vendredi 30 avril 2021

[chronique express] Gravesend : Methods Of Human Disposal




 

En matière de black metal je suis volontiers réactionnaire et plutôt adepte de la pureté primitive : le mélange des genres et l’hybridation ont rarement donné de bons résultat. Plus particulièrement, l’association entre grind et black m’a toujours semblé aussi artificielle que stérile, à défaut d’être réellement monstrueuse… jusqu’à ce que débarque Gravesend dont le premier album Methods Of Human Disposal possède déjà l’avantage d’être rigoureusement lapidaire et d’une concision bienvenue. Quinze titres en vingt-cinq minutes deviennent suffisants pour faire le tour de la question sans se préoccuper des grosses ficelles et de quelques défauts – blasts sans grande nuance, absence totale de groove suicidaire et intermèdes indus – ni se lasser des invectives d’un groupe par ailleurs expert pour décrire violemment tout le dégoût et tout le rejet que lui inspire le monde qui l’entoure.

 

mercredi 28 avril 2021

Black Country, New Road : For The First Time

 

Voilà un objet qui a vraiment de la gueule. On ne peut que constater tout le soin apporté à sa présentation : vinyle de couleur (au choix : transparent, rose, blanc ou noir), livret tentaculaire, rempli de photos arty et mis en page par un(e) infographiste subtilement zélé(e) et, suivant les éditions, un CD bonus, la photo du recto de la pochette imprimée en négatif ou celle du verso signée par chacun des membres du groupe – en fait ce ne sont pas des vraies signatures mais une reproduction imprimée de celles-ci… cette version bénéficie d’un tirage limité à 1500 exemplaires. Personne ne voudrait d’un disque volontairement et outrageusement moche, à part bien sûr un fan de metal ou un obsédé de rock progressif, mais il n’empêche que si on est trop allergique au marketing de l’objet soigné et fini et que l’on préfère les pochettes de disque sérigraphiées en mode DIY il y a de bonnes chances pour que l’on soit rebuté par la présentation excessivement artistique du premier album de BLACK COUNTRY, NEW ROAD.







Né des cendres de Nervous Conditions, formation de Cambridge à l’existence trop éphémère pour avoir publié physiquement le moindre enregistrement et séparée suite à des accusations d’abus sexuel à l’encontre de son chanteur Connor Browne, Black Country, New Road s’est fait connaitre avec deux singles avant de se lancer dans l’aventure d’un premier album. For The First Time a été publié par rien de moins que Ninja Tune, célèbre label monté par Coldcut au début des années 90 et plutôt consacré aux musiques électroniques au sens large (un rapide coup d’œil sur le catalogue du label te permettra de constater que Foetus et Amon Tobin y côtoient DJ Food et The Cinematic Orchestra, etc.). Je crois que je n’avais encore jamais chroniqué de disque estampillé Ninja Tune dans les colonnes d’Instant Bullshit ou même ailleurs… et si je me suis intéressé à Black Country, New Road malgré tout le battage autour du groupe – même la chaine de télévision Arte s’en est mêlée en diffusant un concert en compagnie de Jehnny Beth – c’est à cause du mépris qu’il a en même temps suscité autour de moi dans les milieux autorisés, mépris auquel j’ai failli également succomber parce que des fois je peux être aussi snob et prétentieux que n’importe quel noiseux rétrograde.
Il n’empêche… tu dois commencer à me connaitre maintenant et tu dois savoir que l’esprit de contradiction n’est pas le moindre de mes petits plaisirs égoïstes et solitaires. Black Country, New Road est un groupe bénéficiant d’une hype particulièrement bienveillante et d’un bouche-à-oreille savamment orchestré ? Qu’à cela ne tienne, je vais écouter ce disque et défendre ce qu’il y aura à défendre. Tout ce baratin pour finalement découvrir un disque de post-rock régulièrement enrobé de jazzeries, rarement accidenté et portant un chant ou plutôt une voix en mode narration. Le premier titre Instrumental renvoie directement au New-York downtown des années 90 et aux groupes de feu le label Knitting Factory – on y entend même quelques relents klezmer, influence que l’on retrouvera un peu plus loin comme sur le très enlevé Opus – alors que tout le reste de l’album me ferait plutôt penser à du Enablers, en plus orchestré et en plus intello.
Le line-up de Black Country, New Road comprend sept musiciennes ou musiciens et l’instrumentation inclut du saxophone et du violon en plus des habituelles guitare, basse et batterie. Inutile de dire que Le résultat est très cinématographique (comme on dit) et s’il fallait être un peu plus précis je dirais que For The First Time serait une production indépendante américaine filmée dans le New-Jersey, primée au festival de Sundance, distribuée sous licence dans la vieille Europe par une major au nez creux puis y bénéficiant d’un joli petit succès critique et public...
Honnêtement, je trouve que ce disque possède énormément de qualités et de charme mais parfois je m’y ennuie un peu, donc, malgré quelques moments débordant de dramaturgie et d’électricité (Science Fair). Pour continuer avec la métaphore cinématographique, For The First Time c’est exactement le genre de film consensuel que l’on peut choisir pour une soirée tv en amoureux.ses sans qu’aucune des deux parties ne fasse trop de concessions à l’autre. Tu vois le topo ? Maintenant que j’ai écrit ça, je dois quand même avouer que les haters de Black Country, New Road, s’ils étaient très loin d’avoir raison, n’avaient pas tout à fait tort non plus. Et ça, ça me fait chier : je n’aurai pas le plaisir d’être contradictoire jusqu’au bout. Voilà un film dont l’histoire finit en queue de poisson.

 

lundi 26 avril 2021

Nose In The Nose : Raw

 

Le retour dans l’actualité – qu’est ce que j’aime ce concept... – de NOSE IN THE NOSE, ça c’est une vraie surprise ! Enfin, non, pas tout à fait quand même : on avait pu se douter de quelque chose en jetant un coup d’œil même distrait à l’affiche de la quatrième édition du festival NNY (qui s’est déroulée en décembre 2019 à Saint Etienne, on sait malheureusement pourquoi il n’y en aura pas eu en 2020) avec le nom du trio écrit en toutes lettres au milieu d’une palanquée de groupes des plus recommandables tels que Coilguns, Pneu, It It Anita, Membrane, bref que des agités dans leurs genres à eux… Des beaux concerts auxquels j’aurais aimé pouvoir assister mais voilà, je n’y étais pas et je n’ai pu que me pincer la couenne pour réussir à croire pour de vrai à la décryogénisation annoncée de Nose In The Nose.

 


 

Nous sommes maintenant en 2021 et voilà que débarque Raw, premier enregistrement publié de Nose In The Nose depuis 2012 et un seul véritable album : le bien-nommé Crash, un disque revigorant et personnel – réécoute un peu Bob Of The Bridge et Ukulélé juste pour voir – qui quelques années plus tard tient toujours aussi bien la route et au sujet duquel je n’ai pas changé d’avis. Raw n’est lui qu’un EP de quatre titres (et 12 minutes de musique) mais il traduit de la plus belle façon qui soit l’envie et la volonté d’un groupe auquel on ne reprochera finalement pas de prendre un peu trop son temps – et d’ailleurs ce n’est pas la première fois qu’il nous fait le coup, puisque six années séparaient déjà son tout premier CD de Crash
Mais rien ne semble avoir changé du côté de Nose In The Nose : seuls les poils de barbe ont blanchi avec le temps tandis que les cheveux ont beaucoup poussé (alors que d’habitude c’est l’inverse) et côté musique les stéphanois confirment qu’ils sont toujours adeptes d’un noise-rock déterminé et mélodique agrémenté de quelques effluves de cambouis et d’huile de vidange. Une grosse giclée de garage-rock’n’roll qui ajoute un côté très humain à la musique du groupe tout en renforçant l’énergie débordante et communicative d’un enregistrement parfaitement capté par Jean-Pierre Marsal dans son studio Magnétique Audio.
Tickets, judicieusement placé à la fin de Raw, représente bien la face éclairée de Nose In The Nose – la lumière reste malgré tout assez faible, on n’est pas non plus chez les hipsters. C’est la seule note positive, en dehors du fait que Nose In The Nose soit toujours en activité, que je trouverai à un disque qui me semble par ailleurs plus sombre et plus grave que tout ce que le trio avait enregistré précédemment. Ce que l’on retiendra donc de Raw c’est aussi et surtout le fracas et la frontalité (la ritournelle finalement presque nauséeuse d’Ego Trip et surtout les déchirements de Rebuild, très noise-rock viscéral comme je l’aime). A Day Like Another se situe lui entre les deux pôles musicaux du groupe : commençant par des accents encore une fois plutôt rock’n’roll – surtout dans le chant – la musique semble rejoindre progressivement la thématique peu optimiste du titre pour finir au milieu d’éclats noise et avec une partie de guitare qui vrille les tympans. A bientôt j’espère.



[Raw est un vinyle monoface transparent de couleur verte publié par Araki et Vox Project – l’artwork est signé par l’ami Yetiz dont c’est la première pochette de disque, bravo mon garçon]

 

 

samedi 24 avril 2021

[chronique express] CCR Headcleaner : Street Riffs

 



 

Enregistré pendant la seconde moitié de l’année 2018 mais publié seulement en octobre 2020 par In The Red, Street Riffs est le quatrième album de CCR Headcleaner, groupe de Los Angeles dont le guitariste Ned Meiners a dans le passé été membre des terrifiants The Hospitals… voilà un petit début d’explication à tout le barrouf étalé en grandes largeurs durant dix compositions dopées à la fuzz réverbérée et au cholestérol magnétique. Mais a-t-on affaire à du punk rampant ? du garage psychédélique ? du hard-rock sous acide ? Un peu tout ça à vrai dire, le groupe ne craignant pas de balancer du très gras et du très lourd mais capable également de nous plonger la tête la première dans les égouts de la ville pour un bon trip régressif. Avec quelques réminiscences héritées du Mudhoney des débuts et ralenties à la sauce californienne, CCR Headcleaner me fait penser à une bande d’éternels délinquants juvéniles, des occultistes plutôt doués dont le plaisir suprême reste de tout saloper en mode multi-dimensionnel. Un disque sale et visqueux mais aussi un disque psychotropique et pâteux qui s’écoute forcément très fort.

jeudi 22 avril 2021

Comme à la radio : en soutien à L' Amicale du Futur !






L’Amicale du Futur est un lieu de vie non-profits, associatif, militant, également impliqué dans la défense d’un quartier mis à mal depuis de trop nombreuses années par la spéculation immobilière et la gentrification : la Guillotière, quartier historique de brassage(s) et d’immigration, considéré à tort comme la verrue lyonnaise par les équipes municipales successives.
A L’Amicale on peut manger végétarien et boire local, assister à des conférences, des projections de films et mêmes des fois à des concerts. Et défendre une vision alternative et porteuse d’espoir, en lutte contre un monde égotique, uniquement mu par des impératifs individualistes et des justifications souvent hypocrites (la social-démocratie des libéraux progressistes au grand cœur) ou des idéologies complètement réactionnaires.

Face aux difficultés économiques et pour affronter l’impératif de sa propre survie L’Amicale du Futur a décidé d’acheter les murs qui l'abritent rue Sébastien Gryphe et ainsi de pérenniser ses activités. La propriétaire est d’accord pour vendre son local et un compromis devant notaire a même été signé… Pour financer cet achat une cagnotte en ligne a donc été mise en place : l’objectif à atteindre est de 131 200 €uros.


Mais d’autres initiatives pour financer le projet ont également vu le jour comme l’édition de deux compilations-cassettes, Amicalement Rouge et Amicalement Verte :

 


 

 

Ces deux cassettes – on peut écouter la seconde ici – ont ont été rendues possibles grâce au soutien de musiciennes, de musiciens et de groupes qui ont généreusement fourni des titres, souvent inédits. Au milieu des locaux (Bravo Tounky, Jean Bender, Balladur, Dymanche, Faux Départ, Litige, etc.) on remarque la participation d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, Massicot, Chocolat Billy, Colombey, Terrine, Taulard ou Will Guthrie…

Amicalement Rouge et Amicalement Verte sont (pour l’instant ?) sold out… Mais on peut se rattraper en allant faire un tour sur Bizarre Bazar, site monté pour l’occasion par L’Amicale et qui propose également des t-shirts imprimés spécialement ainsi que des sérigraphies, dessins, objets, etc. offerts à la vente par nombre d’artistes parmi lesquel.les Laho, Lashka, Aude Bario, Bikesabbath, Zad Kokar, Nagawika, Romano Krang, Brulex, Ratcharge, Der Kommissar, Julien Dupont, Gaëlle Loth, Lia Vé, Suka Mabuk, Félicité Landrivon, JM Bertoyas… impossible de citer tout le monde !

Et pour celles et ceux qui voudraient critiquer la démarche de L’Amicale du Futur consistant à devenir propriétaire, je précise que cet achat est avant toute chose un achat collectif. Une démarche et une action non intéressées pour faire vivre un lieu important. Je rappellerai aussi qu’il y a quelques années Radio Canut avait également tenté le coup et réussi à racheter ses locaux de la rue du sergent Blandan, pour les mêmes raisons et avec les mêmes motivations. Tout est possible.

 

mercredi 21 avril 2021

Chafouin / Lapin : split




Instant Bullshit, le blogzine autocentré toujours en phase avec le monde moderne et à la pointe de l’actualité vous parle d'un split 12’ publié le 29 juin 2020 et au contenu partiellement consanguin. Et complètement hors de ma zone habituelle de confort – comprendre : ce n’est pas du noise-rock, pas du free-jazz libertaire, pas de la musique industrielle primitive, pas de l’improvisation libre, pas de la musique electro minimale, pas du hardcore, pas du garage, pas du punk, pas du post-punk, pas de la musique concrète, pas du hip-hop, pas de la musique classique, pas de la musique post wagnérienne romantique de la fin du 19ème siècle et pas de la création acousmatique non plus. Mais qu’est ce qu’il reste ?

Premier élément de réponse avec CHAFOUIN. Un groupe officiellement basé à Brest et dans lequel on retrouve Aurel de Marylin Rambo, de Presque Maudit et du label Epicericords (au départ il s’agit de son projet solo). Autant prévenir tout de suite que la musique de Chafouin n’a pas grand-chose à voir avec celles des deux groupes précités. Ici on serait plutôt du côté d’un electro-rock – quel oxymore ! – parfumé de relents progressifs et d’un peu de chant angélique de communiants. De quoi en théorie me filer des cauchemars pour une année entière et pourtant j’ai été assez surpris en découvrant les cinq titres proposés par le groupe. Et puis Grande Descente, sorte de mix entre Grotus et le générique de The Persuaders ! a grandement facilité les choses avec son ambiance très visuelle. Une voie royale pour Désolé De Vous Le Dire rondement amené et surtout chanté. Du coup je regrette un peu de ne pas trop pouvoir comprendre les paroles (qui ne sont pas non plus imprimées sur la pochette). Le reste conserve ce même sens du mouvement narratif même si je suis moins sensible au côté neo-prog – quand les années 70 bavaient encore dans les années 80 – de Simone Weber, un côté vite compensé par la réapparition des voix sur Fin Du Monde et le retour du cinéma avec Steve Glace (au passage : j’y entends quelques réminiscences de certains compositeurs minimalistes new-yorkais… non ? en tous les cas chez Chafouin on est aussi expert en calembours musicaux).

On retourne la galette et on quitte la Bretagne avec LAPIN, encore un groupe multi-formes, officiellement originaire d’Alès et, si j’ai bien tout compris, toujours avec le même Aurel (l’ubiquité alliée à l’hyperactivité). Lapin c’est de la batterie, des synthétiseurs, un orgue, des voix et des effets sonores pour une musique pas si éloignée que cela de celle de Chafouin mais développant un caractère encore plus cinématographique, doucement mystérieux – les belles sonorités de l’orgue y sont pour beaucoup – et un caractère atmosphérique, aérien et évanescent oserais-je. Les trois longs titres de Lapin sont ceux qui m’ont vraiment fait apprécier ce disque et qui m’ont également incité à persister au sujet de Chafouin. Cela me rappelle ma grand-mère paternelle, curieux résultat de la rencontre dans les champs de blé de la Beauce au début du 20ème siècle entre un ouvrier agricole allemand et une jeune andalouse fuyant tous deux la misère de leurs pays d’origine : lorsque elle voyait que je n’étais pas de bonne humeur la vieille dame me pinçait toujours la joue d’un air rigolard en me disant « oh mais tu es bien chafouin aujourd’hui ! » et invariablement je me mettais à rire avec elle.



[l’illustration de la pochette est signée du très talentueux Bill Noir et ce disque a vu le jour grâce à Araki records, Burning Sound, Clou records, Donnez Moi Du Feu, Epicericords, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Gnougn records, Jarane, Rita Distro et Tandori records… certains de ces labels annoncent le disque épuisé mais d’autres en ont encore des copies, comme Epicericords qui en ce moment brade littéralement tout son catalogue à prix libre (même ses vinyles) et là tu te dis que lorsque un label en arrive à de telles extrémités c’est que c’est vraiment la merde]

 

 

lundi 19 avril 2021

[chronique express] Eyehategod : A History Of Nomadic Behavior






Mais qu’est-il arrivé à EYEHATEGOD ? J’avoue que la question me taraude à l’écoute d’A History Of Nomadic Behavior, seulement le sixième album du groupe en plus de trente années d’existence. Réduit à quatre depuis la mort du batteur Joe LaCaze en 2013 et le départ du guitariste Brian Patton en 2018, le groupe qui a littéralement inventé le sludge avec In The Name Of Suffering (1990) et Take As Needed For Pain (1993) doit faire face à une double obligation : continuer à vivre et renoncer à l’autodestruction permanente. Côté vie, on saluera la résurrection du chanteur Mike Williams dont personne ne donnait très cher de la peau jusqu’à ce qu’il se fasse greffer un nouveau foie et se voit contraint de lever le pied sur ses sordides addictions. Aux côtés du guitariste Jimmy Bower il a donné naissance à un nouveau disque déconcertant, où pas grand-chose ne dépasse. Une musique dont la saleté grasse et perverse et le nihilisme ont été poliment nettoyés, où les paroles des chansons sont presque totalement intelligibles et où les riffs sentent parfois le vieux hard-rock sudiste repeint à l’antirouille. Je ne suis pas triste. Je préférerai toujours la vie… mais je ne peux pas vraiment aimer un disque à la production aussi lisse et aussi propre, un disque redondant à peine sauvé du naufrage par un Mike Williams n’ayant pas encore tout à fait oublié qu’il fut jadis le roi du chaos. Il y a une contrepartie à l’attirance pour les gouffres et les chutes interminables comme il y en a une aux renoncements nécessaires et aux sages décisions.



dimanche 18 avril 2021

Comme à la radio : Fontanarosa


 


 

 

C’est dimanche, j’en profite pour rester toute la journée habillé en vieux pantalon de jogging informe et porter mon t-shirt préféré d’Iron Maiden, faire un peu de ménage, nourrir les chats, couper mais pas trop non plus les grandes herbes du jardin, écouter des disques et vider quelques tiroirs. Et là je tombe sur une petite boite – certes numérique – dans laquelle s’accumulent des messages promotionnels et autres lettres d’info. Au milieu de tout ce bordel de mots doux envoyés par des vrais gens qui ne me connaissent pas toujours et des robots informatiques qui font semblant de me connaitre par cœur, je tombe sur celui-ci, sobrement intitulé « new release from S.K. records ». C’est un message du 26 mai 2020, reçu à 15h43…

 


 

FONTANAROSA est le projet solo de Paul Verwaerde, auparavant guitariste de Monotrophy, regretté duo de kraut trigonométrique dont on avait dit beaucoup de bien dans cette gazette à temps perdu et dont on attendait beaucoup pour la suite. Un pronostic qui malheureusement s’est avéré totalement faux… Mais je ne vais pas refaire le monde (et après tout je suis toujours en pantalon de jogging).
Comme on dit parfois voilà un mal pour un bien. Le bien – et même plus que ça – c’est donc Fontanarosa et sa première cassette éponyme. Six titres de power pop lo-fi et néanmoins ultra classieuse enregistrée à la maison et avec les moyens du bord. L’histoire ne dit pas comment Paul était habillé au moment de mettre en boite ce premier essai fortement influencé par quelques musiques britanniques des années 80 et du début des années 90, quelque part entre les Television Personalities et Boyracer... et avec une pointe de La’s. Ce genre de bijoux aristocratiques, parfois agités mais mélodiques et poignants. Honnêtement je ne m’en remets pas.

Et qu’on se le dise : la cassette n’étant pas le support physique le plus populaire et l’humeur générale actuelle étant plutôt à la frustration sanitaire et sociale Fontanarosa est toujours disponible auprès de S.K. records et de Howlin’ Banana records.


ps : je vais également tenter de rattraper mon retard chronique sur l’actualité musicale… apparemment Paul / Fontanarosa s’est lancé dans la collecte de vidéos de visages de chiens – oui c’est très précis et très technique – et j’ai envie d’imaginer qu’il est en train de nous concocter quelque chose pour accompagner et illustrer un éventuel nouvel enregistrement

 

 

 

vendredi 16 avril 2021

Tendinite : Neither / Nor


 

Neither / Nor est un disque que j’apprécie tout particulièrement. Parce ce qu’à sa manière il se révèle entier et sans concession. Honnête et généreux. Synthétisant une certaine idée du rock, dans le sens le plus simple et le plus basique du terme. A propos du premier album de TENDINITE on pourrait parler de garage, de rock’n’roll, de noise-rock, de punk et sûrement de plein d’autres choses encore mais la musique du groupe échappe facilement au supplice de la catégorisation et de l’étiquetage paresseux. Donc voilà : arriver à prendre ça et là, uniquement en suivant ses envies et sûrement ses propres goûts personnels, différents éléments pour les ramener ensemble et les faire converger en une seule musique, sa musique à soi, cela n’a pas de prix à mes yeux. Pas la peine de faire des efforts inconsidérés pour se démarquer mais, au contraire, laisser parler son cœur. Et laisser faire la magie de l’électricité.

 



Tendinite
est un trio formé du côté de Reims en 2016 et ayant déjà publié un 10’ en 2018 et un 7’ en 2019. Un groupe de copains qui répètent inlassablement dans leur cave. Le genre de représentation pas si fantaisiste que cela et qui me vient tout de suite à l’esprit. C’est encore mon imagination qui parle mais il s’agit pourtant bien de ce que j’entends principalement dans Neither / Nor : trois garçons qui jouent de la musique par plaisir et qui sortent des disques pour la beauté du geste, celui du partage, et sans prétention aucune. Tendinite c’est donc une guitare, une basse, une batterie, du chant et surtout une énergie incroyable. Rien que l’inaugural Never Satisfied devrait convaincre les plus réticents tenants de l’orthodoxie grincheuse avec son introduction dantesque et son allure fringante et décidée.
La force de conviction est donc le premier argument imparable de Neither / Nor, un disque qui ne faiblit jamais, quels que soient la teneur et le rythme empruntés par ses dix compositions. Lentes ou rapides, punk ou plus psyché, elles possèdent toutes ce sens de l’entortillement, celui qui te donne envie de te balancer en rythme ou (pour les plus timides comme moi) de dodeliner de la tête. Le résultat est très contagieux parce que Tendinite sait composer une mélodie, sait lui faire prendre corps et sait comment la propulser bravement en l’air.
Mine de rien, Tendinite est un groupe qui n’a pas peur. La longueur du disque – et donc des compositions, majoritairement autour des quatre minutes – ne cesse de m’étonner : le trio ne s’impose jamais l’impératif de concision souvent de mise dans les musiques garage / punk / whatever mais il n’a rien non plus de bavard. Tout est bien construit, à sa juste place et la musique file allègrement, sans ostentation ni superflu. Par exemple le guitariste n’hésite pas à nous gratifier de nombreux solos, bien menés : tu connais ma réticence avec ce genre d’exercice (malgré mon passé adolescent de métalleux acnéique) mais dans le cas de Tendinite je ne trouve rien à dire à de tels agissements, bien au contraire. Le plus réjouissant étant que la guitare part en solo sans guitare rythmique derrière en appui, ce qui permet au passage de bien apprécier la basse à peine planquée en embuscade. Plus qu’un choix esthétique (et peut-être aussi un choix « économique »), cela démontre le caractère parfaitement assumé de la démarche du groupe. Un minimum d’overdubs et pas de fioritures. Encore et toujours de l’honnêteté, et de la vérité. Bravo.



[Neither / Nor est publié en vinyle noir – la plus belle des couleurs pour un vinyle – par Araki , Fuck A Duck, Hell Vice I Vicious et Poutrage records ; big up à l’artwork du disque et qui est l’œuvre de Val L’Enclume]


mercredi 14 avril 2021

[chronique express] Trigger Cut / Rogo




 

Rogo est un disque qui fait du bruit, dans tous les sens du terme. Impossible en effet – lorsqu’on traine du côté des groupes de pression et autres think tanks consacrés au noise-rock – de ne pas en avoir entendu parler des semaines avant sa parution et, depuis, de ne pas avoir vu sur les internets quantité de photos de fans de TRIGGER CUT en provenance du monde entier et exhibant leur exemplaire du disque. Si Ralph Schaarschmidt, guitariste / chanteur / leader du groupe, n’était pas un personnage aussi drôle, sympathique, érudit et (surtout) doué je peux te dire que j’aurais un peu tiré la gueule.
Seulement voilà Rogo est un excellent disque. Et même plus que ça. Toujours aussi obsédés par maitre Albini, Trigger Cut et Ralph Schaarschmidt font même passer un nouveau cap à la musique du trio, toujours plus sèche, plus aiguisée et plus frénétique. Et plus personnelle. Une vraie bombe explosive et à fragmentation, entre hargne acide et mélodies acharnées. Des guitares qui cisaillent et tranchent dans le vif et une rythmique qui pilonne adroitement. Honnêtement je n’ai rien de plus pertinent à ajouter au concert de louanges consacrées à Rogo et je n’aurai rien non plus à enlever. Juste que si tu n’aimes pas ce disque c’est que peut-être que tu n’aimes tout simplement pas le noise-rock et que donc tu peux tout de suite passer ton chemin. Voilà, cette mini chronique vient de rejoindre les quelques dizaines d’autres, largement méritées et déjà consacrées à Rogo. Moi je retourne écouter ce furieux témoignage de vitalité fracassante.



lundi 12 avril 2021

radiant. / self titled

 

radiant. Ecrit tout en lettres minuscules, avec un T et un point à la fin et à ne pas confondre avec leurs homonymes autrichiens de Radian. Il n’y a pas trop de risque non plus : le groupe – parisien – qui nous occupe ici est plus un adepte et un adorateur du noise-rock qu’autre chose. Avec des participant.e.s dont on a déjà entendu parler : Aurélie à la guitare (et un peu à la voix), Simona à la basse et au chant ainsi que Jérémy à la batterie. Le premier a joué dans Schoolbusdriver, Decicobra et Madeincanada. La seconde officiait dans Testa Rossa. Quant au troisième je ne sais pas d’où il venait mais il est déjà reparti, radiant. semblant être atteint de cette maladie infectieuse qui touche tellement de groupes : l’instabilité chronique du préposé à la batterie. Mais aux dernières nouvelles le trio serait à nouveau au grand complet avec l’arrivée de Léo. Et c’est tant mieux !







radiant. fait donc partie de ces jeunes groupes de (presque) vieux qui jouent une musique fortement inspirée par ce qui se faisait au siècle dernier. Je ne vais pas m’en plaindre. Encore tout récemment un camarade de longue date, me parlant de sa jeunesse, de ses découvertes musicales d’alors, du tournant et du début des années 90, me disait la chose suivante : on écoute la musique de son âge mais on a aussi l’âge de la musique que l’on écoute, pourtant ce qui est amusant c’est que plus on vieillit et plus on écoute des musiques « vieilles » (i.e. datant d’avant son adolescence et d’avant ses années de jeune adulte) ou de musiques « jeunes » (de maintenant) parce que les barrières temporelles finissent par se rétrécir et même des fois carrément s’estomper – mais il est également vrai que l’on en revient toujours à sa musique à soi, celle qui précisément nous a fait aimer la musique en général, et celle qui a fait ce que nous sommes maintenant. J’ai trouvé ça beau comme une tournée de demis de bière bien fraîche engloutis en compagnie d’ami.e.s à la terrasse d’un bar ou comme un pit de hardcoreux écumant et s’ébrouant furieusement pendant un concert dans une cave de squat, alors je n’ai pas pu m’empêcher de lui piquer ces mots là.


Ce que j’aime dans la musique de radiant. c’est sa lenteur. Ou plus exactement sa langueur. Une sorte de fausse / vraie lascivité (j’hésite…) qui masque le caractère sourd et plombé d’un noise-rock finalement plutôt atmosphérique, partagé entre flottements et coups de boutoir. Une musique très charnelle voire érogène, ce que confirme la plupart des paroles des chansons.
Tout est une question de temps et de ce que l’on en fait : radiant. semble bien l’avoir compris, nous abandonnant au milieu de compositions collantes et urbaines – que le groupe ait choisi une photo de train (de banlieue ?) pour illustrer la pochette de son disque est d’ailleurs une excellente idée. Du coup la frontalité n’est pas ce que l’on retiendra le plus d’un disque qui paradoxalement ne manque ni d’énergie ni d’explosions soniques (la longue partie de guitare occupant plus de la moitié et toute la fin de Forever) et qui flirte éventuellement avec un shoegaze se métamorphosant peu à peu en lourdeur onirique (Martha). Sur le dytique / dialogue à deux [u] et [i] on pense carrément à Slint roulant des pelles à Chokebore tandis que Rims donne le coup de grâce avec son final dissonant.

Il n’y a que l’instrumental VIII qui se démarque vraiment de tout le reste du disque avec une allure rectiligne au dessus de la moyenne générale et une forme plus classiquement itinérante, un peu comme un voyage répétitif dans l’espace. Ce qui, en conclusion, nous donne un excellent premier disque et surtout plein d’espoir pour la suite…



[ce mini album sans titre de radiant. est publié en vinyle blanc par Jarane, seul et unique label à avoir accepté d’investir et de perdre de l’argent dans cette folle aventure – mais dis-moi Camille, comment est-ce que tu fais ?]

 

 

vendredi 9 avril 2021

[chronique express] Godspeed You! Black Emperor / G_d's Pee At State's End !




 

Je vais essayer de faire court (mouhaha !). J’aime bien les expériences et les conclusions hasardeuses : il se trouve que je me suis procuré ce G_d’s Pee At State’s End ! en même temps que la réédition en vinyle du premier album de GY! BE dont jusqu’ici je ne connaissais qu’une version CD parue chez Kranky en 1998. Du coup j’ai écouté ces deux enregistrements tour à tour, en alternance et en passant parfois de l’un à l’autre sans attendre que les disques se terminent. Je me suis aperçu, ou alors je l’avais tout simplement oublié, que Mike Moya (Molasses, Set Fire To Flames, Elizabeth Anka Vajagic et surtout Hrsta), par ailleurs membre du groupe à ses tout débuts, rejouait avec celui-ci depuis sa reprise d’activité en 2012.
Vingt-quatre années séparent donc le premier et le dernier disque en date de Godspeed You! Black Emperor et on pourrait reprocher au collectif de Montréal d’avoir perdu de sa poésie originelle au profit d’une approche cérébrale, néo-classique contemporaine et plus messianique que jamais de sa musique : aujourd’hui il pourrait faire partie du Patrimoine Mondial de l’Humanité, celui avec des lettres majuscules dérisoires et qui muséifie tout ce qu’il touche... Sauf que GY! BE est à lui tout seul une forme d’humanité. Ou plutôt un bout d’humanité parmi de nombreux autres, aussi petits qu’une grande musique qui, à sa manière, essaye de se battre pour (tout) le monde.

 

 

jeudi 8 avril 2021

Alpha Hopper / Alpha Hex Index



« American rock & roll quartet from Buffalo, New York ». C’est ainsi que se présente ALPHA HOPPER et on va dire que ces quatre jeunes gens – Irene Rekhviashvili au chant, John Toohill à la guitare et à l’électronique, Ryan McMullen à l’autre guitare et Douglas Scheider à la batterie – ne prennent ainsi pas beaucoup de risques. Les risques c’est plutôt toi qui va te les taper à l’écoute d’Alpha Hex Index : pourtant tu pouvais bien te douter qu’avec un tel nom de groupe, un tel titre d’album et un tel artwork tu n’allais pas découvrir un énième ersatz de musique à papa-maman. Résumé grossièrement, Alpha Hopper serait plutôt à coincer entre un Melt Banana en moins scrupuleusement ludique et un Arab On Radar / Doomsday Student en beaucoup plus grassouillet.








Alpha Hopper est donc ce que les spécialistes en musiques toxiques et autres coloscopistes diptérophiles appellent un groupe de art-rock à tendance noise. Avec une pointe élargie de post hardcore moderne et hystérique, si tu veux. Un truc qui aurait fait fureur sur un label comme Skingraft et dont la musique d’Alpha Hopper est incontestablement l’héritière car très représentative de son fond de commerce d’antan. Des groupes tels que celui-ci il y en a déjà eu énormément et fut un temps l’overdose type branlitude bozardeuse n’était pas loin, je pense à des formations pas forcément mauvaises mais très vite lassantes parce que finalement très prévisibles dans leurs délires arty, telles que Aids Wolf ou Pre (deux signatures Skingraft au début des années 2010, comme par hasard). Mais le temps a passé. Et mon énervement et ma lassitude aussi. Aujourd’hui, lorsque j’écoute Alpha Hex Index j’y trouve une fraîcheur non feinte et si je hurle comme un débile ce n’est pas pour râler et crier à l’arnaque facile mais pour accompagner les vocalises d’Irene Rekhviashvili, stridentes comme le bruit d’un ongle retourné sur une surface plane. Oui ça peut faire un peu mal.
Alpha Hex Index est l’album le plus extrémiste et le plus paroxystique d’Alpha Hopper. Un disque apparemment sans grandes concessions et gavé de bruits consciencieusement furieux. C’est aussi drôle que débordant de naturel. Entrainant – l’introductif In The Desert Of The West et son refrain à tout péter – mais cela reste mordant. Et surtout – finalement, oui – il y a bien un peu de ce rock’n’roll revendiqué par le groupe : les structures des neuf compositions (je ne compte pas les trois instrumentaux/interludes) restent assez traditionnelles, les riffs de guitares n’ont rien de trop expérimental et rien de dissonant (The Goods est même fichtrement classique) et ce qui fait tout le truc ici, c’est l’enrobage. La façon de chanter d’Irene, donc, et les quelques ajouts de zigouigouis électroniques. Plus quelques guitares un chouïa neo-prog (Enskin) et parfois même quelques tentatives de solos pyrotechniques.
Je pourrais écrire qu’avec Alpha Hopper on est en terrain connu et qu’Alpha Hex Index peut s’écouter tranquillement un verre de Daïkiri à la main, les doigts de pieds à l’air, uniquement vêtu d’un bermuda informe et vautré sur une chaise longue mais surtout je trouve très amusant qu’une musique comme celle-ci qui il y a quelques années aurait pu sembler irritante n’a aujourd’hui rien de dérangeant. Alpha Hex Index est donc ce que l’on appelle un bon petit disque, un disque qui fait tout simplement du bien par où il passe... Pas tout à fait dans le même genre – mais sur le même label – je conseillerais également Ritualistic Time Abuser de Post/Boredom, plus massif et finalement plus hardcore. La relève est assurée.



[Alpha Hex Index est publié en vinyle transparent doré ou argenté façon nuages de fumée par Hex records – le label appelle ça « sun haze » et « moon haze » et dans les deux cas c’est très réussi]


mardi 6 avril 2021

Saffron Eyes / Pursue A Less Miserable Life

 

Ce disque est un petit bijou. Que dis-je : c’est un véritable joyau et je l’adore ! Et… et encore une fois je viens de me griller tout seul comme un grand. Simplement en écrivant tout de suite deux phrases que j’aurais été bien mieux inspiré de mettre en conclusion de cette chronique. Tant pis… Mais si tu as préféré économiser une ou deux minutes de ton précieux temps au lieu de corrompre ton esprit sain et ton cœur pur dans les gouffres sans fond des internets, alors je peux aussi espérer que tu es directement allé écouter Pursue A Less Miserable Life*. Et espérer que tu as ainsi évité, au moins pour aujourd’hui, le désœuvrement numérique. Est-ce que ta vie en sera un peu moins misérable ? Je n’en sais rien. Mais la mienne, oui... Enfin, disons qu’elle s’éclaire différemment dès que j’écoute ce disque. Et que si je me mets à sourire tout seul c’est uniquement sous l’effet du charme aussi puissant que raffiné d’une telle musique.

 






Mais autant recommencer depuis le tout début : SAFFRON EYES est un très chouette groupe de Saint Etienne. Et au départ le projet du guitariste Cyril Braga que l’on avait pu entendre il y a quelques années dans Le Parti, un autre groupe stéphanois où il occupait le poste de bassiste. Pour Saffron Eyes il a été rejoint par Cédric Ampilhac à la batterie et Thomas Walgraffe à la basse. Et surtout par Laetitia Fournier au chant, plus connue sous le nom de Raymonde Howard**. Cela pourrait sembler peu charitable et en fait plutôt injuste pour ses petits camarades mais lorsque une musicienne et une chanteuse de la trempe de Laetitia pointe le bout de son nez, tu diminues d’autant tes chances de tomber dans l’insipide et la banalité.

Ce qui n’enlève rien aux trois autres car Saffron Eyes est avant tout un groupe. Un vrai beau groupe. Et sa musique est un ravissement indie pop à l’énergie un peu punk sur les bords. Seulement un peu parce que sinon ce serait trop restrictif et donc presque faux… il est à la fois facile et difficile de parler correctement des sept compositions de Pursue A Less Miserable Life. Les influences sont manifestes et (je le pense) parfaitement voulues. Il y a un côté aérien et élégant ici – on pense aux Feelies, ce genre de friandises aristocratiques new-yorkaises post Velvet du début des années 80 – et une belle aptitude à produire de la limaille finement électrique et de la délicatesse aigue (la guitare est un enchantement à elle toute seule). Et sans tomber dans le côté chiatique de la bigoterie pop ni dans la froideur isolationniste du post-punk. Sans perdre de vue que l’efficacité dans ce cas précis peut aussi être une excellente chose (écoute un peu ce couple basse / batterie). Et toujours avec un bon sens de l’énergie, une énergie bien dosée et réellement solide.

D’un autre côté l’effet de séduction de la musique de Saffron Eyes, s’il est tout à fait perceptible, reste difficilement définissable – et comme je n’en suis plus à une banalité près : qu’elle soit indéfinissable ajoute encore plus à cette séduction. Il y a réellement quelque chose d’inexplicable, quelque chose peut-être bien d’uniquement quantifiable grâce au plaisir et à la clarté subtilement joyeuse – j’ai failli écrire optimiste – que procure Pursue A Less Miserable Life. Un disque sans le moindre faux-pas ni la moindre faute de goût, une trop courte collection de virevoltes élastiques, insolites, tubesques et racées***. Si la classe et l’élégance d’une musique se mesurent aussi en fonction de la dose d’humilité que l’on y a insufflée alors Saffron Eyes fait partie des champions toutes catégories. De la noblesse mais sans prétention ni orgueil mal placé. Beaucoup de générosité mais sans faire de bruit.

 

* publié en vinyle par We Are Unique ! records

** Raymonde Howard dont il semble bien qu’elle est enfin en train de donner une suite à S.W.E.A.T. (sic)

*** comme par exemple Sunset People tout récemment et non sans humour mis en vidéo par Eric Segelle et Claude Crépet et avec des dessins de Halfbob

 

 

 

dimanche 4 avril 2021

Comme à la radio : Gaffa Bandana

 




Des fois je devrais vraiment me méfier un peu plus de mes aprioris à la con, ouvrir plus attentivement les yeux et mes oreilles réfractaires. Lorsque j’ai vu passer le nom de GAFFA BANDANA je me suis simplement contenté de glousser comme une dinde de Pâques (c’est la saison, alors pourquoi pas) à cause de ce nom de groupe qui ne me disait vraiment rien qui vaille. Bien évidemment j’ai une fois de plus eu tort. Et malheureusement ce n’est pas la première fois que cela m’arrive… Mais jugez plutôt par vous-mêmes :

 


 




Gaffa Bandana
c’est donc un duo composé de la chanteuse / guitariste Gill Dread et de la batteuse Jennie Howel (également responsable de l’artwork ci-dessus). On connait très bien et on apprécie énormément la première parce qu’elle est le moteur principal de la machine à riffs qui tuent Bruxa Maria, un groupe dont le deuxième album The Maddening a longtemps hanté les platines de la rédaction d’Instant Bullshit et retourne y prendre place encore de temps en temps, lorsque j’ai besoin d’une bonne dose d’électricité ravageuse. Par contre je n’aurai rien à dire au sujet de Jennie Howel – désolé – mais il est évident que Gaffa Bandana constitue désormais pour elle la meilleure des cartes de visites.

 

Publié uniquement en cassette par Human Worth, Fraught in Waves c’est surtout du lent, du lourd et du hachis à tous les étages. On reconnait aisément la faculté de Gill Dread à bien tout remplir l’espace disponible avec son chant de goule en furie et sa guitare supersonique. Pourtant avec Gaffa Bandana l’heure est au minimalisme : pas d’empilements de guitares et pas d’effets pyrotechniques mais uniquement une rage incroyable et une ténacité à toute épreuve. Et des riffs, des riffs, des riffs… Fraught in Waves ne comporte que six titres mais dure quand même une grosse demi-heure, ce qui est largement suffisant pour s’en prendre plein la tête : le metal noise (quoi d’autre ?) du duo est tellement bon et viscéral que l’on est prêt à immédiatement en redemander. C’est le seul avantage que je trouverai à une édition cassette : au moins on peut l’écouter en boucle sans avoir à lever le petit doigt et en prenant simplement bien soin de bloquer son lecteur en mode auto-reverse…

 

… Mais à ce propos je terminerai par un petit message personnel à l’intention d’Owen Gildersleeve, batteur de Modern Technology et qui préside aux destinées du label Human Worth :

Mon cher Owen, je sais bien que les temps sont compliqués, que l’argent est difficile à trouver, que braquer une banque n’est pas à la portée de tout le monde, que le 1er Ministre britannique est une catastrophe (au moins autant que le Président de la République Française) mais je ne comprends pas pourquoi Fraught in Waves n’a été publié qu’en cassette et avec un tirage très limité. Si jamais il te venait à l’esprit de faire rééditer cet enregistrement en vinyle, parce qu’il le mériterait amplement, sache que je serai preneur. Merci dans ce cas de m’adresser un petit message en retour, je ne manquerai pas d’y répondre
et de me porter acquéreur de cette petite merveille qu’est Fraught in Waves. Bisous.



vendredi 2 avril 2021

Lars Finberg / Tinnitus Tonight

 

LARS FINBERG, ce héros. Je n’ai pas écrit « Lars Finberg, mon héro » parce que sur ce coup là je veux bien essayer de le partager avec toi (même si au fond je n’en pense pas moins et qu’en plus je suis du genre possessif). Mais rends-toi un peu compte de qui on parle : Lars Finberg a été le batteur des légendaires A-Frames, certainement l’un de mes groupes préférés du début des années 2000 et par-dessus tout un groupe qui faisait du post-punk sans le savoir c’est-à-dire en y mettant tellement de lui-même que tout le monde n’y a vu que du feu – et surtout à l’époque on s’en foutait encore complètement de ce qui était « post-punk » et de ce qui ne l’était pas. Et puis, entre autres choses, le petit Lars a joué aux côtés de John Dwyer dans Thee Oh Sees (qui étaient encore dans une période intéressante).
Mais principalement – je raccourcis volontairement le passage biographique parce que je n’ai pas que ça à faire non plus – Lars Finberg a monté sa propre formation : The Intelligence. Dix albums studio pour l’instant plus un live et au moins autant de singles entre 2004 et 2019. Je n’ai jamais écouté de mauvais disque de The Intelligence. Seulement un ou deux un peu moins bons que les autres. Oui je suis ultra-fan... 
Lars Finberg a publié son premier album solo Moonlight Over Bakersfield en 2017 chez In The Red records, une prestigieuse maison qui a également publié la plupart des LP de The Intelligence mais dont le dernier en date Un​-​Psychedelic in Peavey City a lui paru sur Vapid Moonlighting Inc. en 2019, alors tout nouveau label monté par Finberg lui-même. C’est sur ce même Vapid Moonlighting Inc. qu’a ensuite été publié Tinnitus Tonight, deuxième album solo du monsieur.







C’est le moment de vérité. Malgré d’évidentes qualités Moonlight Over Bakersfield m’avait laissé sur ma fin. Il en avait été de même, deux années après, pour Un​-​Psychedelic in Peavey City. Le premier, enregistré avec de nombreux musiciens invités et produit par la paire Ty Segall / Lars Finberg ne démérite pas bien qu’il se perde dans trop de bonnes intentions et quelques mauvaises idées pour un résultat trop décousu et inégal. Sans parler du mix signé Ty Segall, plat et insipide comme une soirée pizza / bières / TV / baise missionnaire en amoureux et en période de Covid. Je ferai le même reproche à Un​-​Psychedelic in Peavey City, bien qu’enregistré avec une toute autre équipe et sous la bannière de The Intelligence… Alors je te laisse deviner mon grand désespoir d’alors : la veine créatrice de Lars Finberg s’était-elle tarie ou bien n’était-ce qu’une mauvaise passe ? Quelle angoisse.
Enregistré et mixé par l’irremplaçable Chris Woodhouse et surtout à l’aide d’une formation resserrée autour de trois personnes, Tinnitus Tonight est venu frapper puis réconforter mes petites oreilles endolories un beau jour de novembre 2020. Et tout de suite il y avait de quoi être rassuré. Comme déjà écrit Lars Finberg n’a jamais enregistré de mauvais disque mais avec Tinnitus Tonight le musicien renoue enfin avec tout le génie qu’on lui avait connu jusqu’ici. Même son chant et son timbre de voix si reconnaissables semblent reprendre du poil de la bête. L’envie est de nouveau bel et bien là.
Avec son deuxième album solo le musicien revient à l’essentiel : un post-punk sous influence 60’s, aérien et stylé, d’apparence simple mais en réalité finement emmené et très abouti et – pour le coup – mis en boite par un Woodhouse encore une fois inspiré. Toutes les compositions de Tinnitus Tonight apportent quelque chose et bien qu’elles soient au final assez variées l’album tient la route et la distance. Aucun passage à vide à déplorer. Et puis il y a ce son, donc, ou plutôt les sons qu’utilise le multi-instrumentiste Lars Finberg et je pense en particulier aux sons de synthétiseur, mais pas que : Lars Finberg est l’un des rares qui réussit à donner à son post-punk, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, une coloration aussi doucement chatoyante (l’introduction pourtant grésillante de Satanic Exit ou le surlignage anxiogène sur le final de Kitchen Floor par exemple). Ou, si on préfère, il est le seul qui réussit à donner à son garage surf un caractère aussi réfrigéré. Parce que la musique de Lars Finberg navigue constamment entre ces deux pôles en apparence opposés et refuse de choisir pour se retrouver et définir un espace bien à elle. Un espace délimité mais tellement riche que son exploration continue toujours. Les oreilles qui sifflent ce ne sera pas pour aujourd’hui.