Voilà un objet qui
a vraiment de la gueule. On ne peut que constater tout le soin apporté à sa
présentation : vinyle de couleur (au choix : transparent, rose, blanc
ou noir), livret tentaculaire, rempli de photos arty et mis en page par un(e)
infographiste subtilement zélé(e) et, suivant les éditions, un CD bonus, la
photo du recto de la pochette imprimée en négatif ou celle du verso signée par
chacun des membres du groupe – en fait ce ne sont pas des vraies signatures
mais une reproduction imprimée de celles-ci… cette version bénéficie d’un tirage
limité à 1500 exemplaires. Personne ne voudrait d’un disque volontairement et
outrageusement moche, à part bien sûr un fan de metal ou un obsédé de rock
progressif, mais il n’empêche que si on est trop allergique au marketing de
l’objet soigné et fini et que l’on préfère les pochettes de disque
sérigraphiées en mode DIY il y a de bonnes chances pour que l’on soit rebuté
par la présentation excessivement artistique du premier album de BLACK COUNTRY, NEW ROAD.
Né des cendres de Nervous Conditions, formation de
Cambridge à l’existence trop éphémère pour avoir publié physiquement le moindre
enregistrement et séparée suite à des accusations d’abus sexuel à l’encontre de
son chanteur Connor Browne, Black
Country, New Road s’est fait connaitre avec deux singles avant de se lancer
dans l’aventure d’un premier album. For The First Time a été publié par rien de moins que Ninja Tune, célèbre
label monté par Coldcut au début des années 90 et plutôt consacré aux musiques
électroniques au sens large (un rapide coup d’œil sur le catalogue du label te
permettra de constater que Foetus et Amon Tobin y côtoient DJ Food et The
Cinematic Orchestra, etc.). Je crois que je n’avais encore jamais chroniqué de
disque estampillé Ninja Tune dans les colonnes d’Instant Bullshit ou même
ailleurs… et si je me suis intéressé à Black Country, New Road malgré tout le battage autour du
groupe – même la chaine de télévision Arte s’en est mêlée en diffusant un concert en compagnie de Jehnny Beth – c’est à cause du mépris qu’il a en même temps suscité
autour de moi dans les milieux autorisés, mépris auquel j’ai failli également
succomber parce que des fois je peux être aussi snob et prétentieux que
n’importe quel noiseux rétrograde.
Il n’empêche… tu dois commencer à me connaitre maintenant et tu dois savoir que
l’esprit de contradiction n’est pas le moindre de mes petits plaisirs égoïstes
et solitaires. Black Country, New Road
est un groupe bénéficiant d’une hype particulièrement bienveillante et
d’un bouche-à-oreille savamment orchestré ? Qu’à cela ne tienne, je vais
écouter ce disque et défendre ce qu’il y aura à défendre. Tout ce baratin pour finalement
découvrir un disque de post-rock régulièrement enrobé de jazzeries, rarement
accidenté et portant un chant ou plutôt une voix en mode narration. Le premier
titre Instrumental renvoie
directement au New-York downtown des années 90 et aux groupes de feu le label
Knitting Factory – on y entend même quelques relents klezmer, influence que
l’on retrouvera un peu plus loin comme sur le très enlevé Opus – alors que tout le reste de l’album me ferait plutôt penser à
du Enablers, en plus orchestré et en plus intello.
Le line-up de Black Country, New Road
comprend sept musiciennes ou musiciens et l’instrumentation inclut du saxophone
et du violon en plus des habituelles guitare, basse et batterie. Inutile de
dire que Le résultat est très cinématographique (comme on dit) et s’il fallait
être un peu plus précis je dirais que For
The First Time serait une production indépendante américaine filmée dans le
New-Jersey, primée au festival de Sundance, distribuée sous licence dans la
vieille Europe par une major au nez creux puis y bénéficiant d’un joli petit
succès critique et public...
Honnêtement, je trouve que ce disque possède
énormément de qualités et de charme mais parfois je m’y ennuie un peu, donc,
malgré quelques moments débordant de dramaturgie et d’électricité (Science Fair). Pour continuer avec la
métaphore cinématographique, For The
First Time c’est exactement le genre de film consensuel que l’on peut
choisir pour une soirée tv en amoureux.ses sans qu’aucune des deux parties ne fasse
trop de concessions à l’autre. Tu vois le topo ? Maintenant que j’ai
écrit ça, je dois quand même avouer que les haters de Black Country, New Road, s’ils étaient très loin d’avoir raison,
n’avaient pas tout à fait tort non plus. Et ça, ça me fait chier : je
n’aurai pas le plaisir d’être contradictoire jusqu’au bout. Voilà un film dont
l’histoire finit en queue de poisson.