mercredi 22 juillet 2020

Lithics / Tower Of Age




« La Tour de l’Age » ? Pas besoin de Machin Translator pour comprendre qu’une fois de plus LITHICS va s’ingénier à brouiller les pistes et que ce n’est pas en traduisant bêtement le titre du troisième album* de ce génial quartet de Portland / Oregon que l’on va pouvoir glaner un peu plus de renseignements. Tout comme l’ensemble des paroles de l’album signées je l’imagine par la chanteuse/guitariste Aubrey Hornor déversent des flots d’incongruités à la fois poétiques et absurdes, dada si tu veux. Avec Tower Of Age les quatre Lithics confirment ainsi leur statut bien à part d’énigme musicale la plus lisible du monde, le seul groupe de post punk qui à ma connaissance réussit l’exploit de faire sonner sa musique comme un truc nouveau et toujours inconnu. On n’y comprend rien mais ça nous parle. On ne connaissait pas mais on adhère tout de suite – du moins Tower Of Age donne le sentiment que jusqu’ici on ne connaissait rien de cette musique.
Cependant ce nouveau brûlot décalé et dissonant va encore plus loin que ces deux prédécesseurs, relativement similaires dans le fond et dans la forme, le premier album Borrowed Floors en 2016 et le presque parfait Mating Surfaces en 2018. Car Tower Of Age est plutôt avare en tubes francs, directs et homogènes sur toute la ligne, économe en mélodies poliment acidifiées qui font parcourir des frissons dans le dos, en rythmes résolument dansants bien que décemment indansables. Autrement dit Mating Surfaces était une rafale de balles explosives atteignant toujours leur but ; Tower Of Age est plutôt du genre collection de bombes à retardement et à fragmentation. L’effet final n’en est que plus bluffant. Dès le début la première composition Non joue le registre de la saccade et du retard à l’allumage. Tout y est torsadé, comme reflété dans un miroir déformant qui changerait constamment de position. Puis débarque Hands, le premier presque tube de l’album. A la condition de se laisser faire par ce mid tempo faussement dilettante et par ces cascades de guitares dissonantes. En fait peu de titres de Tower Of Age rappelleront au premier degré l’immédiateté tordue et tendue de la musique de Lithics. Ce qui tombe plutôt bien parce que la déjà citée Aubrey Hornor, Mason Crumley (guitare), Bob Desaulniers (basse, guitare et boucles sonores) ainsi que Wiley Hickson (batterie) n’aiment pas le premier degré.
Aussi Tower Of Age est il entrecoupé de quelques passages instrumentaux ou de compositions courtes relevant du collage expé ou de la bidouille pure et simple (A Highly Textured Ceiling, Snake Tattoo, le début de Half Dormancy, Cricket Song Through Open Window) servant de lien entre des compositions plus académiques et souvent résolument mid-tempo (Twisting Wine ou même le presque beefheartien The Symptom). Parfois Lithics semble vouloir reprendre ses petites habitudes d’avant (Beat Fall, An Island, Victim’s Jacket ou Mice In The Night) mais on sent bien que l’intérêt du groupe est désormais moins dans le tranchant de compositions angulaires que dans la déviance en sous-main, ce que traduit des parties dialoguées de guitares qui mènent à tout sauf à quelque chose de facilement mémorisable et donc d’identifiable et de cataloguable. Lithics poursuit sa quête d’absurdement significatif – de significativement absurde ? – et Tower Of Age semble malgré tout monter un peu en puissance sur sa deuxième face (notamment avec le morceau titre) mais c’est pour mieux nous décontenancer un peu plus loin, optant résolument et plus que jamais pour la dissonance à froid des deux guitares. Au final Tower Of Age sonne précisément comme un gros bazar cérébral. Ou une plaisanterie d’apparence bien pensée et donc bien rangée comme il faut mais en fait complètement frappée, très loin de l’amphigouri post moderne qui sied tant aux esprits simulateurs. Pour ma part je préfère croire que la musique de Lithics relève d’une forme possible et ultime de lutte contre les convenances musicales, surtout celles qui prennent l’apparence des mensonges. Avaler ou inventer, Lithics a choisi son camp et moi aussi.

[Tower Of Age est publié en vinyle noir ou splatter jaune, noir et blanc, en CD et même une cassette par Trouble In Mind records ; l’artwork ainsi que l’insert sont l’œuvre de la plus que douée Félicité Landrivon aka Brigade Cynophile]

* troisième album = disque de la maturité = « tower of age » ? laissez-moi rigoler…