mardi 21 août 2018

Thou / Rhea Sylvia






Rhea Sylvia est le troisième et dernier EP publié par THOU avant la sortie le 31 aout prochain de Magus, le nouvel et très attendu cinquième album du groupe. Je ne vais pas m’étaler sur les six nouvelles compositions de Rhea Sylvia autant que je l’ai fait sur celles d’Inconsolable mais, avant toute chose, un peu d’histoire s’impose. 
Les latinistes lecteurs assidus de Tite-Live et autres bac + 16 savent déjà que Rhea Silvia est la mère naturelle de Remus et Romulus, ce dernier devenant le fondateur de la Rome antique non sans s’être auparavant entrainé au fratricide. C’est ce fanfaron de Mars – le dieu de la guerre, rappelons-le – qui a engrossé cette pauvre Rhea Silvia en la « visitant » pendant un rêve. Tout ça quelques décennies avant que Marie ne subisse le même sort grâce au doigt de dieu et n’engendre son fils Jésus. De là à dire que les chrétiens ont tout copié sur les romains il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas puisque à mes yeux d’indécrottable mécréant toutes les religions se valent. La différence est que Rhea Silvia était une vestale – une prêtresse si tu préfères – et qu’à ce titre elle avait fait vœu de chasteté. Elle a donc été emmurée vivante et ses deux gamins ont été jetés dans le fleuve Tibre avant d’être secourus et élevés par une louve avec les conséquences civilisationnelles et impérialistes que l’on connait maintenant. Tout ça à cause de ce foutu patriarcat dominant qui considère entre autres que si une femme ne peut pas être une mère c’est qu’elle n’est qu’une pute.

Mais trêve de bavardages inutiles. Et comme la musique n’est pas une religion je serai sans pitié. Rhea Sylvia se veut un hommage à celle que les musiciens de Thou écoutaient quand ils étaient petits. Et en particulier, au grunge de Seattle. Mais pas le grunge de Green River, de Tad ou de Mudhoney – oui je sais : le grunge ça n’existe pas et cela n’a jamais existé ! – mais celui plus standardisé et marketé d’Alice In Chains. Je ne devrais pas utiliser un tel mot, « standardisé », mais je suis tellement peu amateur d’Alice In Chain (ni de Soundgarden ou de Pearl Jam) et tellement peu client des prouesses vocales de feu son chanteur Lane Staley (mort en 2002 façon speedball baby) que je n’arriverai pas à qualifier autrement un groupe et une musique qui pour moi s’apparentent plus à de l’hameçonnage cynique pour adolescents en crise et victimes du marketing des major companies du disque et de l’entertainment – dernier précision : Lane Staley est également une victime du business musical, jusque dans sa mort tragique.

Le plus étonnant avec Rhea Sylvia c’est que Thou arrive à me convaincre, ce qui n’était pas gagné d’avance. Globalement le disque doit beaucoup plus à un metal cradingue, lourd et visqueux (Unfortunate Times) qu’à un produit musical lyophilisé et le groupe – contrairement à la façon dont il a procédé sur le EP Inconsolable – n’entretient pas l’ambigüité en préférant dégager une nouvelle forme de vérité. Quelques unes des chansons proposées ici figurent en fait au répertoire du projet solo de Matthew Thudium, guitariste de Thou, un projet qui porte précisément le nom de… Rhea Sylvia. Le groupe n’est donc pas allé chercher très loin pour trouver son inspiration et ses idées mais y a tellement insufflé de lui-même que Rhea Sylvia sonne comme du Thou romantique et affectif. Fort heureusement c’est la voix écorchée du  chanteur principal Bryan Funck qui domine (et non pas celle de Thudium, beaucoup trop diaphane, pas assez « lyrique », finalement) ; les guitares, au delà  de leur abrasivité naturelle, développent elles ce côté moelleux métallurgiste golgothien et transforment la moindre morsure et le moindre grésillement électrique en caresses mortelles (le riff d’introduction de Restless River).
Étrange au premier abord, le résultat aurait pu friser le ridicule mais n’est pas assez apprêté pour y arriver et avec Rhea Sylvia Thou est allé bien plus loin que le simple caprice d’un groupe qui voulait avant tout se faire plaisir. En d’autres termes Rhea Sylvia peut-être considéré comme un véritable enregistrement de Thou. Il y a quelques passages qui s’étalent un peu sur le baveux (Deepest Sun est tellement trop caricatural dans le genre…) mais Thou arrive à s’en sortir et à concilier ce qu’il est – un groupe de barbares sensibles qui se cachent derrière une bonne grosse dose de sludge anarchiste – et ce qu’il a été – une bande de gosses biberonnés à MTV, aux donuts trempés au fluff et à l’ennui acnéique. Et c’est tant mieux.

[Rhea Sylvia est disponible en vinyle uniquement via le label américain Deathwish]