Les Tables Noires : j’ai tout d’abord été un peu, beaucoup, pris au dépourvu par ce disque mais il faut toujours aller jusqu’au bout de ses surprises, non ? Surtout avec un groupe tel que MESA OF THE LOST WOMEN. Alors voilà. J’ai été très étonné parce que j’avais encore bien à l’esprit l’album I Remember How Free We Were ou même ce 7’ en compagnie de Junko chez Anarchofreaks Production, le genre de trucs que j’écoute forcément très fort – d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement ? – au risque sinon de me niquer complètement les oreilles. Un raisonnement (je parle du fait d’écouter très fort) qui une fois de plus pourrait sembler terriblement paradoxal mais : (s’) imposer un volume raisonnable pour une musique dite inaudible – du bruit disent les bien-pensants – est un non-sens absolu alors qu’au contraire il faut se laisser dévorer par elle et au passage faire trembler tout ce qu’il y a autour, puisque c’est le but recherché.
Les Tables Noires, donc. Un nouvel ET
un véritable enregistrement. Un vrai disque dans une vraie pochette avec un
vrai artwork et même quelques vraies notes qui détaillent quelques trucs qui
réjouiront les plus pointilleux d’entre nous – exemples : « enregistré
en une session et mixé par Kevin Le Quellec » ou bien « master par
Julien Louvet » (ouais, encore lui). Ce qui nous apprend que Les Tables Noires n’a pas été capté à
l’arrache sous un pont d’autoroute et au milieu d’un terrain vague inaccessible
qui aurait fait triper J.G. Ballard comme jamais. Les Tables Noires n’a pas non plus été enregistré avec un caméscope en fin
de vie et une bande vidéo dont la piste sonore impossible à mixer a été
transférée tant bien que mal sur le coin d’une table de cuisine à l’aide d’un robot-éplucheur.
En fait… Les Tables Noires est
presque écoutable. J’ai dit presque.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un
album studio avec un travail de prod puisque tout ce que l’on peut écouter sur Les Tables Noires a été mis en boite en
un après-midi, certes bien comme il faut c’est-à-dire avec des micros bien
placés et le matériel adéquat, lors d’une seule séance, improvisée. C’est l’unique
règle que s’impose toujours les deux piliers de Mesa Of The Lost Women (Yves Botz : guitare et grosses bagouzes
aux doigts et Christophe Sorro : batterie, percussions, etc.). Jouer sans
avoir composé quoi que soit avant, jouer comme ça vient, dans un grand
mouvement d’essorage bouillonnant qui dans ses moments les plus extrêmes et les
plus échevelés délivre toute la fougue d’un beau chaos libertaire. Sur Les Tables Noires rien n’a été
réenregistré et rien n’a été rajouté (« pas d’overdubs ») et
j’imagine que la seule modification effectuée a été de tailler dans la bande
pour en extraire les meilleurs moments de cet après-midi passé entre amis musiciens.
En plus des fois ça coupe juste au moment où tout à l’air de vouloir s’emballer
et baroufer à la diable.
Les
Tables Noires possède donc un vrai son. Enfin :
un son qui ne ressemble pas à une grosse chiasse mais un son qui ne se laisse
pourtant pas faire. Et pour la première fois je crois j’ai écouté un disque de Mesa Of The Lost Women tout en prenant
le temps de me demander ce que j’écoutais, en suivant la dramaturgie de
l’improvisation menée par les musiciens sans me contenter de prendre ça au coin
de la gueule, comme un bon gros flash de dope impitoyable. Ça change. C’est
différent. Ou plutôt Les Tables Noires
offre un visage différent de ce que l’on connait (et aime) déjà. D’autant plus
qu’un troisième larron s’est joint aux deux autres pour l’occasion et qu’il
donne de la voix. Florian Schall gueule, couine, miaule, gémis, râle, gueule
encore, singe (sic) un chanteur de black metal en train d’invoquer les démons
de l’enfer, etc. (il a même droit à un locked groove à la fin de la face B). Là
aussi, ça change.
Mais ce qui ne change pas c’est que,
comme pour tous les autres enregistrements de Mesa Of The Lost Women, Les
Tables Noires ne peut s’écouter que très fort. Au début je me disais naïvement
: à quoi bon effectivement aller toujours dans le même sens ? Plutôt faire contre,
quitte à faire n’importe quoi ou même faire le contraire de ce que les autres
attendent de toi (ce qui est beaucoup plus amusant, tout le monde en conviendra).
Je crois que dans le cas de ce disque ce n’est pas tout à fait ça non plus. Mesa Of The Lost Women n’a pas pris particulièrement
soin de l’enregistrement pour faire réellement autre chose que ce que le groupe
fait déjà, de la musique improvisée et bruitiste ne devant pas grand-chose
rien aux idiomes hérités du jazz mais au contraire à certaines formes de rock et autres musiques très électriques
(avec ici une petite pointe de metal occultiste). Et puis c’est peut être tout
simplement les gens de Specific Recordings qui ont proposé à Mesa Of
The Lost Women d’enregistrer pour une fois de façon un peu carrée mais sans
trahir ce qui fait la particularité et l’identité du groupe. Ce en quoi ils
ont eu tout à fait raison.