Scepticisme quand tu nous tiens. Et sur
ce coup là j’ai vraiment eu très mal à la barbichette. Il est vrai que lorsque
j’ai appris que l’ORCHESTRE TOUT PUISSANT MARCEL DUCHAMP avait décidé de
prendre du bide et de gonfler significativement l’effectif de ses musiciens,
j’ai pris peur. C’est que l’affaire n’était justement pas mince avec une
formation passant de six à quatorze membres. Au point qu’il arrive que
désormais le groupe accole un XXL très explicite après son nom. Les nouveaux
venus n’en sont pas vraiment tous puisque aux musiciennes et musiciens jouant
déjà sur Rotorotor se sont ajoutés
d’anciens membres d’Orchestre Tout
Puissant Marcel Duchamp mais aussi un quatuor de cordes parait-il rencontré
par hasard, c’est beau la vie. S’en est suivi des concerts et encore des
concerts puis Sauvage Formes,
quatrième et merveilleux album publié en avril dernier par Les Disques Bongo Joe
et Red Wig records.
Donc je m’apprêtais non sans une
jubilation certaine a dégainer des jeux de mots rivalisant de trivialité et de stupidité
– allez, juste un petit pour le plaisir, enlarge
your afro beat – pour appréhender ce qui me fait plus peur que tout dès
qu’il s’agit de musique(s) : le big band frappé d’expansionnisme festif. Mais
c’était bien mal connaitre et surtout complètement sous-estimer Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp
car ce qui interpelle et séduit immédiatement à l’écoute de Sauvage Formes c’est toute la retenue farouche
et tout le resserrement dont le groupe a su faire preuve. Tout le monde ne joue
pas en même temps des parties ou des mélodies qui partent dans des directions
divergentes ; pas de fanfares d’empoigne ; pas de cacophonie en
simultané. Au contraire chacune et chacun semble avoir un rôle précis à jouer,
s’y tient et ce qui est très étonnant c’est que Sauvage Formes ne donne pas non plus le sentiment d’être une
succession de solos et de représentations – pourtant cela aurait pu, notamment
au niveau des chants, très diversifiés (mais on y reviendra).
Bien sûr il y a des compositions qui évoquent
plus la bande-son d’un film tourné en Panavision et en Eastmancolor – The Unknown, très cinématographique,
donc – mais dans l’ensemble Sauvage
Formes est un petit chef d’œuvre de délicatesse minimale et de pointillisme
chromatique, le tout servi par un dynamisme et un optimisme des meilleurs jours.
Ce qui est amusant c’est que toutes les musiques sont signées par le
contrebassiste Vincent Bertholet. Lequel joue également dans le duo Hyperculte
aux cotés de Simone Aubert (Massicot, J’m’en fous), groupe qui lui fait tout le
contraire d’Orchestre Tout Puissant
Marcel Duchamp c’est-à-dire qu’il cherche à remplir le plus d’espace
possible avec seulement deux musiciens.
S’il y a du changement dans la musique
d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp
il est donc à chercher ailleurs. Mais pas très loin non plus. Beaucoup
moins ouvertement post-punk meets afro-beat qu’auparavant, la musique du groupe
se diversifie significativement sur Sauvage
Formes, pouvant même lorgner du côté d’une pop bucolique et fleurie (Sous Mes Yeux, Lost And Found) et parfois même parfumé d’un allant épique (So We All). Avec également un côté délicieusement
bancal et en même temps rigoriste qui inexorablement me fait penser aux
regrettées Electrelane (alors que, oui, musicalement les deux groupes n’ont
strictement rien à voir).
C’est comme si Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, en exploitant toutes les
possibilités offertes par autant de musiciens différents, en avait surtout profité
pour enrichir son propos à tous les niveaux. Et en parlant de propos : on
reconnaitra sans difficulté le timbre et les intonations si séduisantes de Liz
Moscarola mais elle n’est pas la seule à donner ici de la voix. Non seulement il
y a énormément de parties chorales sur Sauvage
Formes – à tel point que toutes les musiciennes et tous les musiciens sont crédité.e.s à la voix – mais Vincent
Bertholet (?) et surtout Aby Vulliamy se relaient également avec bonheur devant
le micro pour assurer le chant principal. Tout comme l’anglais n’a plus l’exclusivité
des paroles, le français se taillant une part non négligeable (Bêtes Féroces, sur un poème du québécois
Gaston Miron ; Danser Soi Même,
parfumé au feu de bois, un texte signé Jean Dubuffet).
Ce ne sont donc pas les surprises qui
manquent sur Sauvage Formes. Avec ce
sentiment de découvrir un groupe qui a grandit – dans tous les sens du terme.
Je veux dire : les histoires d’ « album de la maturité » c’est
juste bon pour les groupes de hard-rock et de musique stadière ; avec Sauvage Formes on a le sentiment très
fort qu’Orchestre Tout Puissant Marcel
Duchamp est un enfant qui est devenu grand mais qui n’a pas abandonné ses
rêves et qui au contraire en a réalisé de nouveaux.