lundi 25 mai 2020

Dead / Raving Drooling





Qu’est-ce que j’ai encore balancé l’autre fois, comme jugement à l’emporte-pièce ? Ah oui : qu’une bonne section rythmique ne suffit pas à faire un bon groupe. Evidemment que j’ai raison. Mais c’est sans compter avec DEAD qui n’est jamais qu’un duo basse / batterie (et chant) et qui logiquement ne devrait donc guère embarrasser sa musique de finasseries et de décorations. Et bien figure toi que c’est exactement tout le contraire : souvent et à tort comparés à Big Business – et par truchement aux Melvins – Jace (basse et voix) et Jem (batterie, voix et robette) ne sont pas que des bucherons mal intentionnés adeptes du lourd, du gras et du tout-puissant et ils savent faire preuve de beaucoup plus de finesse et de raffinement que ce que leurs mines patibulaires, leurs épaules carrées et leurs t-shirts « Up / Yours » pourraient le faire penser… Raving Drooling est quelque chose comme le sixième (septième ? en fait j’ai arrêté de compter) du duo australien et il s’agit peut-être bien de son enregistrement le plus étonnant et le plus réussi.

Les choses commencent pourtant dans les règles de l’art et du gras avec une première triplette de compositions – Remorse / Digging Holes / Grifted Apart – sur lesquelles les deux Dead s’en donnent à cœur joie et balancent dans nos oreilles bien choufleurisées tout leur catalogue de gros riffs qui tachent, de rythmiques touffues qui propulsent au-delà du mur et de chant qui beugle. Un vrai bonheur lipidique, un véritable enchantement cholestérolé et, disons-le tout net, si Dead s’était contenté d’en rester là et de respecter aussi scrupuleusement ces mêmes principes fondamentaux sur toute la longueur de Raving Drooling, je n’aurais pas protesté outre mesure et m’en serais largement contenté, tant Dead est expert en matière de heavy rock à tendance noise et chape de plomb. En gros (sic) cette triple entrée en matière constitue tout ce qui fait le charme du duo en concert, entre générosité, vigueur et lourdeur.
Et puis tiens, en parlant de heavy rock, voilà Creston Spiers de Harvey Milk qui débarque avec sa guitare pour faire monter la mayonnaise et poser un solo incompréhensible – les meilleurs ! – sur Nunchukka Superfly qui arrive juste après. Il s’agit du titre le plus court et le plus rapide de tout l’album et il sert de porte de sortie / entrée pour la suite de Raving Drooling qui à partir de cet instant va devenir de plus en plus sophistiqué et de plus en plus étrange : Nones possède encore ce parfum oppressant de heavyness puis bascule sur sa deuxième moitié du côté de l’intersidéral et de l’envoutement, aidé en cela par l’intervention aux synthétiseurs de Veronica Avola (elle avait déjà participé à l’album We Won’t Let You Sleep de Dead, en 2017).  Ainsi se termine la première face de Raving Drooling… quant à la deuxième, elle va vite se révéler encore plus étonnante.

Repeating A Bad Decision – en dehors du fait que son titre résume à lui tout seul le drame de mon existence – est particulièrement inquiétant avec son introduction bidouillée par les japonais de Defektro chargée en textures mouvantes et même après plusieurs écoutes je me demande encore si la bande enregistrée n’a pas été sciemment ralentie : le son de la basse est encore plus grave et plus épais et le chant résonne lui d’une façon tellement maléfique, presque sinistre. 
Avec ses presque quatorze minutes Follow The Breathing est le pavé XXL du disque. Les invité.es s’y succèdent (à nouveau Vern Avola mais également Joe Preston au synthétiseur et une certaine Jenny Divers au saxophone fantomatique – inconnue au bataillon, désolé Jenny) et épaulent Jace et Jem dans la construction d’une longue pièce tour à tour écrasante, épique et atmosphérique. C’est amusant parce qu’à un mot près Raving Drooling est aussi le titre d’une composition de Pink Floyd – Raving And Drooling figure sur l’album Animals des anglais, sorti en 1977 – et bien que je ne supporte que très mal la musique de Gilmour, Waters and C°, du moins celle de l’après 1969 et le double Ummagumma, je n’ai pas pu m’empêcher d’y penser fortement en écoutant Follow The Breathing, Dead reprenant alors à son compte le coté sidéral et sidérant des errances cosmico-prog du Floyd pour les mélanger à sa propre musique et en tirer cette longue pièce instrumentale haletante digne d’un voyage dans l’espace-temps.
Avec Raving Drooling on peut affirmer sans trop se tromper que les deux Dead sont au sommet de leur forme. Et comme j’ai décidé – mais pour aujourd’hui seulement – d’être résolument optimiste je formule ce vœu un peu fou que les australiens puissent un jour retraverser les océans et revenir donner des concerts de ce côté ci de la planète… après tout ne viennent-ils pas de nous démontrer qu’ils sont aussi les maitres des périples improbables et des errances cosmiques ?

[Raving Drooling est publié en vinyle par We Empty Rooms pour l’Australie, Wäntage USA pour l’Amérique du Nord et Rock Is Hell pour l’Europe – cette dernière édition est particulièrement soignée et limitée à seulement 66 exemplaires : la pochette est gatefold et sérigraphiée, l’artwork initial dessiné par Jace étant reproduit à l’intérieur, et le tout est maintenu par un large obi sur lequel est noté le numéro de chaque exemplaire ainsi que toutes les informations et notes techniques]