mercredi 15 août 2018

Bellini / Before The Day Has Gone


Je ne m’y attendais vraiment pas du tout et c’est pourtant bien une réalité : Bellini bouge encore et, presque dix années après la parution de son troisième album The Precious Price Of Gravity, vient tout juste de publier Before The Day Has Gone. Une véritable surprise de la part de ce groupe vraiment pas comme les autres puisque composé de Giovanna Cacciola (voix, textes) et d’Agostino Tilotta (guitares) – c’est-à-dire les deux têtes pensantes d’Uzeda, groupe sicilien de noise aussi légendaire qu’influent – sans oublier la section rythmique dorigine américaine composée elle du bassiste Matthew Taylor et du batteur Alexis Fleisig (Girls Against Boys et Paramount Styles). Un groupe qui non seulement se partage des deux côtés de l’océan Atlantique mais qui en plus consiste en la réunion de musiciens talentueux et inestimables. Tu trouves que j’en fais déjà beaucoup trop ? Absolument pas : si Uzeda est un monstre de noise-rock tordu et tendu, à tel point que Steve Albini en personne a porté allégeance au groupe, l’a enregistré et que ses disques ont été publié par Touch And Go*, BELLINI** représente le côté plus intimiste et ténu voire fragile mais tout aussi viscéral et passionné de la musique du tandem Cacciola/Tilotta.

Avant que le jour ne s’en aille… Évidemment la teneur plutôt mélancolique et sombre du titre de ce quatrième album sonnant comme un « pendant qu’il en est encore temps » rédhibitoire bien que pas trop solennel n’aura échappé à personne. Tout comme les couleurs grises et effacées de la pochette signée Alexis Fleisig. Mais Bellini n'a rien changé pour Before The Day Has Gone. Ce qui en aucun cas ne consiste en une déception et se révèle aussitôt rassurant : quoi qu’il arrive retrouver ce groupe et cette musique tels quels, retrouver le chant funambule, fébrile et habité ainsi que les beaux textes*** de Giovanna Cacciola, retrouver les déambulations éclatées de la guitare d’Agostino Tilotta mais également l’assise strict et aérienne et sobrement impeccable de la rythmique Taylor/Fleisig c’est, après toutes ces années, être de nouveau en compagnie de vieilles connaissances et être indéniablement heureux de ces retrouvailles, enfin****. 




C’est que Bellini possède plus que jamais le ton juste, en tout les cas cette manière expressive et parlante, je ne me résous toujours pas à écrire le mot vrai, de ces formations jouant une musique d’inspiration très américaine mais avec un sens de la proximité et de l’existentiel qui les rendent uniques – le phénomène inverse, c’est-à-dire à dire des groupes américains évitant strass et paillettes pour aller chercher et fouiller du côté de l’intime et de l’intérieur, existe tout autant (Velvet Underground, Sonic Youth, Fugazi, Lungfish, Yo La Tengo, E) et en définitive les allers-et-retours incessants depuis cinquante années et le processus de capillarité entre les deux rives de l’Atlantique sont l’unique vérité d’une démarche aussi artistique qu’humaine, trouvant en l’entité Bellini un concrétisation presque providentielle et donc toujours d’actualité. Ce ne sont peut-être que des considérations farfelues et fantasmées, puisque presque tous les groupes précités sont morts et enterrés ou d’un autre temps, mais il n’y aura pas beaucoup à creuser pour trouver des exemples plus récents de formations qui possèdent cette même vision de la musique et de ses résonnances, Luggage par exemple. 

On pourra également remarquer les liens de parentés que Bellini entretient avec Heliogabale (Right Before) ou, de façon plus étonnante, avec Dog Faced Hermans (Being Married) quoi que sur ce point précisément c’est au niveau du chant que l’on peut faire principalement l’analogie. Un chant qui plus généralement n’a pas peur de se faufiler sur les chemins abrupts de la rupture, se moquant parfois d’être juste pour faire ressortir toute l’émotion, mais aussi un chant vindicatif (Plumber’s Foxtrot ou Clementine Peels qui s’achève sur la sonnerie impromptue d’un téléphone perturbateur accompagnée d’éclats de rire) et par dessus tout d’une clarté et d’une jouvence presque surnaturelle (Il Maestro/If I Could Say, sûrement la plus belle chanson de Before The Day Has Gone). 
Et que dire du très rythmique, répétitif et shellac-quien Promises dont la simplicité et le dépouillement rendent son emprise encore plus incroyable et inévitable ? Les mots employés ici par Giovanna Cacciola sont d’une violence rare tandis que l’économie de moyens de la musique et les striures misanthropes de la guitare d’Agostino Tilotta rendent le tout aussi insupportable que captivant, entre pudeur et mise à nue, dit et non-dit, tristesse infinie et courage du lendemain. Je n’ai rien à ajouter de plus au sujet de Before The Day Has Gone si ce n’est pour affirmer que voilà l’un des disques les plus remuants et les plus essentiels de cette année 2018.

[Before The Day Has Gone est publié en vinyle (rouge, noir, etc.) et en CD par Temporary Residence]

* le merveilleux EP 4 en 1995 ainsi que les albums Different Section Wire en 1998 et Stella en 2006
** le site du groupe n’a pas été mis à jour depuis… 2013
*** You Should Not Be Scared Of Me nous dit-elle dès le début… toutes les paroles de toutes les chansons sont imprimées sur la pochette intérieure du disque et on peut aussi les lire sans écouter Before The Day Has Gone en même temps
**** toutefois la majeure partie de Before The Day Has Gone a été enregistrée en 2012 par Steve Albini (encore lui) alors que le chant a lui été enregistré bien après, à l’automne 2017