vendredi 24 août 2018

Thee Oh Sees / Smote Reverser







THEE OH SEES* est un groupe impossible à oublier. Pour cela son leader John Dwyer fait tout ce qu'il peut en imposant depuis plusieurs années un rythme quasiment effréné à ses acolytes musiciens et en enchainant enregistrements d’albums et tournées à rallonge. Mais la lassitude nous guette : écouter un nouvel enregistrement de Thee Oh Sees c’est comme gouter une fois par an au pâté en croûte de Mamie, on aime de moins en moins ça parce qu’il est de moins en moins bon et qu’en plus on avait décidé de ne plus manger de viande du tout – mais ça on n’ose pas trop le dire à cette pauvre Mamie, on ne voudrait pas lui faire trop de peine.
Et voilà donc que débarque la livraison 2018 du groupe, un double LP intitulé Smote Reverser, évidemment publié par Castle Face records. Un disque comme d’habitude bourré jusqu’à la gueule et c’est précisément ce qui fait peur, encore plus que cette pochette ignoble devant autant à Judas Priest période Screaming For Vengeance/Defender Of The Faith qu’à Azia toutes périodes confondues (désolé). 

Le plus important pour John Dwyer – chanteur, guitariste, compositeur en chef, bref, tête pensante de Thee Oh Sees – c’est de gratouiller son instrument dans tous les sens pendant que son groupe lui assure le champ libre pour assouvir sa frénétique passion. Dwyer est un exhibitionniste et un performer-né rendant garçons et filles complètement amoureux fous et folles et plus il joue, plus il a envie de jouer – et donc de jouer des choses si ce n’est compliquées du moins narcissiques avec une instrumentation à l’esbroufade et des développements sans fin (et sans but ?). Dwyer a su conserver la folie de ses jeunes années (Coachwhips, Pink And Brown, The Hospitals) et ça peut encore passer en concert puisque Thee Oh Sees n’y privilégie que la performance. Sauf que parallèlement la qualité et l’inspiration du songwriting de Dwyer ont fini par s’étioler avec le temps, rendant les disques de Thee Oh Sees ennuyeux car farcis d’élucubrations et d’instrumentaux indignes en forme de remplissage (il est vrai que le précédent album Orc marque un léger sursaut d’orgueil avec une remontée du niveau général mais on peut également y entendre un passage percussif/solo de batterie et ça franchement, il fallait oser, d’autant plus que l’album s’achève presque ainsi, en queue de poisson…). 
J’ai toujours pensé que John Dwyer était une sorte d'apprenti sorcier/élève en cours de musicologie appliquée et qu’il ne cherchait, en toute naïve curiosité, qu’à redescendre le cours du temps pour nous refaire l’évolution musicale depuis 1965… Que les albums de Thee Oh Sees s’aventurent sur des territoires de plus en plus post psychédéliques et de plus en plus kraut est donc aussi logique que frustrant : la musique du groupe est devenue moins garage et moins punk mais son approche du bizarre et de l’expérimental est trop légère et ne compense pas. D’où les quelques derniers albums de Thee Oh Sees qui ne sont que des prétextes.

Avec Smote Reverser John Dwyer a-t-il continué son voyage dans le temps pour finir par débarquer dans les années 70 ? OUI. Mais heureusement John Dwyer est toujours un bad boy et un punk capable d’un Overthrown mais également un garçon fin et délicat, ce qui nous donne ici Sentient Oona et Beat Quest, respectivement premier et dernier titre de Smote Reverser. Et entre les deux Thee Oh Sees fait vraiment bien le boulot. Cette fois il n’y a pas de remplissages indigents ni de résidus de cuvette de chiottes mais que des vraies compositions de qualité plus qu’honorable et même supérieure – comme si Mamie s’était mise aux burgers végétariens avec steaks de betteraves ou de pois chiches. Des compositions qui donnent envie de fredonner, de faire la vaisselle ou de ne rien faire du tout sauf écouter. Et puis on arrive même à supporter les désormais traditionnels passages instrumentaux sur lesquels Dwyer réussit pour une fois à se toucher les tétons autant qu’il le veut sans que l’on ait l’impression de surprendre un ado dans sa chambre en train de se pignoler le manche de guitare. Un orgue Hammond B3 est également de la partie voire omniprésent sur Smote Reverser et, encore un miracle, ses élucubrations ne donnent pas non plus envie de fuir pour éviter les bavouillis d’usage avec cet instrument pour virtuoses. Comme quoi il n’en fallait peut-être pas beaucoup pour permettre à Thee Oh Sees de reprendre du poil de la bête.
Il y a, enfin, le cas de cet Anthemis Aggressor. Plus de douze minutes de bordures ultra-rythmiques encadrant des tourbillons psyché-kraut totalement instrumentaux qui donnent le tournis, sans échappatoire possible. Et pour rien au monde on ne voudrait rater quoi que ce soit de cette tempête d’acid hard aussi violemment multicolore qu’elle réussit à filer droit. Peut-être parce que Mamie, toujours elle, a décidé qu’en plus des veggie burgers elle ferait aussi de la choucroute allemande A.O.C. à dîner. 
Évidemment les inébranlables défenseurs de John Dwyer pourraient argumenter que notre homme, complètement obsessionnel et égocentré, a toujours cherché à aller plus loin et que ce n’est pas la moindre de ses qualités. Ce à quoi il serait de bonne guerre de répondre que John Dwyer confond trop souvent « plus loin » avec « ailleurs » et « ailleurs » avec « nulle part » et qu’il ne fait guère de doute qu’avec Thee Oh Sees il n’hésitera pas à l’avenir à refaire n’importe quoi sous prétexte d’avancer. Mais pour l’instant Smote Reverser est un bon album de Thee Oh Sees et même le meilleur du groupe depuis trop longtemps parce que sans temps morts ni moments de faiblesse, alors cela me suffit amplement. Bon appétit et à l’année prochaine.

* après s’être appelé OCS, The Oh Sees, Thee Oh Sees, Thee Ohsees, etc, le groupe a depuis l’album Orc rechangé de nom en le raccourcissant tout simplement en Oh Sees – on s’en fout (?)