jeudi 30 août 2018

Thou / The House Primordial


Demain vendredi 31 aout paraitra officiellement le cinquième album de THOU. J’écris « officiellement » parce que l’intégralité de Magus traine déjà depuis plusieurs semaines dans les labyrinthes d’internet et qu’il n’y a pas besoin d’avoir son diplôme en piratage informatique pour réussir à mettre la main dessus. Si je faisais ouvertement l’apologie du vol numérique et du téléchargement illégal je me ferais assurément taper sur les doigts (aïe !) mais il y a tout de même deux ou trois choses qu’il me semble nécessaire de rappeler : le piratage ne tue pas la musique, il tue uniquement le business musical, celui des majors (et de certains labels déguisés en labels indépendants) pour qui un musicien n’est qu’un produit et le fan une vache à lait ; les voleurs ce sont les (grosses) maisons de disques, pas les kids qui préfèrent en toute logique acheter des bombecs ou tout autre drogue plutôt que des mp3 qualitativement limités ; les petits labels et les groupes indépendants/DIY ont plus de dignité et plus de respect pour la musique et, même si leurs productions sont elles aussi piratées, continuent et réussissent à faire vivre ce en quoi ils croient plus que tout, tout simplement en appliquant un modèle économique viable pour tous.
Ainsi il n’est pas rare que ces mêmes labels et groupes donnent eux-mêmes leur musique gratuitement parce ce que non seulement il s’agit du meilleur moyen pour la diffuser et qu’en plus, tout compte fait, ils atteignent des personnes qui achèteront encore et toujours des disques. Thou est de ces groupes là puisque il propose via sa page bandcamp l’intégralité de ses trois EPs pré-Magus en téléchargement libre : pour cela il suffit de cliquer sur « acheter l’album numérique » et de renseigner un prix égal à 0 (oui : zéro). Les autres disques de Thou, sauf ceux en collaboration avec The Body, sont également en libre accès : internet peut encore être cet espace de liberté et confiance réciproque. 




The House Primordial est le premier des trois EPs publiés par Thou avant le nouvel album du groupe. Si je n’en parle qu’en dernier, après Inconsolable et Rhea Sylvia, c’est uniquement parce que The House Primordial est stylistiquement le plus proche de la musique de Thou. Mais les compositions de The House Primordial sont elles aussi bonnes et indispensables que les principaux enregistrements du groupe ? Moi je dis oui.
Enfin presque. Déjà certaines compositions n’en sont pas, servant d’introduction à celles qui suivent juste après (par exemple au début du disque Wisdom annonce Premonition) ou servant de lien entre deux autres. En fait la moitié des titres de The House Primordial sont des instrumentaux plus ou moins bruitistes, plus ou moins atmosphériques, paysages de larsens de guitares, magmas sonores d’où on s’attend à voir émerger la bête immonde. Les « vraies » compositions étant plutôt courtes pour du Thou – c’est-à-dire entre trois et quatre minutes pour la plupart – The House Primordial aurait pu ressembler à une simple collection de vignettes apocalyptiques : Diaphonous Shift est tellement noyé sous un déluge de saturation liant chant, guitares et batterie en un gros bordel terroriste et innommable qu’il en devient tout aussi latent que The Sword Without A Hilt qui lui sert de rampe d’accès vers le néant ; de son côté Psychic Dominance se termine beaucoup trop tôt et de façon tellement abrupte qu’il fait naitre beaucoup de frustration, d’autant plus que dans les faits il s’agit là de l’un des meilleurs passages de The House Primordial ; idem pour Malignant Horror ainsi que pour Occulting Light qui est pourtant le seul titre du EP à frôler les six minutes.
The House Primordial peut être écouté d’une seule traite, en considérant qu’il ne s’agit que d’un seul et même morceau divisé en sous-parties : Malignant Horror n’est jamais qu’une version poussée dans ses derniers retranchements de Premonition. Autrement dit The House Primordial possède son propre cheminement, possède (peut-être, seul le groupe pourrait réellement nous l’affirmer) un sens et en tous les cas il révèle une logique certaine, celle de la noirceur insondable. C’est ce qui fait sa force car Thou y insuffle un esprit encore plus sombre et torturé qu’à l’accoutumée, The House Primordial pouvant en outre être considéré comme l’un des enregistrements les plus lents, les plus lourds, les plus poisseux, les plus boueux, les plus malsains et les plus désespérés du groupe.

[The House Primordial est publié en vinyle par Raw Sugar et en CD par Gilead Media]

lundi 27 août 2018

XYZ / Artificial Flavoring







Deuxième album du duo XYZ, Artificial Flavoring a été publié au printemps 2018 et il est désormais grand temps d’en parler ici puisqu’il constitue la parfaite bande-son d’un été aussi sexy et léger que frivole et réussi, décadent et oisif. Évidemment je plaisante : à part se faire cordialement chier sur une plage surpeuplée ou au bord d’une piscine chlorée sous un soleil de plomb et une chaleur digne d’un haut-fourneaux de l’industrie métallurgique chinoise il n’y a vraiment rien à espérer de la saison des tongs et des shorts à fleurs pour tous. Vivement que l’automne et l’hiver reviennent en force pour que les gens arrêtent de picoler des cocktails dégueulasses et hors de prix bien installés sur des roof-tops trop tendance, qu’ils recommencent à s’habiller avec un peu plus de classe et de savoir-vivre et qu’on en finisse avec les illusions de l’adolescence éternelle.

XYZ est composé pour moitié de Ian Svenonius au chant (oui : le gars de Nation Of Ulysses, The Make-Up, Chain And The Gang, Escape-Ism, etc… déjà ça en bouche un coin) et d’un certain Memphis Electronic aka Didier Balducci aux instruments (oui : il s’agit du guitariste des Dum Dum Boys). Mono-Tone records qui a sorti Artificial Flavoring est d’ailleurs le label de ce même Didier Balducci. Je ne sais pas comment ces deux là se sont rencontrés dans la vie et ont décidé de monter un groupe ensemble puisque chacun habite sur un continent différent mais en écoutant ce deuxième album on peut être sûr et certain que les deux XYZ sont, entre beaucoup d’autres choses, de très grands admirateurs de Suicide (il suffit d’écouter Near Futur pour s’en convaincre). Mais un Suicide en version glam cheap, avec ampoules électriques à filament en fin de vie, pantalons en cuir mouillé avec paillettes délavées. Le groupe d’Alan Vega et de Martin Rev jouait de la musique électronique minimale et réfrigérée en s’imaginant être des rockers du bunker urbain juste avant l’apocalypse du monde occidental ; XYZ ce serait plutôt deux rockers qui essaient de jouer un hybride cabossé de rock’n’roll et de musique électronique teinté d’un groove mollement robotique et de guitares anorexiques sous une sorte de torpeur exotique et moite (la climatisation est en panne depuis longtemps et en plus elle fuit).

Bien que très connoté et référencé, Artificial Flavoring n’est pas un copié-collé. La version personnelle de XYZ du pelvis électronique inclut, en plus d’une boite-à-rythmes rachitique et étrangement collante (genre qui donne encore la force de danser en fin de soirée alors que la gueule de bois est presque là et que l’on cherche malgré tout à s’accrocher), des synthétiseurs bien tramés bricolage crépusculaire et bourdonnements spatiaux, des parties de guitare qui accompagnent discrètement mais efficacement le tout et, enfin, le chant nasal de Ian Svenonius qui n’en peut plus de minauderies et de caprices ni de se contorsionner comme un vers luisant mucho caliente. Parfois on a vraiment envie de se trémousser furieusement le baloo-baloo avec lui, comme sur le premier titre Don’t Tread On Me ou bien sur Permission Slip, ou sur l’enchainement diabolique entre un The Président Plays Electric Guitar délicieusement putassier et lirrésistible It Ain’t Fair ; mais la plupart du temps Artificial Flavoring possède cette saveur (sic) particulière et décalée, comme au ralenti, les demi-rêves glissant en descente d'amphètes sur le carrelage au milieu des flaques de sueurs froides et d’amours chaudes (Let Me Try Love, Motivate Me et surtout le pâteux Rock On). Et contrairement à son titre Artificial Flavoring n’a rien d’artificiel ni de suranné : on y sent de la part des deux XYZ aucune posture post-machin-truc mais plutôt ce sentiment dévoué, assez indéfinissable lorsqu’on ne l’a encore jamais expérimenté, que certains appellent l’amour de la musique. Celle que précisément ils jouent pour nous.

vendredi 24 août 2018

Thee Oh Sees / Smote Reverser







THEE OH SEES* est un groupe impossible à oublier. Pour cela son leader John Dwyer fait tout ce qu'il peut en imposant depuis plusieurs années un rythme quasiment effréné à ses acolytes musiciens et en enchainant enregistrements d’albums et tournées à rallonge. Mais la lassitude nous guette : écouter un nouvel enregistrement de Thee Oh Sees c’est comme gouter une fois par an au pâté en croûte de Mamie, on aime de moins en moins ça parce qu’il est de moins en moins bon et qu’en plus on avait décidé de ne plus manger de viande du tout – mais ça on n’ose pas trop le dire à cette pauvre Mamie, on ne voudrait pas lui faire trop de peine.
Et voilà donc que débarque la livraison 2018 du groupe, un double LP intitulé Smote Reverser, évidemment publié par Castle Face records. Un disque comme d’habitude bourré jusqu’à la gueule et c’est précisément ce qui fait peur, encore plus que cette pochette ignoble devant autant à Judas Priest période Screaming For Vengeance/Defender Of The Faith qu’à Azia toutes périodes confondues (désolé). 

Le plus important pour John Dwyer – chanteur, guitariste, compositeur en chef, bref, tête pensante de Thee Oh Sees – c’est de gratouiller son instrument dans tous les sens pendant que son groupe lui assure le champ libre pour assouvir sa frénétique passion. Dwyer est un exhibitionniste et un performer-né rendant garçons et filles complètement amoureux fous et folles et plus il joue, plus il a envie de jouer – et donc de jouer des choses si ce n’est compliquées du moins narcissiques avec une instrumentation à l’esbroufade et des développements sans fin (et sans but ?). Dwyer a su conserver la folie de ses jeunes années (Coachwhips, Pink And Brown, The Hospitals) et ça peut encore passer en concert puisque Thee Oh Sees n’y privilégie que la performance. Sauf que parallèlement la qualité et l’inspiration du songwriting de Dwyer ont fini par s’étioler avec le temps, rendant les disques de Thee Oh Sees ennuyeux car farcis d’élucubrations et d’instrumentaux indignes en forme de remplissage (il est vrai que le précédent album Orc marque un léger sursaut d’orgueil avec une remontée du niveau général mais on peut également y entendre un passage percussif/solo de batterie et ça franchement, il fallait oser, d’autant plus que l’album s’achève presque ainsi, en queue de poisson…). 
J’ai toujours pensé que John Dwyer était une sorte d'apprenti sorcier/élève en cours de musicologie appliquée et qu’il ne cherchait, en toute naïve curiosité, qu’à redescendre le cours du temps pour nous refaire l’évolution musicale depuis 1965… Que les albums de Thee Oh Sees s’aventurent sur des territoires de plus en plus post psychédéliques et de plus en plus kraut est donc aussi logique que frustrant : la musique du groupe est devenue moins garage et moins punk mais son approche du bizarre et de l’expérimental est trop légère et ne compense pas. D’où les quelques derniers albums de Thee Oh Sees qui ne sont que des prétextes.

Avec Smote Reverser John Dwyer a-t-il continué son voyage dans le temps pour finir par débarquer dans les années 70 ? OUI. Mais heureusement John Dwyer est toujours un bad boy et un punk capable d’un Overthrown mais également un garçon fin et délicat, ce qui nous donne ici Sentient Oona et Beat Quest, respectivement premier et dernier titre de Smote Reverser. Et entre les deux Thee Oh Sees fait vraiment bien le boulot. Cette fois il n’y a pas de remplissages indigents ni de résidus de cuvette de chiottes mais que des vraies compositions de qualité plus qu’honorable et même supérieure – comme si Mamie s’était mise aux burgers végétariens avec steaks de betteraves ou de pois chiches. Des compositions qui donnent envie de fredonner, de faire la vaisselle ou de ne rien faire du tout sauf écouter. Et puis on arrive même à supporter les désormais traditionnels passages instrumentaux sur lesquels Dwyer réussit pour une fois à se toucher les tétons autant qu’il le veut sans que l’on ait l’impression de surprendre un ado dans sa chambre en train de se pignoler le manche de guitare. Un orgue Hammond B3 est également de la partie voire omniprésent sur Smote Reverser et, encore un miracle, ses élucubrations ne donnent pas non plus envie de fuir pour éviter les bavouillis d’usage avec cet instrument pour virtuoses. Comme quoi il n’en fallait peut-être pas beaucoup pour permettre à Thee Oh Sees de reprendre du poil de la bête.
Il y a, enfin, le cas de cet Anthemis Aggressor. Plus de douze minutes de bordures ultra-rythmiques encadrant des tourbillons psyché-kraut totalement instrumentaux qui donnent le tournis, sans échappatoire possible. Et pour rien au monde on ne voudrait rater quoi que ce soit de cette tempête d’acid hard aussi violemment multicolore qu’elle réussit à filer droit. Peut-être parce que Mamie, toujours elle, a décidé qu’en plus des veggie burgers elle ferait aussi de la choucroute allemande A.O.C. à dîner. 
Évidemment les inébranlables défenseurs de John Dwyer pourraient argumenter que notre homme, complètement obsessionnel et égocentré, a toujours cherché à aller plus loin et que ce n’est pas la moindre de ses qualités. Ce à quoi il serait de bonne guerre de répondre que John Dwyer confond trop souvent « plus loin » avec « ailleurs » et « ailleurs » avec « nulle part » et qu’il ne fait guère de doute qu’avec Thee Oh Sees il n’hésitera pas à l’avenir à refaire n’importe quoi sous prétexte d’avancer. Mais pour l’instant Smote Reverser est un bon album de Thee Oh Sees et même le meilleur du groupe depuis trop longtemps parce que sans temps morts ni moments de faiblesse, alors cela me suffit amplement. Bon appétit et à l’année prochaine.

* après s’être appelé OCS, The Oh Sees, Thee Oh Sees, Thee Ohsees, etc, le groupe a depuis l’album Orc rechangé de nom en le raccourcissant tout simplement en Oh Sees – on s’en fout (?)


mardi 21 août 2018

Thou / Rhea Sylvia






Rhea Sylvia est le troisième et dernier EP publié par THOU avant la sortie le 31 aout prochain de Magus, le nouvel et très attendu cinquième album du groupe. Je ne vais pas m’étaler sur les six nouvelles compositions de Rhea Sylvia autant que je l’ai fait sur celles d’Inconsolable mais, avant toute chose, un peu d’histoire s’impose. 
Les latinistes lecteurs assidus de Tite-Live et autres bac + 16 savent déjà que Rhea Silvia est la mère naturelle de Remus et Romulus, ce dernier devenant le fondateur de la Rome antique non sans s’être auparavant entrainé au fratricide. C’est ce fanfaron de Mars – le dieu de la guerre, rappelons-le – qui a engrossé cette pauvre Rhea Silvia en la « visitant » pendant un rêve. Tout ça quelques décennies avant que Marie ne subisse le même sort grâce au doigt de dieu et n’engendre son fils Jésus. De là à dire que les chrétiens ont tout copié sur les romains il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas puisque à mes yeux d’indécrottable mécréant toutes les religions se valent. La différence est que Rhea Silvia était une vestale – une prêtresse si tu préfères – et qu’à ce titre elle avait fait vœu de chasteté. Elle a donc été emmurée vivante et ses deux gamins ont été jetés dans le fleuve Tibre avant d’être secourus et élevés par une louve avec les conséquences civilisationnelles et impérialistes que l’on connait maintenant. Tout ça à cause de ce foutu patriarcat dominant qui considère entre autres que si une femme ne peut pas être une mère c’est qu’elle n’est qu’une pute.

Mais trêve de bavardages inutiles. Et comme la musique n’est pas une religion je serai sans pitié. Rhea Sylvia se veut un hommage à celle que les musiciens de Thou écoutaient quand ils étaient petits. Et en particulier, au grunge de Seattle. Mais pas le grunge de Green River, de Tad ou de Mudhoney – oui je sais : le grunge ça n’existe pas et cela n’a jamais existé ! – mais celui plus standardisé et marketé d’Alice In Chains. Je ne devrais pas utiliser un tel mot, « standardisé », mais je suis tellement peu amateur d’Alice In Chain (ni de Soundgarden ou de Pearl Jam) et tellement peu client des prouesses vocales de feu son chanteur Lane Staley (mort en 2002 façon speedball baby) que je n’arriverai pas à qualifier autrement un groupe et une musique qui pour moi s’apparentent plus à de l’hameçonnage cynique pour adolescents en crise et victimes du marketing des major companies du disque et de l’entertainment – dernier précision : Lane Staley est également une victime du business musical, jusque dans sa mort tragique.

Le plus étonnant avec Rhea Sylvia c’est que Thou arrive à me convaincre, ce qui n’était pas gagné d’avance. Globalement le disque doit beaucoup plus à un metal cradingue, lourd et visqueux (Unfortunate Times) qu’à un produit musical lyophilisé et le groupe – contrairement à la façon dont il a procédé sur le EP Inconsolable – n’entretient pas l’ambigüité en préférant dégager une nouvelle forme de vérité. Quelques unes des chansons proposées ici figurent en fait au répertoire du projet solo de Matthew Thudium, guitariste de Thou, un projet qui porte précisément le nom de… Rhea Sylvia. Le groupe n’est donc pas allé chercher très loin pour trouver son inspiration et ses idées mais y a tellement insufflé de lui-même que Rhea Sylvia sonne comme du Thou romantique et affectif. Fort heureusement c’est la voix écorchée du  chanteur principal Bryan Funck qui domine (et non pas celle de Thudium, beaucoup trop diaphane, pas assez « lyrique », finalement) ; les guitares, au delà  de leur abrasivité naturelle, développent elles ce côté moelleux métallurgiste golgothien et transforment la moindre morsure et le moindre grésillement électrique en caresses mortelles (le riff d’introduction de Restless River).
Étrange au premier abord, le résultat aurait pu friser le ridicule mais n’est pas assez apprêté pour y arriver et avec Rhea Sylvia Thou est allé bien plus loin que le simple caprice d’un groupe qui voulait avant tout se faire plaisir. En d’autres termes Rhea Sylvia peut-être considéré comme un véritable enregistrement de Thou. Il y a quelques passages qui s’étalent un peu sur le baveux (Deepest Sun est tellement trop caricatural dans le genre…) mais Thou arrive à s’en sortir et à concilier ce qu’il est – un groupe de barbares sensibles qui se cachent derrière une bonne grosse dose de sludge anarchiste – et ce qu’il a été – une bande de gosses biberonnés à MTV, aux donuts trempés au fluff et à l’ennui acnéique. Et c’est tant mieux.

[Rhea Sylvia est disponible en vinyle uniquement via le label américain Deathwish]

vendredi 17 août 2018

Thou / Inconsolable


Ces mecs sont des malades. Et en plus ils sont complètement mégalos. Mais ça on pouvait carrément s’en douter, oui, puisque THOU passe son temps à publier des singles et EPs à tire-larigot, à multiplier les collaborations – avec The Body, comme par hasard – et a fait ces derniers temps l’objet de tellement de rééditions que l’on a l’impression que le groupe de Baton Rouge (Lousiane) est le plus génialement prolifique du monde. Mais dans les faits il s’avère que le dernier véritable album studio de Thou date déjà de 2014 : Heathen est considéré par beaucoup comme le chef-d’œuvre du groupe (personnellement je lui préfère très nettement le bien-nommé Summit). 
Engendrant un culte quasiment aveugle et inconditionnel pour fanatiques virant à l'obsessionnel, Thou a satisfait son petit monde en annonçant enfin la parution de son nouvel album pour le 31 aout prochain ; il s’appellera Magus et sortira, fort malheureusement, sur le label Sacred Bones. Mais auparavant le groupe aura pris soin de faire monter la pression en publiant pas moins de trois EPs ou mini-albums, sur trois labels différents. De quoi en avoir des sueurs froides : Thou ne risque t-il pas de se diluer dans l’acide de la médiocrité et de la facilité ? Sans compter la présence numérique passablement insistante du groupe et les messages loufoques ou pseudo mystiques qu’il poste ça et là dans le monde virtuel, pour mon plus grand bonheur. Difficile de faire confiance à un groupe qui s’amuse autant avec l’opacité tout en faisant semblant de « communiquer ». Mais c’est aussi pour cela qu’on l’aime.




Inconsolable est l’un des trois EPs pre-Magus, c’est même le deuxième de la série et il est sorti chez Community records affublé d'un artwork qui change complètement de ce à quoi Thou nous a habitué jusqu’ici et surtout accompagné de cet avertissement : « a collection of bleak acoustic and quieter songs ». Voilà donc Thou qui se lance dans l’acoustique, ce qui constitue l’un des « exercices » (souvent de la part de musiciens qui n’ont plus rien à dire) que je déteste le plus, à égalité avec les réinterprétations pseudo symphoniques ou les remix technoïdes.
Autant dire tout de suite que je n’aime guère Inconsolable. Trop de guitares sèches et trop d’invitées à la voix qui chantent comme Jarboe imitant tour à tour Nana Mouskouri ou Nico sous assistance respiratoire (Fallow State). Mais Inconsolable demeure un disque captivant vers lequel je ne peux pas m’empêcher de revenir et de réécouter. Peut-être parce qu’il est bien plus proche de l’« esprit » Thou qu’il ne semble l’être au départ. Il faut enlever les enluminures et les apparats de la folk – ce n’est pas parce que le genre est théoriquement dépouillé voire minimal qu’il n’en possède pas – pour voir apparaitre toute la grandeur déliquescente d’un groupe qui plonge tête baissée dans l’évanescence (l’état gazeux, pas le groupe) et un entre-deux, comme dans l’œil d’un cyclone, moment de contemplation ralentie et poétique avant… Oui : avant quoi ? Et bien, avant rien du tout et surtout pas la tempête électrique et la furie de la boue, Thou prenant bien soin de rester constamment dans un état de lévitation fœtale et, effectivement, morne
 Et puis il y a des chansons que l’on peut apprécier, telles que l’introductif The Unspeakable Oath et Fallow State (malgré le chant, donc) mais dès que Thou tombe dans la préciosité baba-goth digne d’un Swan acoustique ou d’un Skin, feu le side project de Michael Gira et Jarboe, la magie retombe automatiquement et ça fait mal (les insupportables Come Home You Are Missed ou Behind The Mask, Another Mask). Toute l’ambiguïté ressentie au sujet d’Inconsolable et de la démarche de Thou peut être résumée par The Hammer et ses arrangements mégalos, The Scourge Pit et son refrain à la Barbara Streisand ainsi que Find The Cost Of Freedom (et un solo d’Eric Clapton). Ces trois chansons sont autant facteurs de doutes et de divisions internes personnelles que de séduction et, donc, d’attrait, faisant d’Inconsolable un objet aussi trouble que non définitif. Le mystère Thou reste entier.

mercredi 15 août 2018

Bellini / Before The Day Has Gone


Je ne m’y attendais vraiment pas du tout et c’est pourtant bien une réalité : Bellini bouge encore et, presque dix années après la parution de son troisième album The Precious Price Of Gravity, vient tout juste de publier Before The Day Has Gone. Une véritable surprise de la part de ce groupe vraiment pas comme les autres puisque composé de Giovanna Cacciola (voix, textes) et d’Agostino Tilotta (guitares) – c’est-à-dire les deux têtes pensantes d’Uzeda, groupe sicilien de noise aussi légendaire qu’influent – sans oublier la section rythmique dorigine américaine composée elle du bassiste Matthew Taylor et du batteur Alexis Fleisig (Girls Against Boys et Paramount Styles). Un groupe qui non seulement se partage des deux côtés de l’océan Atlantique mais qui en plus consiste en la réunion de musiciens talentueux et inestimables. Tu trouves que j’en fais déjà beaucoup trop ? Absolument pas : si Uzeda est un monstre de noise-rock tordu et tendu, à tel point que Steve Albini en personne a porté allégeance au groupe, l’a enregistré et que ses disques ont été publié par Touch And Go*, BELLINI** représente le côté plus intimiste et ténu voire fragile mais tout aussi viscéral et passionné de la musique du tandem Cacciola/Tilotta.

Avant que le jour ne s’en aille… Évidemment la teneur plutôt mélancolique et sombre du titre de ce quatrième album sonnant comme un « pendant qu’il en est encore temps » rédhibitoire bien que pas trop solennel n’aura échappé à personne. Tout comme les couleurs grises et effacées de la pochette signée Alexis Fleisig. Mais Bellini n'a rien changé pour Before The Day Has Gone. Ce qui en aucun cas ne consiste en une déception et se révèle aussitôt rassurant : quoi qu’il arrive retrouver ce groupe et cette musique tels quels, retrouver le chant funambule, fébrile et habité ainsi que les beaux textes*** de Giovanna Cacciola, retrouver les déambulations éclatées de la guitare d’Agostino Tilotta mais également l’assise strict et aérienne et sobrement impeccable de la rythmique Taylor/Fleisig c’est, après toutes ces années, être de nouveau en compagnie de vieilles connaissances et être indéniablement heureux de ces retrouvailles, enfin****. 




C’est que Bellini possède plus que jamais le ton juste, en tout les cas cette manière expressive et parlante, je ne me résous toujours pas à écrire le mot vrai, de ces formations jouant une musique d’inspiration très américaine mais avec un sens de la proximité et de l’existentiel qui les rendent uniques – le phénomène inverse, c’est-à-dire à dire des groupes américains évitant strass et paillettes pour aller chercher et fouiller du côté de l’intime et de l’intérieur, existe tout autant (Velvet Underground, Sonic Youth, Fugazi, Lungfish, Yo La Tengo, E) et en définitive les allers-et-retours incessants depuis cinquante années et le processus de capillarité entre les deux rives de l’Atlantique sont l’unique vérité d’une démarche aussi artistique qu’humaine, trouvant en l’entité Bellini un concrétisation presque providentielle et donc toujours d’actualité. Ce ne sont peut-être que des considérations farfelues et fantasmées, puisque presque tous les groupes précités sont morts et enterrés ou d’un autre temps, mais il n’y aura pas beaucoup à creuser pour trouver des exemples plus récents de formations qui possèdent cette même vision de la musique et de ses résonnances, Luggage par exemple. 

On pourra également remarquer les liens de parentés que Bellini entretient avec Heliogabale (Right Before) ou, de façon plus étonnante, avec Dog Faced Hermans (Being Married) quoi que sur ce point précisément c’est au niveau du chant que l’on peut faire principalement l’analogie. Un chant qui plus généralement n’a pas peur de se faufiler sur les chemins abrupts de la rupture, se moquant parfois d’être juste pour faire ressortir toute l’émotion, mais aussi un chant vindicatif (Plumber’s Foxtrot ou Clementine Peels qui s’achève sur la sonnerie impromptue d’un téléphone perturbateur accompagnée d’éclats de rire) et par dessus tout d’une clarté et d’une jouvence presque surnaturelle (Il Maestro/If I Could Say, sûrement la plus belle chanson de Before The Day Has Gone). 
Et que dire du très rythmique, répétitif et shellac-quien Promises dont la simplicité et le dépouillement rendent son emprise encore plus incroyable et inévitable ? Les mots employés ici par Giovanna Cacciola sont d’une violence rare tandis que l’économie de moyens de la musique et les striures misanthropes de la guitare d’Agostino Tilotta rendent le tout aussi insupportable que captivant, entre pudeur et mise à nue, dit et non-dit, tristesse infinie et courage du lendemain. Je n’ai rien à ajouter de plus au sujet de Before The Day Has Gone si ce n’est pour affirmer que voilà l’un des disques les plus remuants et les plus essentiels de cette année 2018.

[Before The Day Has Gone est publié en vinyle (rouge, noir, etc.) et en CD par Temporary Residence]

* le merveilleux EP 4 en 1995 ainsi que les albums Different Section Wire en 1998 et Stella en 2006
** le site du groupe n’a pas été mis à jour depuis… 2013
*** You Should Not Be Scared Of Me nous dit-elle dès le début… toutes les paroles de toutes les chansons sont imprimées sur la pochette intérieure du disque et on peut aussi les lire sans écouter Before The Day Has Gone en même temps
**** toutefois la majeure partie de Before The Day Has Gone a été enregistrée en 2012 par Steve Albini (encore lui) alors que le chant a lui été enregistré bien après, à l’automne 2017

lundi 13 août 2018

Tongue Party / Looking For A Painful Death







Fini la rigolade. Et place à ce bon vieux noise rock à papa à la fois confortablement sauvage, grésilleux et savamment hargneux. C’est que les TONGUE PARTY ne font pas dans la dentelle et la finesse, nous rappelant avec une naïveté presque touchante tout au long de leur premier album (après une petite poignée de CDr ou de formats courts dont un split en compagnie de USA Nails) les us et coutumes dont la noise américaine nous a déjà abreuvé dans les années 90 – ici plutôt option tiens voilà du boudin et école AmRep c’est-à-dire du gras, du massif et du bruyant, à la différence de l’école Chicago qui opte elle pour le sec, le tendu et l’aiguisé et c’est toujours la même histoire, somme toute : les bourrins qui pissent du cul contre les intellos qui gerbent de l’acide.

Nous voilà donc en compagnie d’une bande de jeunes gens à la langue bien pendue (ils ne doutent de rien) et aux grosses guitares. Avec un album au titre qui ne laisse aucune incertitude sur les intentions de ce groupe de Minneapolis ni aucune place à l’imagination et à la poésie : Looking For A Painful Death est bien ce brûlot attendu et prévisible, cette incitation à la violence, à la débauche et à l’oubli. La guerre, la destruction et la mort si tu veux mais la guerre moi je n’aime pas ça, comme je n’aime pas le sport, noël, la soupe d’artichauts, le dubstep, le travail, la viande au barbecue, les voitures et le vin rosé. 
Et c’est vraiment bien foutu dans le genre, le label Learning Curve – également de Minneapolis – ayant une fois de plus eu le nez creux en signant ces furieux jouvenceaux qui comme tous les jeunes gens légitimement insouciants mais déjà perclus de désillusions ne perdent pas leur temps en conjonctures inutiles et vont droit au but. Vingt trois minutes c’est à peu près le temps que dure Looking For A Painful Death, un album bourré d’éclats de verre dans la gueule, de sang dans la bouche et de crasse entre les orteils de doigts de pieds.

Mais pas trop non plus. La première – et principale – chose qui se remarque avec Looking For A Painful Death c’est son côté efficace, un peu comme si Tongue Party avait glissé une bonne dose de polymétal mimétique dans son noise rock pour nous exterminer tous façon apocalypse cybernétique du jugement dernier. Le groupe (ou le label ?) a ajouté le mot-dièse stoner dans son descriptif mais ce n’est pas vraiment cela non plus, en tous les cas pas comme le font leurs confrères de Whores., par exemple. Avec Tongue Party tout est systématiquement joué pied au plancher, avec une virilité exaspérante et sans aucune classe. On écrase tout, on repasse par-dessus et puis on enchaine : Looking For A Painful Death deviendrait lassant à force d’uniformité et de banalité s’il n’était pas aussi court et furibard. 
Mais on attend un peu désespérément un ou deux titres beaucoup plus longs et surtout beaucoup plus lourds et poisseux où le groupe prendrait enfin le temps de nous tarauder et de nous faire saigner. L’introduction de Is It Really That Good ? n’est qu’un leurre et la fin de Sweaty Dollar reste insuffisante alors que This Exists puis Make A Friend Earn A Debt et son final pyrotechnique révèlent enfin quelques nuances et changements de positions. Pour ma part je vais donc attendre un éventuel deuxième album de Tongue Party pour, peut-être, tomber sous le charme de ce noise-rock trop intentionnel et trop léché.

samedi 11 août 2018

Comme à la radio : Sierra Manhattan





Fin provisoire de toute violence… en tous les cas je profite d’une petite pause entre la canicule de cette fin juillet/début du mois d’août et celle qui va arriver juste après dans pas très longtemps pour évoquer la pop douce et bienfaisante de SIERRA MANHATTAN

Le groupe vient de publier un EP, uniquement en format numérique et intitulé Roma :






Aussi étonnant que cela puisse sembler j’ai vraiment du mal à résister au charme délicat et bancal de chansons telles que WellOhYea, Children, Car Seats et Losing avec sa mélodie de chant si envoutante. Sierra Manhattan est l’un des nombreux groupes du label AB records

(et l'artwork est également très réussi, non ?)


jeudi 9 août 2018

Baptists / Beacon Of Faith


Mais qu’est ce qui peut bien différencier BAPTISTS de n’importe quel autre groupe de d-beat / punk hardcore ? Ils sont beaucoup plus beaux que tous les autres ? Plus intelligents que la moyenne ? Plus sexy que les frondeurs Gasmask Terrör ? Ils ne boivent que de la bière artisanale fermentée à lécorce d'arbres morts ? Ils ne posent pas sur les photos en prenant des allures de touffe guys ? Ils n’ont pas les cheveux longs ? Ils ne portent pas de chemises à carreaux pour bien faire comprendre qu’ils sont canadiens ? Ils arrivent à publier des albums qui dépassent la demi-heure d’agression sonore ? Presque. Il semblerait que Baptists soit un énième groupe lambda dans le genre, du moins c’est ce que j’entends (et lis) beaucoup trop souvent au sujet de ces jeunes gens originaires de Vancouver signés par Southern Lord et dont le troisième album intitulé Beacon Of Faith a été publié au mois de mai 2018. Et quel album !

Je reconnais que Bushcraft, le premier LP de Baptists sorti en 2013, a laissé de marbre la plupart des touristes de retour du HellFest ou de Disneyland. Et pourtant ce disque possède des qualités indéniables : solide, virulent, hargneux, sale, avec un riffing finalement assez peu orthodoxe (cette guitare sonne quand même étrangement vitriolée et c’est particulièrement flagrant sur les compositions les plus lentes), une section rythmique implacable (avec à la batterie l’extra-terrestre Nick Yacyshyn, oui celui qui joue également dans Sumac) ainsi qu’un brailleur à la voix bien rauque et écorchée et dont je suis persuadé qu’en concert il assure comme un chef dans son rôle de tête de gondole. Autant de qualités encore plus évidentes sur Bloodmines, le deuxième album du groupe (2014) : Baptists devient quasiment insurpassable sur The Calling qui jusqu'ici pouvait assurément passer pour l’une des meilleures compositions du groupe et surtout un modèle de tension abrupte digne d’un groupe de noise-rock.




J’arriverai même à pardonner l’autocollant apposé sur la pochette de protection du disque et qui indique presque inexorablement que Bloodmines – c’était pareil avec Bushcraft – a été enregistré par Kurt Ballou #gnagnagna. Par contre le concept redondant de ces visuels de pochettes assez étranges et même franchement arty pour un groupe de d-beat, aussi tordu soit-il, me séduit totalement. Concept repris pour le troisième album de Baptists, Beacon Of Faith, et qu’il aura fallu attendre presque quatre années. Est-ce à dire que rien n’a changé depuis tout ce temps ? Le groupe (et le label) semble nous dire que non avec un nouveau sticker « informatif » que l’on pourrait traduire par quelque chose comme : troisième tentative d’enregistrer un premier album. Au moins personne ne pourra affirmer que les quatre Baptists ne possèdent pas un certain sens de l’humour ni de l’auto-dérision.

Et ce sera toujours mieux et surtout beaucoup plus drôle que la fausse modestie d’un groupe qui étale sa fierté de l’acte accompli. La fierté c’est de la roupie de sansonnet, tout comme sa cousine l’arrogance, chose dont Baptists ne semble pas trop faire preuve et c’est tant mieux. Avec Beacon Of Faith, toujours enregistré par Ballou, le groupe s’est contenté avec sa musique – et c’est déjà beaucoup – de reprendre les choses là où elles en étaient pour la rendre encore plus malade, sombre, ardente, sauvage, frénétique et torrentielle. Les morceaux et les passages lents sont toujours plus torturés et plus intenses (et parfois même teintés d’une étonnante pointe de lyrisme enragé comme pour le final du formidable Carbide) tandis que les titres rapides et linéaires ont gagné en épaisseur et en densité, limitant tous risques de dérapages incontrôlés jusqu’au fin fond des fossés de la redondance (et de la lassitude).

J’irais même jusqu’à affirmer que Baptists et Beacon Of Faith redonneraient presque confiance en sieur Kurt Ballou qui depuis vingt années maintenant (et oui… les studios GodCity ont été fondés en 1998) a largement contribué à l’émergence et au développement du hardcore moderne avant de l’enfermer dans des tics et des clichés de production et de le scléroser complètement. Encore une fois je ne peux pas m’empêcher de penser que ce qui fait toute la différence, ce qui explique pourquoi un groupe arrive à résister plus ou moins valeureusement à l’essorage Ballou, repose sur sa petite part d’originalité bien à lui. Celle de Baptists tient à peu de chose – le hardcore d-beat est stylistiquement défini et (dé)limité depuis très, très longtemps – mais elle est manifeste et surtout elle ne peut que me plaire, résidant dans le côté retors et presque pervers d’une musique qui derrière le prétexte de filer droit et d’exploser rapidement tel un vulgaire shrapnel nous éclabousse d’autant de noirceur. Surtout que Beacon Of Faith comporte beaucoup plus de ralentissements opportuns et de nuances inquiétantes que les deux albums précédents du groupe, se payant même le luxe de s’achever sur un instrumental tendance post hardcore sauce gadoue existentielle.

lundi 6 août 2018

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp / Sauvage Formes







Scepticisme quand tu nous tiens. Et sur ce coup là j’ai vraiment eu très mal à la barbichette. Il est vrai que lorsque j’ai appris que l’ORCHESTRE TOUT PUISSANT MARCEL DUCHAMP avait décidé de prendre du bide et de gonfler significativement l’effectif de ses musiciens, j’ai pris peur. C’est que l’affaire n’était justement pas mince avec une formation passant de six à quatorze membres. Au point qu’il arrive que désormais le groupe accole un XXL très explicite après son nom. Les nouveaux venus n’en sont pas vraiment tous puisque aux musiciennes et musiciens jouant déjà sur Rotorotor se sont ajoutés d’anciens membres d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp mais aussi un quatuor de cordes parait-il rencontré par hasard, c’est beau la vie. S’en est suivi des concerts et encore des concerts puis Sauvage Formes, quatrième et merveilleux album publié en avril dernier par Les Disques Bongo Joe et Red Wig records.

Donc je m’apprêtais non sans une jubilation certaine a dégainer des jeux de mots rivalisant de trivialité et de stupidité – allez, juste un petit pour le plaisir, enlarge your afro beat – pour appréhender ce qui me fait plus peur que tout dès qu’il s’agit de musique(s) : le big band frappé d’expansionnisme festif. Mais c’était bien mal connaitre et surtout complètement sous-estimer Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp car ce qui interpelle et séduit immédiatement à l’écoute de Sauvage Formes c’est toute la retenue farouche et tout le resserrement dont le groupe a su faire preuve. Tout le monde ne joue pas en même temps des parties ou des mélodies qui partent dans des directions divergentes ; pas de fanfares d’empoigne ; pas de cacophonie en simultané. Au contraire chacune et chacun semble avoir un rôle précis à jouer, s’y tient et ce qui est très étonnant c’est que Sauvage Formes ne donne pas non plus le sentiment d’être une succession de solos et de représentations – pourtant cela aurait pu, notamment au niveau des chants, très diversifiés (mais on y reviendra).
Bien sûr il y a des compositions qui évoquent plus la bande-son d’un film tourné en Panavision et en Eastmancolor – The Unknown, très cinématographique, donc – mais dans l’ensemble Sauvage Formes est un petit chef d’œuvre de délicatesse minimale et de pointillisme chromatique, le tout servi par un dynamisme et un optimisme des meilleurs jours. Ce qui est amusant c’est que toutes les musiques sont signées par le contrebassiste Vincent Bertholet. Lequel joue également dans le duo Hyperculte aux cotés de Simone Aubert (Massicot, J’m’en fous), groupe qui lui fait tout le contraire d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp c’est-à-dire qu’il cherche à remplir le plus d’espace possible avec seulement deux musiciens.

S’il y a du changement dans la musique d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp il est donc à chercher ailleurs. Mais pas très loin non plus. Beaucoup moins ouvertement post-punk meets afro-beat qu’auparavant, la musique du groupe se diversifie significativement sur Sauvage Formes, pouvant même lorgner du côté d’une pop bucolique et fleurie (Sous Mes Yeux, Lost And Found) et parfois même parfumé d’un allant épique (So We All). Avec également un côté délicieusement bancal et en même temps rigoriste qui inexorablement me fait penser aux regrettées Electrelane (alors que, oui, musicalement les deux groupes n’ont strictement rien à voir).
C’est comme si Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, en exploitant toutes les possibilités offertes par autant de musiciens différents, en avait surtout profité pour enrichir son propos à tous les niveaux. Et en parlant de propos : on reconnaitra sans difficulté le timbre et les intonations si séduisantes de Liz Moscarola mais elle n’est pas la seule à donner ici de la voix. Non seulement il y a énormément de parties chorales sur Sauvage Formes – à tel point que toutes les musiciennes et tous les musiciens sont crédité.e.s à la voix – mais Vincent Bertholet (?) et surtout Aby Vulliamy se relaient également avec bonheur devant le micro pour assurer le chant principal. Tout comme l’anglais n’a plus l’exclusivité des paroles, le français se taillant une part non négligeable (Bêtes Féroces, sur un poème du québécois Gaston Miron ; Danser Soi Même, parfumé au feu de bois, un texte signé Jean Dubuffet).

Ce ne sont donc pas les surprises qui manquent sur Sauvage Formes. Avec ce sentiment de découvrir un groupe qui a grandit – dans tous les sens du terme. Je veux dire : les histoires d’ « album de la maturité » c’est juste bon pour les groupes de hard-rock et de musique stadière ; avec Sauvage Formes on a le sentiment très fort qu’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp est un enfant qui est devenu grand mais qui n’a pas abandonné ses rêves et qui au contraire en a réalisé de nouveaux.

vendredi 3 août 2018

Chocolat Billy / Délicat Déni







Comme je suis toujours un peu à court d’idées et comme malheureusement les seules qui arrivent à ruisseler des méandres convulsés de ma cervelle atrophiée de moineau paresseux manquent souvent d’à-propos, j’ai encore une fois failli commencer cette nouvelle chronique de disque sur un ton agressif, hautain et péremptoire de petit donneur de leçons pour traiter Chocolat Billy de groupe de branleurs. 
Mais j’aurais vraiment eu tort d’agir ainsi : Délicat Déni est quand même le cinquième album publié par le groupe depuis 2005, ce qui est très loin d’être négligeable, surtout lorsque la qualité est à chaque fois au rendez-vous. Chocolat Billy sait juste prendre son temps pour faire les choses en bien et le branleur caniculé c’est sûrement moi, planqué derrière le confort d’un écran d’ordinateur et d’un clavier, entre quatre murs. Être un fainéant-cynique-extrême ça se mérite, passer pour un contestataire plastifié, ça n’importe qui peut y arriver.

Du plastique il n’y en a pas dans CHOCOLAT BILLY. Tout juste y retrouve t-on un lutin échappé d’Api Uiz aux guitares et au chant mais lui non plus est guère constitué de matériaux de synthèse. J’oserais même affirmer que Chocolat Billy c’est que du naturel et de la diversité. Du frais, du vivifiant et de la joie mais sans l’injonction normative au bonheur commun à l’usage des masses aveuglées – à l’opposé donc de la célébration codifiée et nationaliste d’une compétition sportive à l’échelle d’un monde marchandisé, financiarisé et économiquement inégalitaire. Ce n’est pas tous les jours que je tombe follement amoureux d’une telle musique et donc d’un tel groupe : mon naturel ronchon et sociopathe intraverti m’incitant plutôt à me tourner vers ce qui (me) fait mal ou m’emmène tellement loin de là où je suis que la musique et ses effets secondaires ne sont plus que des fantasmes et des idéaux où il fait bon se refugier sans avoir envie ni la possibilité de faire autre chose  – tu me diras que ce n’est déjà pas si mal (mais est-ce suffisant ?)

Je ne sais pas si Délicat Déni est le meilleur album de Chocolat Billy mais en tous les cas il s’agit de l’album du groupe qui me procure les mêmes effets que ses concerts si particuliers et si joyeux. Je ne vais pas te parler de mode « festif », de croquignolades ou de youpla-boom parce que ce n’est vraiment pas de cela dont il s’agit. 
Chocolat Billy c’est plein de couleurs vives sans la saturation numérique, de soleil fruité sans le tropical chimique, d’allégresse sans la niaiserie compulsive, d’épices sans les reflux gastriques, de parfums sans le capiteux qui nique les sinus, de danse(s) sans chorégraphie imposée, de mélodies sans clignotants ni avertisseurs – mais si, tu sais bien, un peu comme ces rires rajoutés dans les bandes-son d’émissions tv aux moments censément drôles –, de maisons sans portes ni fenêtres condamnées, de collectif sans obligation, de sucre sans la guimauve, de chaleur sans la canicule, de baskets sans les chaussettes qui puent, d’ivresse sans la gueule de bois, de t-shirts mouillés sans concours de selfies ; il y a même de la noirceur sans apitoiement (Malade) et , surtout, de la musique avec que de la musique et de l’amour avec que de l’amour et rien d’autre. En toute simplicité et aussi, je crois, en toute honnêteté. Tellement rare et tellement précieux.

[Délicat Déni est publié en vinyle et en cédé par Kythibong et Les Potagers Natures]

mercredi 1 août 2018

Louis Minus XVI / De Anima







Je me suis toujours demandé d’où vient le nom de ce groupe, LOUIS MINUS XVI. A vrai dire je n’en sais toujours rien même si j’ai fini par obtenir un semblant de début de réponse : Louis Minus XVI est l’extension à quatre musiciens d’un duo initial composé de Maxime Petit (guitare sèche et banjo*) et d’Adrien Douliez (saxophone alto) et portant le nom de Louis Minus II – une formation découverte il y a quelques semaines de cela en concert et que je ne peux que chaudement recommander si elle venait à jouer de par chez vous, en attendant, un jour, peut-être, pourquoi pas, un véritable témoignage enregistré. Donc, je disais : si vous ajoutez Jean-Baptiste Rubin (saxophone ténor) et Frédéric L’Homme (batterie) au duo de base, que vous mélangez tout ça bien tout comme il faut en pétrissant avec les doigts, que vous secouez la tête en bas et que vous servez à la bonne température vous obtenez un Louis Minus XVI bien chaud les marrons, bien pétillant, bien relevé et bien goûtu. Évidemment cela n’en dit pas beaucoup plus sur l’étrange patronyme du groupe mais c’est comme avec cette vieille histoire de la poule, de l’œuf et du doigt de dieu : on s’en fout complètement.

Tout comme il semblerait bien hasardeux et téméraire d’affirmer que Louis Minus XVI est un groupe de (free) jazz suffisamment amoureux transi de la Sainte Électricité pour réussir à se faire passer pour un groupe de (noise) rock tombé les quatre fers en l’air dans un chaudron magique de freeture. De Anima vient même brouiller encore plus les pistes puisque le troisième album du groupe – après un trop long silence de quatre années – ne confirme qu’une seule chose : Louis Minus XVI peut aussi bien satisfaire vos penchants cérébraux que vos désirs de fulgurances. Et même vos envies de rêveries et d’entre-deux.
Et bien qu’il soit un peu court, De Anima se révèle être un album débordant d'accomplissements parce qu’il développe et explore de multiples possibilités et horizons. Tout en se gardant bien cependant de donner l’impression d’avoir fait le tour définitif de la question. Lustig Taurig partage avec I want You Lemchaheb ce sens de l’approche par glissements, petites saccades rythmiques faisant le lit des entrelacs de plus en plus explosifs des saxophones. C’est à la fois accidenté, percutant, et envoutant, évident – les quatre musiciens de Louis Minus XVI étant maitres dans l’art de faire monter la tension tout en laissant une place de choix aux stridulations aiguisées mais aussi au côté charmeur et poignant des mélodies.

Comme son nom l’indique Violence Gratuite est la composition hardcore de De Anima. Deux minutes et demie seulement de cavalcade et de frénésie qui permettent à Louis Minus XVI de renvoyer les macho-sexistes et sportifs haineux de Sick Of It All ou de Kickback dans leurs clapiers respectifs (mais non je déconne…). En tous les cas Violence Gratuite donne dans la vocifération et le martèlement avec toujours en ligne de mire cette volonté de tenir en haleine. Une Certaine Dose De tendresse est la quatrième et dernière composition de l’album et il me semble que, de prime abord, il s’agit également de l’élément le plus cérébral de De Anima. Plus de complexité rythmique, plus de trigonométrie quantique** plus de sécheresse et plus d’ascèse… en résumé plus de tûts, plus de pouêts, plus de bips, plus de nut-nuts, plus de schtongs, plus de poumtchaks pour une nouvelle montée implacable qui fait posément jaillir la lumière et la lenteur avant une ultime embardée. Aventureuse et téméraire, la musique de Louis Minus XVI demeure imprévisible et, en même temps, elle se révèle extrêmement familière. Ce qui la rend aussi unique et tellement indispensable.



* sauf que dans Louis Minus XVI Maxime joue de la basse électrique et cela change beaucoup de choses
** quoi ? cela n’existe pas la « trigonométrie quantique » ?