samedi 30 mai 2020

Comme à la radio : Videoiid sur Boiler Merde





Pendant les deux mois de confinement beaucoup d’initiatives rigolotes et salvatrices nous ont permis d’éviter de trop mourir d’ennui, notamment celle de Boiler Merde qui a diffusé des concerts en direct tous les jours via sa chaine Y**T*** .

Parmi toutes les musiciennes et tous les musiciens ayant participé on peut citer Pavel (de Klaus Legal et La Race), Ventre de Biche, Noizemaker, Guilhem All, Ratcharmer, Savarin, Besoin Dead, Bravo Tounky, Noir Boy George, Jean Bender, Le Crabe, Amédée de Murcia (de Balladur, Somaticae, OD Bongo, etc) ou Bleu Russe… évidemment il y a une grosse majorité de projets en solo mais pas que, comme ce concert donné par les (presque) suédois de VIDEOIID le 5 mai : trente minutes de noise frénétique, minimale et décomplexée, jouée en trio.







Contrairement à la plupart des autres pays dans le monde il n’y a pas eu de confinement strict en Suède, le pays préférant miser sur la « confiance citoyenne » et l’immunité collective – mais avec un résultat sanitaire à ce jour très défavorable – et c’est pourquoi Videoiid a pu donner ce concert à trois sans trop se poser de questions. 
Un concert en chambre qui permet également de faire la connaissance de Mikael qui a intégré le groupe il y a environ un an et une prestation qui comme toutes les autres devrait rester en ligne sur Boiler Merde, au moins tant que ce monde décrépi n’aura pas fini de s’effondrer totalement. Donc autant en profiter en attendant la deuxième vague covidée, au pire à l’automne prochain. Enjoy. 

ps : bonus track avec un court extrait d’un vrai concert (cette fois) donné en février 2019 – depuis Videoiid a donc changé de guitariste, Arvid ayant préféré quitter le groupe

vendredi 29 mai 2020

[chronique express] Helen Money / Atomic





Je pensais avoir raté un épisode mais non, finalement Helen Money sort peu d’albums et c’est tant mieux parce qu’ils se ressemblent tous plus ou moins avec les mêmes passages de violoncelle saturé, les mêmes interventions de batterie tribale, les mêmes ajouts de piano un peu trop naïf, les mêmes samples décoratifs et les mêmes ambiances cinématographiques et / ou brumeuses cependant Atomic me semble bien plus réussi que le très sentimental Become Zero (2016) mais toujours un peu en deçà d’Arriving Angels (2013) et sans doute le plaisir retiré de l’écoute d’un album d’Helen Money dépend t-il trop de l’humeur du moment.



mercredi 27 mai 2020

Wailin Storms / Rattle


Les deux premiers mini-albums de Wailin StormsBone Colored Moon en 2012 et Shiver en 2014 – témoignent de débuts fortement influencés pas le Gun Club et bien que le groupe soit rapidement passé à autre chose j’ai toujours trouvé et je trouve encore ces deux enregistrements bluesy et roots toujours aussi passionnants. Ils ont été regroupés en 2017 sur une même réédition CD chez Antena Krzyku, tu me diras que c’est toujours mieux que rien bien qu’une ressortie sur un bon vieux vinyle qui craque et qui transpire eût été largement préférable. Un jour, peut-être, va savoir…
Ce qui est intéressant c’est l’élargissement progressif du line-up de Wailin Storms, au départ simple duo pour la mise en boite de Bone Colored Moon avec uniquement Justin Storms (au chant et à la guitare) accompagné du batteur David Daniels ; puis en trio avec le remplacement de David Daniels par Yancy Stabenicio et l’adjonction du bassiste Eric Messina. Depuis le premier album – le très acclamé One Foot In The Flesh Grave en 2015 – la composition du groupe s’est stabilisée autour de Justin Storms avec Todd Warner à la guitare lead et aux chœurs, Steve Stanczyk à la basse et Mark Oates à la batterie. Ce sont les mêmes musiciens qui ont ensuite enregistré Sick City (2017) puis Rattle, paru en mars 2020 : WAILIN STORMS est au fil des années et des albums devenu un véritable groupe et parallèlement sa musique n’a cessé de gagner en cohérence et en cohésion. Avec une deuxième guitare partant régulièrement en vrille et une section rythmique stable, dense et compacte la musique du groupe s’est surtout considérablement étoffée et durcie, Wailin Storms trouvant sa voie et s’y tenant, sorte de noise rock marécageux aux forts relents swamp et même goth. 





Il existe un peu deux écoles d’appréciation au sujet de groupe : il y a celles et ceux qui ne jurent que par le côté torturé et fiévreux de One Foot In The Flesh Grave – il est vrai qu’après les deux premiers enregistrements ce tout premier album long format a été un véritable choc – et celles et ceux qui préfèrent le côté plus direct, plus cru, plus punk finalement, de Sick City. Mais est-il réellement nécessaire de choisir ? Aujourd’hui Wailin Storms poursuit sur la même lancée, celle d’un rock rugueux et mystique, crépusculaire et nerveux, sombre et passionné. Si tu apprécies à peu près tout ce qu’il y a entre le Gun Club et 16 Horsepower en passant par These Immortal Souls et consorts, si tu affectionnes le côté surchauffé un peu sudiste (Wailin Storms est originaire de Caroline du Nord), les odeurs de marécages, les histoires passionnelles et les guitares électriques qui égrainent des riffs et des mélodies tenant autant de l’élixir voodoo que du poison mortel il y a fort à parier que Wailin Storm saura combler toutes tes attentes. D’autant plus que Rattle est la parfaite synthèse entre ses deux prédécesseurs, autrement dit avec ce troisième album le groupe de Justin Storms a réussi à conjuguer la passion dévorante de One Foot In The Flesh Grave et le côté plus direct et plus naturel de Sick City.
Le son de Rattle est énorme. Non pas que l’album soit surgonflé et qu’il déborde d’effets de manches inutiles ou d’esbrouffades sans nuances mais au contraire il crépite comme un feu ardent, prend le vent et ploie sous ses effets contraires avant de recommencer à brûler de plus belle. Rattle est un véritable brasier, un théâtre de vies brisées mais qui ne renoncent pas. Ce son il est en grande partie du à J. Robbins (Jawbox, Government Issue, Burning Airlines etc.) que l’on savait déjà producteur et ingénieur du son doué mais là il s’est littéralement surpassé, offrant enfin à Wailin Storms et à Rattle le son qu’il méritait, ample et précis mais jamais baveux bien que noyé de réverbération et de saleté. En particulier le chant très invasif de Justin Storms – un jour un vieil ami m’a avoué qu’il lui faisait un peu penser à celui de Bertrand Cantat (RIP) et je dois avouer qu’il n’a pas tout à fait tort – est parfaitement à sa place, ses gueulantes ultra-théâtralisées ne risquant plus trop d’étouffer tout le reste. Mais malgré tout son éclat et toute sa splendeur Rattle reste un album sombre et tempétueux, étincelant d’une lumière noire à rendre aveugle les golgoths éperdus et les chauves-souris des cavernes. Un album dépressif peut-être bien, colérique également, torturé et tortueux c’est certain, une pièce maitresse assurément.

[Rattle est publié en CD et en vinyle (rouge) par Gilead Media et Antena Krzyku]

lundi 25 mai 2020

Dead / Raving Drooling





Qu’est-ce que j’ai encore balancé l’autre fois, comme jugement à l’emporte-pièce ? Ah oui : qu’une bonne section rythmique ne suffit pas à faire un bon groupe. Evidemment que j’ai raison. Mais c’est sans compter avec DEAD qui n’est jamais qu’un duo basse / batterie (et chant) et qui logiquement ne devrait donc guère embarrasser sa musique de finasseries et de décorations. Et bien figure toi que c’est exactement tout le contraire : souvent et à tort comparés à Big Business – et par truchement aux Melvins – Jace (basse et voix) et Jem (batterie, voix et robette) ne sont pas que des bucherons mal intentionnés adeptes du lourd, du gras et du tout-puissant et ils savent faire preuve de beaucoup plus de finesse et de raffinement que ce que leurs mines patibulaires, leurs épaules carrées et leurs t-shirts « Up / Yours » pourraient le faire penser… Raving Drooling est quelque chose comme le sixième (septième ? en fait j’ai arrêté de compter) du duo australien et il s’agit peut-être bien de son enregistrement le plus étonnant et le plus réussi.

Les choses commencent pourtant dans les règles de l’art et du gras avec une première triplette de compositions – Remorse / Digging Holes / Grifted Apart – sur lesquelles les deux Dead s’en donnent à cœur joie et balancent dans nos oreilles bien choufleurisées tout leur catalogue de gros riffs qui tachent, de rythmiques touffues qui propulsent au-delà du mur et de chant qui beugle. Un vrai bonheur lipidique, un véritable enchantement cholestérolé et, disons-le tout net, si Dead s’était contenté d’en rester là et de respecter aussi scrupuleusement ces mêmes principes fondamentaux sur toute la longueur de Raving Drooling, je n’aurais pas protesté outre mesure et m’en serais largement contenté, tant Dead est expert en matière de heavy rock à tendance noise et chape de plomb. En gros (sic) cette triple entrée en matière constitue tout ce qui fait le charme du duo en concert, entre générosité, vigueur et lourdeur.
Et puis tiens, en parlant de heavy rock, voilà Creston Spiers de Harvey Milk qui débarque avec sa guitare pour faire monter la mayonnaise et poser un solo incompréhensible – les meilleurs ! – sur Nunchukka Superfly qui arrive juste après. Il s’agit du titre le plus court et le plus rapide de tout l’album et il sert de porte de sortie / entrée pour la suite de Raving Drooling qui à partir de cet instant va devenir de plus en plus sophistiqué et de plus en plus étrange : Nones possède encore ce parfum oppressant de heavyness puis bascule sur sa deuxième moitié du côté de l’intersidéral et de l’envoutement, aidé en cela par l’intervention aux synthétiseurs de Veronica Avola (elle avait déjà participé à l’album We Won’t Let You Sleep de Dead, en 2017).  Ainsi se termine la première face de Raving Drooling… quant à la deuxième, elle va vite se révéler encore plus étonnante.

Repeating A Bad Decision – en dehors du fait que son titre résume à lui tout seul le drame de mon existence – est particulièrement inquiétant avec son introduction bidouillée par les japonais de Defektro chargée en textures mouvantes et même après plusieurs écoutes je me demande encore si la bande enregistrée n’a pas été sciemment ralentie : le son de la basse est encore plus grave et plus épais et le chant résonne lui d’une façon tellement maléfique, presque sinistre. 
Avec ses presque quatorze minutes Follow The Breathing est le pavé XXL du disque. Les invité.es s’y succèdent (à nouveau Vern Avola mais également Joe Preston au synthétiseur et une certaine Jenny Divers au saxophone fantomatique – inconnue au bataillon, désolé Jenny) et épaulent Jace et Jem dans la construction d’une longue pièce tour à tour écrasante, épique et atmosphérique. C’est amusant parce qu’à un mot près Raving Drooling est aussi le titre d’une composition de Pink Floyd – Raving And Drooling figure sur l’album Animals des anglais, sorti en 1977 – et bien que je ne supporte que très mal la musique de Gilmour, Waters and C°, du moins celle de l’après 1969 et le double Ummagumma, je n’ai pas pu m’empêcher d’y penser fortement en écoutant Follow The Breathing, Dead reprenant alors à son compte le coté sidéral et sidérant des errances cosmico-prog du Floyd pour les mélanger à sa propre musique et en tirer cette longue pièce instrumentale haletante digne d’un voyage dans l’espace-temps.
Avec Raving Drooling on peut affirmer sans trop se tromper que les deux Dead sont au sommet de leur forme. Et comme j’ai décidé – mais pour aujourd’hui seulement – d’être résolument optimiste je formule ce vœu un peu fou que les australiens puissent un jour retraverser les océans et revenir donner des concerts de ce côté ci de la planète… après tout ne viennent-ils pas de nous démontrer qu’ils sont aussi les maitres des périples improbables et des errances cosmiques ?

[Raving Drooling est publié en vinyle par We Empty Rooms pour l’Australie, Wäntage USA pour l’Amérique du Nord et Rock Is Hell pour l’Europe – cette dernière édition est particulièrement soignée et limitée à seulement 66 exemplaires : la pochette est gatefold et sérigraphiée, l’artwork initial dessiné par Jace étant reproduit à l’intérieur, et le tout est maintenu par un large obi sur lequel est noté le numéro de chaque exemplaire ainsi que toutes les informations et notes techniques]

vendredi 22 mai 2020

[chronique express] Doppler / Si Nihil Aliud





A l’origine publié en 2004 et uniquement en CD, Si Nihil Aliud est le premier album des défunts DOPPLER et il vient d’être réédité en vinyle par les garnements de Bigoût records : cette nouvelle version est absolument impeccable et bénéficie d’un son retapé à neuf permettant de mieux se rendre compte de l’impact sidérant du noise-rock trigonométré de Doppler, étonnant mélange de rigueur complexe et d’instantanéité viscérale – il ne fait aucun doute que rééditer Si Nihil Aliud restera la meilleure idée de cette putain d’année 2020 de merde

mercredi 20 mai 2020

Human Impact / self titled


J’y suis vraiment allé à reculons, totalement refroidi par une pochette de disque absolument pas sexy, un nom de groupe – HUMAN IMPACT – qui aurait très bien pu sortir de l’imagination d’un prog-métalleux amateur de science-fiction, un label – Ipecac recordings – qui d’ordinaire racole plus qu’il ne caracole et le fait que le groupe présente un line-up composé de stars de l’underground new-yorkais (et fières de l’être).  
Human Impact est donc la réunion de Phil Puleo à la batterie (Cop Shoot Cop, bien sûr, et les Swans depuis plus de vingt années maintenant), son camarade Jim Filer Coleman à la bidouille électronique (ex Cop Shoot Cop également), Chris Pravdica à la basse (dans les Swans depuis la reformation de 2010 mais aussi, parait-il, dans Xiu Xiu) et enfin, et pas des moindres, Chris Spencer à la guitare et au chant (Unsane, évidemment).
J’avoue que c’est la présence de ce dernier qui m’a le plus posé question. J’ai adoré Unsane dès la première seconde où j’ai découvert et écouté la musique du groupe et j’ai continué à l’adorer même lorsque la bande à Spencer a sérieusement commencé dans les années 2010 à tourner en rond puis a enchainé les pseudo-reformations et les tournées d’adieux. Au milieu de tous les trous laissés vacants par Unsane Chris Spencer a monté d’autres projets et c’est précisément là que le bas blesse : Cutthroats 9, UXO ou le calamiteux Celan ont tous un point commun, celui de démontrer qu’en dehors de son groupe principal le guitariste/chanteur ne sait jouer qu’une seule musique c’est-à-dire du sous Unsane, et de toute évidence en beaucoup moins bien que l’original. Mais maintenant qu’Unsane semble bel et bien mort et enterré, peut-être que les choses vont enfin changer.




Human Impact n’est pas un mauvais groupe et son premier album n’est pas un mauvais disque. La bonne surprise étant que – et c’est une première en ce qui me concerne – écouter la musique du groupe ne revient pas à perpétuellement se dire que c’est bien du Spencer pur jus que l’on est en train d’écouter, enfin pas que. La faute à la présence très affirmée d’un Jim Coleman la plupart du temps très inventif – et coproducteur du disque – qui en fout de partout, s’étale de tout son long dès qu’il le peut et survole les dix compositions de l’album en leur infligeant sa patte à lui, celle d’une bidouille accentuée entre martyr électro, perturbations indus et assaisonnements bruitistes. Du point de vue de l’allégeance (ou non) à l’héritage Unsane Human Impact marque donc quelques points en se démarquant de l’original et en se révélant autre qu’un énième side project plus ou moins insipide de Spencer.
Ne pouvant ni être taxé de groupe de noise-rock ni groupe de musique industrielle, Human Impact est un croisement tout ce qu’il y a de plus compatible entre les deux et j’avoue que ce que je préfère ce sont certaines interventions acidifiées de Coleman, lorsqu’il souligne une mélodie ou un riff d’une ritournelle synthétique qui soudain fait tout décoller. Il n’en demeure pas moins, et c’est tout à fait normal au vu des pedigrees de l’ensemble des musiciens en présence, que Human Impact joue une musique très datée, qui certes fait chaud au cœur des amateurs de musique vaguement bruyante nés avant 1980, mais qui a vraiment du mal à convaincre totalement malgré la quantité évidente d’efforts fournis par tout le monde – et il est vrai que question efforts Spencer n’est pas en reste lorsqu’il se décide à varier ses sons de guitares, ce qui arrive souvent.
En toute honnêteté
il se passe pas mal de choses sur ce disque très urbain – oui, OK, c’est un disque new-yorkais – mais l’ensemble reste malgré tout propret et convenu, suintant mais pas trop, jamais suffisamment sale, sans grande surprise ni véritable frisson incontrôlable. Seule la paire Phil Puleo / Chris Pravdica fait réellement des merveilles, le jeu et le son de basse de ce dernier flirtant souvent avec l’excellence et mettant en avant de façon convaincante le côté Cop Shoot Cop de Human Impact. Mais une section rythmique aussi douée soit-elle ne fait pas un bon groupe à elle toute seule – quoi que… – et Human Impact est un chouette petit album de vétérans qui pourra plaire aux vieux comme aux gamins déjà complètement perdus dans la vi(ll)e. 


[ce premier album sans titre est publié en CD et en vinyle par Ipecac Recordings]

lundi 18 mai 2020

The Glad Husbands / Safe Places


Ce monde est définitivement merveilleux et cette vie est plus que jamais pleine de surprises. Et puis, c’est vrai, je suis tellement content d’être moi. Non, je plaisante bien sûr. Sauf pour les surprises : des fois il y en a des bonnes qui débarquent sans prévenir et c’est le cas de Safe Places (un titre vaguement prémonitoire) de THE GLAD HUSBANDS, un groupe dont on n’avait pas eu de nouvelles depuis beaucoup trop longtemps. Pourtant certains se rappelleront peut-être non sans une petite pointe d’émotion de ce trio italien originaire de Bene Vagienna* qui en 2012  nous avait déjà vigoureusement secoué le cocotier grâce à God Bless The Stormy Weather, un premier album tout chaud bouillant de noise-rock énervé comme un taureau chicagoan et tendu comme une fin de mois difficile.
2012… cela semble si loin : qu’a-t-il bien pu se passer entretemps ? A part un changement de batteur – le « nouveau » s’appelle Stefano Ghigliano et il développe un jeu absolument terrible – je n’en sais rien. Mais ce que je sais, du moins ce que je pense pouvoir affirmer, c’est que si l’appellation d’origine contrôlée noise rock a encore un sens en ce bas monde ravagé par la stupidité progressive, l’ignorance des valeurs sûres et l’inanité des colporteurs de noise tropicale c’est grâce à des groupes comme The Glad Husbands, des groupes venus de nulle part et qui ne la ramènent pas alors qu’ils seraient carrément en droit de le faire.




Cependant, dans sa courte présentation, The Glad Husbands préfère se définir plutôt comme un power trio de post hardcore et parler de « rational music played with punk attitude ». Je ne vais pas contredire ces trois garçons et en fait je crois que je vois exactement où ils veulent en venir : la musique du groupe est massive, acérée et complexe donc, oui, elle possède quelque chose de hardcore. Mais c’est un quelque chose qui tient plutôt du hardcore moderne, celui qui n’hésite pas à dresser des pics millimétrés et à envoyer des salves brûlantes tout en gardant à l’esprit la nécessité d’atteindre son but (ça, c’est pour le côté « rational music »). Et enfin The Glad Husbands reste avant tout un concentré d’énergie folle, une boule de feu, une répétition d’explosions toutes plus virulentes les une que les autres – et ça c’est donc pour le « punk attitude ». Ces gars savent pertinemment ce qu’ils font… et à chaque fois que j’écoute la longue introduction de Where Do Flies Go When They Die ? ou le bien nommé Like Animals qui clôt magistralement Safe Places mon poil se hérisse et je choppe invariablement la chair de poule, comme un vrai gosse toujours aussi impressionnable.
Toute proportion gardée The Glad Husbands lorgne souvent du côté d’un Dazzling Killmen mais sans le côté obsessionnel et torturé (voire malsain) des américains. Car à la différence des tueurs étincelants, les maris heureux ne sont pas réfractaires à un peu de fanfreluches et leur coquetterie naturelle se manifeste par un recours récurrent aux mélodies qui accrochent le fond du cœur et du slip. Dans ces moment là le chant s’adoucit, les guitares au son tellement sec et aux riffs tellement tranchants soulignent plus qu’elles ne pilonnent tandis que la batterie reste toujours à l’affut, prête à relancer la machine l’instant d’après. Efficacité : je n’aime toujours pas ce (très) gros mot mais c’est ici le résultat obtenu et tout l’intérêt des nombreuses coupures mélodiques que le groupe inclut ça et là dans sa musique, donnant un tout autre relief et une toute autre signification à sa violence hardcore noise. Bien que des fois The Glad Husbands joue dangereusement avec le feu, comme lorsque la voix se retrouve trafiquée par quelques effets proches de l’acidulé (Midas). Mais le groupe retombe systématiquement sur ses pattes ou plutôt il rebondit aussitôt, sortant à nouveau ses griffes et repartant de plus belle. Et puis on s’habitue très vite à ces quelques décorations en stuc pour finalement toutes les trouver de bon goût : si ça ce n’est pas de la magie, je ne sais pas ce que c’est. Un vrai bon disque et une belle réussite, en tous les cas.

[Safe Places est publié en vinyle et en CD par Antena Krzyku,  Entes Anomicos, Longrail records, Scatti Vorticosi, Tadca records, Vollmer Industries et Whosbrain qui avait déjà sorti God Bless The Stormy Weather en 2012… la version numérique de Safe Places est elle disponible via Atypeek Music]

* et voilà mon vieux démon géographique qui me reprend soudainement : Bene Vagienna est une petite ville du Piémont, entre Turin et Gênes, pour faire vite

vendredi 15 mai 2020

Comme à la radio : Biosphere vs Deathprod


En 1998 le label Rune Gramofon publiait Nordheim Transformed, un album de remix ou plutôt de réinterprétations / transformations de compositions du norvégien Arne Nordheim par Geir Jenssen aka Biosphere et Helge Sten aka Deathprod (également membre de Supersilent). Vingt deux années plus tard Nordheim Transformed reste un fleuron rarement égalé de la musique électronique ambient et expérimentale. C’est précisément ce disque qui il y a donc très longtemps m’avait amené à m’intéresser un peu plus au cas de Biosphere, découvrant bien après-coup que Geir Jenssen était en fait l’un des membres fondateurs de Bel Canto, groupe tendance heavenly de la fin des 80’s/début des 90’s et fortement influencé par les Cocteau Twins.

En 2015 Biosphere et Deathprod ont à nouveau partagé un même disque, cette fois publié par Touch records mais entretemps tellement de choses se sont passées en matière de musiques électroniques que Stator est nettement moins marquant que Nordheim Transformed, moins poétique finalement, et m’a même parfois laissé sur ma faim avec ses quelques facilités électroniques (comme sur le très épuré Baud, pourtant signé Geir Jenssen).






BIOSPHERE a jusqu’ici mené une carrière pas loin d’être remarquable et riche d’une bonne quinzaine d’albums, sans compter toutes les collaborations, et Geir Jenssen s’est imposé comme l’un des maitres d’une musique ambient doucement glacée et lumineuse. En 1998 il a créé son propre label Biophon qui est surtout actif depuis le milieu des années 2000 et qui se consacre à la réédition de tous les enregistrements de Biosphere et à l’exhumation de nombreux inédits et raretés – par exemple la compilation 1991 - 2004 édité en 2012 qui retrace les débuts plus technoïdes de Biosphere puis sa progression stylistique vers l’ambient et l’atmosphérique.





Publié en juin 2019 The Senja Recordings est à ce jour le dernier disque de Biosphere édité par Biophon. Il regroupe des field recordings ayant parfois été l’objet d’une postproduction ainsi que des enregistrements studios plus ou moins improvisés (nous dit-on) effectués entre 2015 et 2018. Les prises de son extérieures ont été captées sur l’ile de Senja, aux confins de la Norvège arctique et The Senja Recordings est un album très calme, reposant, parfois beaucoup trop ténu voire facile et n’échappant pas toujours à la froideur d’un minimalisme trop aride (Berg). The Senja Recordings n’est donc pas le meilleur disque de Biosphere mais il reste un album intéressant, comme presque toujours avec Geir Jenssen.





Helge Sten / DEATHPROD a lui publié Occulting Disk en octobre 2019 chez Smalltown Supersound et le moins que l’on puisse dire c’est que ce disque représente quasiment l’antithèse de The Senja Recordings :





Comme d’habitude enregistré au Audio Virus Lab (tout un programme !) Occulting Disk joue la carte de la densité, même sur ses parties les plus atmosphériques. A l’image du brutal Disappearance / Reappearance le disque procède par nappes sonores glissantes et Death Prod articule implacablement la lente chute de plaques mouvantes qui en se désintégrant génèrent fracas angoissants et sombres résonnances. Je sais bien qu’une telle analogie peut sembler un peu facile mais Occulting Disk me fait penser à la destruction des étendues glaciaires du pôle arctique et à la fonte des icebergs géants qui s’en détachent de plus en plus souvent pour disparaitre de plus en plus rapidement en dérivant vers le sud.

ps : il y a juste un détail... à l’intérieur du digipak d’Occulting Disk est imprimé un texte – auquel je n’ai rien compris – signé par un certain Will Oldham : est ce que l’on parle bien du même Will Oldham, celui de Palace Brothers et de Bonnie Prince Billy ?

mercredi 13 mai 2020

Chromb ! / Le Livre Des Merveilles






C’est en concert que j’ai découvert Le Livre Des Merveilles, quatrième album de CHROMB !. Ou plutôt j’ai pu m’en faire une vague idée, un peu désarçonné mais finalement plutôt content de ce que j’entendais (et voyais) alors. On m’avait pourtant un peu prévenu, juste avant : « tu verras les nouvelles compositions ont plus de retenue, ça pulse moins à tout va, c’est d’apparence moins foutraque, c’est plus réfléchi » (oui, je brode)(ce n’est pas exactement mot pour mot ce que l’on m’a dit mais l’esprit général c’était plutôt ça).
Le 13 février 2020 avait donc lieu la release party du Livre Des Merveilles et comme d’habitude depuis quelques années avec Chromb ! le concert affichait complet de chez complet. Comme je suis un garçon prévoyant et, c’est vrai, un peu rancunier, j’avais acheté ma place à l’avance, chose que d’ordinaire je ne fais jamais – les préventes c’est juste bon pour les concerts de hipsters dans des entrepôts industriels reconverti
s en dancefloors géants – parce que la fois précédente, au même endroit, j’étais resté à la porte, comme une andouille marinée, ne pouvant que contempler bêtement ce foutu tableau à côté de l’entrée et sur lequel était écrit à la craie : complet. COMPLET. Là (je veux dire : le 13 février) j’y étais pour de vrai, au milieu d’un public conquis d’avance et transi d’amour, un public qui connaissait par cœur les paroles des plus vieux titres et qui se trémoussait de bonheur en les chantant avec le groupe.
Complet, c’est également le sentiment exact que me donne Le Livre Des Merveilles. Peut-être parce que ce disque en fait nettement moins mais qu’il le fait beaucoup mieux que n’importe lequel de ses trois prédécesseurs en matière de foutraqueries à nez rouge. J’ai toujours du mal avec les groupes qui en rajoutent tant et plus, transforment leur musique en prétexte pour faire la foire et voudraient nous faire croire que l’absurde musical s’accompagne nécessairement d’une posture de clown. Chromb ! est pour moi une exception. Je ne saurais l’expliquer davantage. Mais disons que chez Chromb ! on possède un sens certain de l’équilibre, car : premièrement on ne cherche pas forcément à démontrer pas tous les moyens que l’on sait jouer comme des dieux ; deuxièmement on ne fait pas que les marioles pour faire oublier, justement, que l’on joue comme des dieux qui en plus se regardent constamment dans une glace.
Alors je crois que Le Livre Des Merveilles est non pas plus sérieux que les autres disques de Chromb !, disons qu’il est plus écrémé et, par voie de conséquence, encore plus équilibré, ou qu’il pousse plus loin la recherche d’équilibre. Il y a moins de sucre, moins de glucides et plus d’apport en vitamines et en sels minéraux. Tout ce à quoi nous a habitué le groupe jusqu’ici est pourtant toujours là, mais en quantités plus mesurées : de l’exubérance comme sur la dernière partie du premier titre éponyme, du cinéma et de la grandiloquence malgré tout un peu obscure sur Les Chevaliers Qui Apparaissent (le seul titre complètement instrumental de tout l’album), de la mélancolie sur La Souvenance d’Achille (pour moi la plus belle composition du disque)… et du dada poétique souvent, très souvent. Oui c’est donc bien le même groupe et la même musique, finalement. Mais je ne peux pas (et ne veux pas) affirmer non plus que les quatre musiciens ont un peu grandi voire même ont un peu mûri – c’est bien le seul truc que je me refuse à leur accorder, et puis quoi encore – mais sans doute ont-ils voulu faire les choses un peu différemment et que c’est pour cette raison que Le Livre Des Merveilles est un album tellement court, trente trois minutes. Il n’en fallait sûrement pas plus au groupe pour exprimer tout ce qu’il avait à exprimer. Pour l’instant, c’est réussi !

[Le Livre Des Merveilles est publié en vinyle et en CD par Dur Et Doux]

lundi 11 mai 2020

Deliluh / Beneath The Floors





L’année 2020 est déjà bien entamée – quoiqu’elle s’est brutalement arrêtée il y a maintenant à peu près deux mois – que j’en suis toujours à écouter et à blablater au sujet de disques parus en 2019. Celui-ci l’a été à la mi-novembre et n’est pas des moindres : Beneath The Floors est le troisième* album de DELILUH et c’est un disque dont j’ai vraiment du mal à me remettre tellement il me touche. Un disque également dont je ne cesse de découvrir et redécouvrir toutes les richesses. Oh, évidemment, si je n’étais qu’un gros vilain pas beau, un méchant sectaire, un bas du front et un pointilleux limité – ce que je peux parfaitement être, il n’y a pas de raison – je me contenterais d’énumérer tous les groupes que j’adore et auxquels me fait inévitablement penser la musique de Deliliuh. Ce serait même beaucoup trop facile : Incantessa qui ouvre la première face de l’album et qui dès les premières secondes convoque The Fall et Mark E. Smith à la barre ; un peu plus loin c’est au tour de Slint de venir témoigner sur le lancinant et crépusculaire Hymn. Alors ? Deliluh, coupable ou non coupable ?
Non coupable, cela va sans dire. Semble-t-il enregistré quelques mois auparavant mais publié après le très riche et varié Oath Of Intent, Beneath The Floors n’a rien d’un disque de rock noisy et arty comme les autres. Sans doute est-ce difficile à parfaitement expliquer, surtout après le name-dropping qualité luxe ci-dessus, mais Deliluh est un cas à part. effectivement on retrouve dans la musique de son leader / chanteur / guitariste / saxophoniste / pianiste Kyle Knapp la morgue d’un The Fall et la mélancolie d’un Slint ou d’un For Carnation ; mais on y trouve également la nonchalance d’un Pavement (et pourquoi pas pendant que j’y suis celle, beaucoup plus poétique, d’un Silver Jews) et aussi, de façon pas si surprenante que cela, un peu de Can dans le côté motorik / souplement répétitif de certaines rythmiques (c’est évident sur l’instrumental Con Art Inc.). Objectivement il n’y a pas grand-chose qui pourrait relier tous ces groupes entre eux pourtant Deliliuh n’est pas une bande d’imitateurs vulgaires qui passeraient de l’un à l’autre, par pur opportunisme.
Non, ce qui différencie Deliluh, c’est son amour respectueux de la musique et de la poésie. Un amour qui transparait dans la finesse exemplaire et l’esthétique pleine de mélancolie de compositions et par le biais d’arrangements aussi subtilement agencés que délicatement variés. Il n’y a pas que Kyle Knapp qui soit multi-instrumentiste dans le groupe puisque la batteuse Erika est également violoniste – elle en joue sur le très beau Hangman’s Keep ; quant au guitariste Julius Pedersen il joue aussi du synthétiseur et du piano. Ajoutons à cela quelques intervenants extérieurs : le guitariste Pat Flegel de Women et Androgynous Mind sur Lickspittle A Nut In The Paste, sans oublier Erik Jude sur Con Art Inc., également à la guitare, avant qu’il n’intègre définitivement le groupe en remplacement d’Adam Haranhan (d’ailleurs c’est ce même Erik Jude qui jouera quelques mois plus tard sur Oath of Intent).
Tout ceci permet à Deliluh de varier les couleurs et les textures de ses arrangements, enrichissant sans trop d’excès et avec subtilité des compositions au pouvoir mélodique déjà très marqué par la finesse et la lisibilité. Ce qui permet également au groupe de souvent faire évoluer ses compositions dans un sens auquel on ne s’attendait pas forcément au départ : ainsi Lickspittle A Nut In The Paste pourrait être une sorte de croisement réussi entre Pavement et The Feelies période Crazy Rhythms sauf que les barrissements du saxophone coincé sur deux notes et demie viennent brouiller tous les repères et offrent à cette composition une toute autre coloration. Je pourrais également citer l’intervention d’une guitare finement dissonante au milieu d’un Cleat Water très slintien mais le plus bel exemple reste le dernier titre de l’album : Beneath The Floors fait plus que jamais penser à la bande à Brian McMahan puis glisse doucement mais sûrement du côté d’une new-wave retrofuturiste et introspective grâce à l’intervention insistante de synthétiseurs sépulcraux qui nous ramènent au beau milieu des années 80.
Avec Deliluh rien n’est donc acquis mais tout se tient quand même : le groupe n’abuse jamais de sa capacité d’appropriation et de détournement. Tout comme il ne pratique pas l’ironie du second degré, celle qui engendre posture faussement nonchalante ou, dans le pire des cas, attitude méprisante… Dans sa catégorie – tiens, aujourd’hui je vais lui coller une étiquette qui ne veut rien dire, juste pour le plaisir, donc ce sera « post punk proto noisy neo slacker » – le groupe de Kyle Knapp me semble indétrônable, parce qu’en définitive les petites histoires qu’il nous raconte suivent leurs propres chemins et Deliluh possède quelque chose d’unique et de l’ordre de la séduction – mais une séduction pleine de grâce et de subtilité – à laquelle il est impossible de résister. Tant d’élégance et de noblesse à la fois. De profondeur et de mélancolie.

[Beneath The Floors est publié en vinyle par le label anglais Tin Angel records et sa présentation est magnifique : bel artwork signé Andrew Matthews, le verso de la pochette intérieure est recouvert de textes et de poèmes gribouillés sans indications de titres, donc à toi de deviner à quelles chansons ils se rapportent et le tout est maintenu par un obi – évidemment je ne peux que difficilement résister à ce dernier détail]

* bon je triche un peu : de par sa durée relativement courte Oath Of Intent peut être considéré comme un mini-album mais il est suffisamment riche et concentré pour rivaliser avec n’importe quel long format – la qualité plus que la quantité, donc

samedi 9 mai 2020

[chronique express] Pita / Get On





Get Out en 1999, Get Down en 2002, Get Off  en 2004 puis Get In en 2016 et enfin Get On en octobre 2019… si tu n’as encore jamais écouté la musique de Peter Rehberg alias PITA – que ce soit en solo ou en compagnie de Jim O’Rourke, Christian Fennesz, General Magic, Stefan O’Malley, Zbigniew Karkowki, etc – autant commencer par ce dernier disque, parce qu’il est à la fois très abordable, pas excessivement bruitiste, éventuellement poétique et qu’il définit clairement les champs d’action possibles de la musique électronique expérimentale moderne : après ça les tentatives de la plupart des bidouilleurs de laptop te paraitront bien insipides et totalement creuses.

vendredi 8 mai 2020

Comme à la radio : Irreversible Entanglements






Je ne pensais vraiment pas reparler tout de suite d’IRREVERSIBLE ENTANGLEMENTS mais il s’avère que le quintet, comme bon nombre de musiciens, groupes et labels ayant recours aux services de Bandcamp, a récemment posté sur la plateforme un concert entier enregistré en Italie. Je ne vais pas trop m’étaler sur le sujet – en fait si ! – mais Bandcamp, pour la journée du 1er mai*, avait décidé que l’intégralité du produit des ventes réalisées ce jour là irait aux musiciens, sans prélever sa quote-part habituelle. L’objectif étant d’aider le monde de la musique indépendante et underground (?) à gagner un peu d’argent en ces temps de crise liée au covid-19 et de disette économique. 




J’aime bien polémiquer donc je fais partie des personnes qui trouvent que Bandcamp se fait de la publicité à bon compte : ses pourcentages contractuels et autres taxes couramment appliquées ne sont absolument pas négligeables et ces dernières années les conditions imposées par Bandcamp aux groupes et aux labels sont devenues de plus en plus défavorables. Ici comme ailleurs et du fait des prélèvements de la plateforme, ce que tu as gagné n’est pas strictement proportionnel à ce que tu as vendu et sur Bandcamp nombre d’acteurs / vendeurs à trop faible visibilité ne gagnent pas grand chose sur leurs ventes de supports physiques et quasiment rien sur leurs ventes de supports digitaux**.
Quelques groupes ne s’y sont pas laissés prendre, n’incitant pas leurs éventuels fans à acheter sur Bandcamp des mp3 ou des disques le 1er mai. D’autres ont déclaré s’en foutre complètement, que seule la musique compte et que pour les gens trop pauvres tout sera disponible dès le 2 mai sur les plateformes de pear-to-pear (mouhaha). Et enfin, certains ont simplement rappelé que le meilleur moyen pour acheter un disque est d’envoyer un mail directement aux groupes ou aux labels pour voir ça avec eux (do it yourself), Bandcamp n’étant finalement qu’une vitrine et devant absolument le rester.
Fin de la polémique ? Je ne rajouterai qu’une seule chose… lorsqu’on vit dans un pays développé mais dépourvu de protection sociale – les Etats Unis par exemple –, l’opération Bandcamp pourrait constituer une réelle bouée de sauvetage et une source de revenus presque inespérée, même si les revenus en question sont largement spoliés. Le système n’arrête pas de se nourrir lui-même et arrive même à contaminer les sphères de la musique indé… monde de merde.

IRREVERSIBLE ENTANGLEMENTS a donc décidé pour l’occasion de ce 1er mai caritatif de créer sa propre page Bandcamp pour y poster ce concert et d’en vendre la version dématérialisée pour la somme de 12 dollars. Le moyen d’en savoir un peu plus sur ce formidable quintet américain et sur sa faculté à marier free jazz incendiaire et spoken words incandescents.
Le son n’est pas toujours à la hauteur mais reste globalement très correct, suffisamment pour gouter pleinement au jeu du saxophoniste Keir Neuringer (ici vraiment à son aise, en fait je le découvre vraiment), s’émerveiller de celui du trompettiste Aquiles Navarro ainsi que de ses nombreuses trouvailles sonores et de confirmer que la rythmique contrebasse / batterie formée par Luc Stewart et Tcheser Holmes*** est peut-être bien l’une des plus formidables du moment.
Quant à Camae Ayewa, elle apparait au bout de presque un quart d’heure et si elle est départ difficilement audible, le son finit pas s’équilibrer et on peut ainsi l’entendre déclamer ses textes et poèmes avec sa conviction et son autorité si particulières et en comprendre une bonne part – on se rend compte également qu’elle n’hésite pas non plus à avoir recours à plus d’effets sur sa voix, se rapprochant même parfois de ce qu’elle peut enregistrer en solo sous le nom de Moor Mother.

* une opération qui devrait malgré tout se renouveler début juin et début juillet
** je me rappellerai longtemps de cette histoire édifiante : une connaissance s’occupant d’un tout petit label avait reçu un relevé mensuel de ses ventes de mp3 sur Bandcamp indiquant que son label en avait réalisé qu’une seule sur le mois… après déduction des pourcentages et des taxes forfaitaires de la plateforme le montant versé au label se montait à… 0 €uro – vive l’économie numérique !
*** non, la photo de Tcheser Holmes ci-dessus n’a pas été prise par moi : je n’ai jamais vu Irreversible Entanglements en concert mais j’aimerais tellement que cela arrive un jour…

mercredi 6 mai 2020

Magrava / ʭɧ


« Magrava » ? Est-ce que cela signifie quelque chose ? Dans une langue ou dans une autre ? Je ne le crois pas. Je me rappelle juste en avoir discuté un jour avec Cyril Meysson, le guitariste du groupe : « on se cherchait un nom, un nom que les gens puissent retenir sans pouvoir l’associer à quoi que ce soit, le rattacher à un langage connu ». Et là en moi-même je m'étais dit : histoire de pouvoir jouer sans trop d’entraves, se libérer des préjugés musicaux et entretenir sans frais la VMC ? bon, après tout, on verra bien…
ʭɧ est en fait le deuxième album de Magrava, duo composé de Cyril, donc, et de Rodolphe Loubatière à la batterie. Lui je l’ai déjà croisé de nombreuses fois, au cours de ces douze dernières années. A commencer par un concert organisé par Franck Gaffer dans le salon moquette de Grrrnd Zero en compagnie des saxophonistes Romain Dugeley (futur Kouma, Polymorphie, Pixvae, etc) et Yoann Durant (futur Irène et après je ne sais pas) et sous le nom de RYR – j’ai encore le CD quelque part, édité par le Grollektif dont c’était l’une des toutes premières productions. Puis je l’ai revu, toujours grâce à Franck, lors d’une édition du Gaffer Fest au Périscope, pour son fantastique duo avec Pierce Warnecke – là aussi il y a un disque, un vinyle paru en 2013 chez Gaffer records. Et je me rappelle encore d’un autre duo, cette fois avec Franck Vigroux…
Bref, le tout premier album enregistré par Cyril Meysson et de Rodolphe Loubatière a été publié sous le nom des deux musiciens : Sédition a été à moitié chroniqué dans cette gazette internet, oui à moitié seulement. Puis les deux musiciens ont donc décidé de se trouver un nom. Et ce sera MAGRAVA. Personnellement, je trouve ça beaucoup mieux, mieux que toutes ces associations de musiciens qui se contentent de brancher une enseigne lumineuse avec dessus leurs patronymes qui clignotent en toutes lettres puis qui jouent et enregistrent une musique qui du coup a tout de suite l’air beaucoup trop sérieuse, trop pensée, trop savante et compliquée, cérébrale, démonstrative. Comme si cette musique n’était que la somme de plusieurs noms et du nombre consécutif de participations individuelles. Dans le cas de Magrava et en suivant cette logique cela n'aurait fait que 1 + 1…




Et bien non. Sur ʭɧ c’est l’exponentiel qui prime. Ou plutôt la synergie, le résultat total étant supérieur à la somme des éléments. Ce qui ne signifie pas, non plus, que les individus ne soient pas à prendre en compte : c’est d’ailleurs pour cela que j’ai un peu insisté sur le cas de Rodolphe Loubatière au début de cette chronique – qui elle non plus n’en est pas vraiment une. J’ai écrit qu’il est batteur mais s’il n’était que batteur, s’il n’était que cet organe pulsatif, s’il ne faisait que donner et garder le rythme et même s’il le faisait avec la meilleure technique du monde, et pourquoi pas aussi avec ce sens du groove qui des fois fait toute la différence, certes je pourrais l’apprécier mais de fait je l’apprécie aussi et surtout pour bien d’autres raisons. Car Rodolphe Loubatière sculpte ses rythmes : il ne fait pas que frapper ses peaux et ses cymbales, il fait aussi des sons, il crée une masse sonore grouillante, il imagine et donne naissance à des textures de notes qui vont au delà du marquage à la culotte de son alter-ego au sein de Magrava. Il n’est pas le batteur qui accompagne le guitariste Cyril Meysson mais le batteur qui joue avec lui et pour lui, tout comme le guitariste joue avec et pour le batteur Rodolphe Loubatière.
Il y a donc une explication tangible à la beauté incandescente et sauvage de ʭɧ, un disque certes bruyant, métallique et strident, dégueulant de saturation et de tribalisme, trempé de sueur et baigné d’éclats de lumière aveuglants, un disque brûlant et agité, noir et oppressant, tellurique et mordant, mais aussi un disque imaginatif, contrasté, onirique, libérateur et stratosphérique. Cyril Meysson et Rodolphe Loubatière sont deux parfaits chamanes. Ils prononcent et libèrent aux vents contraires les formules magiques et mystérieuses qui déclenchent les forces d’une musique frôlant la théorie du big bang : tout commence et tout fini par elle. C’est le cas sur la première partie de ʭɧ, où le silence électrique finit par céder la place à un nouveau monde encore en formation ; c’est encore plus le cas sur la deuxième partie du disque où la batterie ouvre et ferme la marche d’un long processus de refonte cosmique.
Enfin, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ʭɧ est un disque réflexif – ce que je veux dire : l’improvisation spontanée n’y a quasiment pas droit de citer, tout ici a été composé et répété inlassablement. Ce qui pourrait se révéler en totale contradiction avec ma petite théorie du début sur les noms de groupes mais en fait, non, encore une fois. Magrava est bien ce duo étrange et alchimique qui transforme le bruit en musique et la musique en cathédrale. Cet effort de composition, je ne l’ai pas deviné et je crois que je n’aurais pas pu le faire tout seul : c’est encore Cyril Meysson qui me l’a appris, toujours au cours de la même conversation. Et je comprends pourquoi le duo a agi ainsi. En mettant en forme ʭɧ et en s’y tenant – le dernier concert du groupe auquel j’ai assisté reprenait tout l’album – Magrava ne fait pas œuvre de paresse et de facilité en ayant recours à la mémoire de ses deux musiciens ; au contraire ils ont travaillé tant et plus, non pas pour apprendre à se connaitre (ce qu’ils avaient déjà fait avec Sédition) mais pour élaborer ce langage commun qui fait aussi œuvre commune et qui nous explose au visage. Après ça, qu’importe de savoir si ʭɧ a roti dans une marmite de freeture végétale ou a longuement mijoté dans une cocotte en fonte, puisque le résultat obtenu s’avère à la fois explosif et concentré, brûlant et texturé, sauvage et héroïque, rebelle et hypnotisant. Donc oui, Magrava signifie réellement quelque chose et ce quelque chose tu ne le trouveras pas ailleurs.

[ʭɧ est publié en CD et un cassette – il n’y a pas d’édition vinyle – par Sorcerer Productions, un label dont le catalogue regroupant des musiciens chinois et européens s’étend du harsh noise au black metal en passant par le free, la musique expérimentale, l’ambient et toutes les variations et toutes les déclinaisons que l’on peut inventer ou imaginer entre tout çaMagrava est donc parfaitement à sa place au sein d’un tel label].

lundi 4 mai 2020

Facs / Void Moments





Rien ne semble pouvoir arrêter FACS… avec Void Moments le trio emmené par Brian Case en est déjà à son troisième album en moins de trois ans : Negative Houses a été publié en mars 2018 alors que l’exceptionnel Lifelike l’a été en mars 2019. Le printemps – même confiné – semble particulièrement propice à un groupe qui s’est rapidement révélé essentiel dans le paysage actuel des musiques à la fois sombres, expérimentales et électriques, même s’il est vrai que Facs compte dans ses rangs des vétérans ayant jadis joué dans 90 Day Men et, plus près de nous, Desappears. Ce qui au départ n’était présenté que comme un side-project ou un groupe « en attendant que » est aujourd’hui la principale (pré)occupation d’un Brian Case toujours accompagné de la bassiste Alianna Kalaba et du batteur Noah Leger et qui avec Void Moments nous délivre encore une fois une pièce de tout premier choix.
Derrière cette pochette représentant une sculpture d’Emily Counts passée par un filtre de couleur vert / bleu turquoise (une photo de l’original avec ses véritables couleurs se trouve sur la pochette intérieure) et intitulée Android Head J se cache un enregistrement tout aussi surprenant et tout aussi passionnant que Lifelike. La progression ou plutôt l’évolution est moins flagrante entre ces deux là qu’entre Negative Houses et son successeur mais avec son troisième album Facs poursuit malgré tout son exploration musicale, sans trébucher ni se perdre en route. Pourtant tout commence d’une façon plus conventionnelle et moins perturbante que d’habitude avec un Boy magistral et très carré, très rythmé, presque agressif, à la mise en place bien agencée – une composition certes frissonnante mais constituant le titre le plus évident, le mieux troussé et le plus policé de toute la discographie du groupe, comme de la grosse new-wave tribale et noisy. A l’écoute de Boy les plus frileux pourront se sentir rassurés, pouvant espérer que Facs daignera enfin de rentrer dans le rang bien ordonné des musiques sagement dérangeantes ; tout comme les snobinards pourront eux crier à la trahison d’un esprit musical auparavant tellement plus aventureux. Evidement les rétifs remoulés comme les experts sectateurs auront tort et Boy, en dehors de ses évidentes qualités, possède surtout le grand mérite de brouiller les pistes…
…Parce que la suite de Void Moments – littéralement « moments de vide », ce qui me manquera pas de faire rire les quelques détracteurs de Facs trop facilement clients de petites blagues – est un long labyrinthe sonore d’où jaillissent littéralement motifs de basse et de guitare aux sonorités complètement décalées, entre gémissements de particules métalliques passées au vapo-cuiseur et grondements digitalisés, chant faussement désincarné, parties sculptées de batterie et manipulations sonores. La production joue une nouvelle fois un rôle primordial, soulignant ce qui d’ordinaire ne l’est pas, mettant en retrait ce qui aurait pu rassurer, rajoutant des éléments extérieurs qui cependant s’intègrent parfaitement à l’ensemble, éliminant les facilités dont on use généralement pour caresser son auditoire dans le sens du poil. J’aime tout particulièrement Version dont la batterie sur la première moitié du titre semble tout droit inspirée des schémas rythmiques et électroniques d’un Scorn, dévoilant ce même sentiment claustrophobe percuté de trous noirs oppressants.
Le plus remarquable à l’écoute de Void Moments c’est le flottement général qui s’en dégage, ce qui ne veut pas dire que le disque soit relâché et fuyant, paresseux. Au contraire, je le trouve d’une rare densité mais… sournois, déloyal en tous les cas. Non pas dans ce qu’il nous dit et nous fait ressentir mais dans la façon dont il s’y prend : Void Moments possède énormément de séduction – Boy, déjà mentionné, mais également le tournoyant Void Walker et son vortex rythmique – et des passages comme en suspension mais pas moins vénéneux. La batterie s’y taille la part du lion (Lifelike) et place définitivement Noah Leger au sein d’un dispositif singulier où les compositions de Facs ressemblent de plus en plus à des sculptures sonores surgies d’un au-delà pourtant pas si éloigné. Définitivement, ces « moments de vide » sont ceux qui adviennent, lorsque le disque s’arrête de tourner et que l’écho de la musique du groupe se tait, nous laissant seuls et orphelins. Alors vivement l’année 2021 et le quatrième album du groupe.

[Void Moments est publié en vinyle et en CD par Trouble In Mind records, il existe une version couleur du vinyle qualifiée de « pink void »… par contre je ne sais vraiment pas ce que cela peut bien signifier]