Most Normal est publié en vinyle,
CD, etc. par Rough Trade]