mercredi 15 juillet 2020

Scul Hazzards / Epitaph; reset



Aujourd’hui plus grand monde ne doit se souvenir des SCUL HAZZARDS, sauf peut-être la poignée d’irréductibles qui ont longtemps vénéré les deux albums studio et la triplette de singles de ce groupe australien (Brisbane, puis Melbourne) un temps exilé en Europe (Londres…). Sans refaire toute l’histoire on peut tout de même établir Let Them Sink, premier album du trio publié en 2008, comme l’un des jalons les plus importants et les plus essentiels du noise-rock de la fin des années 2000 et si à l’époque ce disque avait pu arriver jusqu’à nous c’est grâce à un cartel de labels français* regroupés pour l’occasion. Les mêmes labels peu soucieux de rentabilité financière et de retour sur investissement qui remettront ça l’année d’après pour le deuxième album des Scul Hazzards**, un Landlord certes un peu moins bon et un peu moins fracassant mais qui permettra au groupe de tourner encore plus intensivement en Europe***. Il ne reste donc des australiens que quelques disques marquants, quelques gueules de bois, des très bons moments, bref que des souvenirs...
L’histoire aurait pu s’arrêter là si en 2017 les Scul Hazzards – ou plutôt le guitariste/chanteur Steven Smith**** – n’avaient mis en ligne le troisième album du groupe, jusque là totalement inédit. Oui, un album complet de 35 minutes et comprenant dix compositions apparemment enregistrées aux alentours de 2014/2015, avant que le trio ne jette l’éponge et avant, peut-on lire sur les internets, un ultime concert pour fêter les 10 ans d’une existence tumultueuse. La publication virtuelle d’Epitaph; reset arrivera donc un peu tard mais il a bien fallu se contenter de ces pistes en mp3 follement réjouissantes : j’en connais quelques uns qui ont bavé plus d’une fois en écoutant ce troisième album posthume tout en maudissant les dieux et démons du noise-rock de n’avoir encore jamais permis à ce disque de voir le jour sur un support physique.

On ne pourra donc qu’être reconnaissant au label polonais Fonoradar qui a fini par publier Epitaph; reset en mars 2020 sous la forme d’un CD digipak soigné et élégant que pour une fois on ne boudera pas, même si on aurait évidemment préféré une édition en vinyle*****. Ecouter et réécouter encore Epitaph; reset revient à faire remonter tous nos vieux souvenirs à la surface tout en nous remplissant de regrets. Car il n’y a pas à tortiller ni à faire la fine bouche : Epitaph; reset est non seulement un excellent disque de noise-rock mais il pourrait bien également s’agir du meilleur enregistrement des Scul Hazzards, et rien de moins. Le point d’ancrage / pivot indéboulonnable de la musique du trio a toujours été la basse de Tiffany Milne et c’est encore plus vrai sur Epitaph; reset, un album qui pousse le niveau d’intensité, d’épaisseur, d’électricité, de férocité, de bordel encore plus loin. On en vient forcément à se demander pourquoi un tel disque a failli rester dans les oubliettes, pourquoi un tel groupe, aussi rageux et aussi viscéral mais jamais auto-complaisant, ne figure pas au panthéon éternel des groupes de noise-rock essentiels, catégorie gras du bide et pulsions volcaniques à souhait. Parce que c’est ça Scul Hazzards, un sens dévastateur de la composition qui fait presque systématiquement mouche, une rage musicale à se taper la tête contre les murs, une maitrise quasiment parfaite du bruit, un sens de l’écrasement et de la véhémence sans beaucoup d’équivalents.

Je fais partie des rétrogrades qui considèrent qu’une musique enregistrée n’existe pas vraiment tant qu’elle n’a pas été publiée sous une forme ou sous une autre – comme la musique ne saurait exister sans concert, ce qui en ces temps post confinement constitue un réel problème – alors, oui, c’est la seule chose qui me reste à faire maintenant, dire un immense merci, et espérer qu’un peu plus de personnes se rappelleront désormais de ce grand groupe qu’étaient les Scul Hazzards.


* citons les : Les Disques du Hangar 211, Rejuvenation, Shot Down, Slow Death et Whosbrain records
** avec en plus cette fois Bigoût records parmi les heureux contributeurs déficitaires

*** et un concert d’anthologie au Sonic en octobre 2009… j’en ai encore mal aux cervicales rien que d’y repenser
**** c’est lui également qui enregistrait, mixait et masterisait tous les disques de Scul Hazzards – en 2014 il a ouvert son propre studio à Melbourne

***** Fonoradar a également réédité en CD l’album Three de Luggage initialement paru en cassette uniquement et le label annonce maintenant des sorties vinyle de deux groupe polonais, à suivre…