lundi 6 août 2018

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp / Sauvage Formes







Scepticisme quand tu nous tiens. Et sur ce coup là j’ai vraiment eu très mal à la barbichette. Il est vrai que lorsque j’ai appris que l’ORCHESTRE TOUT PUISSANT MARCEL DUCHAMP avait décidé de prendre du bide et de gonfler significativement l’effectif de ses musiciens, j’ai pris peur. C’est que l’affaire n’était justement pas mince avec une formation passant de six à quatorze membres. Au point qu’il arrive que désormais le groupe accole un XXL très explicite après son nom. Les nouveaux venus n’en sont pas vraiment tous puisque aux musiciennes et musiciens jouant déjà sur Rotorotor se sont ajoutés d’anciens membres d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp mais aussi un quatuor de cordes parait-il rencontré par hasard, c’est beau la vie. S’en est suivi des concerts et encore des concerts puis Sauvage Formes, quatrième et merveilleux album publié en avril dernier par Les Disques Bongo Joe et Red Wig records.

Donc je m’apprêtais non sans une jubilation certaine a dégainer des jeux de mots rivalisant de trivialité et de stupidité – allez, juste un petit pour le plaisir, enlarge your afro beat – pour appréhender ce qui me fait plus peur que tout dès qu’il s’agit de musique(s) : le big band frappé d’expansionnisme festif. Mais c’était bien mal connaitre et surtout complètement sous-estimer Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp car ce qui interpelle et séduit immédiatement à l’écoute de Sauvage Formes c’est toute la retenue farouche et tout le resserrement dont le groupe a su faire preuve. Tout le monde ne joue pas en même temps des parties ou des mélodies qui partent dans des directions divergentes ; pas de fanfares d’empoigne ; pas de cacophonie en simultané. Au contraire chacune et chacun semble avoir un rôle précis à jouer, s’y tient et ce qui est très étonnant c’est que Sauvage Formes ne donne pas non plus le sentiment d’être une succession de solos et de représentations – pourtant cela aurait pu, notamment au niveau des chants, très diversifiés (mais on y reviendra).
Bien sûr il y a des compositions qui évoquent plus la bande-son d’un film tourné en Panavision et en Eastmancolor – The Unknown, très cinématographique, donc – mais dans l’ensemble Sauvage Formes est un petit chef d’œuvre de délicatesse minimale et de pointillisme chromatique, le tout servi par un dynamisme et un optimisme des meilleurs jours. Ce qui est amusant c’est que toutes les musiques sont signées par le contrebassiste Vincent Bertholet. Lequel joue également dans le duo Hyperculte aux cotés de Simone Aubert (Massicot, J’m’en fous), groupe qui lui fait tout le contraire d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp c’est-à-dire qu’il cherche à remplir le plus d’espace possible avec seulement deux musiciens.

S’il y a du changement dans la musique d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp il est donc à chercher ailleurs. Mais pas très loin non plus. Beaucoup moins ouvertement post-punk meets afro-beat qu’auparavant, la musique du groupe se diversifie significativement sur Sauvage Formes, pouvant même lorgner du côté d’une pop bucolique et fleurie (Sous Mes Yeux, Lost And Found) et parfois même parfumé d’un allant épique (So We All). Avec également un côté délicieusement bancal et en même temps rigoriste qui inexorablement me fait penser aux regrettées Electrelane (alors que, oui, musicalement les deux groupes n’ont strictement rien à voir).
C’est comme si Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, en exploitant toutes les possibilités offertes par autant de musiciens différents, en avait surtout profité pour enrichir son propos à tous les niveaux. Et en parlant de propos : on reconnaitra sans difficulté le timbre et les intonations si séduisantes de Liz Moscarola mais elle n’est pas la seule à donner ici de la voix. Non seulement il y a énormément de parties chorales sur Sauvage Formes – à tel point que toutes les musiciennes et tous les musiciens sont crédité.e.s à la voix – mais Vincent Bertholet (?) et surtout Aby Vulliamy se relaient également avec bonheur devant le micro pour assurer le chant principal. Tout comme l’anglais n’a plus l’exclusivité des paroles, le français se taillant une part non négligeable (Bêtes Féroces, sur un poème du québécois Gaston Miron ; Danser Soi Même, parfumé au feu de bois, un texte signé Jean Dubuffet).

Ce ne sont donc pas les surprises qui manquent sur Sauvage Formes. Avec ce sentiment de découvrir un groupe qui a grandit – dans tous les sens du terme. Je veux dire : les histoires d’ « album de la maturité » c’est juste bon pour les groupes de hard-rock et de musique stadière ; avec Sauvage Formes on a le sentiment très fort qu’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp est un enfant qui est devenu grand mais qui n’a pas abandonné ses rêves et qui au contraire en a réalisé de nouveaux.