Encore une formation originaire d’un trou du cul du Texas, encore un groupe de noise-rock, encore un enregistrement publié grâce aux bons soins de Reptilian records et encore un disque qui fait terriblement frémir mon petit cœur de pierre ; donc si tu aimes tous ces trucs de noiseux bien tendus (Buildings ou Blacklisters, etc) et si tu aimes également la mélancolique occasionnelle (genre Slint) tu aimeras Then We Die, le premier album de BULLS – et petit détail à l’attention des entomologistes musicaux, le batteur du groupe est également son chanteur… étonnant, non ?
vendredi 31 juillet 2020
mercredi 29 juillet 2020
Psychic Graveyard / A Bluebird Vacation
J’avais (gentiment) fait la fine bouche
au sujet de Loud As Laughter, premier album de
Psychic Graveyard publié en 2018 par Skingraft. C’est quand même absolument
dingue cette capacité que j’ai à toujours vouloir trouver la petite bête au
sujet d’un disque qui pourtant aurait du me plaire – au plutôt : avait
absolument tout pour me plaire. Mais une fois de plus j’ai eu totalement raison
avec mes petites remarques de chipoteur parce que A Bluebird Vacation, successeur brillant de Loud As Laughter, est d’un tout autre niveau. Oh il ne s’en faut
pourtant pas de beaucoup, A Bluebird Vacation
n’a rien de fondamentalement différent, non, par contre il est très largement
supérieur en tous les domaines à un premier album qui avait lui du mal à
trouver sa propre voie et à se libérer de l’ombre tutélaire des précédents
groupes des éminents membres de PSYCHIC GRAVEYARD.
Je le répète malgré tout, Psychic Graveyard est la réunion au sommet d’Eric Paul (Arab On Radar, Chinese
Stars et Doomsday Student), de Paul Vieira (également Chinese Stars et Doomsday
Student) et de Nathan Joyner (Some Girls, All Leather). Et je rajoute le
batteur Charles Ovett qui ne joue pourtant pas sur A Bluebird Vacation, les parties de batteries ayant été assurées par
l’ingénieur du son et producteur Seth Manchester – oui Charles n’est là que pour
les concerts. Mise à part cette petite entorse au code d’honneur et de bonne
conduite A Bluebird Vacation
présente une musique bien plus compacte et bien plus soudée. Ce qui faisait ses
quelques défauts est désormais presque oublié ; et ce qui faisait toutes
ses qualités a encore pris de l’ampleur. Même si on peut encore y penser, Psychic Graveyard s’affranchit
dignement d’Arab On A Radar et – surtout – de The Chinese Stars dont le groupe
était musicalement le plus proche, le plus compatible. L’ambiance est de
plus en plus quasiment systématiquement aux sonorités synthétiques et
électroniques et souvent la guitare de Paul Vieira disparait complètement ou
plus exactement lorsque elle apparait et redevient discernable elle sonne comme
elle n’avait encore jamais sonné, comme une machine.
Ce n’est pas une raison pour fuir à toutes jambes : moi non plus je n’aime
pas les guitares trop trafiquées, je préfère les guitares qui grésillent et qui
hurlent mais pas de ça sur A Bluebird Vacation, plutôt des nappes sonores constamment rampantes et effroyablement
malsaines. Des murs de sons d’origine indéterminée qui surgissent comme d’un
bouclier magnétique invisible, des pointes lazerisées lancées droit devant, des
vortex synthétiques qui étranglent l’auditeur. Ce deuxième album est un disque
éprouvant. Et dépressif. Comme on pouvait déjà le pressentir avec Loud As Laughter*. Mais là on atteint
des sommets dans l’effondrement psychique – OK : est-ce que j’ai réussi à
deviner le sens du nom du groupe ? – et dans la noirceur, même lorsqu’elle
semble chargée de cette autodérision et de ce sens de l’automutilation mentale
dont Eric Paul s’est fait une spécialité depuis tant d’années. C’est la grande
force de A Bluebird Vacation mais
c’est une force contraignante, décourageante peut-être si on cherche à aller un
peu plus loin que la musique, à aller au delà de l’écoute. Psychic Graveyard n’est donc pas qu’un groupe de noise tramée
synthétique. C’est une sorte d’hydre monstrueuse dont on devine qu’elle cherche
à nous hurler quelque chose, quelque chose qui ressemblerait à un cauchemar empoisonné, alors
que les paroles écrites par Eric Paul font clairement froid dans le dos.
[A Bluebird Vacation est publié en
vinyle par Deathbomb Arc]
* et comme c’était déjà le cas avec le A Self Help Tragedy, dernier (?) album
de Doomsday Student, en 2016…
lundi 27 juillet 2020
Fange / Pudeur
L’évolution continue. Ou plutôt la
mutation. Il n’y a finalement pas un album de FANGE qui ressemble comme un frère au
précédent et depuis ses débuts très sludge / harsch / je-ne-sais-pas-quoi le groupe
a expérimenté autant d’horizons musicaux qu’il a connu de line-up différents.
Toujours centré autour du guitariste et master es-bidouilles Benjamin Moreau
dont il reste le seul membre d’origine et établissant définitivement la place
prépondérante de Matthias Jungbluth (chant et terreur à tous les étages), Fange est désormais un trio. Du moins
c’est sous cette forme là que le groupe a enregistré Pudeur, publié en avril dernier par Throatruiner. Le troisième
larron est loin d’être un inconnu, le bassiste Antoine Perron jouait déjà sur
l’album précédent Punir. Les comptes
sont ainsi vite faits : de la guitare, de la basse, du chant et beaucoup
de machines… il n’y a plus de batteur dans le line-up du groupe – qui en a
beaucoup changé depuis ses débuts – mais une belle et rutilante boite-à-rythmes
qui assaisonne tout l’album d’explosions et de cavalcades rythmiques. Le mot
est lâché : Fange ferait
désormais de l’« indus ».
Pas si vite papillon. Il ne suffit pas
de foutre de la programmation de partout pour faire de la musique industrielle.
Et puis cette appellation est tellement galvaudée et a tellement changé de sens
au fil du temps que l’employer peut s’avérer des plus délicats. Ce qui est le
cas de Pudeur, album finalement assez
complexe à appréhender et auquel les trois Fange survivants n’ont souhaité donner qu’une seule
couleur : la leur. Tout comme Punir
lorgnait souvent du côté d’un death metal avarié – depuis le tout début des
années 90 celui-ci a en effet largement eu le temps de passer par tous les
stades de décomposition/recomposition – Pudeur
s’inspire de, évoque, emprunte… mais ne copie pas bêtement. Ce que Fange a
toujours fait, finalement : aller au delà des codes musicaux, prêter
allégeance mais jamais pour très longtemps, donc, ne pas s’arrêter en cours de
route et ne pas s’appesantir, ne pas se reposer sur quoi que ce soit.
Ce qui est frappant c’est qu’au travers
de son évolution et de ce processus Fange
a toujours su garder quelque chose – des éléments significatifs – de ses
expériences et enregistrements passés. On retrouve donc un peu de ce sludge
originel, un peu de cette confusion harsh qui transforme les sons en magma et
un peu de death dans Pudeur qui passe
tout ça à la moulinette de machines programmées pour engendrer le chaos. Ce qui
ne change pas chez Fange c’est ce sens inné (?) de la noirceur, de la lourdeur, du malaise,
de la crasse, de la destruction. Et de la terreur, comme déjà mentionné au
sujet du chant de Mathias Jungbluth mais cette appréciation peut finalement
s’appliquer à toute la musique du groupe – de l’épaisseur meurtrière des lignes
de basse à la rage vicieuse des guitares. On reconnait parfaitement la musique
de Fange dans la mixture
industrialisée de Pudeur, on sait
qu’il s’agit toujours du même groupe mais en même temps on ne peut que
s’émerveiller de sa faculté d’adaptabilité, comme un bon gros virus mortel et
dégueulasse qui ne fera pas de détails et détruira tout être vivant sur son
passage. On espère alors que le groupe ne s’arrêtera pas là, et qu’il trouvera
encore d’autres moyens pour exprimer toute cette intensité redoutable, cette
envie de tout anéantir*.
[Pudeur est publié en vinyle de couleur houblonnée ou rose chair
et tendre et en CD par Throatruiner records]
* et Fange de déjà annoncer la parution d’un nouvel enregistrement pour
la mi-août, un mini album intitulé Poigne
encore plus orienté machines et enregistré avec quelques invités
supplémentaires – à suivre…
dimanche 26 juillet 2020
[chronique express] A Beautiful Thing : Idles Live At Le Bataclan
Après seulement deux albums studio les très acclamés Idles ont eu cette drôle d’idée d’un double album live enregistré en décembre 2018 dans une salle parisienne très symbolique puis publié en décembre 2019, sûrement pour noël. A Beautiful Thing : Idles Live At Le Bataclan existe en trois versions distinctes (noël je te dis) et n’a rien d’un indispensable. Les cinq Idles s’y montrent simplement et honnêtement tels qu’ils sont, un groupe de hippies énervés (« love and compassion » nous dit-on dès le début) jouant du punk à boire peut-être trépident sur le moment mais très monotone sur la longueur. Le frontman Joe Talbot est sûrement un bon gars et un type bien mais malheureusement il est surtout un bien piètre chanteur et je ne te parle même pas de ce grand moment de démagogie où il énonce la devise républicaine hexagonale au beau milieu de l’« antifascist song » Rottweiler. Non merci.
vendredi 24 juillet 2020
V/A Hot Rock Action 2020
Hot
Rock Action 2020. J’avoue ressentir un certain décalage
entre d’un côté le titre très rock’n’rollesque de ce 7’ compilatoire et l’artwork signé
Christopher Cooper aka mister Coop
et de l’autre l’année indiquée : oui nous sommes bien en 2020 et
il y a longtemps que je ne m’étais pas intéressé à un disque doté d’une
pochette reprenant la plupart des poncifs du genre à savoir la meuf à moitié
dénudée, tatouée, à gros cul, à gros seins, en bottes montantes à talons et
armée d’un schlass parce qu’il ne faut pas déconner non plus, rien de tel que la violence – quel monde de merde mais comme
il est plaisant de s’en délecter lorsqu’on est un mec, tiens on se croirait
dans un film de cet escroc et fumiste de Tarentino.
Voici donc un 45 tours de quatre titres,
une compilation qui ne regroupe pas comme on pourrait s’y attendre des contributions
venant des Cosmic Psychos, de Nashville Pussy, de Grindhouse ou des Dwarves
mais des inédits de quatre groupes parmi les plus intéressants de la scène
noise-rock made in U.S. actuelle. Le « 2020 » s’impose de lui-même en
faisant écho à de précédents 7’ publiés par le label Reptilian records au
siècle dernier tandis que les Bulls, Hoaries, Sinking Suns et Super Thief sont
au programme de ce petit disque (par la taille) qui fera baver d’envie et
ronronner de plaisir tous les noise addicts.
Face A. Dans la foulée de leur premier
album Then We Die dont on parlera sans
doute bientôt par ici les Bulls nous balancent un Podium sec et rapide, court et
mélodique. Difficile de croire que cette formation originaire du Texas ne
regroupe que des musiciens aguerris voire vétérans et non pas des jeunes gens
fringants et échevelés lorsqu’on écoute cette composition de haute tenue bien
que débordante de juvénilité, avec son chant clair et son approche punk qui en
font un tube instantané. Juste placés derrière et également texans les Hoaries
ne sont vraiment pas en reste et confirment tout le bien que je pense d’eux grâce à un Ritualized
Cloning comme à leur habitude un peu étrange et subtilement dissonant, ce qui encore une fois fait
tout l’intérêt de leur musique. Malgré la forte concurrence en présence Hoaries s’imposent immédiatement comme le
meilleur groupe de Hot Rock Action 2020
et plus je les écoute plus j’ai hâte qu’ils nous sortent un véritable album.
On retourne le disque. La face B démarre avec les Sinking
Suns (du Wisconsin, j’aime toujours autant la géographie) que l’on ne
devrait plus présenter et qui avaient littéralement enthousiasmé les foules en
délire grâce à Bad Vibes, un deuxième (troisième ?)
album qui depuis sa parution en 2018 a provoqué quelques dégâts irrémédiables et
rabattu le caquet des amateurs de pseudo noise fleurie et divertissante en
quête de toujours plus de bonheur. Happy
Hauting Ground est dans la même lignée que Bad Vibes, celle d’un noise-rock touffu, charpenté et accrocheur.
En gros de la vraie bonne tradition toujours aussi satisfaisante et qui fait
toujours autant envie, définitivement bien loin du bonheur dégueulasse
mentionné ci dessus. Tout aussi traditionaliste Super
Thief se fend d’un Worm In The
Pill Bag typique des années AmRep et qui ne décevra pas non plus celles et
ceux qui avaient découvert le groupe via son CD/compilation Rep 132. Les texans – as-tu remarqué
que trois des quatre formations présentes sur Hot
Rock Action 2020 sont originaires de cet état particulièrement riche en
groupes improbables et désordonnés ? – clôturent ainsi un disque offrant
un excellent panorama de la chose, avec une face A un brin plus arty et une
face B une chouille plus classique. Mais dans tous les cas il n’y a strictement
rien à jeter ici.
[Hot Rock Action 2020 est publié en vinyle vert et à 300 exemplaires par Reptilian records]
mercredi 22 juillet 2020
Lithics / Tower Of Age
« La Tour de l’Age » ?
Pas besoin de Machin Translator pour comprendre qu’une fois de plus LITHICS va s’ingénier à brouiller les pistes et que ce n’est
pas en traduisant bêtement le titre du troisième album* de ce génial quartet de
Portland / Oregon que l’on va pouvoir glaner un peu plus de renseignements.
Tout comme l’ensemble des paroles de l’album signées je l’imagine par la
chanteuse/guitariste Aubrey Hornor déversent des flots d’incongruités à la fois
poétiques et absurdes, dada si tu veux. Avec Tower Of Age les quatre Lithics
confirment ainsi leur statut bien à part d’énigme musicale la plus lisible du
monde, le seul groupe de post punk qui à ma connaissance réussit l’exploit de
faire sonner sa musique comme un truc nouveau et toujours inconnu. On n’y
comprend rien mais ça nous parle. On ne connaissait pas mais on adhère tout de
suite – du moins Tower Of Age donne
le sentiment que jusqu’ici on ne connaissait rien de cette musique.
Cependant ce nouveau brûlot décalé et dissonant va encore plus loin que ces
deux prédécesseurs, relativement similaires dans le fond et dans la forme, le
premier album Borrowed Floors en 2016
et le presque
parfait Mating Surfaces en 2018.
Car Tower Of Age est plutôt avare en
tubes francs, directs et homogènes sur toute la ligne, économe en mélodies poliment
acidifiées qui font parcourir des frissons dans le dos, en rythmes résolument
dansants bien que décemment indansables. Autrement dit Mating Surfaces était une rafale de balles explosives atteignant
toujours leur but ; Tower Of Age
est plutôt du genre collection de bombes à retardement et à fragmentation. L’effet
final n’en est que plus bluffant. Dès le début la première composition Non joue le registre de la saccade et du
retard à l’allumage. Tout y est torsadé, comme reflété dans un miroir déformant
qui changerait constamment de position. Puis débarque Hands, le premier presque tube de l’album. A la condition de se
laisser faire par ce mid tempo faussement dilettante et par ces cascades de
guitares dissonantes. En fait peu de titres de Tower Of Age rappelleront au premier degré l’immédiateté tordue et
tendue de la musique de Lithics. Ce
qui tombe plutôt bien parce que la déjà citée Aubrey Hornor, Mason Crumley
(guitare), Bob Desaulniers (basse, guitare et boucles sonores) ainsi que Wiley
Hickson (batterie) n’aiment pas le premier degré.
Aussi Tower Of Age est il entrecoupé
de quelques passages instrumentaux ou de compositions courtes relevant du
collage expé ou de la bidouille pure et simple (A Highly Textured Ceiling, Snake
Tattoo, le début de Half Dormancy,
Cricket Song Through Open Window)
servant de lien entre des compositions plus académiques et souvent résolument
mid-tempo (Twisting Wine ou même le
presque beefheartien The Symptom).
Parfois Lithics semble vouloir reprendre
ses petites habitudes d’avant (Beat Fall,
An Island, Victim’s Jacket ou Mice In
The Night) mais on sent bien que l’intérêt du groupe est désormais moins
dans le tranchant de compositions angulaires que dans la déviance en sous-main,
ce que traduit des parties dialoguées de guitares qui mènent à tout sauf à
quelque chose de facilement mémorisable et donc d’identifiable et de cataloguable.
Lithics poursuit sa quête d’absurdement
significatif – de significativement absurde ? – et Tower Of Age semble malgré tout monter un peu en puissance sur sa
deuxième face (notamment avec le morceau titre) mais c’est pour mieux nous
décontenancer un peu plus loin, optant résolument et plus que jamais pour la
dissonance à froid des deux guitares. Au final Tower Of Age sonne précisément comme un gros bazar cérébral. Ou une
plaisanterie d’apparence bien pensée et donc bien rangée comme il faut mais en
fait complètement frappée, très loin de l’amphigouri post moderne qui sied tant
aux esprits simulateurs. Pour ma part je préfère croire que la musique de Lithics relève d’une forme possible et
ultime de lutte contre les convenances musicales, surtout celles qui prennent l’apparence
des mensonges. Avaler ou inventer, Lithics
a choisi son camp et moi aussi.
[Tower Of Age est publié en vinyle noir ou splatter jaune, noir et blanc, en CD et même une cassette par Trouble In Mind records ; l’artwork ainsi que l’insert sont l’œuvre de la plus que douée Félicité Landrivon aka Brigade Cynophile]
* troisième album = disque de la maturité = « tower of age » ? laissez-moi rigoler…
lundi 20 juillet 2020
Pottery / Welcome To Bobby's Motel
Quel point commun y a t-il entre les Négresses Vertes et POTTERY ? De toute évidence, aucun. C’est du moins ce que tout le monde dirait. Bon, laisse-moi essayer à nouveau et donne moi ma chance pour une seconde question. Est-ce que tu connais l’histoire du type qui achète un disque à l’aveugle (autrement dit : sans en avoir écouté une seule note auparavant) tout simplement parce qu’il avait plutôt aimé ou tout du moins trouvé intéressant le disque précédent ? Quel idiot*, hein ? A l’heure d’internet, du streaming gratos ou du téléchargement illégal permettant de se faire avant une idée du disque en question… Et oui, tu l’auras compris, l’idiot c’est moi. Et j’en serais presque vert de honte – nota : ceci n’est absolument pas une réponse à la toute première question.
* OK : ça fait trois questions
** j’en profite pour te donner mon
code : zwaQ4MjB – à utiliser en allant sur le site marchand du label
*** non pas ce Jean-Mi là, un autre
**** alors qu’il aurait pu se contenter
de dire que le chant lui faisait trop penser à du Bernard Menez et qu’il
n’aimait pas l’accordéon ni les guitares espagnoles
vendredi 17 juillet 2020
[chronique express] Eddy Current Suppression Ring / All In Good Time
mercredi 15 juillet 2020
Scul Hazzards / Epitaph; reset
Aujourd’hui plus grand monde ne doit se
souvenir des SCUL HAZZARDS, sauf peut-être la poignée d’irréductibles qui
ont longtemps vénéré les deux albums studio et la triplette de singles de ce
groupe australien (Brisbane, puis Melbourne) un temps exilé en Europe
(Londres…). Sans refaire toute l’histoire on peut tout de même établir Let Them Sink, premier album du trio publié
en 2008, comme l’un des jalons les plus importants et les plus essentiels du
noise-rock de la fin des années 2000 et si à l’époque ce disque avait pu
arriver jusqu’à nous c’est grâce à un cartel de labels français* regroupés pour
l’occasion. Les mêmes labels peu soucieux de rentabilité financière et de
retour sur investissement qui remettront ça l’année d’après pour le deuxième
album des Scul Hazzards**, un Landlord certes un peu moins bon et un
peu moins fracassant mais qui permettra au groupe de tourner encore plus
intensivement en Europe***. Il ne reste donc des australiens que quelques
disques marquants, quelques gueules de bois, des très bons moments, bref que des souvenirs...
L’histoire aurait pu s’arrêter là si en 2017 les Scul Hazzards – ou plutôt le guitariste/chanteur Steven Smith**** –
n’avaient mis en ligne le troisième album du groupe, jusque là totalement
inédit. Oui, un album complet de 35 minutes et comprenant dix compositions
apparemment enregistrées aux alentours de 2014/2015, avant que le trio ne jette
l’éponge et avant, peut-on lire sur les internets, un ultime concert pour fêter
les 10 ans d’une existence tumultueuse. La publication virtuelle d’Epitaph; reset arrivera donc un peu tard
mais il a bien fallu se contenter de ces pistes en mp3 follement
réjouissantes : j’en connais quelques uns qui ont bavé plus d’une fois en
écoutant ce troisième album posthume tout en maudissant les dieux et démons du
noise-rock de n’avoir encore jamais permis à ce disque de voir le jour sur un
support physique.
On ne pourra donc qu’être reconnaissant au
label polonais Fonoradar qui a fini
par publier Epitaph; reset en mars
2020 sous la forme d’un CD digipak soigné et élégant que pour une fois on ne
boudera pas, même si on aurait évidemment préféré une édition en vinyle*****. Ecouter
et réécouter encore Epitaph; reset revient à faire
remonter tous nos vieux souvenirs à la surface tout en nous remplissant de
regrets. Car il n’y a pas à tortiller ni à faire la fine bouche : Epitaph; reset est non seulement un
excellent disque de noise-rock mais il pourrait bien également s’agir du
meilleur enregistrement des Scul
Hazzards, et rien de moins. Le point d’ancrage / pivot indéboulonnable de
la musique du trio a toujours été la basse de Tiffany Milne et c’est encore
plus vrai sur Epitaph; reset, un
album qui pousse le niveau d’intensité, d’épaisseur, d’électricité, de
férocité, de bordel encore plus loin. On en vient forcément à se demander
pourquoi un tel disque a failli rester dans les oubliettes, pourquoi un tel
groupe, aussi rageux et aussi viscéral mais jamais auto-complaisant, ne figure
pas au panthéon éternel des groupes de noise-rock essentiels, catégorie gras du
bide et pulsions volcaniques à souhait. Parce que c’est ça Scul Hazzards, un sens dévastateur de la composition qui fait
presque systématiquement mouche, une rage musicale à se taper la tête contre
les murs, une maitrise quasiment parfaite du bruit, un sens de l’écrasement et
de la véhémence sans beaucoup d’équivalents.
Je fais partie des rétrogrades qui
considèrent qu’une musique enregistrée n’existe pas vraiment tant qu’elle n’a
pas été publiée sous une forme ou sous une autre – comme la musique ne saurait
exister sans concert, ce qui en ces temps post confinement constitue un réel problème
– alors, oui, c’est la seule chose qui me reste à faire maintenant, dire un
immense merci, et espérer qu’un peu plus de personnes se rappelleront désormais
de ce grand groupe qu’étaient les Scul
Hazzards.
* citons les : Les Disques du
Hangar 211, Rejuvenation, Shot Down, Slow Death et Whosbrain records
** avec en plus cette fois Bigoût
records parmi les heureux contributeurs déficitaires
*** et un concert d’anthologie au Sonic en octobre 2009… j’en ai encore mal aux cervicales rien que d’y repenser
**** c’est lui également qui
enregistrait, mixait et masterisait tous les disques de Scul Hazzards – en 2014 il a ouvert son propre studio à Melbourne
***** Fonoradar a également réédité en
CD l’album Three de Luggage initialement paru
en cassette uniquement et le label annonce maintenant des sorties vinyle de
deux groupe polonais, à suivre…
lundi 13 juillet 2020
Hoaries - Beige Eagle Boys / split
C’est comme ça : dès que j’entends parler de noise-rock – je parle de noise-rock bête, sale et méchant, pas de cette pisse édulcorée jouée par trop de groupes qui ont fait des études supérieures en musicologie – je redeviens immédiatement le crétin psychorigide et monomaniaque qu’au fond de moi je n’ai en réalité jamais cessé d’être. Chassez le naturel… le naturel c’est le chaos. Aussi lorsque j’ai appris que les Beige Eagle Boys étaient toujours en vie et qu’ils venaient de donner quelques signes probants d’activité en publiant quelques nouveaux titres via un 10’ sur l’excellent label Reptilian records de Baltimore j’ai failli me faire dessus comme un pauvre gamin en proie à ses premiers émois sexuels et découvrant qu’on peut aussi faire des trucs chelous avec son corps.
Mais qui dit split dit deuxième groupe et en l’occurrence il s’agit d’HOARIES. Une formation du Texas – on n’en saura pas plus – et rien que cette petite précision géographique permettra d’avoir la puce à l’oreille tant cet état américain particulièrement réactionnaire et consanguin a depuis quelques décennies généré son lot de groupes totalement barges et déviants. Hoaries n’échappe pas à la règle pourtant je dois avouer que le noise-rock de ces quatre là me semble plutôt allégé ou, encore mieux, désinvolte, avec une pointe de fantomatisme acide qui se glisse au travers des guitares plus dentelières que chez la plupart des collègues, presque avec un petit côté post punk dissonant. J’adore. Les deux inédits proposés par le groupe sont d’excellente facture et ils sont complétés par une reprise de Product Patrol de Cabaret Voltaire (deuxième période des anglais de Sheffield, alors devenu duo). Un choix loin d’être très évident au départ mais qui va très bien à Hoaries qui est parfaitement arrivé à transformer ce vieux machin plutôt électro-dark à sa sauce électrique – au passage cela en dit long sur le caractère décalé du noise-rock un brin arty des texans. Pour l’instant Hoaries n’a publié qu’une volée de 45 tours également compilés sur le CD Crudforms vol-1-3 et que je ne peux que chaudement recommander. Un groupe à suivre de très près, en tous les cas.
On était donc sans nouvelles des BEIGE EAGLE BOYS depuis 2014 et un premier album You’re Gonna Get Yours fracassant. Le groupe de Detroit nous revient en pleine forme et avec deux inédits et également une reprise. C’est lourd, c’est gras, c’est dévastateur, c’est loin d’être fin – surtout comparé à Hoaries – mais bordel de sa mère qu’est ce que c’est bon de se faire ramoner les conduits auditifs avec des lignes de basse et une guitare saignantes aussi peu scrupuleuses sur les conditions élémentaires d’hygiène, sans oublier ce chant porcin 100% viande avariée. J’espère que Are You Going With Me ? et You’re Bleeding (Out Of My Eyes) ne sont que les signes avant-coureurs d’un futur nouvel album… quant à la reprise il s’agit d’une version pas délicate du tout (le contraire eut été étonnant) du Don’t You Want Me ? des abominablement datés Human League, reprise improbable complétant ainsi une belle triplette de chansons d’amour (mouhaha). La version qu’en donnent les Beige Eagle Boys massacre tout ce qu’il faut comme il faut et arrive même à pulvériser le niveau d’excellence de la reprise du Unbelievable donnée en son temps par les plus que regrettés Killdozer, ce qui donne une bonne idée du niveau de connerie et de génie de la chose et finit d’établir le statut d’incontournable du noise rock intemporel de ce 10’ de couleur verte.
vendredi 10 juillet 2020
Tuscoma / Discourse
Encore un plan simple et efficace qui a cependant
complètement échoué. Enregistré en décembre 2019, mixé et masterisé dans les
mois qui ont immédiatement suivi, Discourse
était prévu pour une publication en avril 2020, pile-poil pour la nouvelle
tournée européenne de TUSCOMA. Je ne vais pas te faire
l’affront de te rappeler qu’à ce moment précis la moitié de la planète Terre
était enfermée à la maison (pour les plus chanceux, ahem, il y a tellement de
pays où cela n’a pas été possible) en espérant échapper au covid, 19ème
du nom. La tournée sur le vieux continent a donc été annulée et Discourse qui ne pouvait pas être publié
au plus mauvais moment l’a quand même été, vaille que vaille. Je me suis également
laissé dire que les deux petits gars de Tuscoma
n’ont même pas pu écouter et voir le résultat de tout leur travail et de leur
acharnement avant, ouais cela ne facilite pas vraiment les choses quand tu habites
à Wellington en Nouvelle Zélande et que ton label se trouve aux antipodes, en
Pologne.
Mais je ne doute pas une seule seconde que désormais Kurt Williams (guitare et
chant) et Joe Wright (batterie) sont très contents du résultat. En tous les
cas, moi je l’aime. Je peux même affirmer qu’avec Discourse le duo a vraiment fait très fort, encore plus fort qu’avec
Arkhitecturenominus qui était déjà
un album captivant d’intensité et de férocité. Enregistré et produit par un
certain Chris Johnson – non, je ne vais pas non plus faire semblant de savoir qui c’est
– Discourse lorgne de plus en plus
vers le black metal. Lequel est largement représenté sur des titres tels Is The Modern Still Modern ?, Apperture Unknown ou même un peu plus
loin sur Nothing Is Forever et sa
première partie toute en mid-tempo fougueux. Tuscoma utilise souvent et sans
aucune modération des éléments caractéristiques qui ne trompent pas :
coups de boutoir à la double pédale, blast beats à la volée, guitare qui
tronçonne de l’animalité comme une scie circulaire complètement folle et chant
de goret priapique insatisfait sont plus que représentés tout au long d’un
album qui pourtant ne renie jamais totalement les origines noise et harcore de Tuscoma et si le début du disque laisse présager
d’un assujettissement presque total aux forces du mal et de l’occulte, Williams
et Wright démontrent ensuite qu’ils sont deux musiciens avec bien plus de
caractère que ça et capables de beaucoup plus d’originalité – essaye un peu de
te rappeler de tous ces groupes chiants à mourir, Altar Of Plagues en tête,
qui il y a quelques années mélangeaient très proprement black et hardcore… et
bien Tuscoma est à l’opposé de tout
ça, du côté de la crasse et de la vraie noirceur.
L’étalage de violence enténébrée, de
colère, de ressentiment et toute cette dureté ne seraient rien si Tuscoma ne faisait donc pas preuve
d’une belle habilité pour brouiller les pistes en mélangeant les genres, ou
plutôt en ne laissant jamais une composante de sa musique prendre totalement et
définitivement l’ascendant sur toutes les autres. Lorsqu’on écoute la pierre
angulaire Ever Normal fort judicieusement
placé à la toute fin de l’album on ne peut que convenir que la musique du duo
fait admirablement le lien entre post hardcore, metal, black et noise sans pour
autant en faire de la bouillie pour jeunes hipsters européens. Idem pour le
très étonnant et autre sommet du disque The
Fundamentalist qui serpente durant presque neuf minutes ainsi que pour Apperture Unknown, encore, avec son
passage intermédiaire où apparait plus clairement une ligne de basse jouée par
Chris Johnson (je ne sais toujours pas qui il est mais il joue sur tout l’album).
Tuscoma imbrique parfaitement tous
les éléments de sa musique sans effet de collage artificiel et on oublie, oui
on oublie de se dire des trucs inutiles et limitatifs tels que « ah ouais
là c’est vraiment un plan black / true du cul » et ce genre d’inepties
rassurantes. Car la musique de Tuscoma
est surtout angoissante, anxiogène même, complètement inconfortable.
Inattendue. Elle ne pose pas, elle ne se pavane pas. Et elle n’a pas besoin
d’artifices pour faire mal.
[Discourse est publié sous la forme d’un double LP en vinyle rouge et limité à 250 exemplaires par Antena Krzyku]
mardi 7 juillet 2020
Mesa Of The Lost Women / Les Tables Noires
Les Tables Noires : j’ai tout d’abord été un peu, beaucoup, pris au dépourvu par ce disque mais il faut toujours aller jusqu’au bout de ses surprises, non ? Surtout avec un groupe tel que MESA OF THE LOST WOMEN. Alors voilà. J’ai été très étonné parce que j’avais encore bien à l’esprit l’album I Remember How Free We Were ou même ce 7’ en compagnie de Junko chez Anarchofreaks Production, le genre de trucs que j’écoute forcément très fort – d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement ? – au risque sinon de me niquer complètement les oreilles. Un raisonnement (je parle du fait d’écouter très fort) qui une fois de plus pourrait sembler terriblement paradoxal mais : (s’) imposer un volume raisonnable pour une musique dite inaudible – du bruit disent les bien-pensants – est un non-sens absolu alors qu’au contraire il faut se laisser dévorer par elle et au passage faire trembler tout ce qu’il y a autour, puisque c’est le but recherché.
Les Tables Noires, donc. Un nouvel ET
un véritable enregistrement. Un vrai disque dans une vraie pochette avec un
vrai artwork et même quelques vraies notes qui détaillent quelques trucs qui
réjouiront les plus pointilleux d’entre nous – exemples : « enregistré
en une session et mixé par Kevin Le Quellec » ou bien « master par
Julien Louvet » (ouais, encore lui). Ce qui nous apprend que Les Tables Noires n’a pas été capté à
l’arrache sous un pont d’autoroute et au milieu d’un terrain vague inaccessible
qui aurait fait triper J.G. Ballard comme jamais. Les Tables Noires n’a pas non plus été enregistré avec un caméscope en fin
de vie et une bande vidéo dont la piste sonore impossible à mixer a été
transférée tant bien que mal sur le coin d’une table de cuisine à l’aide d’un robot-éplucheur.
En fait… Les Tables Noires est
presque écoutable. J’ai dit presque.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un
album studio avec un travail de prod puisque tout ce que l’on peut écouter sur Les Tables Noires a été mis en boite en
un après-midi, certes bien comme il faut c’est-à-dire avec des micros bien
placés et le matériel adéquat, lors d’une seule séance, improvisée. C’est l’unique
règle que s’impose toujours les deux piliers de Mesa Of The Lost Women (Yves Botz : guitare et grosses bagouzes
aux doigts et Christophe Sorro : batterie, percussions, etc.). Jouer sans
avoir composé quoi que soit avant, jouer comme ça vient, dans un grand
mouvement d’essorage bouillonnant qui dans ses moments les plus extrêmes et les
plus échevelés délivre toute la fougue d’un beau chaos libertaire. Sur Les Tables Noires rien n’a été
réenregistré et rien n’a été rajouté (« pas d’overdubs ») et
j’imagine que la seule modification effectuée a été de tailler dans la bande
pour en extraire les meilleurs moments de cet après-midi passé entre amis musiciens.
En plus des fois ça coupe juste au moment où tout à l’air de vouloir s’emballer
et baroufer à la diable.
Les
Tables Noires possède donc un vrai son. Enfin :
un son qui ne ressemble pas à une grosse chiasse mais un son qui ne se laisse
pourtant pas faire. Et pour la première fois je crois j’ai écouté un disque de Mesa Of The Lost Women tout en prenant
le temps de me demander ce que j’écoutais, en suivant la dramaturgie de
l’improvisation menée par les musiciens sans me contenter de prendre ça au coin
de la gueule, comme un bon gros flash de dope impitoyable. Ça change. C’est
différent. Ou plutôt Les Tables Noires
offre un visage différent de ce que l’on connait (et aime) déjà. D’autant plus
qu’un troisième larron s’est joint aux deux autres pour l’occasion et qu’il
donne de la voix. Florian Schall gueule, couine, miaule, gémis, râle, gueule
encore, singe (sic) un chanteur de black metal en train d’invoquer les démons
de l’enfer, etc. (il a même droit à un locked groove à la fin de la face B). Là
aussi, ça change.
Mais ce qui ne change pas c’est que,
comme pour tous les autres enregistrements de Mesa Of The Lost Women, Les
Tables Noires ne peut s’écouter que très fort. Au début je me disais naïvement
: à quoi bon effectivement aller toujours dans le même sens ? Plutôt faire contre,
quitte à faire n’importe quoi ou même faire le contraire de ce que les autres
attendent de toi (ce qui est beaucoup plus amusant, tout le monde en conviendra).
Je crois que dans le cas de ce disque ce n’est pas tout à fait ça non plus. Mesa Of The Lost Women n’a pas pris particulièrement
soin de l’enregistrement pour faire réellement autre chose que ce que le groupe
fait déjà, de la musique improvisée et bruitiste ne devant pas grand-chose
rien aux idiomes hérités du jazz mais au contraire à certaines formes de rock et autres musiques très électriques
(avec ici une petite pointe de metal occultiste). Et puis c’est peut être tout
simplement les gens de Specific Recordings qui ont proposé à Mesa Of
The Lost Women d’enregistrer pour une fois de façon un peu carrée mais sans
trahir ce qui fait la particularité et l’identité du groupe. Ce en quoi ils
ont eu tout à fait raison.
dimanche 5 juillet 2020
[chronique express] Ed Fraser / Ghost Gums
Si tu aimes les albums Collider et Push de Heads. il y a de bonnes chances pour que tu aimes aussi Ghost Gums, le premier enregistrement en solo de l’australien Ed Fraser, par ailleurs chanteur et guitariste de ces mêmes Heads… mais réduire la musique de celui-ci à une version plus minimale et moins électrique de son trio d’origine serait une erreur : OK, Ghost Gums confirme en creux tout le bien que l’on peut penser de Heads. – on en a déjà parlé ici – mais surtout ce premier mini album démontre qu’Ed Fraser possède sa propre personnalité et sa propre identité de chanteur et de compositeur, nous livrant une touchante collection de chansons teintées d’indie rock et de mélancolie slintienne et désertique.
(et en plus notre homme a déjà commencé à réfléchir à une suite à ce premier essai plus que réussi)
vendredi 3 juillet 2020
Heads. / Push
Deuxième véritable album de HEADS. après un Collider qui aura durablement marqué
l’année 2018 – n’oublions pas non plus de citer le premier mini LP sans titre
de 2015 – Push marque le grand retour
du trio berlinois. Ou plutôt devrais-je écrire « trio basé à Berlin »
puisque le line-up de Heads. est
toujours composé des trois mêmes membres, tous originaires de pays et
d’horizons différents : le guitariste / chanteur Ed Fraser est australien
tandis que le bassiste Chris Breuer et le batteur Peter Voigtmann sont eux
natifs de la vieille Europe. Sans doute ne pouvaient-ils se rencontrer et
commencer à faire de la musique ensemble que dans une ville comme Berlin, lieu
de passage(s) et point d’ancrage, lieu de brassage multiculturel et ville qui,
musicalement mais pas seulement, en a vu tellement d’autres. Il n’est par conséquent
pas très étonnant non plus que la musique de Heads. soit à la fois très référencée et libre de ces mêmes
contraintes référentielles : l’important est ce que les musiciens feront
de tous les repères musicaux et de toutes influences qu’ils ont en eux.
On se souvient donc d’un Nick Cave
enregistrant à la fin de l’année 1984 au Hansa Studio The Firstborn Is Dead, un album complètement imprégné du blues et
du vieux rock’n’roll américain, rendant fiévreusement hommage à Elvis Presley sur
Tupelo et payant son écot (écho ?)
au mysticisme occulte du sud, s’appropriant une musique et un langage qui ne
lui appartenaient pas au départ pour l’ouvrir à de nouveaux affects. La musique
n’a pas de frontières ou en tous les cas ne devrait pas en avoir, spécialement toutes
les musiques faites d’emprunts, de citations, d’hommages ou de pillages – le
rock’n’roll n’est que le fruit d’un hold-up et d’une spoliation que trop
rarement assumés – dont il convient plus que jamais d’avoir conscience. Quel rapport me demanderas-tu entre les Bad Seeds de Nic Cave et Heads. ? Pratiquement aucun, mise à part cette ville, Berlin, et c’est déjà beaucoup.
Bien que jouant sa propre version de la chose Heads. se situe dans la même veine que les groupes jouant un
rock tendu, ardent et même des fois exalté et qui de The Gun Club à 16
Horsepower en passant par The Good Damn ou Wailin Stroms encore récemment évoqué ici sont presque constamment sur la corde raide, convoquent passion et
chaleur, fureur et électricité, rédemption (parfois) impossible et apaisement
douloureux. Il y a toujours un prix à payer et ce prix là se paye via et par la
musique – ce qui n’est pas le pire et le plus lourd des tributs.
C’est en tous les cas ce à quoi m’a
toujours fait penser Heads., malgré
le coté monolithique et finalement assez glacé de ses enregistrements. Moins
claustrophobe et plus exalté, davantage varié, le petit dernier porte bien son
nom : Push permet à Heads. d’exulter froidement et de faire
des étincelles sans non plus se transformer en tourbillon swamp goth théâtralement
fougueux, à la grande différence des déjà cités Wailin Storms, par exemple. C’est
la principale et inestimable qualité du trio, cette impression qu’il donne de
toujours en avoir sous le capot, le feu qui brûle sous le tas de cendres, cette
presque retenue dans le discernement, cette économie volontaire de moyens que
le trio tourne systématiquement à son avantage parce qu’en fait cela ne
l’empêche pas de quand même mettre en œuvre toutes ses ressources personnelles
et de sublimer tous les éléments de sa musique. Encore cette histoire de dosage
à laquelle je tiens tellement. La guitare chez Heads. n’est jamais inutilement épaisse ; la rythmique ne
tourne jamais à vide sous prétexte de nécessité d’étalage alors qu’elle en
impose systématiquement ; et le chant, caverneux dans le sens de résonnant et
de sèchement théâtral, est tout simplement magnifique. Y compris lorsque la
hargne semble prendre le dessus (Weather
Beaten et Push You Out To Sea) on
trouve toujours dans la voix et les intonations de Ed Fraser cette demi
distanciation qui génère du désir – le désir de celui ou celle qui écoute – et donc,
de la proximité.
Au sujet de Heads.
on ne pourra toujours pas parler de noise-rock au sens littéral du terme car ce
serait à la fois trop caricatural et trop limité alors on dira plus simplement
que Heads. est un pur groupe de rock
sauvage et racé, exactement pour cette très belle raison, le désir que sa musique
suscite, et qui en fait le groupe le plus diaboliquement sexy que j’ai écouté toutes
ces dernières années.
[Push est publié en vinyle bleu ou noir et en CD par Glitterhouse et This Charming Man]